Rachel Picard, la « Mme Oui » du TGV
« Oui au confort », « Oui à l’avenir », « Oui à la performance », « Oui à InOui »… Les slogans s’affichent en format XXL, accompagnés d’immenses photos de cheminots face aux TGV en révision. Nous sommes au centre technique SNCF du Landy, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), au nord de Paris. Suivie par une poignée de cadres – les dirigeants du lieu –, une manageuse en tenue de sécurité découvre, avec une évidente satisfaction, la campagne de communication interne. Elle se tourne vers son voisin, visiteur, pour la première fois, du technicentre. Petit clin d’œil. Vif éclat de rire. « Pas mal, non ? »
Cette femme, c’est Rachel Picard, 52 ans. C’est elle qui a mis du « oui » partout dans la vie de la SNCF, de ses agents, de ses clients. La directrice générale de la branche Voyages a la haute main sur les TGV haut de gamme InOui (elle a créé le concept). Mais aussi sur les Ouigo à petit prix, qui sont désormais au départ de la gare de Lyon, depuis le 9 décembre. C’est encore elle qui dirige le site Oui.sncf, l’ancien Voyages-sncf.com, dont elle a changé le nom en 2017. C’est elle – toujours – qui, le 12 novembre, vient de vendre Ouibus, la filiale « cars Macron » de la SNCF, à Blablacar. Ouibus, ancien iDBUS, qu’elle avait rebaptisé – on serait tenté d’inventer le mot « ouisé » –, en 2015.
Surprenante « Mme Oui », dotée d’une personnalité bien à elle. Car il y a un « style Rachel » (tout le monde l’appelle comme cela à la SNCF) : une propension aux clins d’œil complices et aux rires sonores, des tenues colorées qui font un peu jaser, une apparence « décontractée ». Mais qu’on ne s’y trompe pas : Rachel Picard est bien une patronne dotée d’une détermination sans failles. « Il y a en elle un alliage entre une extrême sensibilité et une énorme rigueur, ajoute le président de la SNCF, Guillaume Pepy. Avec Rachel, les chiffres sont les chiffres. »
Les chiffres, justement, Mme Picard va les scruter attentivement dans les jours qui viennent. A partir de la fin de la semaine du 17 au 23 décembre, Voyages SNCF – autrement dit, les trains longue distance, TGV et Intercités – va connaître l’un de ses pics critiques. C’est même le branle-bas de combat. Du 21 décembre au 6 janvier 2019, la branche Voyages va transporter 7,6 millions de personnes, soit 3 % de plus qu’en 2017,et faire circuler quelque 15 700 trains.
Les représentants du personnel n’ont pas été ébahi en raison de la cure d’économies assujetti par le gouvernement à l’ensemble de l’audiovisuel public, dont France Télévisions – qui dispose de 2,5 milliards d’euros d’argents publiques – assume la plus grande part : 160 millions en moins d’ici à 2022. L’effort financier réel devrait se situer plutôt aux alentours de 350 millions si l’on prend en compte le glissement naturel des charges et l’obligation imposée par la tutelle d’investir dans le numérique.
« Faire partir les seniors »
Ce qui est récent, c’est la solution retenue. Mme Ernotte a en effet expliqué au Comité social et économique central (CSEC), la plus haute instance représentative du personnel, vouloir recourir à un plan de départs sous forme d’une rupture conventionnelle collective (RCC). Cette procédure, créée par les ordonnances Macron ayant réformé le code du travail en 2017, permet à une entreprise de négocier des plans de départs volontaires sans justifier de difficultés économiques.
Ce plan sera financé, a assuré aux représentants syndicaux Delphine Ernotte. « On aura les moyens », explique-t-on à France Télévisions. Le gouvernement a donc donné son accord, mais aucun détail n’est fourni pour le moment. Les deux derniers plans de départs volontaires dans l’entreprise publique remontent à 2009-2012 et 2014-2015. Ils avaient coûté respectivement 27,5 millions d’euros et 28 millions, et conduit à 696 et 305 départs, soit près de 40 000 euros par personne pour le premier et plus de 90 000 pour le second, selon un rapport de la Cour des comptes d’octobre 2016. Mais cela n’avait guère permis de rajeunir l’effectif de l’entreprise, où l’âge moyen est de 49 ans, souligne ce rapport.
D’après Arnaud Lesaunier, directeur général délégué des ressources humaines de France Télévisions, il s’agit cette fois à la fois de diminuer les effectifs, mais aussi de permettre « une mixité sociale et générationnelle dans l’entreprise ». Actuellement, la pyramide des âges à France Télévisions ressemble à une toupie affûtée : la moitié des effectifs a 50 ans ou plus, à peine 3 % ont 30 ans ou moins. « Il y a à la fois une ambition de transformation, sinon on ne sera pas au rendez-vous, et dans le même temps nous avons des économies à réaliser », explique-t-il. Marc Chauvelot, délégué syndical central CGT, y voit une résolution de « faire partir les seniors et embaucher des jeunes formés au numérique dans une vision productiviste ».
« Ambition sur le numérique »
Là non plus, aucun chiffre n’est annoncé du côté de la direction. M. Chauvelot évoque 2 000 départs et 1 000 embauches, soit un déficit net de 1 000 pour un effectif total de 9 600 employés à temps plein, dont 8 400 permanents. Des chiffres que M. Lesaunier refuse de confirmer ou de démentir : « On les réserve aux organisations syndicales. » Mme Ernotte a également annoncé son intention de réviser l’accord collectif signé en mai 2013.
Dans une motion, les élus du CSEC ont dénoncé une « restructuration de grande ampleur ». Pour Serge Cimino, délégué SNJ, se met en place « un modèle low cost qui sous couvert d’une ambition sur le numérique se résume à une question de maîtrise des coûts ». Delphine Ernotte insiste, elle, sur le mot « transformation »et sur le dialogue social. Aucun départ ne sera contraint, affirme-t-elle. Il s’agit, détaille M. Lesaunier, à la fois d’accompagner ceux qui voudront partir, de garder les « talents » parmi les non permanents et d’en recruter de nouveaux, bref de préparer l’entreprise pour demain. « Nous avons besoin de compétences portées par toutes les générations », souligne-t-il. Car, plus généralement, « un plan de formation et d’accompagnement à la transformation sera mis en œuvre », insiste-t-il. « C’est un moment nécessaire, mais il faut qu’on en fasse un moment utile en dialoguant avec les organisations syndicales », insiste M. Lesaunier.
Les échanges vont commencer début janvier. Un RCC doit obtenir un accord majoritaire au sein des syndicats représentatifs (CGT, FO, CFDT et SNJ). Dans leur motion, les syndicats ont fait front uni et ont d’ores et déjà annoncé refuser « un nouveau plan de suppression de postes, s’ajoutant à ceux en cours ». Le paquebot France Télévisions est entré sur une mer agitée.