Dominique Méda : « Le lien entre mutations de l’emploi et sens du vote est trop souvent ignoré »

Dominique Méda : « Le lien entre mutations de l’emploi et sens du vote est trop souvent ignoré »

Les mauvais emplois ou l’absence d’emplois ont non seulement un coût social, mais expliquent aussi la montée du populisme, détaille la sociologue dans sa chronique.

Publié aujourd’hui à 05h00 Temps de Lecture 4 min.

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Dans une usine de fabrication de bobines de fibre de verre, à Jiujiang (Chine), le 15 juillet.
Dans une usine de fabrication de bobines de fibre de verre, à Jiujiang (Chine), le 15 juillet. CHINATOPIX VIA AP

Les transformations de l’emploi expliquent-elles, au moins partiellement, les résultats des élections ? Plusieurs études américaines récentes fournissent de solides arguments à l’appui de cette thèse.

Dans l’étude « Importing Political Polarization ? The Electoral Consequences of Rising Trade Exposure », David Autor, David Dorn, Gordon Hanson et Kaveh Majlesi analysent l’effet de la pénétration des importations chinoises dans les Etats américains. Prenant en considération les résultats des élections législatives de 2002 et 2010 et des élections présidentielles de 2000, 2008 et 2016 dans 2 976 comtés, ils se donnent les moyens de comparer deux époques – avant et après l’intégration de la Chine dans le commerce mondial – et de mettre ainsi en évidence l’effet spécifique de celle-ci sur les comtés où les industries et les emplois ont été touchés. Ils constatent que, dans les comtés qui étaient les plus exposés à la concurrence chinoise, les Républicains ont gagné des votes et que les candidats les plus modérés ont été exclus au profit des extrêmes. Les auteurs calculent même que, si la pénétration des importations chinoises avait été de moitié moins élevée, le Michigan, le Wisconsin, la Pennsylvanie et la Caroline du Nord auraient élu la candidate démocrate à la place de Donald Trump.

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L’étude s’appuie sur des travaux antérieurs qui ont mis en évidence que, contrairement à ce que défend la théorie économique mainstream, l’idée d’une destruction créatrice facilitée par la mobilité des travailleurs ne tient pas : les ajustements ont au contraire été très lents, et la pénétration croissante des importations en provenance de pays à bas salaires a pesé de manière disproportionnée sur les marchés du travail locaux historiquement spécialisés dans des productions à forte intensité de main-d’œuvre. Dans les comtés particulièrement concernés par les importations chinoises, de nombreux travailleurs, loin de trouver un nouvel emploi dans des secteurs mieux payés, ont tout simplement perdu leur emploi, en ont obtenu de moins bonne qualité ou ont connu des baisses de salaire.

Ces robots qui ont fait élire Trump

Une autre étude parvient à des résultats identiques en analysant l’effet de la robotisation : dans « Political Machinery : Did Robots Swing the 2016 US Presidential Election ? », Carl Benedikt Frey, Thor Berger et Chinchih Chen analysent la pénétration des robots dans les différentes circonscriptions électorales pour déterminer si les secteurs les plus exposés à l’automatisation dans les années précédant les élections de 2016 ont été ou non plus favorables au vote en faveur de Trump. Ils mettent en évidence un lien positif, qui s’explique par le fait que la robotisation s’est accompagnée de pertes d’emplois massives ou de fortes baisses de salaire et/ou de qualité d’emploi et calculent, comme les auteurs de l’étude précédente et en utilisant la même méthode, que le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie – les Etats où la lutte a été la plus âpre entre les deux candidats – auraient voté en faveur de Hillary Clinton si le nombre de robots n’avait pas augmenté.

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LJD

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