Coronavirus : le gouvernement français étend le dispositif de chômage partiel

Le premier ministre français, Edouard Philippe, lors d’une conférence de presse à Paris, le 28 mars, au douzième jour du confinement décrété par les autorités pour enrayer la pandémie de Covid-19.
Le premier ministre français, Edouard Philippe, lors d’une conférence de presse à Paris, le 28 mars, au douzième jour du confinement décrété par les autorités pour enrayer la pandémie de Covid-19. GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Une fois de plus, l’Allemagne est citée en exemple. Si le gouvernement d’Edouard Philippe cherche à faciliter le chômage partiel dans les entreprises, c’est, dit-il, parce que nos voisins ont démontré l’efficacité du remède en période de crise. Outre-Rhin, les employeurs avaient mis en place des mesures de ce type, en 2008-2009, en particulier dans les industries exportatrices de biens manufacturés. Elles avaient, du même coup, conservé leur main-d’œuvre et s’étaient relancées « plus vite », alors que le produit intérieur brut avait baissé plus fortement qu’en France, argumente-t-on dans l’entourage de Muriel Pénicaud, la ministre du travail.

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L’exécutif entend aujourd’hui s’inscrire dans cette même logique de préservation des compétences, menacées par la récession consécutive à la pandémie de Covid-19. Une ordonnance publiée au Journal officiel du samedi 28 mars contient plusieurs dispositions « exceptionnelles et temporaires » qui cherchent à « limiter les ruptures des contrats de travail (…) en renforçant le recours à l’activité partielle », le terme officiel pour désigner le dispositif. Ce dernier permet à des sociétés en proie à des difficultés passagères de ralentir ou de stopper leur production, moyennant une aide financée par l’Etat et par l’assurance-chômage pour couvrir une partie des rémunérations du personnel.

Entreprises mieux soutenues

Le système sera ouvert aux employés à domicile, aux assistantes maternelles ainsi qu’aux VRP et aux salariés dont le temps de travail est décompté en jours et non pas en heures. De même, les agents des « entreprises publiques qui s’assurent elles-mêmes contre le risque de chômage » y seront éligibles (RATP, SNCF).

Le texte prévoit aussi d’étendre momentanément la mesure aux « entreprises étrangères » qui n’ont pas d’établissement dans l’Hexagone et qui emploient au moins une personne « effectuant son activité sur le territoire national ». A une condition : elles doivent relever du système de Sécurité sociale tricolore. Parmi les bénéficiaires, il y a notamment la compagnie aérienne britannique easyJet et ses quelque 1 700 salariés sous contrat français, d’après Mme Pénicaud.

Des améliorations sont par ailleurs apportées, notamment pour les travailleurs à temps partiel : ainsi, ceux qui sont à mi-temps au salaire minimum percevront 100 % de la moitié du smic (et non pas 84 % comme aujourd’hui). Les entreprises sont également mieux soutenues puisque l’allocation qui leur est versée couvre la totalité de la rémunération de leur salarié, dans la limite de 4,5 smic (un peu plus de 4 800 euros net par mois). « C’est nettement plus favorable que la prise en charge forfaitaire de droit commun », se réjouit le directeur des affaires sociales d’un grand groupe. Avec l’ensemble de ces règles, le ministère du travail assure avoir instauré le régime de chômage partiel « le plus protecteur d’Europe ».

Coronavirus : le recours au chômage partiel vire parfois au casse-tête

Le BTP est un des secteurs les plus concernés par le chômage partiel. Ici, le 27 mars, à Paris.
Le BTP est un des secteurs les plus concernés par le chômage partiel. Ici, le 27 mars, à Paris. ISA HARSIN/SIPA / ISA HARSIN/SIPA

Stéfany Guessard ne décolère pas. A la tête d’un institut de beauté près de Lille, cette chef d’entreprise de 43 ans bataille depuis plus d’une semaine pour faire passer ses deux salariées au chômage partiel. Dès le 13 mars, devant l’avalanche de rendez-vous annulés par des clientes, elle s’était rendue sur la plate-forme numérique prévue à cet effet par le ministère du travail pour créer son espace personnel et engager les démarches. Mais faute de s’être vu communiquer des codes – sésame indispensable –, elle n’a pas pu aller plus loin.

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Elle a frappé à toutes les portes, multipliant les coups de fil au service d’assistance téléphonique et les courriels à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) – l’administration qui instruit sa demande. Quand elle a fini par recevoir une réponse, on l’a renvoyée vers d’autres interlocuteurs. Dimanche 29 mars, sa situation n’avait toujours pas été débloquée. « Personne n’est capable de me trouver une solution, se désespère-t-elle. On se retrouve quand même très seuls. Et vu le nombre de demandes, le robinet va se fermer : premiers arrivés, premiers servis… »

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Son cas illustre les tourments rencontrés par des employeurs pour bénéficier de « l’activité partielle ». Ce dispositif, plus communément appelé « chômage partiel » ou « chômage technique », est l’une des armes que les pouvoirs publics ont dégainée afin d’amortir la crise déclenchée par l’épidémie de Covid-19. Il permet à des sociétés, confrontées à des difficultés passagères, de ralentir ou d’interrompre leur production. La rémunération du personnel est partiellement prise en charge par une allocation, financée par l’Etat et par l’Unédic, l’association paritaire qui gère le régime d’indemnisation des demandeurs d’emploi.

Vendredi soir, quelque 220 000 sociétés, employant au total 2,2 millions de salariés, s’étaient manifestées

Une série de mesures viennent d’être édictées pour que ce système de soutien soit, provisoirement, plus généreux et étendu à des catégories qui n’y étaient pas éligibles jusqu’à présent. Concrètement, le salarié reçoit 84 % de son salaire net (parfois l’intégralité, si sa direction en décide ainsi) et l’employeur est dédommagé à 100 %, dans la limite de 4,5 smic. « Le but du chômage partiel, qu’on utilise massivement, c’est d’éviter les licenciements », a rappelé, dimanche, la ministre du travail, Muriel Pénicaud. Il s’agit d’« éviter la casse sociale » tout en veillant à ce que les entreprises puissent, « demain, (…) repartir avec leurs compétences ».

Coronavirus : les salariés de PSA hostiles à une réouverture rapide des usines

Entrée principale de l’usine PSA de Mulhouse, à Sausheim (Haut-Rhin), le 16 mars.
Entrée principale de l’usine PSA de Mulhouse, à Sausheim (Haut-Rhin), le 16 mars. SEBASTIEN BOZON / AFP

L’information s’était répandue, vendredi 27 mars dans l’après-midi, comme une traînée de poudre : malgré la progression de la pandémie de Covid-19, PSA allait rouvrir ses usines dans les plus brefs délais. Le groupe automobile, qui avait fermé ses sites industriels deux semaines auparavant, venait de publier un communiqué indiquant qu’il mettait en place « des mesures sanitaires renforcées afin de créer les conditions d’une reprise d’activité sécurisée et progressive ».

Au même moment, dans au moins deux usines françaises du groupe, à Valenciennes (Nord, boîtes de vitesses) et à Douvrin (Pas-de-Calais, moteurs), étaient évoquées en comité social et économique (CSE) non seulement les mesures à mettre en place (port de masque, distances de sécurité, nettoyage…), mais aussi une reprise dès la semaine du 30 mars, en effectif réduit.

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La réaction syndicale ne s’est pas fait attendre : un rejet franc et massif du principe de reprise rapide, venu y compris des organisations les plus enclines à rechercher le compromis. « La reprise d’activité ne pourra s’envisager qu’après le pic de l’épidémie dans notre pays » a déclaré FO, première organisation syndicale du Groupe PSA, dans un communiqué diffusé le 27 mars.

La CFTC (troisième syndicat), au ton habituellement modéré, a adressé, lundi 30 mars, un courrier à Carlos Tavares, le président de PSA, dans lequel Franck Don, le délégué central PSA du syndicat chrétien, ne mâche pas ses mots. « Il est hors de question de demander aujourd’hui aux salariés de PSA de sortir de chez eux, alors que le gouvernement vient de prolonger la période de confinement », déclare M. Don dans cette missive, que Le Monde a pu consulter.

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« Pour envisager une reprise d’activité, même progressive, deux conditions au minimum devront être réunies, poursuit le syndicaliste. Le pic de l’épidémie sera derrière nous et les soignants français bénéficieront du matériel de protection nécessaire à l’exercice de leur activité. Il n’est pas question que PSA utilise pour ses propres besoins des masques, des blouses, des lunettes de protection, alors que médecins, infirmières, policiers ne peuvent en bénéficier en nombre suffisant. Ces conditions étant encore loin d’être remplies, il serait indécent de parler de reprise d’activité. »

Scepticisme

Face au front syndical, PSA a amorcé un rétropédalage en souplesse, affirmant qu’aucune date de réouverture n’était définie nulle part. « On met en place le protocole sanitaire renforcé dans nos usines sans production, avec par exemple la pose de marquages au sol, puis on fait un audit, détaille un porte-parole de l’entreprise. Il s’agit d’anticiper afin d’être prêt le jour venu. Le redémarrage sera décidé avec nos partenaires sociaux. »

Le groupe français n’est pas le seul à piaffer d’impatience, tant l’immobilisation des usines engloutit les précieuses réserves de trésorerie des entreprises. Aux Etats-Unis, où le pic épidémique est loin d’être atteint, Ford, Fiat Chrysler, Honda et Toyota ont pris des mesures dès le jeudi 26 mars pour redémarrer leurs usines nord-américaines au début ou à la mi-avril.

En France, le rival de PSA, le groupe Renault, adopte une stratégie assez différente, consistant à réduire encore un peu plus l’activité

Ford, en particulier, a déclaré vouloir rouvrir cinq usines de montage entre le 6 avril et le 14 avril. Une décision, là-bas aussi, accueillie avec scepticisme par le puissant syndicat automobile United Auto Workers (UAW). « Avant de mettre en place un quelconque plan de reprise dans une usine, la direction devrait se demander : “Voudrais-je y envoyer mon propre fils ou ma propre fille ?” », a déclaré Rory Gamble, le président de l’UAW.

En France, le rival de PSA, le groupe Renault, adopte une stratégie assez différente, consistant à réduire encore un peu plus l’activité, alors que l’ensemble de ses usines françaises sont à l’arrêt depuis le 16 mars. A partir du lundi 30 mars, une grande partie des salariés en Ile-de-France (les activités liées au siège et à la recherche et développement qui étaient jusqu’alors en télétravail à temps plein) passent en activité partielle à 50 % sur une plage limitée au matin. « Les personnes dont l’activité le nécessite continueront à travailler à temps plein », souligne l’entreprise.

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Renault fait par ailleurs savoir que des négociations ont été ouvertes avec les organisations syndicales pour la mise en place d’un « contrat de solidarité et d’avenir », qui vise à transformer une partie des congés des salariés en rémunération et à « ajuster » les augmentations salariales. Des mesures analogues à celles prises lors de la crise de 2008-2009.

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« Comment continuer à se former en temps de crise épidémiologique ? »

Tribune. Nous vivons en régime de coronavirus. Avec un premier souci évident : celui de notre santé individuelle et collective, en se donnant les pleins moyens de prévenir, de protéger, de guérir. Pas question toutefois de renoncer à vivre face à un fléau de ce type, mais plutôt de chercher à vivre différemment, en mode adapté. Certaines missions, certes non vitales, n’en restent pas moins essentielles. C’est bien le cas de la formation, qui est à la source de l’épanouissement personnel et social. La fermeture des établissements scolaires pose clairement la question : comment continuer à se former en temps de crise épidémiologique ?

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Et si on apprenait dans les difficultés ? Et si le virus nous incitait à changer non seulement nos habitudes quotidiennes mais aussi notre manière de porter un certain nombre de grandes missions ? Car former autrement est possible, même nécessaire dans certains cas. D’autant que des solutions existent, éprouvées, qui fonctionnent parfaitement. Je pense, bien entendu, en premier lieu, à la formation à distance. C’est là l’alternative à privilégier pour concilier continuité de la mission de service public et respect des consignes de protection de nos concitoyennes et de nos concitoyens, la lutte contre la pandémie limitant drastiquement circulations et échanges.

Investir dans les infrastructures, une priorité

Le coronavirus doit nous servir d’électrochoc. Il doit nous pousser à avancer plus vite, plus loin et faire de la France un pays pionnier, voire exemplaire, pour la formation ouverte et à distance (FOAD). Cela suppose un engagement sans faille et une convergence de tous les efforts. A commencer bien sûr par la question des « tuyaux » : investir dans les infrastructures doit rester la priorité pour laquelle Etat et collectivités territoriales se mobilisent déjà. La généralisation du haut et du très haut débit sur l’ensemble du territoire est un impératif absolu.

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Si la qualité de la transmission est majeure, le contenu l’est au moins autant. Beaucoup de ressources numériques existent, peut-être trop. Il est désormais essentiel qu’elles s’appuient sur un parcours pédagogique clairement identifiable. Il est nécessaire que leur qualité soit garantie et leur accessibilité facilitée, notamment en matière financière. Un pays comme la France doit se retrouver dans une offre pédagogique digitale de tout premier plan, en mesure de suppléer temporairement à l’indispensable médiation enseignante, y compris, d’ailleurs, en proposant des échanges interactifs à distance entre apprenants et formateurs. C’est un point important.

Coronavirus : Chanel renonce au recours au chômage partiel

Chanel n’aura pas recours aux deniers publics. Après Danone, c’est au tour de la marque de luxe d’annoncer qu’elle maintiendra à 100 % les salaires de ses 8 500 employés en France « pendant 40 jours ouvrables, pour une période de 8 semaines, du 16 mars au 8 mai ».

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« Cette décision relève de notre plan de solidarité responsable. Car l’Etat français va avoir d’autres priorités. Il lui faudra venir au secours d’entreprises en difficultés », explique au Monde Bruno Pavlovsky, président de Chanel SAS. Renoncer au recours au chômage partiel pour une durée de deux mois porte sur un montant de « plusieurs dizaines de millions d’euros », estime le dirigeant.

Le groupe, dont les ventes ont atteint 9,91 milliards d’euros en 2018, a fermé, début mars, toutes ses usines en Europe et notamment en France, où il emploie 7 500 personnes. Près des deux tiers des boutiques Chanel – la marque en exploite plus de 200 dans le monde pour y vendre ses collections de mode – sont également bouclées. Le fabricant est aussi confronté à la fermeture des grands magasins et des parfumeries où, d’habitude, il distribue ses gammes de maquillage, soins et parfums. Et, à en croire M. Pavlosky, le nombre de points de vente ouverts pourrait encore diminuer compte tenu des mesures de confinement « en cours d’adoption au Japon, en Australie, en Russie ou en Thaïlande ».

Faire face à « cette situation historique »

Pour faire face à « cette situation historique », l’entreprise, qui emploie 27 000 personnes dans le monde, puisera dans sa trésorerie. La société a dégagé un cash-flow libre opérationnel d’1,93 milliard d’euros en 2018.

M. Pavlovsky estime que Chanel devra apporter une « attention toute particulière à ses partenaires », à savoir ses fournisseurs, « afin d’être en mesure de repartir » lors du retour à la normale de l’économie et d’honorer les commandes « sur la deuxième partie de l’année 2020 ».

Des mesures de réduction de coûts seront adoptées chez Chanel

L’impact de la crise induite par l’épidémie de coronavirus devrait se chiffrer « en plusieurs dizaines de millions d’euros » dans les comptes de Chanel, juge le dirigeant, compte tenu d’une « forte réduction de chiffre d’affaires comprise entre 15 % à 20 % au cours de l’exercice 2020 ». Faute de « visibilité », le président de Chanel SAS prédit que cette chute pourrait même être plus importante. Ses estimations rejoignent celles esquissées par Kering. Le groupe qui détient, notamment, Gucci, Saint-Laurent et Bottega Veneta a dévoilé, le 20 mars, que son chiffre d’affaires sera en recul de l’ordre de 15 % en données comparables, au premier trimestre de l’exercice 2020.

Des mesures de réduction de coûts seront adoptées chez Chanel. La marque a renoncé à l’organisation du défilé de sa collection dite « croisière » prévue sur l’île de Capri, en Italie, en mai. Et ses modèles haute-couture ne défileront pas nons plus en juillet à Paris. La Fédération de la Haute-Couture et de la Mode a annoncé, vendredi 27 mars, son report. « Dans les trois mois qui viennent, il nous faut imaginer une autre façon de présenter nos collections que les défilés », prévient M. Pavlovsky, en rappelant combien les rassemblements seront cet été toujours sujets à caution.

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Coronavirus : « Le passage du télétravail occasionnel au télétravail généralisé en fait apparaître les limites »

Tribune. Le Covid-19 n’est sans doute pas une épidémie majeure, comparée au choléra (100 000 morts par an) ou au sida (un million de morts par an). Mais elle est exceptionnelle par les mesures de prévention qu’elle suscite, tel le confinement de plusieurs milliards de personnes, qui illustre cette formidable capacité de l’être humain – Homo technologicus depuis 3,3 millions d’années – à s’adapter rapidement à une situation nouvelle.

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En ce temps de confinement, les objets informatiques sont ainsi, à nouveau, à la fois la pire et la meilleure des choses. La pire, quand ils permettent de surveiller les mouvements des malades à travers ceux de leurs téléphones mobiles. La meilleure, quand ils nous permettent de rester en contact avec nos familles, nos amis et nos environnements professionnels. Se confiner sans aucune communication avec les autres serait inhumain et sans doute impossible.

Un enseignant peut corriger ses copies au café, une avocate y rédiger sa plaidoirie, alors que le mineur ne peut travailler que dans une mine

Ainsi le confinement n’est pas, pour la plupart d’entre nous, un moment où, miraculeusement libérés de toute obligation, nous pourrions retrouver « le sens de l’essentiel ». C’est un moment où nous cherchons à faire face à nos responsabilités professionnelles d’une manière nouvelle, notamment par le télétravail. Ce télétravail n’est certes pas nouveau, mais le confinement actuel nous mène à l’expérimenter, pour la première fois, à grande échelle et nous permet d’évaluer la robustesse de nos discours à son propos, quand ils sont confrontés à la réalité.

Matériel et immatériel

Ces discours reposent sur l’observation que nous brassons désormais beaucoup plus d’information que de matière : il y a aujourd’hui beaucoup plus d’avocats ou d’enseignants que de paysans ou de mineurs. Or ce travail de l’information peut s’effectuer n’importe où. Un enseignant peut corriger ses copies au café, une avocate y rédiger sa plaidoirie, alors que le mineur ne peut travailler que dans une mine. Ainsi, le travail de l’information remplaçant peu à peu celui de la matière, le lien historique entre les concepts de travail et d’espace se défait : nous n’avons plus besoin d’espace de travail.

Pour l’essentiel, ce discours semble résister à l’épreuve de la réalité : depuis deux semaines, des millions de personnes rendent des services, produisent des contenus, organisent des réunions, des cours, etc. depuis chez elles. Mais ce passage du télétravail occasionnel au télétravail généralisé en fait apparaître certaines limites.

Coronavirus : « On ne peut pas compter sur le personnel hospitalier tout en continuant à le traiter de haut »

Tribune. Malgré l’indigence des autorités, incapables de fournir à temps des lits et des masques au lieu de beaux discours ; malgré la menace de la maladie, et la fatigue accumulée antérieurement du fait d’un travail notoirement sous pression ; malgré les démissions, le turnover, le manque d’infirmiers, voire de médecins, les personnels hospitaliers font face. Avec notre soutien admiratif.

Ont-ils le choix ? Oui et non. Dans sept enquêtes sur les relations de travail à l’hôpital, j’ai pu appréhender les dynamiques de l’engagement au travail, au cours de centaines d’entretiens. D’un côté, c’est leur travail et leur devoir à la fois, puisque leur travail consiste à prendre soin d’autrui soit directement, pour les soignants, soit indirectement, au moyen des supports logistiques, administratifs et techniques. Et, d’un autre côté, ce n’est pas parce que l’on est un agent hospitalier qu’on ne peut pas avoir de faiblesses, vouloir parfois se faire tout petit et laisser passer son tour.

Des soignants habitués à prendre sur eux

Les infirmières estiment volontiers que la moitié « seulement » d’entre elles sont très compétentes. C’est évidemment le discours de personnels exigeants, qui ne supportent pas, avec raison, les négligences, et encore moins la maltraitance. Mais c’est aussi un score remarquable : si la moitié des élèves d’une classe pouvaient se vanter d’être très bons…

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D’ordinaire, l’engagement des personnels ne varie pas seulement selon la vocation individuelle, mais aussi selon l’unité considérée, autrement dit selon l’ambiance de travail du service. Comme dans une cité HLM, où la moindre vitre cassée donne un mauvais signal, il suffit d’un ou d’une cadre autoritaire, d’un médecin mégalo ou d’une paire de soignantes tyranniques pour gâcher l’ambiance. Les collectifs solidaires sont plutôt rares. Victimes du rythme productiviste et d’un imaginaire individualiste, les soignants sont habitués à prendre sur eux personnellement, voire à jouer au « super infirmier » au risque de l’épuisement individuel, plutôt qu’à tabler sur des ressorts collectifs. D’ailleurs les collectifs, on ne sait pas comment les construire, tout ce que l’on peut faire, c’est éviter de les détruire.

Marqués par la « révolution sida »

Cette collaboration au travail ordinaire, inégale selon le service, l’équipe, voire le binôme, ce sont aussi ces grandes épidémies extraordinaires qui l’animent. Ainsi, on se souvient encore, dans les services infectieux, de ce que les soignants ont nommé « la révolution sida ». Face à l’inconnu et au danger, on avait besoin de tout le monde. La hiérarchie, si prégnante d’habitude, s’efface au profit du coude-à-coude. C’est banal à dire, ça l’est moins à vivre. Comme des membres de commandos au clair de lune ou des « camarades » soudés dans la Résistance, les membres des services infectieux furent marqués à vie par leur expérience de travail solidaire. Gageons qu’il en ira de même après cette catastrophe sanitaire, après le désarroi face à la mort répétée de patients isolés.

Coronavirus : « Le gouvernement ne se rend pas compte de l’exposition des ménages modestes à la crise »

Tribune. La France bénéficie d’un atout sérieux pour faire en sorte que la crise sanitaire et économique qui commence ne soit pas immédiatement amplifiée par une crise sociale majeure. Une partie significative du revenu des ménages (retraite, chômage, congé maladie, allocations familiales, RSA…) n’est pas strictement dépendante des soubresauts de l’économie. De plus, dès les premières heures de la crise, le gouvernement a annoncé des mesures volontaristes qui devraient permettre, à court terme, de protéger une grande partie du revenu d’une large fraction des salariés du privé en emploi stable. Les traitements des agents publics fonctionnaires ou sous contrat sont également maintenus. Ces mesures, si et seulement si elles sont correctement et rapidement mises en œuvre, pourraient protéger les revenus d’un grand nombre de ménages.

Mais pas tous, loin de là. Car le gouvernement qui, à juste titre, fait la liste des risques économiques par secteur (spectacle, commerce, agriculture, librairie…) et des réponses qui pourraient y être apportées, ignore jusqu’ici des segments entiers de la population, particulièrement exposés aux conséquences immédiates de la crise.

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En premier lieu, les ménages les plus modestes, allocataires de minima sociaux et en particulier du RSA. Ces minima sociaux sont fixés à des montants trop faibles pour vivre (par exemple 841 € de RSA pour un couple avec enfant), dans le but de ne pas « désinciter » au travail. Ils sont articulés à des dispositifs comme la « prime d’activité » dont le montant augmente en fonction du nombre d’heures travaillées dans le mois. En temps normal, ces montants très faibles conduisent les « bénéficiaires » à un travail quotidien intense pour trouver des ressources, sous forme de travail informel, d’échange de services, ou de quelques heures d’intérim ou de CDD.

Annonces éparses

Cette économie, déjà difficile en temps ordinaire, est incompatible avec le confinement. De plus, la fermeture des cantines scolaires et des marchés augmente la facture alimentaire. Les ménages concernés (1,8 million de foyers au RSA en 2019) vont voir s’aggraver leurs difficultés financières pour s’approvisionner, payer leur loyer, se soigner, et rester confinés dans des logements inadaptés à la situation.

En second lieu, il y a tous les ménages qui ne sont pas ou mal couverts par la protection sociale. Un chômeur sur deux n’a pas assez de « droits » pour être indemnisé. C’est notamment le cas des autoentrepreneurs, dont le nombre a considérablement augmenté dans la dernière décennie, qui ne sont quasiment pas couverts. Parmi ceux-ci, les jeunes de moins de 25 ans n’ont même pas accès au RSA. Côté emploi, il y a toutes celles et ceux dont les emplois ne sont pas protégés par les mesures de chômage partiel : les intérimaires, les personnes en fin de CDD, les intermittents ou encore les pigistes, ont déjà très massivement perdu leur emploi. Leurs revenus risquent de décrocher fortement.

Coronavirus : les syndicats d’Amazon continuent de demander l’interruption du travail

Des salariés d’Amazon en grève devant le site logistique de Lauwin-Planque (Nord), le 19 mars.
Des salariés d’Amazon en grève devant le site logistique de Lauwin-Planque (Nord), le 19 mars. PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Deux semaines après l’annonce des premières mesures de confinement par Emmanuel Macron, les syndicats d’Amazon continuent de revendiquer l’arrêt du travail. « Amazon continue de privilégier ses ventes au détriment de la santé des ses employés. Chaque jour, il y a des milliers de contacts entre employés dans les entrepôts, c’est incohérent avec le fait de demander au reste des salariés de rester chez eux pour éviter la propagation du coronavirus », estime Julien Vincent, délégué central CFDT.

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Signe de l’inquiétude, le taux d’absentéisme total atteindrait « autour de 50 % » dans la branche logistique d’Amazon, selon M. Vincent. Ce chiffre cumule les droits de retrait − que l’entreprise ne veut pas payer −, les congés, les congés sans solde et les maladies. Selon Alain Jeault, délégué central de la CGT, la direction a, elle, évoqué le taux de 30 % lors du comité d’entreprise extraordinaire de ce jeudi 26 mars. Contactée, la branche logistique d’Amazon estime ce chiffre trop élevé. L’entreprise objecte notamment que ces totaux intègrent des absences liées aux congés accordés aux parents d’enfants sans mode de garde. L’absentéisme total avoisinerait plutôt les 20 %, selon la direction.

Collègues en quarantaine

L’intersyndicale continue d’estimer les mesures de sécurité insuffisantes : « Manque de gel hydroalcoolique, pas de masques, pas de gants », liste Tatiana Campagne, élue SUD-Solidaires du site de Lauwin-Planque (Nord). Venir au travail chez Amazon implique aussi des contacts dans les transports en commun et il n’y a pas de contrôle de température, ajoute Jean-François Bérot, élu SUD-Solidaires du site de Saran, cité par La République du Centre. Dans cet entrepôt du Loiret, un employé a été diagnostiqué positif au coronavirus ce lundi et 32 collègues ont été envoyés en quarantaine pour avoir été à son contact.

Des employés protestent contre leurs conditions de travail devant le site Amazon de Saran (Loiret) le 18 mars.
Des employés protestent contre leurs conditions de travail devant le site Amazon de Saran (Loiret) le 18 mars. STRINGER / REUTERS

Amazon a renforcé progressivement sur ses sites les mesures pour tenter de faire respecter l’hygiène et la distanciation sociale entre salariés. « Avec une distance minimum de deux mètres, nous sommes mieux-disants par rapport aux recommandations des autorités », soutient la direction. Le gel hydroalcoolique est disponible sur les sites, selon l’entreprise. Quant au port de masques et de gants, « ce n’est pas une recommandation » des autorités.

« En tout cas, certains deviennent plus radicaux : on voit des profils qui faisaient du zèle se mettre à haïr l’entreprise. » Julien Vincent, délégué central CFDT

Les syndicats ont un nouvel angle d’attaque : selon eux, Amazon a menti en assurant ne distribuer que des « produits essentiels » pour répondre à la crise due au coronavirus. L’entreprise a annoncé, le 18 mars, se concentrer sur les produits pour la maison, alimentaires, médicaux, de soins de beauté… Or, Amazon livre aujourd’hui des transats, ironise une salariée du site de Boves, près d’Amiens, dans une photo partagée sur un groupe Facebook.

« On voit des ballons de foot, des consoles de jeu vidéo, de l’engrais pour gazon… et pas plus de riz ou de pâtes qu’avant », renchérit M. Vincent, qui a écrit au cabinet du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, pour l’alerter. De fait, sur Amazon.fr, tout semble disponible, de la robe à l’appareil photo. Certes avec des délais de livraison rallongés. Ces derniers sont en moyenne plus longs pour les produits non prioritaires, assure la direction. Selon cette dernière, la politique de restriction est bien réelle et devrait être « de plus en plus visible ». « Nous sommes les seuls à avoir pris ce genre de décision », ajoute-t-on.

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Dans ce conflit, Amazon peut se prévaloir d’une forme de soutien du gouvernement. Interrogée mercredi 25 mars à propos d’Amazon sur Europe 1, Muriel Pénicaud, la ministre du travail, a d’ailleurs répondu : « De ce que je sais, maintenant, les conditions de sécurité sont là. » Tout en demandant le respect du « dialogue social ».

Face à la fermeté d’Amazon, les salariés ne se découragent-ils pas ? « En tout cas, certains deviennent plus radicaux : on voit des profils qui faisaient du zèle se mettre à haïr l’entreprise », selon M. Vincent. « Nous n’allons pas lâcher le morceau, dit M. Jeault. Nous étudions avec les syndicats des recours judiciaires. Aux prud’hommes, pour faire payer les jours de droit de retrait. Et aussi au pénal, pour mise en danger de la vie d’autrui. »

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Dans la tempête, la presse écrite navigue à vue

Un kiosque à journaux, à Paris, le 19 mars au troisième jour du confinement imposé par le gouvernement pour faire face à l’épidémie due au coronavirus.
Un kiosque à journaux, à Paris, le 19 mars au troisième jour du confinement imposé par le gouvernement pour faire face à l’épidémie due au coronavirus. THOMAS SAMSON / AFP

« Un dimanche soir, on était les maîtres du monde. Le lundi, c’était terminé. En 24 heures, le monde avait changé. » Trois semaines après l’annulation de l’Euro 2020, pour cause de coronavirus, et qui devait permettre au magazine So Foot de cartonner cette année, Franck Annese, le fondateur de So Press, n’en revient toujours pas. « C’était parti pour être notre meilleure année, on avait plein de projets, ça nous a séchés », témoigne le quadra à casquettes, qui a créé, outre So Foot, Society, Pédale ! (cyclisme), ou Running Heroes (course à pieds) ou Tampon ! (rugby).

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Comme toute la presse, l’éditeur subit de plein fouet le cataclysme du Covid-19, qui fait fuir les annonceurs, ferme les kiosques, vide certaines rubriques (culture, loisirs, etc.) de leurs substances. Pour tenir la barre, Franck Annese a « suspendu les parutions d’avril de Tsugi, consacré à la musique, et de So Film, au cinéma », mis une soixantaine de CDI au chômage partiel, total ou à temps partiel, en fonction des métiers, et ce afin de « continuer à payer les pigistes », le nerf de la guerre de ses publications.

Chute de la pub

Au Parisien, l’annonce de mesures de chômage partiel, qui vont concerner la régie, une grande partie des fonctions supports, et la rédaction, a créé l’émotion en interne. Tous les journalistes des rubriques immobilier et hippisme sont mis à l’arrêt, comme la moitié des rédacteurs sport, et 30 % du service culture-spectacle. « Nous avons eu soudainement l’impression de ne plus faire partie de la grande famille de la rédaction. Le sentiment qu’il y a désormais des journalistes dont le travail est nécessaire et d’autres dont on n’a plus besoin », s’est ému le service sport, dans une lettre ouverte à la direction, et signée par une grande partie de la rédaction.

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« Nous sommes touchés plus que d’autres par la fermeture de nombreux points de vente. Sans compter la chute de la pub », justifie Sophie Gourmelen, la directrice générale du journal. Pourquoi le propriétaire du titre, Bernard Arnault, qui a fait don de 40 millions de masques aux hôpitaux, ne donne-t-il pas un coup de main au titre, s’interrogent certains journalistes ? « L’actionnaire nous a aidés sur pas mal de choses. Mais l’on doit préserver au mieux le résultat de l’entreprise », justifie la dirigeante.

Les rédactions tournent à plein régime, les audiences des sites Internet sont en hausse, les abonnements numériques explosent