Archive dans octobre 2022

Le défaut d’information environnementale du CSE peut-il annuler des licenciements économiques ?

Droit social. Issue des travaux de la convention citoyenne pour le climat, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets impose à l’employeur, dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, de fournir au comité social et économique (CSE) des informations sur « les conséquences environnementales de ses décisions ».

Ces échanges se font tant dans le cadre des informations et consultations récurrentes que lors des consultations obligatoires relatives à l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, énumérées dans le livre II du code du travail.

Le CSE doit également être saisi « en temps utile » lorsqu’un projet de restructuration et de compression des effectifs implique l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE, ex « plan social »), pour émettre un avis sur l’opération projetée et ses modalités d’application.

« Un PSE irrégulier pour défaut d’information peut notamment conduire à la nullité de l’ensemble des licenciements et des mesures des départs volontaires qui y figurent »

En pratique, dans le cas d’un licenciement économique d’au moins dix salariés, deux consultations du CSE doivent être menées avant la mise en œuvre du PSE : la première a trait aux mesures ayant une incidence sur la marche générale de l’entreprise et le volume des effectifs, la seconde est spécifique aux licenciements et aux mesures destinées à les éviter.

Toutefois, la loi Climat et résilience n’a modifié ni les règles applicables aux consultations et informations ponctuelles, parmi lesquelles se trouvent les dispositions concernant les licenciements collectifs pour motif économique, ni le livre I du code du travail organisant le PSE. Si l’on suit, l’employeur doit donc informer des conséquences environnementales à la première consultation… mais le doit-il également à la seconde ?

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Cette question du périmètre de la nouvelle obligation d’information en matière environnementale n’est pas purement théorique : un PSE irrégulier pour défaut d’information peut notamment conduire à la nullité de l’ensemble des licenciements et des mesures des départs volontaires qui y figurent.

Des litiges sur cette question ont déjà été portés en justice, en l’occurrence devant le juge administratif. Des CSE ont, en effet, critiqué des décisions de l’administration du travail qui homologuaient les documents unilatéraux portant sur le projet de licenciement collectif pour motif économique : ils réclamaient l’annulation de ces décisions au motif que la procédure d’information et de consultation des instances représentatives du personnel aurait été irrégulière, notamment du fait de l’absence d’information environnementale. Pour les demandeurs, s’agissant de fermetures de sites et de « délocalisation » de certains salariés, le PSE ne serait « pas neutre pour le climat ».

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Un QR code sur une pierre tombale pour se reconvertir

« Dans les années 2010, les QR codes ont commencé à fleurir sur les tombes » (Photo : QR code sur une pierre tombale au cimetière de Courtisols dans la Marne).

Vous le verrez sans doute si vous allez au cimetière du Père-Lachaise à Paris mardi 1er novembre : un QR code apposé sur la stèle La Mémoire nécropolitaine. Grâce à votre smartphone, il vous guidera vers le monde d’André Chabot, l’ethnographe des cimetières.

Pour Delphine Letort, ces QR codes sont devenus un fonds de commerce, sous forme de médaillons gravés au laser pour héberger la mémoire des défunts, les souvenirs de leurs proches : leur biographie numérique.

« J’ai toujours été attirée par les métiers du funéraire », confie-t-elle aujourd’hui. Elle s’est lancée dans l’entrepreneuriat à 48 ans, après avoir passé une vingtaine d’années en tant que salariée de la fonction publique territoriale. « C’était une hyperzone de confort dans une très bonne ambiance, un travail que j’aimais, à la direction administrative des pompiers. Mais je changeais de poste tous les quatre ans, car j’ai besoin d’apprendre tout le temps. J’ai demandé une formation dans la perspective d’une mobilité externe. »

Certifiée en « accompagnement de deuil »

Elle aura mis près de dix ans à mûrir son projet de reconversion professionnelle. Pendant longtemps, la seule chose dont elle a été sûre résidait dans le fait qu’elle n’était « pas à [sa] place dans un bureau ». C’est de passage à Rennes (Ille-et-Vilaine) qu’elle découvre la biographie numérique : « Ça m’a touché, car je fréquentais les cimetières avec la sensation que ce sont des lieux de vie. »

Après un énième changement de poste et la reprise d’études en psychologie, sa décision est prise. Une fois certifiée en « accompagnement de deuil », elle lance son business : l’autoentreprise Histoires de vie est née en 2020, en plein Covid. Elle lui vaudra le Prix Audace de l’Union des autoentrepreneurs et des travailleurs indépendants, qui salue les projets les plus prometteurs de plus d’un an d’existence.

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Ce n’est pas l’activité la plus porteuse de l’autoentreprise. L’Urssaf enregistre les plus gros chiffres d’affaires plutôt dans le juridique, le BTP et l’immobilier, avec des moyennes de chiffre d’affaires annuel de 17 000 à 20 000 euros. Mais l’initiative de Delphine Letort, qui s’inscrit dans le commerce de détail spécialisé, a été remarquée pour son originalité.

Elle n’est pas la première à avoir investi ce segment du marché funéraire pour prolonger la vie après la mort, afin que les petits enfants connaissent mieux leurs ancêtres ou dans un intérêt plus historique pour les grands de ce monde.

Un quasi-effet de mode

Dans les années 2010, les QR codes ont commencé à fleurir sur les tombes : 50 euros l’adhésif à coller sur la stèle, 95 euros le médaillon en céramique, voire 270 euros le médaillon gravé sur métal inoxydable. Les ambassadeurs d’Internet s’étaient multipliés pour proposer aux familles en deuil d’installer dans le « cloud » les photos, vidéos, sons et autres formes d’hommage à leurs chers disparus, avec des mises à jour illimitées de la biographie.

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L’argot de bureau : le « deep work », silence, on bosse !

« Allez, je m’accorde une pause ! De toute façon, je n’arrive pas à faire autre chose que regarder mes mails, et c’est tout juste le début d’“aprèm”… Je sais que je peux être efficace, et comme je compte partir à 19 heures, j’aurai largement le temps de faire ce machin-là. »

Cette réflexion de Maxime, travailleur de bureau désabusé, est le symbole de trois tendances : la baisse de l’attention, le présentéisme et la procrastination – remettre au lendemain ce que l’on est censé faire au plus vite. Face à ces fléaux, il existerait pourtant un mode de travail parfait : le « deep work ».

Deep Work, c’est d’abord le nom d’un ouvrage à succès sur le développement personnel, publié en France en 2017 sous le titre Deep Work. Retrouver la concentration dans un monde de distractions. Son auteur, Cal Newport, professeur d’informatique à l’université de Georgetown (Etats-Unis), le dit haut et fort à Maxime : vous êtes nul, vous ne savez pas vous organiser et, en plus, vous vous plaignez d’être débordé et fatigué à ne rien faire. Si vous saviez vous concentrer le plus longtemps possible pour réaliser des tâches difficiles, vous deviendrez riche. Merci du conseil, Cal !

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Ce gourou de la productivité avance en fait une théorie un peu plus développée : le travail en profondeur serait un « état de concentration absolue qui pousse vos capacités cognitives jusqu’à leurs limites ». Il s’oppose strictement au travail dit « superficiel » (shallow work en anglais), qui consiste à faire croire aux autres (et à soi-même) que l’on est efficace.

Maximiser ses capacités en structurant sa journée

Le shallow work représente toute l’hostilité de l’environnement de travail moderne, fait d’une foule de tâches purement logistiques, non exigeantes sur le plan intellectuel et qui empêchent de se consacrer au cœur de son emploi : intégrer des notifications, répondre aux mails, « checker » son téléphone de peur de manquer quelque chose, alors que, justement, les notifications sont supposées éviter de manquer ce quelque chose… Ajoutez à cela le bruit dans l’open space. Le deep work est une tentative de réponse face à tous ces facteurs de déconcentration, puisqu’il s’agit de se concentrer sur un seul objectif.

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La méthode consiste à maximiser ses capacités en structurant sa journée. C’est une discipline avec ses rituels : éteindre son téléphone, fermer les onglets nocifs (Twitter, mails) et établir des limites – en toute diplomatie – avec d’éventuels collègues, avant de se mettre en mode « machine de guerre ».

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Contre le barème Macron, l’« arrêt de résistance » de la cour d’appel de Douai

Cinq ans après avoir éclaté, la « bataille des prud’hommes » provoque encore des étincelles. La cour d’appel de Douai vient de ranimer la flamme de la rébellion contre une mesure phare du premier mandat d’Emmanuel Macron : l’encadrement des dommages-intérêts que les tribunaux accordent aux salariés victimes d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les magistrats nordistes, dans un arrêt rendu le 21 octobre, ont écarté cette disposition, car elle « ne permet pas une indemnisation adéquate et appropriée » du préjudice subi par un homme employé dans une société de nettoyage. La décision retient l’attention car elle contredit les plus hautes juridictions de notre pays.

Au commencement de la controverse, il y a un barème mis en place par les ordonnances de septembre 2017 qui ont réécrit le code du travail. Il se présente sous la forme de grilles de dédommagements, avec des planchers et des plafonds qui varient selon l’ancienneté du salarié et l’effectif de son entreprise.

Bien qu’elles aient reçu le feu vert du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel, ces règles ont été contestées devant les tribunaux, au motif qu’elles n’assureraient pas toujours une réparation « adéquate » à la personne abusivement congédiée par son patron. Or, il s’agit d’un principe inscrit dans des textes auxquels la France a souscrit : la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Charte sociale européenne.

« Circonstances particulières »

Dans plusieurs litiges, des conseils de prud’hommes, suivis par des cours d’appel, se sont affranchis du barème et ont attribué aux plaignants des sommes supérieures à ce qui était prévu par celui-ci. A l’appui de leur décision, ces juridictions se sont prévalues de la convention de l’OIT et de la Charte sociale européenne. La querelle a duré plusieurs années. Saisie par la CGT et par Force ouvrière, l’OIT s’en est également mêlée : dans un rapport publié fin mars, l’une de ses instances écrit que le barème risque de ne pas assurer le bon niveau de protection et invite les autorités françaises à l’évaluer à intervalles réguliers, pour envisager d’éventuelles améliorations.

Après de multiples rebondissements, la Cour de cassation a validé le mécanisme, d’abord dans un avis en 2019. Puis, dans des arrêts prononcés le 11 mai 2022, elle a estimé qu’il était conforme aux engagements internationaux de la France et que les juridictions devaient s’y conformer, au nom du principe d’égalité, afin d’éviter les dérives d’un droit appliqué à la carte.

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« Dernier travail », de Thierry Beinstingel : revenir à France Télécom

Conférence de presse en présence des parties civiles après la condamnation de France Télécom et de ses anciens dirigeants pour « harcèlement moral institutionnel », à Paris, le 20 décembre 2019.

« Dernier travail », de Thierry Beinstingel, Fayard, 256 p., 19 €, numérique 14 €.

Longtemps, ce fut l’usage : les employés de France ­Télécom ne disaient pas qu’ils y travaillaient mais qu’ils y « appartenaient ». Relevant ce particularisme, Thierry Beinstingel, retraité depuis 2020 de l’entreprise rebaptisée « Orange » en 2013, marque une pause au téléphone et souffle : « Ça paraît fou aujourd’hui. » A tout le moins, cela donne une idée du puissant lien d’identification entre les salariés et l’entreprise autrefois publique, et de la violence avec laquelle a été reçu le plan de restructuration Next, visant à supprimer 22 000 postes de France Télécom (« FT ») entre 2007 et 2010. Le PDG d’alors, Didier Lombard, avait fait savoir à ses équipes qu’il souhaitait que ces départs se fassent « par la fenêtre ou par la porte ». Cette brutalité managériale théorisée avait engendré une crise sociale majeure, marquée par des dizaines de ­suicides et de cas de dépression. Le 30 septembre, Didier Lombard (tout comme son ancien bras droit) a été condamné en appel pour « harcèlement moral ­institutionnel ».

Evidemment inspiré de ces faits, un procès semblable sert d’arrière-plan à Dernier travail, le nouveau roman de Thierry Beinstingel. Sur le même sujet, ce dernier avait publié, en plein scandale, Retour aux mots sauvages (Fayard, 2010). « Je l’avais écrit à chaud », dit-il aujourd’hui. A l’époque, l’entreprise (qui n’était pas nommée dans le texte, comme elle ne l’est pas aujourd’hui – « Cela me permet de me sentir plus libre ») lui avait « fait subir des pressions » : « Après avoir lu un article sur mon livre, une directrice avait fait 300 kilomètres pour me poser une question : “Partagez-vous les valeurs de l’entreprise ?” » Cadre aux ressources humaines dans l’Est, il estime avoir été « protégé » par le fait que Retour aux mots sauvages s’était retrouvé en lice pour le Goncourt.

Les questions qui l’ont hanté

Dans les années suivantes, Thierry Beinstingel a continué à travailler pour l’entreprise. Il a écrit une thèse sur la « représen­tation du travail dans les récits français depuis la fin des “trente glorieuses” » (soutenue en 2017), et poursuivi son œuvre, étroitement liée à son sujet d’études ­universitaires. Dans le même temps, il y a eu la « refondation » d’Orange, où l’entreprise a tenté de « faciliter le dialogue » avec les personnels, puis le premier procès (en 2019) jugeant les responsables, et son propre départ d’Orange. « Il m’a semblé qu’il était temps de revenir sur ces événements, avec plus de distance, peut-être, que dans Retour aux mots sauvages. » Et de revenir ainsi plus directement, même si toujours par le biais de la fiction, sur sa propre expérience aux ressources humaines – Retour… se penchait sur les tâches des téléopérateurs – et sur les questions qui l’ont hanté : « De quoi aurais-je pu m’apercevoir à l’époque ? » « Ai-je refusé de voir des signaux ? » « Ai-je failli dans mon éthique ? » – l’écriture du livre, confie-t-il, n’a pas permis d’y répondre ; elle les a même « décuplées ».

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Après la fin de Camaïeu, l’inquiétude du secteur de l’habillement, en difficulté

Magasin Camaïeu définitivement fermé, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), le 26 octobre 2022.

C’est l’un des plus gros plans sociaux qu’a connus la France. Au lendemain de la liquidation de l’enseigne Camaïeu, le 27 septembre, ses 2 089 salariés sous contrat à durée indéterminée ont reçu leur lettre de licenciement en début de semaine. « Nous sommes les premières à tomber », s’alarme une ancienne Camaïeu. L’Etat a mis en place un dispositif d’accompagnement renforcé des licenciés. La région Hauts-de-France dit être aussi mobilisée pour les accompagner dans la recherche d’un nouvel emploi.

Car cette région, où le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) des 863 salariés de l’ancienne usine Bridgestone de Béthune (Pas-de-Calais) en 2021 est encore dans toutes les mémoires, est la plus concernée. A Roubaix (Nord), Camaïeu employait près de 500 personnes, dans son siège social et son entrepôt mitoyen. Le reste du personnel, soit près de 1 600 employés, est disséminé partout en France, au gré des 511 magasins que l’enseigne exploitait dans les centres commerciaux et les centres-villes.

« Ce sont des femmes, surtout, souvent jeunes, parfois mères célibataires », souligne Justine Candat, avocate du comité social et économique (CSE) de Camaïeu. Tous auront jusqu’à la mi-novembre pour se déterminer sur le mode d’indemnisation de leur licenciement pour motif économique. Un contrat de sécurisation professionnelle, propre à favoriser leur reconversion, leur est accordé, avec un budget de 3 500 euros à 4 500 euros pour financer des mesures d’accompagnement.

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Une prime de 6 000 euros leur sera versée « au titre du partage de la valeur ajoutée », en plus de l’indemnité de licenciement. L’ensemble est financé par les 25,2 millions d’euros de chiffre d’affaires réalisés à la hâte, au lendemain de la liquidation, entre le 28 septembre et le 1er octobre. En dépit de cette somme inespérée, le montant de ce PSE est « insuffisant », déplore Me Candat. La déception des salariés est d’autant plus grande que l’ancien actionnaire de Camaïeu n’a aucunement contribué à le financer.

Un actionnaire aux abonnés absents

« C’est pourtant de coutume », déplore un ancien cadre. Depuis la liquidation de l’enseigne, la holding Financière immobilière bordelaise (FIB) de Michel Ohayon, qui avait repris l’enseigne à la barre du tribunal de commerce de Lille en août 2020, pour 1 euro, est aux abonnés absents. Le courrier que lui ont adressé, le 12 octobre, Olivier Dussopt, ministre du travail, et Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie, est resté sans réponse.

Après y avoir relevé combien la demande de mise en redressement judiciaire, à l’été 2022, a été tardive, les deux ministres ont demandé à l’homme d’affaires d’assumer sa « responsabilité en tant qu’actionnaire » et lui suggèrent « une participation financière au PSE » et « des solutions de reclassement ». Interrogé par Le Monde à ce sujet, le porte-parole de Hermione People & Brands (HPB), pôle qui rassemble les actifs de l’homme d’affaires dans le secteur de la distribution, dont Go Sport, Gap et La Grande Récré, n’a pas répondu à nos questions.

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Pas d’accord collectif en vue pour les hôtesses et les stewards d’Air France

Comme redouté, les négociations qui réunissent depuis plusieurs semaines direction et syndicats d’hôtesses et de stewards d’Air France, pour trouver un successeur à l’accord collectif qui arrive à échéance lundi 31 octobre, ne seront pas terminées à temps. « Nous arrivons au bout du mois d’octobre et de l’accord collectif », dit en soupirant Christelle Auster, présidente du Syndicat national du personnel navigant commercial (SNPNC), selon laquelle « pour la première fois, il n’y aura pas d’accord » entre la direction et les syndicats.

Désormais, fait-elle savoir, Air France envisage un « passage en unilatéral ». En pratique, tant que les discussions n’auront pas abouti, c’est la direction qui prend la main sur l’organisation du travail des personnels navigants commerciaux (PNC). Elle ne devrait pas en abuser. Les syndicats auraient notamment « demandé que pendant les négociations, il n’y ait pas de modification de la composition des équipages », précise Mme Auster.

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Justement, le nombre d’hôtesses et de stewards par vol est le principal point d’achoppement des discussions. Au nom de la rentabilité, la direction voudrait imposer un PNC pour 51 passagers contre un PNC pour 48 aujourd’hui, lors des vols long-courriers. Les syndicats souhaitent, au contraire, conserver la composition actuelle des équipages. Ils suivent ainsi l’avis des salariés, qui ont déjà rejeté à 72 % cette proposition, lors d’un vote organisé mi-novembre 2021 par les syndicats.

De nouvelles embauches

Sans doute consciente de ce rejet massif, la direction aurait fait un premier pas en abaissant ses prétentions, pour ne plus demander qu’un PNC pour 50 passagers. Début octobre, le Syndicat des navigants du groupe Air France (SNGAF), première organisation auprès des PNC, avait signalé que cette nouvelle composition réduite des équipages serait une menace « sur la sécurité des vols et sur l’emploi ». A l’en croire, ce sont de 800 à 1 200 PNC qui pourraient se trouver en sureffectif dès le 1er novembre. Une crainte qui ne semble pas partagée par la présidente du SNPNC. Selon elle, « seuls 80 PNC » seraient concernés. « Nous sommes loin des 1 200 équivalents temps plein » agités par le SNGAF, tempère Christelle Auster. La recomposition des équipages ne devrait affecter, dans un premier temps, que la dizaine de long-courriers Dreamliner 787 déjà dans la flotte d’Air France.

Mais quels que soient les chiffres, pas question pour les syndicats de voir le nombre de PNC diminuer. Au contraire, du côté du SNPNC, on milite pour de nouvelles embauches, « c’est notre cheval de bataille », souligne Mme Auster. Cette dernière rappelle « qu’il y a 500 PNC en attente d’être embauchés après qu’ils ont réussi leur sélection ». De plus, signale la syndicaliste, 70 à 80 hôtesses et stewards vont rejoindre Air France après des accords conclus avec sa filiale court-courrier Hop !. « Il va y avoir des embauches », est-elle persuadée. Pour le SNPNC, la grève n’est donc pas à l’ordre du jour, même si la santé d’Air France s’améliore.

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La mise au placard des seniors : un phénomène nocif qui touche deux cent mille actifs et coûte 10 milliards d’euros par an

« On admet à titre confidentiel que ces situations existent, mais on les qualifie volontiers de pis-aller », soupire Franck Morel. Dans une note sur l’emploi des seniors publiée le 21 octobre par l’Institut Montaigne, un think thank d’inspiration libérale, cet avocat associé du cabinet Flichy Grangé Avocats, en outre ancien conseiller du premier ministre Edouard Philippe, revient sur un phénomène admis du bout des lèvres par les employeurs : la mise au placard de salariés, devenus inutiles au regard de l’entreprise.

A quoi reconnaît-on un « placardisé » ? A l’absence de sens et d’intérêt dans les tâches qui lui sont demandées, à sa mise à l’écart du collectif de travail, à la grande faiblesse de sa charge de travail et à l’absence de contact régulier avec la hiérarchie directe, décrit l’Institut Montaigne. La « placardisation » concernerait deux cent mille actifs, tous âges confondus, selon une autre enquête (à paraître) menée pour l’Institut Montaigne par l’institut de sondage Kantar.

Les « mises au placard » pèseraient au moins 10 milliards d’euros par an en coûts directs et indirects, selon l’Institut Montaigne. Le think thank a fait cette estimation à partir des dépenses salariales et d’assurance-maladie induites. Certes minoritaire sur l’effectif total, le phénomène « concerne plus les femmes et soulève des difficultés plus sérieuses pour les seniors ».

Cette situation toucherait aussi bien les administrations que les PME et les grands groupes

Une des explications est le célèbre principe de Peter, théorisé par Laurence J. Peter et Raymond Hull, selon lequel chaque employé tend à s’élever jusqu’à son niveau d’incompétence. « Pour une promotion, on se base sur les qualités du poste où vous êtes et pas où vous allez être », explique Franck Morel.

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Au fil de leur carrière, les salariés se verraient mécaniquement affectés à des postes pour lesquels ils n’auraient pas les compétences nécessaires. Plus que le déclin des capacités physiques ou le décalage croissant vis-à-vis des évolutions de l’entreprise, ce serait d’abord ce phénomène qui conduirait les seniors à se voir, en bout de course, relégués au placard, avance M. Morel.

Contrairement aux idées reçues, cette situation toucherait aussi bien les administrations que les PME et les grands groupes. « A ma grande surprise, je pensais que c’était plus un sujet de cadres, reconnaît Franck Morel ; mais l’enquête Kantar nous montre que ces situations peuvent concerner tous les types d’emploi et tous les profils de salariés. » Le coût et « l’insécurité juridique » autour du licenciement d’un salarié senior, associés au risque en termes de réputation pour l’entreprise, inciteraient aussi les employeurs à privilégier le « placard ».

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De nouveaux enseignants contractuels racontent leurs premières semaines « difficiles »

Une formatrice donne des cours d’enseignement des mathématiques aux contractuels recrutés pour les écoles primaires de Seine-Saint-Denis, à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), le 25 août 2022.

« Une claque », « un tsunami », « une plongée vertigineuse dans le grand bain ». Les enseignants contractuels interrogés par Le Monde rivalisent de métaphores pour évoquer la difficulté de leurs premières semaines en tant que professeurs. Nous les avions croisés, pour la plupart, plutôt confiants, lors du job dating de l’académie de Versailles en juin, ou lors de leur formation de quatre jours dans l’académie de Créteil, fin août. Nous les retrouvons essorés au début des vacances d’automne. « Il était temps que ces congés arrivent. Mon corps commençait à lâcher face à la fatigue et au stress accumulés », avoue Rachel, affectée dans une école à Montreuil, en Seine-Saint-Denis.

Comme les autres témoins, tous en école primaire, elle souhaite rester anonyme « pour ne pas que les parents d’élèves ou la hiérarchie [la] reconnaissent ». « Je ne mens pas aux parents mais je ne leur dis pas mon statut pour ne pas susciter la défiance », abonde Antoine, qui travaille en école maternelle en Seine-Saint-Denis.

Rachel, Antoine et les autres professeurs interrogés font partie des 4 500 enseignants contractuels supplémentaires recrutés par l’éducation nationale à la rentrée pour faire face à la pénurie de professeurs. En tout, ils représentent 1 % des enseignants du premier degré et 8 % des enseignants du second degré.

« Choc de réalité »

Comment gérer la classe, organiser la journée, construire ses séquences ? Ces nouveaux recrutés se sont posé ces questions en boucle depuis septembre.

« Au début, c’était la panique. Je n’arrivais pas à trouver le sommeil, j’avais peur de mal faire. Je regardais les comptes Instagram ou les blogs d’enseignantes chevronnées. Ça a l’air tellement plus fluide pour elles », détaille Rachel, qui a encore du mal à se sentir « légitime ». Laure, nommée dans une école à Villepinte (Seine-Saint-Denis), s’est, elle aussi, sentie « un peu perdue » lors des premiers jours de classe. Elle découvre que « tous les élèves ne vont pas à la même vitesse » et qu’elle ne peut pas aider tous les enfants en même temps. Un sentiment qui la frustre grandement. Elle compense par un grand nombre d’heures de préparation : « Le dimanche, j’élabore les journées de lundi et mardi, et le mercredi celles de jeudi et vendredi », raconte-t-elle.

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Les conditions d’exercice compliquent encore la donne. La plupart des contractuels interrogés ont été affectés en éducation prioritaire, certains ont une classe avec deux niveaux, d’autres sont dans des classes différentes selon les jours. « En tout, je fais cours à plus de quarante élèves par semaine », note Rachel. Antoine, lui, compte vingt-six élèves de petite et de moyenne sections dont une enfant porteuse de trisomie, pour laquelle il est épaulé par une accompagnante d’élèves en situation de handicap, et deux enfants qui ne parlent pas français. Pierre Périer, professeur en sciences de l’éducation à l’université Rennes-II, le remarque : « La majorité des contractuels sont affectés dans des académies déficitaires et-ou dans des contextes difficiles. Cela a une incidence non négligeable sur leur entrée dans le métier. » Pour le chercheur, « le choc de réalité » que connaissent tous les enseignants débutants est « d’autant plus rude ».

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La CGT ne parvient pas à mobiliser sur les salaires, seules 15 000 personnes ont manifesté jeudi

Le patron de la CGT, Philippe Martinez, pendant la manifestation pour l’augmentation des salaires, à Paris, le 27 octobre 2022.

La CGT savait qu’elle risquait de faire un flop. Le scénario est, sans surprise, devenu réalité. Selon le ministère de l’intérieur, un peu plus de 15 000 personnes ont battu le pavé, jeudi 27 octobre, sur l’ensemble du territoire à l’appel du syndicat dirigé par Philippe Martinez pour demander une « augmentation des salaires, des pensions et des minima sociaux ». La direction de la confédération, elle, ne donne pas de chiffres, parlant seulement de « mobilisation d’envergure ».

Dans la capitale, ils étaient 1 360, d’après le décompte officiel. A Marseille, la préfecture de police avance le chiffre de 540 manifestants. La participation s’avère donc faible et en très net recul par rapport aux deux journées nationales d’action interprofessionnelle, qui avaient eu lieu les 29 septembre et 18 octobre (aux alentours de 110 000 à 120 000 personnes dans la rue, pour toute la France, selon les services de l’Etat).

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Tous les ingrédients étaient réunis pour que l’affluence s’avère très réduite, jeudi. En pleins congés scolaires, l’initiative était portée, pour l’essentiel, par la CGT, alors que trois autres organisations s’étaient associées à la précédente mobilisation (FO, FSU, Solidaires). Dans un texte diffusé mercredi, Frédéric Souillot, le numéro un de FO, avait exprimé de fortes réserves sur la stratégie de la CGT : « Nous ne croyons pas à la succession de journées de grève “saute-mouton”, synonymes d’inefficacité et de démobilisation », avait-il indiqué.

Interrogé, jeudi après-midi, par les journalistes alors qu’il se trouvait dans le carré de tête du cortège parisien, M. Martinez a reconnu que, dans tout mouvement social, il pouvait y avoir « des hauts et des bas ». « Notre souci est de maintenir la mobilisation », a-t-il justifié, pour exercer une pression sur les entreprises et le gouvernement. Sans ces passages à l’action au niveau national, les luttes en faveur des augmentations salariales – comme chez TotalEnergies – seraient moins efficaces ou n’auraient pas vu le jour, d’après M. Martinez.

Une nouvelle expression commune

Questionné sur les déclarations d’Emmanuel Macron, mercredi soir sur France 2, le secrétaire général de la CGT les a jugées « hors sol ». « On voit le décalage entre sa vie à lui et celle de la quasi-totalité des Français », a-t-il poursuivi, en insistant sur l’emballement des prix de l’énergie et des produits de première nécessité, qui met en difficulté des millions de ménages. M. Martinez a également commenté les propos du chef de l’Etat, mercredi soir, sur la réforme des retraites – avec cette nouvelle hypothèse d’un âge légal de départ fixé à 64 ans (au lieu de 65 ans) et d’une augmentation de la durée de cotisation pour avoir droit à une pension à taux plein. « C’est un marché de dupes », a dénoncé le responsable de la CGT, en se félicitant que les syndicats s’opposent unanimement au dessein du président de la République.

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