« Servir les riches », d’Alizée Delpierre : dans le huis clos de la domesticité

« Servir les riches », d’Alizée Delpierre : dans le huis clos de la domesticité

Livre. Ce sont des théâtres où les pièces se jouent à huis clos. Dans ces grandes maisons au calme apparent, les joies succèdent aux drames, et la comédie humaine s’exprime à plein dans un face-à-face entre grandes fortunes et domestiques. Durant plusieurs années, la sociologue Alizée Delpierre a poussé les portes de prestigieuses demeures pour donner la parole aux gouvernantes, aux majordomes, aux cuisiniers et autres nannies, mais aussi à leurs patrons. De cette enquête fouillée elle a tiré un essai, Servir les riches (La Découverte), qui offre une plongée saisissante dans le monde de la domesticité.

Un monde où les patrons jouent une partition des plus ambiguës. Pour les aristocrates et les nouvelles fortunes, « se faire servir relève d’un besoin, et non pas d’un confort ». Un besoin qui doit permettre de libérer du temps productif, mais aussi d’afficher son rang. Ils tissent souvent avec les domestiques une relation complexe, les considérant comme partie intégrante de leur famille, les initiant au savoir-être de leur milieu.

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Dans le même temps, « les grandes fortunes achètent le droit d’exercer la domination chez elles, sans distance, sans répit », exigeant une disponibilité sans faille. Elles n’ont pas la même rigueur sur le plan administratif : le travail des domestiques n’est souvent que partiellement déclaré, sans contrat écrit. En outre, dans l’intimité des grandes maisons, on croise des exigences folles (se faire réveiller par une berceuse chantée par deux domestiques en canon), des cas d’humiliation, de racisme décomplexé, d’exploitation, d’agression sexuelle.

Plus de 10 000 euros par mois

Les relations de domesticité sont faites d’un « mélange d’attachement et de répulsion, de proximité et de distance, de confiance et de méfiance », décrit Mme Delpierre. Cette ambivalence transparaît dans les témoignages des employés. Les corps s’usent, leur vie personnelle peut être inexistante, mais beaucoup d’entre eux se disent malgré tout satisfaits de cette « exploitation dorée ». Ils ont le sentiment que « [leurs] patrons [les] grandissent ».

Les avantages matériels sont parfois considérables (bons salaires, logement et repas fournis, cadeaux en nature, consultations médicales chez de grands spécialistes…). Des « belles histoires » circulent dans ce petit milieu qui regroupe quelques milliers de professionnels en France. Telle celle de Marius, 55 ans, qui gagne plus de 10 000 euros par mois et possède un appartement à New York. Une success story pour l’immigré roumain arrivé sans ressources en France à 18 ans, aujourd’hui assistant d’un riche PDG du CAC 40.

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LJD

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