Archive dans mars 2022

Formation : « Les entreprises savent que les métiers changent, mais pas forcément vers quoi »

L’ambition affichée de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), qui tenait le 17 mars sa journée portes ouvertes, est de susciter des vocations dans les filières porteuses d’emplois. Acteur majeur de la formation professionnelle, devenu en 2017 établissement public industriel et commercial, l’AFPA a transformé ses centres de formation en « villages » ouverts aux entreprises, aux acteurs de l’insertion, au monde associatif, à Pôle emploi et aux missions locales. Sa directrice générale, Pascale d’Artois en dresse le bilan.

Vous avez lancé à l’automne 2021, un dispositif de mise en relation des recruteurs avec les 20 000 stagiaires qui finissaient leur cursus en décembre. Comment cela s’est-il passé ?

L’objectif était de rapprocher l’offre et la demande de compétences. Deux mille cinq cents entreprises, à 85 % des petites structures, nous ont contactés jusqu’en décembre 2021 pour une ou plusieurs embauches. Le bilan n’est pas finalisé, mais nous avons décidé de pérenniser le dispositif et de tenir un rôle de DRH pour les TPE des territoires qui n’ont pas forcément les moyens de venir jusqu’à nos centres.

Comment l’AFPA cible-t-elle les métiers en tension ?

Par la coconstruction des parcours au sein de nos « villages ». Le plan d’investissement dans les compétences [PIC, lancé par le gouvernement en 2018] nous a amenés à réfléchir désormais en matière de partenariats avec les entreprises, les collectivités locales et tous ceux qui concourent à fluidifier un parcours professionnel, y compris les acteurs du logement, de la mobilité et de la parentalité. Le « conseil du village » comprend un responsable de l’AFPA et un référent pour chaque partenaire.

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On demande aux directeurs de nos centres de proposer des projets qui répondent aux besoins des territoires. La Banque des territoires, notre partenaire, peut venir en soutien des entreprises qui nous rejoignent. L’un des plus beaux exemples de village est celui du Havre, où Siemens Gamesa a installé son école de techniciens en maintenance d’éoliennes, un métier où la pénurie se fait sentir.

Notre objectif est de fabriquer les compétences dont le territoire a besoin ou va avoir besoin. L’AFPA crée de nouveaux plateaux techniques, comme à Chatellerault (Vienne), où l’on forme à la fabrication de batteries embarquées par exemple. Durant des années, ce qu’on n’a pas su faire, c’est oser fermer un site quand un besoin n’existait plus. Or, un plateau technique de soudage, par exemple, se démonte et se remonte en une seule semaine.

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La formation professionnelle tente de s’adapter aux métiers du futur

Par et

Publié aujourd’hui à 17h00, mis à jour à 17h00

« Je trouve extraordinaire le concept d’avoir des artisans du bois juste à côté de l’endroit où on est formé, ça permet de se faire un réseau, ça donne plein de projets pour la suite, et ça me donne de la confiance. J’ai déjà une promesse d’embauche ! » Ancien éducateur spécialisé et agent immobilier, Hervé Roux, 52 ans, est élogieux lorsqu’il évoque le centre de l’Agence pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) du Puy-en-Velay où il effectue un cursus de six mois pour devenir agent de maintenance des bâtiments.

Pour éviter la fermeture, le centre AFPA du Puy-en-Velay a en effet dû se réinventer : il s’est mû fin 2019 en « village » qui propose une offre de formation (aux métiers du bois, du bâtiment, des services à la personne…) à tous les publics de ce territoire et qui accueille en même temps une manufacture où des artisans de la région (menuisiers, mécaniciens, tourneurs sur bois…) mutualisent leurs dépenses. Les activités pullulent, et l’émulation anime les grands hangars de ce site de 13 500 mètres carrés situé dans la zone industrielle de Saint-Germain-Laprade, en périphérie de la préfecture de Haute-Loire. L’enjeu de cette cohabitation : favoriser l’échange entre les formés et les artisans indépendants pour susciter des vocations dans le secteur du bois, toujours en quête de menuisiers.

Le sujet revient souvent depuis la crise liée à l’épidémie de Covid-19 : la relance est freinée par les difficultés de recrutement d’un certain nombre de secteurs. Au top 10 des métiers avec les plus fortes difficultés de recrutement, l’enquête annuelle « Besoins en main-d’œuvre de Pôle emploi » cite dans l’ordre : charpentier, couvreur, géomètre, tuyauteur, vétérinaire, médecin, régleur de machines, aide à domicile et aide ménagère, carrossier automobile, mécanicien et électronicien de véhicule. Le bilan de l’année 2021 estime de 255 000 à 390 000 le nombre de projets de recrutement abandonnés faute de candidats.

C’est le cas dans l’artisanat : « On a encore des problèmes à trouver des gens pour rentrer dans les ateliers de couture », reconnaît Alexandre Boquel, directeur du développement des métiers d’excellence du groupe LVMH. Sur les 280 métiers qui font la réputation du numéro un français du luxe, « une trentaine sont des métiers en tension », explique-t-il.

« L’économie évolue de plus en plus vite »

Dans le secteur du numérique, le déficit de candidats coûte cher à toutes les entreprises : l’Observatoire des métiers du numérique, de l’ingénierie, du conseil et de l’événement (Opiiec), qui comptabilise 0,56 candidat par poste publié, avec des profils trop peu diversifiés, estimait en 2019 le manque à 65 000 postes d’ici à 2023.

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Auchan explique rester en Russie pour le bien de ses salariés et des clients

Une femme entre dans un centre commercial de Moscou, le 24 mars 2022, dans lequel se trouvent un supermarché Auchan et des magasins Leroy-Merlin et Decathlon.

Selon ses dires, c’est un choix qui n’est « pas simple ». Le PDG d’Auchan Retail International, Yves Claude, a défendu, dimanche 27 mars, le maintien des activités du groupe en Russie. « Partir serait imaginable sur le plan économique mais pas du point de vue humain », avance-t-il dans un entretien au Journal du dimanche.

Interpellé par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, devant le Parlement français, mercredi, sur son activité en Russie, où il est présent depuis une vingtaine d’années et emploie 30 000 personnes, le groupe Auchan a décidé de se maintenir dans le pays, même s’il prévoit des pertes pour 2022, explique M. Claude.

En Russie, où Auchan réalise 10 % de ses ventes mondiales, « nous avons un positionnement de “discounteur” et nous pensons contribuer en période de forte inflation à protéger le pouvoir d’achat des habitants », ajoute-t-il, précisant ne pas vouloir priver ses salariés, dont 40 % sont actionnaires, de leur emploi et ses clients de leurs besoins alimentaires quotidiens. « Nos clients nous demandent instamment de rester », explique-t-il.

« Facile de nous critiquer »

« Il est facile de nous critiquer, mais nous, on est là, on fait face et on agit pour la population civile », répond-il aux critiques qui appellent l’Association familiale Mulliez (Leroy-Merlin, Auchan ou Decathlon) à quitter la Russie, estimant que ses enseignes font d’elle un des plus gros contribuables pour le budget de l’Etat russe.

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Yves Claude, récemment nommé à la tête d’Auchan Retail et d’Auchan France, rappelle qu’Auchan a suspendu ses investissements en Russie et que sa filiale (232 magasins et des activités de commerce en ligne) y fonctionne « en autarcie ».

« Si nous partons, nous risquons l’expropriation et nous exposons nos dirigeants locaux à des poursuites pénales pour faillite frauduleuse. Et si nous confions nos biens à un tiers, une autre option proposée, cela signifie qu’ils seront récupérés par des capitaux russes. Cela n’amènera pas la paix et sera au contraire contre-productif en renforçant l’écosystème économique et financier russe », explique-t-il.

« Je me pose des questions tous les jours, car la décision n’est pas simple à prendre, mais je suis convaincu que c’est la bonne. Je me sens soutenu par mes actionnaires, mes collaborateurs et nos partenaires sociaux » mais aussi par des hommes politiques, affirme Yves Claude, interrogé sur les conséquences de ce maintien sur l’image du groupe. Il conclut en affirmant ne pas « ressentir » de débats intenses au sein de l’Association familiale Mulliez, qui emploie 77 500 personnes en Russie.

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Des conditions « extrêmes » en Ukraine

En Ukraine, où Auchan détient 43 magasins (6 000 employés), les conditions sont « extrêmes » et des ruptures de stocks de produits frais ont commencé à être observées, car 90 % des produits venaient de l’intérieur du pays. Des solutions d’approvisionnement depuis les pays limitrophes ont été mises en place cette semaine, précise le PDG.

Une centaine d’employés Ukrainiens ont été accueillis par leurs homologues à l’étranger et seront recrutés ailleurs par le groupe, dont les actionnaires consacreront une partie du dividende pour aider les réfugiés, explique-t-il encore.

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Le Monde avec AFP

« Déconstruire ses automatismes » : les stages de communication non violente en plein essor

Les piliers de la CNV sont l’observation des faits, l’expression des sentiments, l’identification des besoins et la formulation de demandes claires.

Cela s’appelle « l’expérience de la punition ». Rappelez-vous une punition qui vous a beaucoup marqué enfant, essayez de vous souvenir des raisons pour lesquelles vous avez été puni – parfois c’est impossible –, la méthode utilisée pour vous sanctionner, et enfin des émotions que vous avez ressenties. Puis faites un effort pour imaginer ce que l’adulte a éprouvé. Que reste-t-il de ce souvenir, des années plus tard ? Le plus souvent un sentiment d’injustice, et presque toujours une impression tenace de disproportion entre l’acte et la sanction. C’est ce que sont en train d’expérimenter une quinzaine de professeurs et autres professionnels de l’Education nationale à l’occasion d’un stage de formation à la communication non violente (CNV), organisé par le lycée Simone-Veil de Noisiel (Seine-et-Marne).

Sur les 16 participants ce jour-là, 11 racontent avoir subi un châtiment corporel (gifle, fessée…). Les raisons de ces punitions jettent un froid : bavardage, mauvaise note à l’école, retard… Des choses somme toute assez banales. « C’est très violent. Je me sens démunie face au décalage entre les actes et les punitions », dit Lou Garcin, 23 ans, jeune professeur d’EPS. Dans notre groupe, nous essayons de catégoriser les émotions des adultes au moment de la punition, et le résultat est implacable. C’est 50 nuances de colère : « énervé », « furieux » ou « hors de lui ». Résumons : l’écrasante majorité des punitions dont les participants se souviennent ont été données par des adultes qui n’étaient ni calmes ni rationnels.

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Tout au long de ce stage, qui doit durer six jours, des expériences de cet ordre seront analysées. L’objectif : déconstruire « huit mille ans » de pensée binaire soutenant un système fondé sur les « dominants et les dominés », « le bien et le mal », « le normal et l’anormal », « le vrai et le faux ». Car le but de la CNV est bien « sociologique » et non « psychologique », affirme dès le départ la formatrice, Véronique Gaspard, une ancienne infirmière en réanimation formée à la communication non violente depuis une quinzaine d’années. Depuis quelques années, les stages de CNV se multiplient en France, s’adressant à tous types de public : travailleurs sociaux, soignants, thérapeutes, managers, enseignants, parents… Selon l’AFFCNV, l’association qui regroupe les formateurs certifiés en CNV, 1 800 formations ont été organisées l’année dernière, un chiffre qui a doublé en cinq ans.

Bonté naturelle

Théorisée par le docteur Marshall Rosenberg, élève du psychologue américain Carl Rogers et inspiré par Gandhi, à la fin des années 1960, la CNV prend sa source dans un souvenir d’enfant : au début des années 1940, Marshall Rosenberg grandit à Detroit (Michigan), où les tensions raciales sont vives. Un jour de rentrée des classes, alors que le calme règne, il se fait traiter de « sale youpin » lorsque son professeur fait l’appel. A la sortie, les deux enfants à l’origine de l’insulte le rouent de coups. Cet événement génère en lui un double questionnement : « Comment se fait-il que nous puissions nous couper de notre bonté naturelle au point d’adopter des comportements violents et agressifs ? Et inversement, comment certains individus parviennent-ils à rester en contact avec cette bonté naturelle même dans les pires circonstances ? » s’interroge le docteur dans Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) (La Découverte, rééd. 2016).

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Le Togolais Gilbert Houngbo devient le premier Africain à prendre la tête de l’OIT

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Gilbert Houngbo en septembre 2017 à New York, siège des Nations unies.

L’ancien premier ministre du Togo, Gilbert Houngbo, a été élu, vendredi 25 mars, à la tête de l’Organisation internationale du travail (OIT), devenant le premier Africain à exercer cette fonction. « Je suis profondément et absolument honoré d’être le premier représentant de la région Afrique à être choisi pour diriger l’OIT après cent trois ans » d’existence, a-t-il déclaré, après son élection à la tête de la plus ancienne agence spécialisée des Nations unies.

Il a été élu au second tour – avec 30 voix, contre 23 pour sa principale opposante, l’ex-ministre française du travail Muriel Pénicaud – par le Conseil d’administration de l’OIT, composé de 56 représentants des gouvernements, des travailleurs et des employeurs. « Vous avez écrit l’histoire », leur a-t-il assuré.

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Le résultat de l’élection, a-t-il souligné, « est porteur d’un symbolisme fort », et a affirmé : « Votre choix (…) répond aux aspirations d’un jeune Africain, d’un jeune Africain dont l’humble éducation s’est transformée en une quête de justice sociale qui a duré toute une vie. » Gilbert Houngbo, 61 ans, est natif d’une préfecture rurale du Togo et a passé la majorité de sa carrière dans les organisations internationales, où il est vu comme un haut fonctionnaire chevronné. Il prendra ses fonctions début octobre, succédant à l’ancien syndicaliste britannique Guy Ryder, en poste depuis dix ans et qui a atteint la limite des deux mandats.

Depuis 2017, Il dirige le Fonds international de développement agricole (FIDA). Mais il connaît très bien l’OIT, où il a occupé le poste de directeur adjoint (2013-2017) chargé des opérations sur le terrain. Ancien secrétaire général adjoint des Nations unies, directeur du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), il a été également membre de l’équipe stratégique et directeur administratif et financier de l’organisation.

« Nouveau contrat social »

Cinq candidats étaient en lice pour cette élection. Sa principale opposante était Mme Pénicaud, portée par le bloc européen. Ancienne ministre du travail de mai 2017 à juillet 2020, la Française a initié les grandes réformes sociales du quinquennat d’Emmanuel Macron, comme celles du Code du travail ou de l’assurance-chômage, vivement critiquées par les syndicats. Sur Twitter, le candidat de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle française a souligné : « Score ridicule de Muriel Pénicaud au premier tour de l’élection à la tête de l’Organisation internationale du travail. Ouf. Un syndicaliste très nettement en tête. »

Etaient également candidats l’ex-ministre des affaires étrangères de Corée du Sud, Kang Kyung-wha (2 voix), l’entrepreneur sud-africain Mthunzi Mdwaba (1 voix) et l’Australien Greg Vines, directeur général adjoint de l’OIT pour la gestion et la réforme, qui avait été éliminé au premier tour.

« Mon élection au poste de directeur général intervient à un moment trouble de l’histoire, à un moment d’incertitude pour ce que l’avenir pourrait réserver, a reconnu M. Houngbo. Le monde a besoin d’une OIT qui soit capable de résoudre les problèmes concrets des travailleurs et des entreprises. »

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Le prochain patron de l’OIT aura pour lourde tâche de faire adapter les normes de cette organisation centenaire à un marché du travail en pleine mutation sous l’effet des nouvelles technologies. D’autant que la pandémie de Covid-19 a donné un coup d’accélérateur aux technologies de télétravail.

Dans sa candidature, Gilbert Houngbo avait souligné que sa vision de l’OIT s’inspire du préambule de la Constitution de l’organisation : « Attendu qu’une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale. » « Les progrès accomplis ces dernières décennies en matière de justice sociale doivent être préservés et protégés, , avait-il écrit. Et les solutions mondiales aux nouveaux défis et opportunités doivent être centrées sur les valeurs humaines, environnementales, économiques et sociétales. En bref, un nouveau contrat social mondial s’impose. »

Le Monde avec AFP

Des pistes pour améliorer l’accès aux droits

Le législateur a créé d’innombrables dispositifs pour concourir au bien-être de la population. Mais encore faudrait-il que les textes soient appliqués. Dans un avis rendu jeudi 24 mars, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) exhorte les pouvoirs publics à « repenser l’accès aux droits », un trop grand nombre d’individus en étant bannis alors même que le phénomène est identifié depuis des années. Au passage, cette instance critique implicitement l’idée défendue – entre autres – par Emmanuel Macron et Valérie Pécresse de conditionner le revenu de solidarité active (RSA) à une activité.

Déficit d’information, textes incompréhensibles, démarches excessivement lourdes, pratiques discriminantes, auto-exclusion liée à un sentiment de honte… Nombreuses sont les raisons qui conduisent des personnes à ne pas bénéficier des mesures mises en place pour elles. Cette difficulté a été bien documentée dans le champ des prestations sociales par une profusion de rapports. Ainsi, ceux qui ne perçoivent pas le RSA alors qu’ils y sont éligibles représentent environ 30 % du public-cible, soit plusieurs centaines de milliers de ménages.

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Le « non-recours » touche d’autres champs que la solidarité : logement, éducation, formation professionnelle… Dans certains cas, l’administration est directement responsable des difficultés. La CNCDH évoque, par exemple, les migrants dans le Calaisis qui ont été expulsés sur la base de « procédures erronées », les plaçant dans l’impossibilité « d’intenter un recours ». De telles situations vont à l’encontre de « l’effectivité des droits de l’homme » et elles n’ont fait que s’« amplifier » avec la crise sanitaire.

« Un référent unique »

C’est pourquoi les auteurs de l’avis alertent sur « l’impérieuse nécessité » de prendre à bras-le-corps le problème, afin de « respecter les droits de chaque citoyen » et d’« assurer l’efficacité des politiques ». « Il convient de mettre fin à la stigmatisation de sujets de droits auxquels il est reproché un soi-disant assistanat social en même temps qu’ils ont le sentiment d’être abandonnés par l’Etat », soulignent-ils. Et de rappeler que « les droits ne sauraient être conditionnés au respect préalable de devoirs ». Une allusion transparente au projet porté par M. Macron et par Mme Pécresse de soumettre l’attribution du RSA à quinze heures à vingt heures d’activité par semaine.

La CNCDH trace une quinzaine de pistes pour sortir du déni. Elle recommande, notamment, de définir les politiques avec les personnes qui sont concernées par celles-ci. Il faut, selon elle, proposer, aux usagers comme aux agents du service public, des systèmes d’information « clairs et intelligibles ». Les auteurs de l’avis préconisent aussi « un point d’entrée unique ou un référent unique adapté aux besoins et à la situation de [chacun] », tout en insistant sur les vertus des stratégies « du “aller vers” ». Ils suggèrent, par ailleurs, de « simplifier le fonctionnement » des plates-formes numériques et de « préserver un accueil physique » pour ceux qui ne sont pas à l’aise avec Internet. « L’humain » doit, plus que jamais, être replacé « au cœur des dispositifs ».

« Lutter contre la pauvreté des enfants et des jeunes permet de prévenir l’exclusion »

Tribune. Alors même que la moitié des personnes pauvres en France a moins de 30 ans, que 2,9 millions d’enfants (soit 20 % des moins de 18 ans) vivent dans un ménage pauvre, que les jeunes ont connu des situations particulièrement difficiles avec la crise due au Covid-19, que la France manque de main-d’œuvre qualifiée, les enfants et les jeunes sont les grands absents des thèmes de cette campagne électorale. C’est pourtant sur eux que repose l’avenir de notre pays. Il est essentiel de promouvoir un plan d’investissement social universel en direction de tous les enfants et les jeunes, qui non seulement garantisse aux plus vulnérables d’entre eux de sortir de la pauvreté et de la précarité, mais qui permette à toutes et tous de mener des études réussies et de trouver un emploi dans les meilleures conditions.

Avant de lutter contre l’exclusion sociale une fois qu’elle est effective, il importe de mieux concentrer les efforts sur une démarche préventive, dès l’enfance. Lutter contre la pauvreté des enfants et leur garantir les meilleures conditions de garde et d’éveil permet de prévenir l’exclusion, de donner à chacun les moyens de choisir une vie conforme à ses projets et de préparer une main-d’œuvre mieux formée.

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Pour ce faire, il reste nécessaire de garantir un revenu minimal à toutes les familles. Il ne faut donc pas abandonner les politiques distributives, mais, au contraire, les développer. Il faut également améliorer les modes de prise en charge des enfants (accompagnement des familles, formation des assistantes maternelles, développement des prises en charge collectives de qualité) afin de garantir une bonne socialisation primaire et des conditions d’apprentissage de nature à préparer convenablement l’avenir. Il faut permettre à tous les jeunes enfants de fréquenter au moins deux journées par semaine un service d’accueil collectif de qualité. Il convient aussi de développer, à l’image des systèmes scolaires nordiques, une école de la réussite pour tous plutôt que d’organiser un triage des élèves à mesure qu’avance leur scolarité.

Cursus adaptés

Ces politiques doivent permettre aux jeunes d’atteindre dans les meilleures conditions l’enseignement supérieur, étape primordiale dans nos économies de la connaissance, où les qualifications jouent un rôle central, à la fois pour trouver un bon emploi et garantir la productivité des activités économiques. Pour les deux tiers des classes d’âge qui atteignent le baccalauréat, le diplôme de fin de secondaire est avant tout le sésame vers la poursuite des études. Il faut leur proposer des cursus universitaires qui leur soient adaptés. A l’opposé, la concentration actuelle des moyens sur les rares filières d’élite dans un contexte de restriction budgétaire globale assèche les capacités financières de la majeure partie des cursus universitaires à l’heure où ils doivent accueillir toujours plus d’étudiants.

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Vincent Olivier : « Aux tenants de la rigueur budgétaire, posons la question du coût véritable d’une orientation ratée »

Tribune. Masquée par une actualité autrement plus dramatique, la mise en place au 1er mars du contrat d’engagement jeune (CEJ), aurait pu marquer un temps fort de la campagne présidentielle, un marqueur de l’engagement du président de la République auprès des jeunes. Il avait été d’ailleurs annoncé danscet esprit à l’été 2021, à un moment où l’impact de la crise sanitaire sur la santé économique et psychologique des jeunes était une source de préoccupation.

Il y aurait pu avoir débat sur l’intensité de la mobilisation, on aurait pu, d’un côté, entendre la critique des partisans d’un revenu universel jeune qui auraient sans doute jugé l’initiative trop timorée. De l’autre, les thuriféraires de l’équilibre des comptes publics leur auraient sans doute argué que les contraintes financières étaient telles qu’une dépense plus grande n’était pas envisageable.

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Cependant, nous pouvons nous réjouir de cet engagement renouvelé au service de l’insertion professionnelle de celles et ceux dont les parcours scolaires ont été trop chaotiques pour que l’emploi succède naturellement à la formation initiale.

Modernisation

Nous pouvons aussi souligner à raison que ce nouveau dispositif s’inscrit dans une logique institutionnelle cohérente qui confie aux missions locales la responsabilité de mettre en œuvre l’obligation de formation des 16-18 ans décrocheurs du système scolaire.

Nous pouvons aussi faire part de notre agréable surprise de voir ce dispositif accompagné d’une campagne de communication et d’une application mobile, autant de signes encourageants d’une action publique en voie de modernisation.

Bref, nous pouvons souligner cette avancée qui passe en revanche (presque) inaperçue.

Et pourtant, le sujet de l’insertion des jeunes mérite notre intérêt tant le CEJ souligne par son ambition l’ampleur du problème qu’il cherche à résoudre. La question n’est pas, en effet, celle de l’efficacité administrative d’une nouvelle mesure d’aide, ni même celle du niveau, décent ou insuffisant, du soutien financier des jeunes engagés dans ce parcours vers l’emploi et la formation. Elle est un peu celle des moyens pour bien accompagner et pas seulement faire un traitement statistique, « adéquationniste » de l’insertion.

Etrange silence

Nous gagnerions à nous interroger sur l’origine même de ces maux, plus que sur les traitements curatifs qui cherchent à y remédier. Nous devons nous interroger sur cet étrange silence qui accompagne notre constat partagé d’une jeunesse désorientée plutôt que rêveuse de son avenir meilleur. Comment se fait-il que notre système produise avec une telle régularité autant de jeunes sans projets suffisamment construits pour faire des premiers pas réussis ?

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Tom Chevalier : « En France, les jeunes sont vus comme des (grands) enfants »

Tribune. En France, pour accéder au revenu de solidarité active (RSA), une limite d’âge a été fixée à 25 ans : c’est une situation quasi unique en Europe. Alors que la tranche d’âge des 18-24 ans est la plus touchée par la pauvreté (23 % en 2018, contre 13 % pour l’ensemble de la population et 8,6 % pour les plus de 65 ans, selon l’Insee), elle est aussi paradoxalement celle qui est privée de la principale prestation de lutte contre la pauvreté.

Ce problème a été progressivement pris en compte par le gouvernement à cause de la crise économique et sociale qui a accompagné la crise sanitaire liée au Covid-19. Le débat s’est structuré autour de l’alternative suivante : ouvrir le RSA aux moins de 25 ans ou étendre la garantie jeunes. Le gouvernement a choisi la seconde option, en réformant la garantie jeunes et en lançant le nouveau contrat d’engagement jeune (CEJ), le 1er mars 2022.

Aligner les statuts

Pourtant, à la lumière des exemples nordiques, cette alternative ne constitue pas une opposition et l’enjeu de l’accès des jeunes à un revenu la dépasse d’ailleurs largement.

Je propose ainsi, dans une note du 20 janvier pour Terra Nova (« Soutenir les jeunes adultes »), d’adopter un point de vue plus global sur la place de la jeunesse dans le système de protection sociale en faisant quatre propositions de réforme.

Le premier enjeu renvoie à la limite d’âge ouvrant droit aux prestations sociales. En France, les jeunes sont vus comme des (grands) enfants : comme tels, ils ne peuvent pas demander le RSA en leur nom propre, en raison d’une limite d’âge élevée (25 ans) pour y prétendre, distincte des autres limites d’âge présentes dans l’action publique (18 ans) – à deux exceptions près, pour les moins de 25 ans ayant un enfant à charge et pour les jeunes justifiant d’une certaine durée d’activité professionnelle (RSA jeune actif).

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La majorité sociale est par conséquent plus tardive que la majorité civile ou politique. Or, dans la plupart des pays européens, vous devenez adulte à partir de 18 ans, y compris pour la protection sociale. La première proposition consisterait donc à aligner les statuts, en ouvrant le RSA aux jeunes adultes de moins de 25 ans.

Si le débat en France s’est concentré sur l’enjeu du RSA, il faut aussi apprécier les autres prestations de la couverture chômage, qui permettent aux chômeurs d’obtenir un complément de revenu, et notamment la garantie jeunes. Les deux prestations ne sont pas contradictoires, à condition de clarifier le périmètre de chacune d’entre elles.

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