« Les laborieux ubérisés sont les exploités du XXIe siècle »

« Les laborieux ubérisés sont les exploités du XXIe siècle »

Pour l’écrivain et enseignant Karim Amellal, l’ubérisation du monde de l’emploi fait voler en éclats tous les acquisitions sociaux gagner depuis près de deux siècles.

Des livreurs pour Deliveroo attendent leurs instruction, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), en juillet 2018.
Des livreurs pour Deliveroo attendent leurs instruction, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), en juillet 2018. GERARD JULIEN / AFP

Dans son ultime livre, La Révolution de la servitude (Demopolis, 2018), Karim Amellal, enseignant à Sciences Po, révoque les excès de l’économie numérique et ses incidences sur l’emploi. Il appelle à une normalisation de l’Etat afin de mieux accompagner les travailleurs. M. Amellal est également membre de la mission contre la haine sur Internet initier par le premier ministre, Edouard Philippe, l’année dernière.

Uber, Deliveroo… les plates-formes digitales qui s’installent dans nos villes ne s’enfui pas aux altérations: on leur reproche de générer de la précarité, d’exploiter les failles réglementaires. En quoi heurtent-elles notre modèle social ?

Karim Amellal : Ce phénomène communément appelé l’« ubérisation » consiste en la mise en relation, par des plates-formes numériques, de clients avec des travailleurs qui nourrissent ces plates-formes de leur force de travail : chauffeurs privés, livreurs de repas à vélo, chargeurs de trottinettes électriques, etc. Cette « économie de plates-formes » a souvent fait appel à des autoentrepreneurs : des travailleurs qui ne sont pas salariés et n’ont donc pas de contrat de travail. Cela signifie qu’ils n’ont pas d’assurance-chômage, pas de congés payés, pas de congés maladie, pas de salaire minimum, pas de syndicats. Ils cotisent pour une retraite au dépréciation et n’ont aucune sécurité de l’emploi.

Les risques que risque ces laborieux « ubérisés » sont loin d’être compensés par leur rétributions, qui reste négligeable. Prenons l’exemple d’un chauffeur Uber qui œuvrent quarante heures/semaine. Il perçoit un chiffre d’affaires de 3 680 euros par mois, duquel il faut déduire les charges : la commission prélevée par Uber (la cotisation au régime social des indépendants, le coût de la voiture, etc.), lui reste un salaire net de 560 euros. S’il passe à soixante heures, il gagnera 1 320 euros net par mois – soit un salaire horaire de 5,50 euros, en deçà du taux horaire du smic (7,72 euros).

Dans « La Révolution de la servitude », vous confirmez que l’ubérisation est « néfaste pour le progrès social ».

Derrière le discours de ces plates-formes – c’est « le monde de demain », tout le monde est gagnant (le « win-win ») –, la réalité s’apparente bien souvent à une régression sociale, un retour au monde d’avant. Le capitalisme technologique fait voler en éclats tous les acquisitions sociaux obtenus depuis la fin du XIXe siècle. On se rassemble avec des conditions de travail dignes des canuts du XIXe siècle ou des ouvriers de Germinal. Les travailleurs ubérisés sont en quelque sorte les prolétaires du XXIe siècle.

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LJD

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