Ubérisation : une mission sénatoriale souligne le rôle obscur des algorithmes

Ubérisation : une mission sénatoriale souligne le rôle obscur des algorithmes

Un livreur de Deliveroo, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le 6 mai 2021.

Ubérisation de la société, plateformisation de l’économie : ces néologismes, incarnés par Deliveroo et autres Uber, sont entrés dans la vie des citoyens. Mais ce phénomène, en pleine expansion, doit être encadré pour qu’il ne devienne pas « le Far West du travail externalisé », a prévenu Pascal Savoldelli, sénateur communiste du Val-de-Marne, le 29 septembre, en présentant le rapport de la mission d’information sénatoriale baptisée « Ubérisation de la société : quel impact des plates-formes numériques sur les métiers et l’emploi ? ». Le document ouvre plusieurs chantiers de régulation, tout en évitant soigneusement celui du salariat, un statut dont le gouvernement ne veut pas.

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Au-delà du constat que ces plates-formes tendent à « remettre en cause notre modèle social et économique », la mission, présidée par Martine Berthet, sénatrice LR de la Savoie, et ayant pour rapporteur M. Savoldelli, formule dix-huit recommandations, notamment pour améliorer les conditions de travail et favoriser le dialogue social. « Certaines sont porteuses d’avancées pour les travailleurs indépendants et de stabilité pour les plates-formes, indique-t-on chez Uber. Nous retenons tout particulièrement celles visant à mettre en place les conditions d’un dialogue social fructueux. » Pour la mission, la question de la rémunération doit entrer dans ce champ, comme l’a affirmé Elisabeth Borne, la ministre du travail, lors de son audition, le 21 septembre.

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Surtout, la mission s’inquiète « du rôle prépondérant joué par le management algorithmique », qu’il faut encadrer et rendre plus transparent. « Il ne s’agit pas d’un outil neutre, insiste M. Savoldelli. Il constitue un outil que nous considérons comme politique, avec tous les biais que cela comporte, notamment en termes de discrimination. » Faux, conteste Deliveroo : « L’algorithme permet d’affecter des courses sans biais ni caractère discriminatoire. Il ne sert pas à des fins managériales. » Et d’ajouter que « ces indépendants sont libres d’organiser leur travail comme ils le souhaitent et ne sont pas notés ni par un algorithme ni de quelque autre manière que ce soit ».

L’« objet de négociations »

Quels critères utilise le logiciel pour attribuer les courses ? Quel est le poids de la notation faite par le client ? L’impact du nombre de courses refusées ?  Le contenu de l’algorithme doit être l’« objet de négociations », préconise la mission. « [Mais, pour l’heure], comme on ne nous dit pas tout dessus, on ne pourra pas négocier sur ce sujet », déplore Jérôme Pimot, responsable du Collectif des livreurs autonomes des plafes-formes (CLAP), qui, depuis 2018, a demandé « plusieurs fois, en vain, l’accès à son fonctionnement ».

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« Les algorithmes de tarification, les mécanismes d’incitation et les systèmes de notation ont des effets directs sur le comportement » de ces travailleurs, lit-on dans le rapport. « Comme on ne sait pas comment cela fonctionne, on a tendance à nous mettre nous-mêmes la pression, on va rouler le plus vite possible et, finalement, prendre des risques » pour être sûrs d’être dans les bons critères d’attribution des courses, ajoute M. Pimot.

« Un rapport entre deux eaux »

« C’est un rapport entre deux eaux » qu’a rendu la mission, estime Bastien Charbouillot, membre de la CGT du ministère du travail. D’un côté, l’instauration d’un dialogue social, l’idée de négocier un revenu minimum à la tâche, d’améliorer les conditions de travail… de l’autre, le maintien du statut d’autoentrepreneur. « Il y a une sorte d’accord global sur l’émergence d’un tiers statut qui ne dit pas son nom et la volonté de l’encadrer. C’est la construction d’un droit parallèle au droit du travail qui participe à la deconstruction de ce dernier et donne l’impression de réduire à néant notre travail de lutte contre le travail illégal. »

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Alors que l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni, la Californie et, plus récemment, les Pays-Bas ont opté pour le statut de salarié des travailleurs des plates-formes – chauffeurs VTC et livreurs –, avec quelques nuances selon les pays, et après la résolution du Parlement européen du 16 septembre qui préconise « une présomption de salariat » pour ces travailleurs, « la France fait du quasi sur-place », estime Olivier Jacquin, sénateur PS de Meurthe-et-Moselle.

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