Archive dans mai 2021

« Le chemin de la reprise sera long » dans la zone euro

L’Irlandais Philip Lane, économiste en chef de la Banque centrale européenne (BCE), lors d’une conférence à l’occasion du Fortune Global Forum, à Paris, le 18 novembre 2019.

L’Europe pourrait soutenir son économie bien plus largement si, comme les Etats-Unis, elle allait plus loin dans l’intégration budgétaire, explique Philip Lane, économiste en chef de la Banque centrale européenne (BCE). Dans une interview au Monde, il souligne que, si le plan de relance européen de 750 milliards d’euros soutiendra la reprise ces cinq prochaines années, les gouvernements devront maintenir leurs aides pendant de longs mois encore.

Après la violente récession enregistrée début 2020, le produit intérieur brut (PIB) de la zone euro a de nouveau chuté fin 2020 et début 2021. Comment va l’économie aujourd’hui ?

Plutôt que de suivre les chiffres de croissance trimestrielle, il vaut mieux comparer avec le niveau d’activité de 2019. Aujourd’hui, nous nous situons probablement 4 % ou 5 % en dessous. C’est une contraction considérable. Lors d’une récession classique, le recul est plutôt de 2 % ou 3 %.

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Je pense que nous sommes désormais, en mai et juin, à un tournant conjoncturel. Désormais, l’économie va croître rapidement, mais en partant d’un bas niveau. Cela signifie que, même avec une croissance dynamique sur le reste de l’année, la zone euro ne retrouvera son niveau de PIB de 2019 qu’au printemps de l’année prochaine. Sur le marché du travail, le taux de chômage devrait retrouver son niveau de 2019 en 2023 seulement. Le chemin sera long. Il nécessitera un effort prolongé sur le plan budgétaire et monétaire pour soutenir la reprise.

Quelles cicatrices la pandémie de Covid-19 laissera-t-elle sur l’économie ?

Il y a des raisons d’être optimiste. Comparée à la décennie qui a suivi la crise financière de 2008, la pandémie sera un événement qui durera deux ou trois ans. La récession sera plus courte et les cicatrices pourraient rester limitées. Mais il y a aussi des sources d’inquiétude. Les fermetures liées au confinement n’ont pas seulement affecté l’économie. L’éducation et la santé ont aussi été perturbées, ce qui aura des conséquences durables. Les effets de la pandémie sont également très concentrés dans certains secteurs : l’hôtellerie et le tourisme, notamment, qui seront durablement pénalisés.

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Le monde d’après ne sera plus le même. Il y aura des changements structurels, il y aura des perdants et des gagnants. Ceux qui travaillent dans les centres-villes et fournissent des services pour les espaces de bureaux ou ceux qui travaillent dans le secteur des voyages, par exemple, seront plus touchés que ceux qui peuvent poursuivre leurs activités en télétravail, comme dans les technologies de l’information.

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L’argot de bureau : le « kaizen » ou l’éloge de la régularité

Au terme d’une période des fêtes honteuse, faite d’excès alimentaires et d’une flemme incommensurable, Théobald profite du Nouvel An pour prendre de bonnes résolutions : lire un livre par semaine, faire cent pompes par jour, tout plaquer pour monter un élevage de chèvres… Ce cher Théobald ne le sait pas, mais il vient de commettre un odieux kaikaku : des changements drastiques, brusques, qui ne survivront pas à leur annonce. C’est l’exact opposé du kaizen.

Lorsque l’on songe à une mode de management japonaise, le kaizen revient souvent. Il trouve ses racines dans les usines Toyota des années 1950. Assemblage des deux signes nippons kai, « changement », et zen, « meilleur », le kaizen est souvent traduit comme l’« amélioration continue ». Par extension, le kaizen consiste à savoir s’analyser pour s’améliorer : il cherche l’optimisation des méthodes de travail pour une meilleure productivité.

Cet état d’esprit s’accompagne d’une vision très pratique : des actions simples permettent d’entretenir le chemin vers le « mieux », à condition qu’elles aient lieu quotidiennement, à petits pas, sans mettre la charrue devant les bœufs. Comme lorsque Djibril, du service commercial, décide enfin de classer les dossiers empilés en tour de Pise sur son bureau. Ou quand Sonia, de la direction, remplace son champ de pense-bête par une grande ardoise murale visible par tout l’open space. Les petits ruisseaux font les grandes rivières, dit le proverbe.

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Le kaizen, qui classe les changements par ordre de priorité, débute souvent par l’élimination du gaspillage et le repérage des erreurs évidentes. « Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas », disait Lao Tseu. Dans notre chasse aux déchets indésirables, on trouve trois catégories.

« Muda », « mura », « muri »…

Il y a d’abord les muda, les activités qui n’ont pas de valeur ajoutée : déplacements inutiles entre deux postes de travail qui pourraient être côte à côte, temps d’attente imprévus au service RH. Puis viennent les mura, ces irrégularités dans les processus : par exemple, quand deux salariés font la même tâche, car la hiérarchie s’est emmêlé les pinceaux. Sans oublier le versant compétences, les muri : ces difficultés surviennent quand un salarié n’a pas les outils ou la formation nécessaires pour accomplir une tâche, un peu comme si l’on demandait à un chef d’animer une visioconférence depuis un Minitel.

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A la recherche de la compétitivité perdue de la France

Des salariés de la  Fonderie de Bretagne, propriété de Renault, protestent contre la mise en vente du site, à Caudan (Morbihan), le 30 avril 2021.

Dossier. Que pèse la France industrielle sur l’échiquier mondial ? De moins en moins, si l’on en juge par les derniers indicateurs de compétitivité. Et, pour une fois, pas besoin d’incriminer les Chinois. En 2020, sur le seul marché européen, la part des produits français a reculé d’un point. Ils ne représentent plus que 13,5 % des ventes totales de la zone euro, contre 18 % en 2000. C’est toute l’histoire de la désindustrialisation qui défile derrière ces chiffres, symbolisée par la disparition des grandes usines automobiles et de leurs centaines de milliers d’emplois. On avait pourtant cru à une amélioration entre 2017 et 2019. Mais, soudain, c’est la rechute.

Cette « dégradation marquée », selon l’institut COE-Rexecode qui a publié ces chiffres en mars 2021, est bien sûr imputable au recul des échanges internationaux lié à la crise sanitaire. Celle-ci a durement affecté certains secteurs traditionnellement exportateurs, comme l’aéronautique. Mais cela n’explique pas tout… « Ce qui est préoccupant, c’est que l’on assiste à une chute générale des parts de marché à l’export pour chaque catégorie de produits, ce qui n’est pas le cas dans les pays voisins, précise Emmanuel Jessua, directeur des études chez COE-Rexecode et auteur de la note. Les mauvaises performances françaises ne s’expliquent donc pas par un effet de spécialisation. »

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La France avait sensiblement regagné du terrain ces dernières années grâce notamment aux mesures prises depuis 2012 par les différents gouvernements. Très contesté sur le plan politique, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), porté par François Hollande, a joué un rôle dans cette amélioration relative, en allégeant le coût du travail. De son côté, la baisse de l’impôt sur les sociétés, qui a rejoint le niveau de celui en vigueur en Allemagne (28 %), a également eu un effet positif, tout comme la nouvelle convergence des politiques économiques menées des deux côtés du Rhin.

Abaissement des coûts du travail ou de la fiscalité

Comment sortir, dans ces conditions, du trou d’air de 2020 ? Certes, sur le volet fiscal, l’effort se poursuit. « La baisse des impôts de production de 10 milliards d’euros, contenue dans le plan de relance de fin 2020, représente un gros effort budgétaire, reconnaît Emmanuel Jessua. Mais on partait de très haut. Les impôts de production qui représentaient 3,2 % du PIB sont tombés à 2,8 %. Nous restons encore très au-dessus de la moyenne de la zone euro, qui est de 1,6 % tandis que l’Allemagne est à 0,4 %. »

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« La désindustrialisation a des conséquences économiques, sociales et politiques profondes »

Vincent Aussilloux est directeur du département économie de France Stratégie. Il est le coauteur d’une étude sur « Les politiques industrielles en France », en novembre 2020.

Peut-on avoir une économie compétitive sans industrie forte ?

Si on définit l’industrie dans son périmètre traditionnel, qui correspond à la production de marchandises, oui il existe des économies performantes dans lesquelles le secteur manufacturier s’est très affaibli. C’est, par exemple, le cas des Etats-Unis où la part de l’industrie dans l’économie a beaucoup baissé même si elle reste supérieure à la France.

Mais à la grande différence de la France, les Etats-Unis ont développé des activités productives qu’on ne compte traditionnellement pas dans l’industrie, notamment tout le secteur du numérique hors la production de matériels et d’équipements. Les Etats-Unis ont su développer tout une économie des plates-formes, notamment les Gafam [Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft], qui ont fortement tiré la croissance américaine et creusé l’écart avec les niveaux de vie en Europe (+ 50 % par rapport à la France en PIB courant par tête).

A part des pays fortement dotés en ressources naturelles, il y en a peu qui arrivent à avoir des niveaux de vie élevés et en croissance sans une industrie forte ou, au moins comme les Etats-Unis, sans un secteur des services très inséré dans l’économie internationale. Certains pays se sont spécialisés dans les services financiers internationaux comme le Royaume-Uni, le Luxembourg ou Hongkong, mais on connaît les limites et les risques d’une économie qui repose trop sur la finance.

En quoi une économie qui repose sur l’industrie est-elle plus solide ?

L’industrie est porteuse de gains de productivité, qui sont la principale source de la hausse des niveaux de vie, d’emplois de qualité répartis sur le territoire et d’innovations. Elle compte pour plus de 70 % des dépenses privées en recherche et développement [R&D] du pays, alors qu’elle ne compte plus que pour 10 % de l’emploi total et 13 % du PIB.

En outre, un déficit commercial comme celui de la France dans le secteur manufacturier engendre un déficit d’emplois important, alors même que le pays connaît un taux de chômage structurellement élevé.

A contrario, quels sont les risques liés à la désindustrialisation ?

En France, les régions les plus touchées par la désindustrialisation dans les dernières décennies, notamment dans une partie du Grand-Est, ont perdu beaucoup d’emplois, ce qui a fortement affecté les niveaux de vie et le dynamisme économique de ces territoires. La désindustrialisation, qui n’a pas été compensée par un essor suffisant des services à forte valeur ajoutée, a donc des conséquences économiques, sociales et politiques profondes.

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« La réforme de l’assurance-chômage va clairement dans le bon sens »

Tribune. L’assurance-chômage a joué un rôle essentiel durant cette crise en protégeant les ménages. La couverture exceptionnelle de ce régime en France ne doit cependant pas faire oublier ses dérives. A la faveur de réformes successives voulues par les partenaires sociaux, le régime est aussi devenu une machine à fabriquer de la précarité, source de chômage et de déficits quasi permanents.

L’introduction du système d’activité réduite permet de travailler tout en étant indemnisé. Associé à l’ouverture de droits dès quatre mois de travail, à la règle de « 1 jour travaillé 1 jour indemnisé », à l’instauration du rechargement des droits dès qu’on reprend un emploi, ainsi qu’à un mode de calcul de l’allocation très favorable aux contrats courts, ce système a favorisé l’explosion des emplois précaires.

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Il est désormais possible de gagner presque autant en travaillant la moitié des jours dans le mois qu’en travaillant à temps plein, et cela sans limitation de durée. Les employeurs le savent et n’ont plus aucun frein à offrir ce type de contrat. Depuis dix ans, le nombre de CDD de moins d’un mois a augmenté de 150 % ! On y recourt désormais dix fois plus qu’en Allemagne et cinq fois plus qu’au Danemark.

Une indemnisation qui reflète mieux la quotité de travail

La réforme du gouvernement, âprement contestée, vise à freiner cet emballement aussi coûteux qu’inéquitable. Le système actuel contrevient à une règle fondamentale qui veut qu’on ne gagne pas plus au chômage qu’en travaillant. L’allocation versée un mois donné est calculée actuellement sur la base des seuls jours travaillés, si bien qu’il est possible de percevoir à la fin du mois une allocation deux à trois fois plus élevée que son ancien salaire, à condition de n’accepter que des contrats courts !

Prenons une personne travaillant à mi-temps en CDI pendant un an, et une autre travaillant 15 jours par mois en CDD courts pendant un an. Dans ces deux configurations, la quotité de travail est la même. Une fois au chômage, l’allocation mensuelle est de 64 % du salaire mensuel antérieur pour la personne à temps partiel mais passe à 128 % – le double – dans le cas du CDD par intermittence. Et l’augmentation de revenu en entrant au chômage peut être encore plus élevée pour des durées de contrat plus courtes.

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La réforme vise à instituer une indemnisation qui reflète mieux la quotité de travail et le revenu antérieurs des allocataires de l’assurance chômage. À cette fin, il est désormais tenu compte de tous les jours, y compris ceux non travaillés, dans la limite d’un plancher, afin de définir un revenu du travail moyen comparable pour tous. Avec cette méthode, le montant des allocations devient identique dans les deux cas cités précédemment.

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Elisabeth Borne et Clément Beaune : « L’heure est venue de renforcer l’Europe sociale »

Le président de la République, Emmanuel Macron, et le premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, à Porto, le 7 mai 2021.

Tribune. Disons-le d’emblée, l’Europe a été au rendez-vous de la crise économique et sociale. En dépit des critiques qui lui sont adressées, elle a montré sa capacité à se mobiliser vite et fort. Les règles budgétaires ont été assouplies. Pour protéger les emplois et les salariés, un instrument européen de refinancement du chômage partiel a été créé. Surtout, les Etats membres se sont accordés sur un plan de relance inédit. Quarante milliards d’euros bénéficieront directement à la France, dont sept milliards pour financer le soutien à l’emploi, à la formation et à l’apprentissage. En d’autres termes, l’Europe protège.

Dans ce domaine, la proclamation du socle européen des droits sociaux, à Göteborg (Suède), en 2017, a constitué un tournant important. Elle a permis à l’Europe de réaffirmer son ambition sociale et de se saisir de questions essentielles telles que l’égalité des chances, l’accès à l’emploi ou la protection sociale. Et, depuis trois ans et demi, nous avons avancé : protection des travailleurs précaires, création d’un congé paternité de dix jours pour tous les Européens, directive sur le travail détaché avec application du principe « à travail égal, salaire égal sur un même lieu de travail ». Dans tous ces domaines, l’Europe a agi, sous l’impulsion de la France et du président de la République.

Lire l’entretien : Clément Beaune : « Si l’Europe ne réussit pas son plan de relance, elle aura créé une immense déception démocratique »

Notre Union n’est en effet pas uniquement une Europe des marchés et des capitaux, mais aussi – et d’abord – une Europe au service de ses citoyennes et de ses citoyens, qui place la protection et la solidarité au cœur de ses valeurs. Alors que la crise va laisser des traces profondes dans nos sociétés, il est plus que jamais de notre responsabilité de montrer aux Européens que l’Europe est un espace qui les protège et les aide à se projeter vers l’avenir. L’heure est venue de renforcer concrètement l’Europe sociale.

Un salaire pour vivre dignement

Le plan d’action proposé par la Commission pour mettre en œuvre le socle des droits sociaux et le Sommet social de Porto sera déterminant. Alors que la France prendra la présidence de l’Union européenne en janvier 2022, un certain nombre de chantiers nous semblent essentiels à la construction de l’Europe sociale de demain.

Lutter contre les distorsions de concurrence, en travaillant à une convergence sociale vers le haut

Il nous faut d’abord assurer un socle de protection à tous les travailleurs. En veillant, d’une part, à ce que chaque salarié européen bénéficie d’un salaire qui lui permette de vivre dignement. C’est tout l’enjeu du projet de directive sur les salaires minimaux en Europe que nous défendons, et qui nous permettra de lutter contre les distorsions de concurrence en travaillant à une convergence sociale vers le haut. En veillant d’autre part à ce que l’Europe protège tous ses travailleurs, sans exception.

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Dans l’Aisne et la Somme, « le plan de relance, on n’en a pas vu la couleur »

La tête d’un avion A320 exposé dans le quartier de la gare d’Albert (Somme), le 10 février.

Ici, on fabrique des bracelets de montre qui valent plus cher qu’un iPhone. Certaines pièces montent même à 10 000 ou 15 000 euros. Cousus à la main, les modèles partent ensuite chez « Cartier, Rolex ou Patek Philippe », égrène fièrement Laurence – les prénoms des salariés ont été modifiés –, une ancienne de la maison Camille Fournet, sous-traitant de grandes marques d’horlogerie implanté à Tergnier, petite commune rurale de l’Aisne.

Laurence a 40 ans, deux enfants en bas âge, un mari au chômage depuis six ans, et a été licenciée il y a quelques mois. Comme Marine, « la cinquantaine », congédiée elle aussi, alors même, dit-elle, qu’elle était en arrêt maladie. Au total, 14 ouvrières de cet atelier, qui n’emploie presque que des femmes, payées au smic ou un peu plus, ont été licenciées depuis l’été 2020, soit 6 % des effectifs.

Pourtant, l’entreprise, comme d’autres dans la région, a été sélectionnée pour toucher une subvention de 500 000 euros dans le cadre du plan de relance au titre du « soutien à l’investissement industriel dans les territoires ». Camille Fournet, qui a subi une « baisse de 30 % à 40 % de son activité » pendant le premier confinement selon son directeur général adjoint Jean-Yves Basin, affirme que l’argent va lui permettre de se moderniser pour réduire de moitié le temps de fabrication des bracelets et de recruter « 30 salariés à terme ». Mais l’opération a du mal à passer chez « les filles », comme elles disent.

« Ça m’écœure que Camille Fournet licencie alors qu’ils touchent des aides de l’Etat, s’emporte Marine. Il n’y a eu aucune contrepartie. Je croyais que le luxe, ça marchait bien. Je suis en colère, ils nous ont jetées dehors sans même regarder nos situations familiales. » Le jour de son licenciement, Laurence a travaillé toute la journée. « A 17 heures, ils m’ont appelée et m’ont dit “tu ne remets plus les pieds dans l’atelier”. Ils m’ont juste dit que les commandes avaient baissé. Ils ont changé les codes du parking pour qu’on ne puisse plus rentrer, ils avaient peur qu’on casse tout. »

Incompréhension et indignation

Parmi les ouvrières licenciées, certaines veulent aller aux prud’hommes. Les élus locaux, eux, sont prudents. Pour la petite municipalité de Tergnier, la présence de Camille Fournet est essentielle. C’est l’un des plus gros employeurs de cette ville ouvrière aux maisons en brique rouge, qui a vu partir les usines les unes après les autres. « Je ne veux pas tirer sur une entreprise locale, il y a de l’emploi en jeu », admet Aurélien Gall, adjoint au maire dans cette ville communiste où Marine Le Pen est arrivée en tête en 2017, comme dans toutes les communes environnantes. « Et puis la marge de manœuvre des villes est faible », soupire-t-il.

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Ascoval et Hayange : le groupe Liberty Steel cherche des repreneurs éventuels

Le drapeau de Liberty Steel flotte au-dessus de l’aciérie de Dalzell, en Ecosse, le 8 avril 2016.

Moins d’un an après avoir racheté les sites français de Saint-Saulve (Nord) et d’Hayange (Moselle), le groupe sidérurgique Liberty Steel a lancé la recherche de repreneurs, a-t-on appris, samedi 8 mai, auprès de l’entreprise. Le groupe britannique, dans la tourmente à cause des difficultés de son propriétaire, le magnat de l’acier Sanjeev Gupta, reste toutefois en quête de financement pour sauver les deux sites.

« Nous restons confiants dans notre capacité à sécuriser de nouveaux financements », mais, « dans le même temps, nous avons commencé, par prudence, à explorer des options de vente pour ces entreprises et nous inviterons les parties intéressées à soumettre des offres », a fait savoir le groupe dans une déclaration transmise à l’Agence France-Presse (AFP), confirmant des informations du Financial Times.

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Liberty Steel, propriétaire notamment de l’aciérie Ascoval, située à Saint-Saulve, et de l’usine de rails d’Hayange, est confronté à des difficultés, dans le sillage du dépôt de bilan de la société britannique de financement Greensill. Cette dernière est un important financeur de la maison mère de Liberty Steel, GFG Alliance, propriété de l’homme d’affaires indo-britannique Sanjeev Gupta.

L’entreprise a mandaté la banque Rothschild pour ce projet de cession, ont fait savoir à l’AFP plusieurs sources concordantes.

Vingt millions d’euros à trouver

« Pour l’instant, Sanjeev Gupta cherche toujours à se refinancer, mais officiellement on se met en condition pour une mise en vente s’il ne trouve pas les fonds nécessaires pour maintenir Hayange et Ascoval », a réagi à l’AFP Grégory Zabot, élu CFDT du site d’Hayange. « Les deux processus sont en parallèle », a-t-il ajouté, craignant surtout que cela ne repousse – voire annule – des investissements prévus à l’été sur le site.

L’Etat a annoncé, à la fin de mars, qu’il allait débloquer un prêt de 20 millions d’euros à Ascoval pour permettre à l’aciérie, à l’histoire déjà mouvementée, de payer les salaires et de poursuivre l’activité. Mais selon Nacim Bardi, délégué CGT du site, Liberty Steel doit encore trouver 20 millions d’euros supplémentaires.

« Au moment où on a eu le CSE extraordinaire [le 29 avril], Liberty n’était pas vendeur, Liberty était toujours à la recherche des 20 millions. Après, peut-être que la donne a changé, si maintenant il est vendeur, tant mieux. (…) Nous, on veut un nouveau repreneur », a-t-il affirmé à l’AFP. « Etant donné la vigueur du marché de l’acier et la grande qualité des produits que nous faisons, nous restons confiants dans notre capacité à sécuriser de nouveaux financements », affirme samedi Liberty Steel.

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Contacté, le ministère de l’économie n’a pas souhaité faire de commentaire. Outre Liberty Steel, la faillite de Greensill a aussi mis en difficulté d’autres activités de la galaxie Gupta en France. Les trois équipementiers automobiles appartenant au groupe Alvance ont été placés en redressement judiciaire à la fin d’avril.

Il s’agit des sites Alvance Poitou Fonte et Alvance Aluminium Poitou, situés à Ingrandes (Vienne), ainsi que d’Aluminium Wheels, situé à Diors près de Châteauroux (Indre), qui totalisent environ 850 salariés. Pour éviter sa liquidation et donner le temps de trouver un repreneur, l’Etat a octroyé au début de mai un prêt de 10 millions d’euros à la société Alvance.

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Le Monde avec AFP

Chute mortelle d’un cordiste à Nîmes : « Apparemment, tout le monde était pressé sur ce chantier »

Pour expliquer les causes de la mort de Mickaël Beccavin, survenue après une chute de plus de 10  mètres le 6 mars 2018 à Nîmes (Gard), on peut zoomer sur l’extrémité d’une corde effilochée. Ou opter au contraire pour le plan large, à même d’englober ce qu’était en 2018 l’immense chantier du Trigone, devenu aujourd’hui cet ensemble d’immeubles colorés qui accueille le visiteur dans la ville dès la sortie de la gare.

C’est entre ces deux points de vue sur un même drame que l’audience a navigué tout au long de la journée du vendredi 7 mai, au sein du tribunal correctionnel de Nîmes. Deux entreprises comparaissaient pour homicide involontaire : la société de travaux sur cordes Sud Acrobatic, et l’entreprise Eiffage Construction Gard. Poursuivie pour le même chef d’accusation, mais liquidée en 2019, la société Ciciarelli, chargée de la confection des balcons, n’était pas représentée. Au grand dam des parties civiles, qui déploraient que seules les personnes morales aient été poursuivies, mais ni le chef de chantier ni le coordonnateur de la sécurité.

Il y a donc cette corde fatale à laquelle Mickaël Beccavin s’est accroché le 6 mars 2018. Suspendu au-dessus du vide, il œuvrait cet après-midi-là à la pose de balcons métalliques : soulevés par une grue, ceux-là devaient être fixés manuellement à la façade d’une future résidence pour étudiants. Après la pose de quatre balcons sur la travée de gauche, le grutier présente un balcon de la mauvaise taille, destiné à la travée de droite. L’équipe de trois cordistes décide alors de changer l’ordre d’installation et Mickaël Beccavin amorce une translation sur la travée de droite.

Pourquoi ce choix plutôt que d’attendre les deux derniers balcons de gauche, comme le prévoyait le programme du jour ? Ni le dossier – dont même le ministère public déplorera qu’il n’ait pas été confié à un juge d’instruction – ni l’audience – lors de laquelle aucun témoin de l’accident n’a été entendu – ne le diront. Mais Sébastien Gimard, gérant de la société Sud Acrobatic, aura cette phrase, quelques minutes après son arrivée à la barre, qui marquera l’audience : « Apparemment, tout le monde était pressé sur ce chantier. »

Suspendu à une seule corde

Pour travailler sur la droite, Mickaël Beccavin doit s’accrocher sur un autre jeu de longes qui descend du toit, en prenant garde de toujours être tenu par deux cordes, une de travail, l’autre de sécurité. Mais, pour une raison inconnue, il ne s’est trouvé suspendu qu’à une seule. Celle-là a-t-elle alors rompu, ou était-elle déjà coupée lorsqu’il s’y est accroché ? Lorsque le cordiste a commencé sa descente en rappel, il est tombé dans le vide. Il avait 39 ans. Une fille de 9 ans. Un père, une mère, un frère, une sœur, une ex-compagne – tous les cinq présents à l’audience, traumatisés.

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