« On nous a vendu un rêve différent de la réalité » : de l’école à l’agence, les désillusions des jeunes architectes

« On nous a vendu un rêve différent de la réalité » : de l’école à l’agence, les désillusions des jeunes architectes

Feda Wardak, jeune architecte de 29 ans, a pris des chemins de traverse en créant son agence. Il pose ici en forêt de Bondy (Seine-Saint-Denis) où il réalise une installation qui interroge la « pression foncière » exercée sur les milieux naturels.

Chaque matin, Chloé (le prénom a été modifié) se rendait à l’agence comme si elle allait « à l’usine ». Assise sur sa chaise, à l’étage inférieur d’un gros cabinet parisien, la fraîchement diplômée en architecture répliquait la même mission à l’infini. Une semaine, elle dessinait des dizaines de portes sur un plan. L’autre elle s’occupait exclusivement de vues en coupes de bâtiment. Des « monotâches à la chaîne » confiées à un socle d’une trentaine de jeunes, bien éloignées de ses intenses et « passionnantes » études à l’Ecole nationale supérieure d’architecture (ENSA) Paris-Val-de-Seine.

« On faisait les petites mains. Quasiment que du redessin, raconte-t-elle. C’était très frustrant, après avoir passé cinq ans à apprendre à faire de la conception, à trouver une idée forte pour un territoire, un geste artistique. » Chloé n’en retrouvera rien pendant les deux ans qui suivent sa sortie d’école, malgré les horaires à rallonge qu’on lui demande de réaliser à l’agence, week-ends compris. « Je rentrais dans le bureau et je mettais mon cerveau sur pause », se souvient-elle.

Salaires au plancher

Nombre de jeunes diplômés en architecture sont saisis par cette forme de désillusion lors de leur entrée sur le marché du travail. « Ils se retrouvent dans une chaîne de production avec une activité assez segmentée, bien réduite par rapport à la vision globale du projet qu’on a pu leur inculquer pendant leurs études, observe Laura Brown, sociologue des professions à l’université de Bordeaux, architecte de formation. L’aspect création, central en école, se perd, avec l’impression souvent d’être de simples gratteurs de plan. Pour beaucoup, c’est la douche froide. »

A ces déceptions se combinent des salaires souvent bas, beaucoup démarrant au smic. Selon la dernière étude Archigraphie 2020 de l’ordre des architectes (à paraître courant décembre), le salaire moyen à temps plein s’élève à 2 000 euros net par mois après trois ans d’exercice. Pour un quart des jeunes architectes, il tombe à moins de 1 700 euros mensuels. « Il est rassurant de voir qu’ils sont 74 % à trouver un emploi dans les six mois, pointe Elizabeth Gossart, conseillère nationale de l’ordre des architectes. Mais il est vrai que c’est une profession à risque, précaire et soumise à une certaine instabilité. » Notamment en cette période marquée par le Covid-19, où les offres d’emploi ont chuté de moitié, indique le cabinet de recrutement ArchiBat RH.

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LJD

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