« L’angoisse du chômage risque de servir d’épouvantail pour reconduire le monde d’hier »

Dans l’usine d’assemblage Toyota à Onnaing (Nord), près de Valenciennes, où le travail a repris le 21 avril.
Dans l’usine d’assemblage Toyota à Onnaing (Nord), près de Valenciennes, où le travail a repris le 21 avril. PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Directeur de recherche au CNRS, professeur à l’Ecole nationale des ponts et chaussées et prêtre jésuite, l’économiste Gaël Giraud appelle à lancer une réindustrialisation verte et une relocalisation de l’économie française après la crise du Covid-19. Cet ancien chef économiste de l’Agence française de développement estime que cette relance verte pourrait être financée par l’annulation partielle des dettes publiques européennes.

Une relance verte est-elle la solution pour sortir de la crise tant sanitaire qu’économique et climatique ?

Cela me paraît une évidence. Cette pandémie est la réponse des écosystèmes naturels aux ravages que nous leur infligeons. Si l’on ne profite pas du déconfinement pour tourner la page de la société thermo-industrielle et de la destruction de la biodiversité, pour renégocier totalement notre rapport à la nature, je ne sais pas ce qu’il nous faudra comme alerte pour y parvenir.

En quoi consisterait la construction du « monde de demain » à vos yeux ? Quelles seraient les urgences à la sortie du confinement ?

Actuellement, 50 % des services et de l’industrie sont à l’arrêt et 85 % du BTP. Il faut les remettre en marche le plus vite possible. Mais pas n’importe comment. Il faut mettre en place une réindustrialisation verte et une relocalisation de l’économie française. Ce que montrent la pandémie et les confinements sur la planète, c’est que nos industries sont extrêmement dépendantes de chaînes de valeur internationales très fragiles, à flux tendus, qui ne sont pas résilientes à la défaillance du moindre chaînon.

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Comment s’y prend-on pour relocaliser ?

Paradoxalement, je pense qu’il ne faut pas commencer tout de suite par l’industrie, car c’est le plus complexe. La relance pourrait débuter par l’accélération de la rénovation des bâtiments publics et privés, qui est un extraordinaire bassin d’emplois non délocalisables. Cela coûterait 30-40 milliards d’euros par an pour le bâti public, qui pourraient être financés par les banques françaises en faisant usage de la garantie publique – l’Etat vient de concéder 300 milliards d’euros de garanties. On peut lancer ce chantier dans deux ou trois régions car nous n’avons pas assez d’ouvriers qualifiés pour l’ensemble du territoire. Le secteur du BTP pourrait créer des filières d’apprentissage avec l’aide de l’Etat et, dans trois ans, nous aurons les bataillons d’ouvriers qualifiés nécessaires pour étendre ce chantier à l’ensemble de notre territoire.

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Coronavirus : le télétravail pourrait accélérer la délocalisation des emplois qualifiés

Une femme travaille de chez elle, le 7 avril, au 22e jour du confinement décrété par les autorités françaises pour lutter contre la propagation du coronavirus.
Une femme travaille de chez elle, le 7 avril, au 22e jour du confinement décrété par les autorités françaises pour lutter contre la propagation du coronavirus. JULIEN GOLDSTEIN POUR « LE MONDE »

Et si la crise liée au coronavirus sonnait le glas du rituel « métro-boulot-dodo » ? Peut-être bien. Du moins pour une partie des cadres massivement passés au travail à distance ces dernières semaines. « L’une des conséquences du confinement sera peut-être, à travers la création de nouvelles habitudes, la généralisation du télétravail », explique Cyprien Batut, doctorant à l’école d’Economie de Paris, dans une note publiée vendredi 1er mai par le Groupe d’études géopolitiques (GEG), un groupe de réflexion indépendant fondé à l’Ecole normale supérieure de Paris, aujourd’hui présent dans plusieurs universités.

Or, ce phénomène pourrait avoir des conséquences profondes sur les rapports entre salariés et employeurs – et favoriser, entre autres, la « délocalisabilité » des emplois qualifiés. On pourrait même assister à l’émergence de la figure du « télémigrant », selon le concept forgé par Richard Baldwin, économiste à l’Institut des hautes études internationales de Genève. A savoir « de nombreux free-lances compétents, notamment issus des pays du Sud, étant dorénavant capables de rentrer en compétition avec les salariés qualifiés », décrit M. Batut.

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Jusqu’ici, rappelle-t-il, la mondialisation telle qu’observée depuis les années 1980 s’est surtout traduite par la délocalisation des emplois peu qualifiés. Nombre de multinationales ont, en effet, choisi de fragmenter leurs chaînes de production et d’implanter leurs usines dans des pays où le coût du travail est moins élevé. Ainsi, « la compétition avec la Chine a probablement entraîné la disparition d’environ 2,5 millions d’emplois aux Etats-Unis et explique une part non négligeable de la désindustrialisation dans ce pays », rappelle l’auteur.

« Une nouvelle ère »

Lorsqu’elles peinaient à recruter pour des postes exigeant un haut niveau de diplôme, les entreprises préféraient jusqu’ici faire venir des spécialistes de l’étranger plutôt que délocaliser ces emplois qualifiés, estimant la manœuvre trop complexe en termes de supervision. Mais la généralisation du travail à distance pourrait « ouvrir une nouvelle ère », où « les télémigrants prendraient de plus en plus d’emplois dans les services, au détriment de nos cols blancs nationaux ». Deux économistes de l’université de Princeton, Alan Blinder et Alan Krueger, estiment ainsi qu’aux Etats-Unis, 35 % à 40 % des emplois nécessitant un diplôme seraient délocalisables…

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« Un mois de fraises, c’est 1 500 euros pour 170 heures. Pas l’idéal, mais convenable »

Dans le Tarn-et-Garonne.
Dans le Tarn-et-Garonne. Patricia Huchot-Boissier / Hans Lucas via AFP

« Avant le confinement, mon activité principale était celle de régisseur plateau dans la production audiovisuelle en région parisienne. Le samedi 14 mars, vers 18 heures, mon patron m’a appelé pour me dire que tous les projets étaient suspendus sine die et qu’il fallait que je trouve autre chose. Je me suis souvenu d’une annonce d’emploi d’un exploitant agricole à Saint-Rémy-de-Provence, dans les Bouches-du-Rhône, que j’avais repérée fin janvier sur les réseaux sociaux. Je l’ai appelé, mais cela n’a pas fonctionné. J’ai téléphoné à tous les maraîchers dans la même zone géographique. L’un d’entre eux m’a dit oui, ses salariés marocains ne pouvant quitter leur pays. Dès le dimanche, j’ai cherché un appartement sur Internet et lundi à 18 heures, juste avant l’interdiction des déplacements, je me suis mis en route. Le mardi matin, j’étais à Saint-Rémy-de-Provence. L’après-midi, l’employeur m’a proposé un contrat et j’ai attaqué le lendemain matin dans les serres de fraises.

Professionnellement, je suis “multicarte”. Régisseur dans le spectacle, moniteur de canoë-kayak, VTC… Mais, même si mes grands-parents étaient agriculteurs en Bretagne, je n’avais plus travaillé dans les champs depuis mes 17 ans. À l’époque, c’était pour la récolte de pommes. J’ai fait quelquefois les vendanges aussi. J’ai même rencontré ma compagne à cette occasion.

Pour les fraises, on est à genoux de 7 heures à 19 heures, avec une heure de pause. C’est dur, mais je suis résistant physiquement. Les fraises sont dans des serres de cent mètres de long, la température y monte jusqu’à 35 degrés. Il n’y a pas de formation : on vous dit juste de ne pas mettre les doigts sur la fraise pour éviter de la dégrader, de couper la queue à la base du fruit et de le déposer délicatement dans une barquette. Pour remplir un plateau de 20 barquettes, vous avez trente minutes environ. Il n’y a pas de pression, mais il faut que le produit soit bien présenté. Un mois de fraises, c’est 1 500 euros pour 170 heures. Pas l’idéal, mais convenable.  

« On monte les serres, on dispose les tuyaux d’eau, on plante. Ce n’est pas comme dans un entrepôt Amazon, mais il y a du monde ! »

Au début, mes collègues étaient tous marocains. Ensuite, l’équipe s’est agrandie. Des gens des villes environnantes, qui ont perdu leur emploi, sont arrivés. Comme on ne nous fournissait pas de masque, je m’en suis procuré un grâce à mon amie. J’ai obtenu du gel hydroalcoolique après trois semaines. Mais j’ai eu du mal à accepter que l’on ne nous propose pas de courtes pauses ou simplement de l’eau pour nous hydrater. Ce premier contrat n’a pas été renouvelé. Je me suis inscrit sur la plateforme mise en place par le gouvernement, mais je n’ai eu aucun retour. En ce moment, je suis pour un mois dans une grosse exploitation qui fait pousser des courgettes. On monte les serres, on dispose les tuyaux d’eau, on plante. Ce n’est pas comme dans un entrepôt Amazon, mais il y a du monde ! Les autres employés sont presque tous équatoriens. Sauf un, roumain, avec qui je travaille en duo. Ce n’est pas l’ambiance des vendanges, faut pas rêver, mais ça se passe bien. Je ne me considère pas altruiste. J’ai pensé à mon autonomie financière. Mais, en ayant trouvé un autre travail, en continuant à consommer, je contribue à aider les agriculteurs et je participe à l’économie du pays. »

Matériaux, télétravail, espaces modulables… le bureau à l’heure du Covid-19

« PlayTime », de Jacques Tati (1967).
« PlayTime », de Jacques Tati (1967). Les Films de Mon Oncle – Specta Films CEPEC

« Si un lieu n’est pas pensé pour avoir une deuxième ou une troisième vie, c’est foutu d’avance. » L’architecte Patrick Rubin répond au téléphone au milieu des gravats, dans son petit hôtel du XVIIe siècle qui lui sert à la fois de logement, d’agence et de galerie, dans le quartier du Marais, à Paris. L’architecte – qui a autrefois installé dans un ancien garage hélicoïdal les locaux du journal Libération – met ainsi en pratique ce qu’il ne cesse, depuis, de théoriser : un lieu n’a pas une seule affectation, il doit être ­réversible. « Pourquoi construit-on des logements d’un côté et des bureaux de l’autre ? Pourquoi pas tout ensemble ? Un bâtiment doit être capable de muter à tout moment. »

Muter : c’est le défi qui semble ­attendre, à l’heure du Covid-19, les bureaux d’entreprises. A la poubelle, les open spaces qui ont fait le bonheur des « trente glorieuses » ? Exit le « flex office » (partage des bureaux), conçu pour améliorer l’utilisation des espaces qui, dans la plupart des entreprises, peinent à dépasser un taux d’occupation de 50 % ? Et quid des lieux de coworking, présentés hier comme la panacée, avec leurs canapés en partage, quand le coronavirus interdit aujourd’hui toute promiscuité ? Changement de paradigme : là où on réunissait, voilà que l’architecte est sommé de distancier.

« Là où on nous demandait autrefois un porte-parapluies, on nous réclame un distributeur de solution hydroalcoolique. » Robert Acouri, de La Manufacture du design

« Il y a trois pistes », affirme de sa voix au débit rapide Vincent Dubois, le directeur général d’Archimage, agence d’architecture spécialisée dans l’organisation des espaces de travail, chargé ­notamment du nouveau siège du Groupe Le Monde, à Paris. « La première concerne le toucher : pour ne plus effleurer les machines – ascenseurs, téléphones, photocopieuses –, on va chercher de plus en plus à leur parler. La deuxième, c’est le télétravail. Plus que jamais, le bureau sera avant tout un lieu d’échanges et de rencontres, et l’accent sera mis sur les ­stations de télé-présence permettant de reconstituer des salles de réunion aux quatre coins du monde. Enfin, pour ce qui concerne les bureaux mêmes, on va aller vers des aménagements à géométrie variable, avec par exemple une version hors crise à dix bureaux et une, pour temps de crise, à trois bureaux. »

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« Jusqu’ici, observe-t-il encore, on concevait les espaces pour ceux qui les utilisaient, pas pour ceux qui les entretenaient. Il va falloir s’adapter. » Adieu les joints creux, ces interstices entre deux matières, très élégants, mais nids à microbes. Bienvenues les patères pour accrocher son masque dans son sachet sous vide, les étagères pour poser les lingettes et les protections pour chaussures… « Là où on nous demandait autrefois un porte-parapluies, on nous réclame un distributeur de solution hydroalcoolique », résume Robert Acouri (La Manufacture du design), qui équipe les sièges sociaux d’Altarea-Cogedim et d’Hermès. Quel sera demain mon bien le plus ­précieux, s’interrogent ainsi ces designers, obligés de travailler dans l’urgence : est-ce mon clavier, avec lequel je vais désormais me déplacer ?

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« Open space » : la première fois que « Le Monde » l’a écrit

Les locaux déserts de la rédaction de « M Le magazine du Monde », le 20 mars 2020, à Paris.
Les locaux déserts de la rédaction de « M Le magazine du Monde », le 20 mars 2020, à Paris. Julie Balagué/Signatures

C’est l’une des rares critiques qu’on ne lui avait pas encore faite. Parce qu’il suppose la présence dans une pièce sans cloison de plusieurs dizaines de salariés, l’open space pourrait favoriser la propagation du Covid-19. De quoi redouter le déconfinement des salariés du tertiaire, majoritairement installés dans ce genre d’espace. Et, espèrent ses détracteurs, donner un coup d’arrêt à ce type d’organisation du travail.

Lorsqu’il fait son apparition dans Le Monde, le 8 mai 1971, l’open space porte aussi le joli nom de « bureau paysage ». « Mot devenu magique pour des milliers de citadins privés d’arbres et de pelouses et qui, accolé à n’importe quel autre, évoque espace, verdure et liberté », s’amuse Michèle Champenois, pas dupe : « Bureau paysage (…) Un mot dont la poésie cache une technicité un peu terne puisqu’il désigne tout simplement des bureaux non cloisonnés. Les Allemands qui ont inventé, dit-on, ce mode d’organisation, l’appellent “Grossroundbüro”, les Anglais et les Américains, qui l’utilisent beaucoup, “landscape” ou “openspace”. »

La journaliste met déjà en garde : « Que cherchent les chefs d’entreprise qui s’intéressent au bureau paysage ? Pas à gagner de la place en supprimant les couloirs inutiles, les coins perdus et les pièces mal commodes, car ils seraient déçus. Un bureau paysage bien conçu, affirment les spécialistes, ne doit pas être “plein comme un œuf”. Au contraire. La distance remplace les cloisons, et l’on se sépare de son voisin en s’en éloignant. Pas à économiser de l’argent, car celui qu’on gagne en se passant de murs et de portes doit être consacré à d’autres dépenses : climatisation et insonorisation sont indispensables. »

Il n’empêche : « L’aménagement des bureaux non cloisonnés est meilleur marché, assurent pourtant les ­installateurs, que celui des “cellules” classiques à confort égal. Simplement, en choisissant d’installer une centaine de personnes sur plus de mille mètres carrés, on doit prendre certaines précautions pour que la “vie communautaire” ne devienne pas l’enfer des “pools” de dactylos », prévient la journaliste.

Lieu d’enfermement

Après cet article précurseur, l’open space va disparaître des colonnes du Monde jusque dans les années 1990 : c’est seulement à ce moment-là qu’il commence vraiment à faire partie du paysage des salariés français. Le quartier de la Défense en est le symbole. Au retour de sa visite chez IBM, installé dans la tour Descartes, Philippe Godard constate le 24 octobre 1991 : « Plus répandu dans les entreprises anglo-saxonnes et nippones (y compris celles installées en France), l’open space rencontre de nombreux détracteurs… principalement chez les salariés qui acceptent mal de “devoir voir tout en étant vu”. Le débat est loin d’être clos. »

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Une conversion au télétravail plutôt réussie, selon une étude

Mis en place pour des millions de salariés depuis le début du confinement, le télétravail semble avoir le vent en poupe. C’est le principal enseignement d’une note diffusée, jeudi 30 avril, par le think tank Terra Nova. Elle s’appuie sur une enquête lancée par l’« agence conseil » Res Publica qui a permis de recueillir, durant les trois premières semaines d’avril, l’avis de quelque 1 860 personnes exerçant leur activité à distance : 58 % d’entre elles « souhaitent à l’avenir travailler plus souvent » de leur domicile.

Le but de l’étude est d’identifier les « bénéfices » et les « difficultés » d’une expérience « totalement inédite », provoquée par la crise liée à l’épidémie de Covid-19. A partir de la mi-mars, des salariés ont, du jour au lendemain, dû travailler depuis leur logement, « en improvisant de nouvelles manières de coopérer avec leurs collègues et de cohabiter avec leurs conjoint et enfants, tout en ayant un ordinateur sur les genoux et un téléphone à la main », comme le souligne la note.

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Ce changement soudain n’est pas toujours évident à affronter. D’abord parce que 42 % des sondés ne disposent pas d’un « espace de travail dédié » à la maison, si bien qu’ils accomplissent leurs tâches dans une pièce partagée avec leurs proches. Une telle situation peut s’avérer particulièrement « inconfortable » pour ceux qui vivent avec au moins deux autres personnes sous le même toit, ce qui est le cas d’un peu plus de deux tiers des répondants (près de 30 % d’entre eux ayant au moins un enfant de moins de 12 ans). En outre, une bonne partie des personnes interrogées (42 %) n’avaient jamais pratiqué leur métier de cette manière, jusqu’à présent.

Plus de difficultés pour les femmes et les personnes âgées

Malgré ces écueils, le constat est positif pour une très large majorité : les trois quarts des répondants disent, en effet, remplir leur mission « dans des conditions  “faciles” ou “très faciles” ». La plupart (75 %) affirment être familiarisés avec les « outils du travail à distance » et la quasi-totalité (88 %) « ont le sentiment d’être complètement ou partiellement équipés ».

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Ceux qui rencontrent des difficultés sont « un peu plus souvent » des femmes et des personnes âgées de 30 à 49 ans : les « perturbations sont d’autant plus probables pour [elles qu’elles] vivent plus souvent dans des foyers plus nombreux ». Les problèmes posés tiennent à la vie quotidienne : attention à accorder aux enfants, gestion des « charges domestiques ». Ils peuvent aussi résulter d’un équipement insuffisant et d’un manque d’expérience au télétravail. Sont ainsi mis en évidence les inconvénients, « voire les impossibilités », « d’un complet mélange » entre vie familiale et vie professionnelle.

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Plus de report de délai pour les ruptures conventionnelles

«  L’état d’urgence sanitaire ne constitue donc plus un frein à l’homologation des ruptures conventionnelles. »
«  L’état d’urgence sanitaire ne constitue donc plus un frein à l’homologation des ruptures conventionnelles. » Philippe Turpin / Photononstop

La rupture conventionnelle homologuée est un mode de rupture du contrat de travail très prisé dans le monde du travail, en raison de son caractère amiable, sans motif de rupture, avec une prise en charge du salarié par l’assurance-chômage. Un dispositif qui ne cesse de progresser depuis sa création, en 2008.

En février, 37 400 ruptures conventionnelles ont été homologuées, indique le ministère du travail. Mais l’état d’urgence sanitaire y avait mis un coup de frein, en modifiant les délais pour officialiser définitivement la rupture du contrat. Une nouvelle ordonnance et un décret publié le 26 avril viennent de changer la donne.

Interprétations différentes

En effet, d’une part, l’ordonnance no 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais, avait reporté le point de départ du délai de rétractation de quinze jours dont disposent les signataires d’une rupture conventionnelle. D’autre part, elle avait suspendu la durée maximale fixée à l’administration pour homologuer la rupture.

Ces changements ne concernaient que les délais qui auraient dû expirer entre le 12 mars et le 24 juin, soit un mois après la fin de l’état d’urgence, fixée au 24 mai, mais ils paralysaient ce mode de rupture du contrat de travail, en créant une nouvelle source d’insécurité juridique. En effet, les parties devaient-elles conclure un nouveau formulaire Cerfa de rupture conventionnelle, puisque la date d’expiration du délai de rétraction mentionnée n’était plus d’actualité ? En outre, la date de rupture envisagée sur ce Cerfa pouvait se révéler finalement antérieure à la date d’homologation.

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Parallèlement, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) chargées de l’homologation des ruptures conventionnelles n’avaient pas toujours la même interprétation des textes. Certaines Direccte acceptaient de continuer à homologuer les ruptures conventionnelles, tandis que d’autres appliquaient à la lettre les dispositions précitées de l’ordonnance du 25 mars 2020.

A compter du 27 avril

L’administration a tenté de pallier ces difficultés par une nouvelle ordonnance, n2020-427 du 15 avril 2020 : les dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 ne s’appliquaient finalement pas au délai de rétractation. L’ordonnance était cependant muette sur le délai dont dispose l’administration pour procéder à l’homologation. En l’état, ce texte ne résolvait pas définitivement la question.

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Coronavirus : la Société générale essuie une perte de 326 millions d’euros au premier trimestre

Première banque française à publier ses comptes trimestriels, la Société générale a affiché, jeudi 30 avril, une perte nette de 326 millions d’euros sur les trois premiers mois de 2020. Les résultats de l’établissement ont été affectés par le plongeon des marchés financiers et par une hausse de ses provisions pour risque de crédit non remboursé, la crise liée à la pandémie due au coronavirus faisant craindre des défauts de paiements en série. Le marché parisien a sanctionné ces résultats, le titre plongeant de 8,62 %, à 14,26 euros, à la clôture.

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Le groupe a avancé de six jours l’annonce de ses résultats « dans un environnement volatile, avec des rumeurs qui circulent », a déclaré son directeur général, Frédéric Oudéa, au cours d’une conférence de presse téléphonique.

Touchées de plein fouet par « la dislocation des marchés actions en mars », les activités de banque de financement et d’investissement (BFI) ont enregistré une perte de 537 millions d’euros sur le trimestre, contre un bénéfice de 140 millions un an plus tôt. Particulièrement touchées, les activités « actions » ont vu leur revenu chuter de 99 % entre janvier et mars, pour n’atteindre que 9 millions d’euros.

« Un matelas de sécurité élevé »

La dégradation des comptes de la Société générale s’explique, par ailleurs, par la flambée de ce que les banques appellent le « coût du risque », c’est-à-dire les provisions qu’elles doivent constituer pour faire face à des pertes, parce que de nombreux crédits souscrits par des entreprises et des professionnels ne pourront pas être remboursés. Au premier trimestre, ce coût du risque a été multiplié par trois, pour atteindre 820 millions d’euros. Pour l’ensemble de l’année 2020, le groupe bancaire estime que cette remontée brutale du coût du risque pèsera sur ses résultats à hauteur de 3,5 à 5 milliards d’euros (dans le scénario d’un arrêt prolongé de l’économie).

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« L’essentiel, et la bonne nouvelle, c’est que nous sommes entrés dans cette crise avec un matelas de sécurité élevé », a indiqué M. Oudéa, la banque disposant d’un ratio de solvabilité – qui mesure la solidité des banques – de 12,6 % au 31 mars. Le groupe table sur un ratio compris entre 11 % et 11,5 % à la fin 2020. Soit un niveau supérieur de 200 à 250 points de base de celui exigé par les superviseurs bancaires.

Dans ce contexte, la Société générale, qui enchaîne depuis plusieurs années les plans de restructuration, a annoncé, jeudi, « un effort additionnel de réduction des coûts de l’ordre de 600 à 700 millions d’euros en 2020 ». Mais la direction s’est engagée à ce qu’il s’opère sans réduction d’effectifs cette année.

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La récession en zone euro sera « de – 5 % à – 12 % » en 2020, selon Christine Lagarde

S’il y avait le moindre doute sur l’ampleur de la crise économique en cours, la Banque centrale européenne (BCE) et une série d’indicateurs économiques y ont mis fin, jeudi 30 avril. Christine Lagarde, la présidente de l’institution monétaire, prévoit une récession « entre – 5 % et – 12 % » pour la zone euro, en 2020. « La contraction est d’une magnitude et d’une vitesse sans précédent », a-t-elle expliqué, lors d’une conférence de presse donnée par vidéo.

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Au premier trimestre, le recul du produit intérieur brut (PIB) est effectivement historique, selon les données publiées jeudi : – 3,8 % dans la zone euro (le pire depuis la création de cette série statistique en 1995), dont – 5,8 % en France (le pire depuis la création de cette série statistique en 1949), – 5,2 % en Espagne, – 4,7 % en Italie… Ces chutes vertigineuses sont le résultat du confinement, qui n’a pourtant été imposé que graduellement courant mars. Le deuxième trimestre, avec un confinement presque complet de tous les pays sur l’ensemble du mois d’avril, sera bien pire : « les indicateurs pointent vers – 15 % d’un trimestre sur l’autre » pour la zone euro, a continué Mme Lagarde.

Dans le brouillard

Tous les signaux sont au rouge. « Au début, seuls certains secteurs étaient sévèrement affectés, a observé la présidente de la BCE. On parlait du tourisme, du transport, du divertissement… Et puis, graduellement, des secteurs entiers de l’économie ont été tout simplement fermés. Ca commence tout juste à se voir dans les statistiques, avec les premiers chiffres du premier trimestre. »

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Pour la suite, les indicateurs de la consommation sont « en chute libre », le marché du travail s’est « profondément détérioré », le déclin est visible « dans le secteur manufacturier mais aussi dans le secteur des services »… En Allemagne, a souligné Christine Lagarde – qui s’exprimait devant une salle de presse vide – 718 000 entreprises ont recours au chômage partiel. En France, 425 000 sociétés, couvrant plus de dix millions d’employés, sont concernées. En Italie, six millions de salariés sont dans la même situation.

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La présidente de la BCE a ajouté qu’elle est dans un brouillard complet sur la suite à attendre pour l’économie européenne. Combien de temps dureront les confinements ? L’épidémie due au coronavirus sera-t-elle contrôlée ? Les restaurants et les hôtels rouvriront-ils, et à quelle échéance ? Les consommateurs oseront-ils y retourner ? « Ca rend notre travail de prévision de l’économie extrêmement difficile », a-t-elle précisé.

L’incertitude est la même en ce qui concerne l’inflation, estimée par Eurostat à 0,4 % en avril en zone euro, contre 1,7 % un an plus tôt. Au premier abord, la région semble donc s’approcher de la déflation. Mais, derrière cette statistique, se cache une réalité très diverse. D’un côté, les prix de l’énergie s’effondrent, reflet d’un marché pétrolier qui a implosé ces dernières semaines. De l’autre, les prix alimentaires s’envolent (+ 3,6 %), en particulier pour les produits frais (« aliments non transformés »), qui flambent à + 7,7 %.

« Une pause »

Dans ces conditions catastrophiques, l’institution de Francfort n’a pas pris de grande mesure, ce jeudi, mais elle a affiché sa détermination à continuer à soutenir l’économie européenne. En mars, dans l’urgence, elle avait annoncé un « plan pandémie » consistant à acheter pour 750 milliards d’euros de dette des Etats jusqu’à la fin de l’année.

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Dans ce cadre, elle dépense environ 5 milliards d’euros par jour. A ce rythme, l’enveloppe sera épuisée à l’automne. La BCE a donc tenu à rassurer les marchés, se disant « tout à fait prête à augmenter la taille [du plan pandémie] et à ajuster sa composition, autant et aussi longtemps que nécessaire ».

Par ailleurs, la BCE a effectué l’équivalent d’une nouvelle baisse de son taux d’intérêt. Désormais, les banques qui augmentent leurs prêts auprès des entreprises, et en particulier des PME, pourront se financer à – 1 %, contre – 0,75 % jusqu’à présent. En clair, la Banque centrale les subventionne, à condition qu’elles fassent tourner l’économie. Cette mesure doit permettre aux établissements bancaires européens d’économiser environ 3 milliards d’euros, selon les calculs de Frederik Ducrozet, spécialiste de la BCE à Pictet, une banque privée.

Avec cette conférence de presse, l’institution monétaire « a marqué une pause », fait savoir Marchel Alexandrovich, économiste à la banque Jefferies. C’était attendu, l’annonce du plan pandémie en mars ayant permis de calmer les marchés. Ceux-ci tablent maintenant sur de nouvelles mesures d’ampleur lors de la réunion du mois de juin, peut-être avec une augmentation du plan pandémie à 1 000 milliards d’euros, voire plus. D’ici là, l’ampleur des conséquences économiques sera peut-être un peu plus claire.

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Cela laisse du temps aux Etats européens pour agir. Ces derniers demeurent en désaccord sur la possibilité de mutualiser une partie de leurs dettes, peut-être avec la création d’un fonds spécial en commun. « Une politique ambitieuse et coordonnée des Etats est essentielle », a rappelé Mme Lagarde, qui leur demande d’aller « plus loin ». Après l’intervention décisive de la BCE le mois dernier, la balle est désormais dans le camp des gouvernements européens.

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Appel à témoignages : télétravail, charge mentale, perte d’activité… mesdames, comment faites-vous face ?

La crise du Covid-19 et les mesures de confinements instaurées pour endiguer la pandémie exposent les femmes de façon singulière. Infirmières, aides-soignantes, caissières sur le terrain toute la journée et qui retrouvent les tâches domestiques le soir : racontez-nous votre quotidien.

Cadres, salariées, employées qui travaillent à domicile pendant le confinement, et probablement plusieurs semaines encore au-delà du 11 mai : comment conjuguer télétravail, école à la maison, tâches domestiques ? Est-ce l’occasion, pour le conjoint confiné, d’en faire plus ? Les témoignages de conjoints dans ce cas sont les bienvenus ! Comment ne pas frôler le burn-out ?

Toutes celles qui, dans la restauration, l’hôtellerie, le tourisme, la culture se retrouvent au chômage partiel ou sans activité pour un moment encore : comment faire face à ces problématiques ?

Racontez-nous votre quotidien, vos inquiétudes.

Votre témoignage, que nous lirons avec attention, pourra être utilisé dans le cadre d’un article à paraître dans Le Monde sur ce sujet. N’oubliez pas de mentionner un numéro de téléphone ainsi qu’une adresse électronique que vous consultez souvent : nous pourrions être amenés à vous contacter pour des précisions. Votre anonymat pourra être préservé si vous en faites la demande.