« L’immigration n’a globalement que peu d’impact sur le chômage et les salaires »

Parmi les peurs associées à la migration, celles relatives à l’emploi et aux salaires sont souvent présentées comme les plus rationnelles. Dans les premiers cours d’économie, on apprend ainsi qu’un marché peut être représenté par une offre et une demande et qu’il est utile d’appréhender les prix que l’on observe sur ledit marché comme résultant de leur égalisation. Transposée au marché du travail, cette représentation suggère que l’immigration va accroître l’offre de travail, ce qui aura tendance à faire baisser son « prix », c’est-à-dire le salaire. Si les salaires sont rigides à la baisse, en particulier du fait d’un salaire minimum, l’immigration est alors supposée engendrer un surplus de travail, qui se matérialise par du chômage. La crainte sur les salaires concerne donc les travailleurs plutôt qualifiés des secteurs ouverts aux recrutements d’étrangers.

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De très nombreux travaux empiriques se sont demandé si ce raisonnement intuitif était corroboré dans les faits. Les plus parlants ont analysé des événements exceptionnels, comme l’expulsion par Fidel Castro de 125 000 Cubains qui, entre avril et octobre 1980, vont quitter le port de Mariel pour se réfugier à Miami [en Floride]. L’économiste canadien David Card a démontré que cet afflux d’étrangers a été sans conséquence sur les salaires et le taux de chômage de la ville d’accueil.

Professeure d’économie à l’université Rutgers (New Jersey) et ancienne économiste en chef du département du travail des Etats-Unis de 2013 à 2015, Jennifer Hunt s’est, quant à elle, intéressée aux 900 000 rapatriés d’Algérie arrivés en 1962. Elle montre que ce choc migratoire considérable n’a eu que des effets minimes sur le taux de chômage et les salaires en France.

Ces études sont célèbres, car leur contexte historique en fait des expériences grandeur nature, ce qui est rarissime en sciences sociales. En particulier, la précipitation des départs observée lors de ces deux événements permet d’éliminer un biais statistique important sur lequel bute l’analyse habituelle des migrations : comme les immigrés se dirigent en priorité vers les destinations où le marché du travail est favorable, il est peu crédible d’interpréter la corrélation entre l’immigration et le chômage de façon causale.

Principe institutionnalisé

Néanmoins, les expériences naturelles engendrées par les réfugiés cubains et les rapatriés d’Algérie sont à la fois anciennes et très particulières. Elles permettent certainement des travaux statistiques crédibles, mais ne suffisent pas pour convaincre. Elles ont donc été complétées par un vaste ensemble d’études statistiques visant à évaluer l’effet de l’immigration sur le marché du travail dans de nombreux pays et époques, tout en traitant le biais susmentionné de la façon la plus appropriée possible.

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Compte personnel de formation : le nombre de dossiers se stabilise

Avec 1,09 million de dossiers validés depuis le début de l’année au 8 septembre, le compte personnel de formation (CPF) devrait, si la courbe se prolonge, terminer l’année à un niveau proche de celui de 2023 (1,44 million de dossiers). « Le dispositif est entré dans sa phase de maturité », commente Gwenola Martin-Gonzalez, directrice de la formation professionnelle et des compétences à la Caisse des dépôts, qui gère ce dispositif pour le compte du ministère du travail. Créé en 2014 et entré en vigueur en 2015, le CPF confie au salarié la responsabilité de sa formation professionnelle, sans l’avis de son entreprise.

Il est vrai que les pouvoirs publics ont entrepris de mieux contrôler le CPF, victime de son succès et de dérives qui ont été pour beaucoup enrayées.

Dernière initiative en date pour réguler la demande, la mise en place, le 2 mai, d’une participation forfaitaire obligatoire de 100 euros pour tous les postulants au CPF à l’exception des chômeurs. En parallèle, des restrictions au financement du permis de conduire ont été instaurées pour les véhicules légers, sachant que les demandes portaient souvent sur de grosses motos. « Ces nouvelles règles visent à ancrer l’usage du CPF dans un acte réfléchi et dans le cadre d’un projet professionnel », justifie Gwenola Martin-Gonzalez.

L’annonce de ces mesures a provoqué le mois précédant leur application un pic artificiel de demandes de CPF, qui ont plongé brutalement en mai. Reste à savoir si cette participation forfaitaire n’a pas nui à la démocratisation de l’accès à la formation continue, objectif déclaré de la loi de 2018 réformant le CPF. Sur le moyen terme, ce dispositif a tenu ses promesses puisque la part des chômeurs et des non-cadres bénéficiant de la formation continue s’est considérablement accrue en six ans.

Préserver les finances publiques

Mais, sur les huit premiers mois de 2024, les chiffres de la Caisse des dépôts montrent un léger recul de la part des personnes sans diplômes (16 % des bénéficiaires, contre 21 % en 2022) et des non-cadres (80 %, contre 85 % en 2022). Quand bien même ce recul a été amorcé dès 2023, un effet d’éviction risque d’affecter les salariés modestes. A quelle hauteur, si l’on exclut l’impact à court terme des Jeux olympiques de Paris 2024 et des incertitudes politiques qui ont eu aussi un effet récessif sur la demande de formation ?

Michel Barabel, directeur de l’Executive Master RH de Sciences Po, estime que la baisse pourrait atteindre 10 % en 2025 par rapport à 2023. « Contrairement aux cadres qui considèrent la formation comme un investissement rentable et peuvent payer ce ticket modérateur, les moins diplômés ont souvent connu des échecs scolaires et ont un rapport compliqué avec la formation, observe-t-il. En outre, 100 euros, cela peut représenter 10 % du revenu d’un smicard à temps partiel, ça n’est pas négligeable. Cette mesure dessert l’objectif de démocratisation mais s’explique par la volonté de l’Etat de réduire le coût du CPF, qui s’envolait. » L’Etat aurait pu exonérer du ticket modérateur tous les actifs en deçà d’un seuil de revenu, mais le souci de simplicité et d’efficacité pour préserver les finances publiques a manifestement prévalu.

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« La violence était totalement banalisée, quotidienne, je n’étais pas encadré » : la crise du secteur médico-social frappe les jeunes travailleurs sociaux

Dans le réfectoire de ce centre éducatif fermé (CEF), l’air est électrique en ce matin d’hiver 2022. Deux jeunes échangent insultes et menaces. Gwendal, 25 ans, alors apprenti éducateur spécialisé recruté en alternance, observe la scène, tendu. Il n’y a pas assez de personnel ce jour-là dans la « prison pour mineurs ». Si ça dégénère, il devra intervenir.

Les premiers coups sont d’une violence inouïe. « Ils étaient en train de s’entre-tuer », se souvient Gwendal, 27 ans aujourd’hui. Le jeune apprenti s’interpose. Il a l’habitude d’aller au contact : après une carrière de rugbyman professionnel de cinq ans, il s’est forgé une carrure imposante et une force tranquille.

Cela ne suffira pas. « En voulant les séparer, j’ai reçu un plateau avec assiette et verre en pleine tête. Je me suis mis à saigner du crâne. » Le jeune éducateur est renvoyé chez lui, sous le choc. Il revient travailler le lendemain. « Pas un appel ou un message de mes collègues pour me demander comment ça va, relate amèrement Gwendal. La violence dans le CEF était totalement banalisée, quotidienne. Et moi, j’étais là pour apprendre, mais je n’étais pas encadré. » Son tuteur est le seul éducateur spécialisé de la structure. Lui et Gwendal n’ont jamais les mêmes horaires. « J’étais livré à moi-même. »

Ce jour-là, Gwendal a failli jeter l’éponge et abandonner sa vocation. Tourner le dos à ce métier qu’il a si longtemps souhaité exercer, et qui lui a permis de retrouver un but après une blessure grave empêchant la poursuite de sa carrière dans le rugby. Le jeune homme quitte son alternance au CEF après cet épisode. Il retrouve un poste dans un lieu de vie et d’accueil, structure qui prend en charge des enfants placés pour les aider à retrouver un cadre stable. L’ex-rugbyman y travaille toujours aujourd’hui. « Ça se passe bien, mais je trouve que le travail des éducateurs n’est pas assez considéré, déplore-t-il. Nous sommes les éponges des problèmes que la société ne veut pas voir. »

Une crise d’attractivité

Le secteur médico-social est traversé par une importante crise d’attractivité. Les structures peinent à attirer des travailleurs. Près de 97 % des établissements de la protection de l’enfance rencontrent des difficultés pour embaucher, avec 9 % de postes vacants, selon une étude de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss) publiée en novembre 2023.

Les effets de cette crise se ressentent dès la formation des futurs travailleurs sociaux. Les établissements peinent à remplir leurs promotions : d’après les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress), en dix ans, le nombre d’étudiants inscrits au sein d’écoles formant aux métiers sociaux a chuté de 6 %, et près de 10 % des étudiants s’arrêtent dès la première année.

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Michelin à la recherche de l’autonomie au travail

« Ici le manageur s’occupe de nous et nous, on s’occupe du reste » : impossible de rater ce slogan, affiché sur un grand panneau bleu, à l’entrée d’un îlot de production du site Michelin de Roanne (Loire). Pierre Villeneuve, embauché en 2014 comme vérificateur, et désormais opérateur polyvalent, est plutôt d’accord avec cette phrase : « On peut travailler correctement et sans pression, tout en prenant des décisions au quotidien. On a des objectifs, il faut les remplir, mais je n’ai jamais eu un chef derrière moi, ici. On ne vient pas au travail avec la boule au ventre. »

Cette usine, qui fête ses 50 ans en septembre 2024, confectionne chaque jour 4 000 pneumatiques de haute performance. Ses 841 salariés, qui ont pour tradition de systématiquement se serrer la main pour se saluer, ont aussi pris la main sur des tâches au-delà de leur fiche de poste : dans chaque équipe, certains cumulent la casquette de « correspondants » sécurité, qualité… Ce qui permet aux collectifs de travail de gérer directement le travail au quotidien, et le manageur n’intervient que lorsqu’il y a un problème que les équipiers n’arrivent pas à résoudre.

Redonner davantage d’autonomie aux salariés pour leur offrir un travail plus varié et valorisant est loin d’être une idée nouvelle : depuis quinze ans, le concept d’entreprise libérée désigne les – très rares – entreprises qui ont choisi de réduire le nombre de hiérarchies intermédiaires. Force est de constater que cette philosophie piétine, et ne s’est jamais pérennisée dans les grosses structures qui l’ont testée (Auchan, Decathlon, etc.).

C’est pourquoi, chez Michelin, on préfère parler d’« organisation responsabilisante », pour désigner cette nouvelle manière d’envisager les collectifs de travail. Depuis vingt ans, la multinationale l’expérimente, sur tous ses sites, à l’échelle d’îlots de production d’une trentaine de personnes chacun.

A Roanne, l’entreprise n’a pas supprimé les chefs du jour au lendemain, et elle n’a pas poussé ce nouveau management pour le seul bien-être des salariés. Depuis un « accord de réactivité » signé en 2015 avec la majorité des organisations syndicales, l’usine a complètement redirigé son activité, et adopté un mode de fonctionnement plus flexible pour s’adapter aux commandes des clients… Et ne pas disparaître.

Dans l’usine de pneumatiques Michelin, à Roanne (Loire), le 16 septembre 2024.

La transition managériale

Il était donc question d’accroître la productivité : puisque l’usine tourne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et que les manageurs ne sont présents qu’en journée, les équipes – chaque îlot est subdivisé en cinq équipes au planning mouvant (plusieurs jours de suite le matin, puis l’après-midi, parfois la nuit et le week-end) – doivent par définition être autonomes.

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Des syndicats entre bienveillance et prudence face à la nouvelle ministre du travail

La nouvelle ministre du travail et de l’emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, arrive au premier conseil des ministres du gouvernement Barnier, à Paris, le 23 septembre 2024.

Au sein d’un gouvernement penchant clairement à droite, elle fait partie des rares personnalités affichant une sensibilité sociale-démocrate. Ex-membre du Parti socialiste et macroniste de la première heure, la nouvelle ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a cherché à imprimer – prudemment – sa marque, lundi 23 septembre, dès la cérémonie de passation des pouvoirs avec sa prédécesseure Catherine Vautrin, devenue ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.

Pour exprimer sa singularité tout en veillant à ne froisser personne, l’ancienne députée de Paris a d’abord salué le caractère « indispensable » des « efforts » consentis depuis « sept ans » pour parvenir au plein-emploi. Cette « bataille » va continuer, a indiqué Mme Panosyan-Bouvet, mais elle « ne doit pas être la seule priorité », car ce serait méconnaître la « réalité individuelle et subjective » du travail, selon la ministre. De telles déclarations confirment le positionnement qui était déjà le sien lorsqu’elle siégeait sur les bancs de l’Assemblée nationale, de juin 2022 jusqu’à aujourd’hui : voulant accorder davantage d’attention au quotidien des salariés quand ils sont à leur poste, elle pense que les chiffres du chômage, même en amélioration, ne suffisent pas pour combattre l’extrême droite. « Le travail, c’est un lieu de construction de l’estime de soi et du lien social. C’est le moyen d’une vie digne et décente », a-t-elle souligné.

Mme Panosyan-Bouvet s’est également distinguée en manifestant le désir « d’incarner un changement de méthode » à l’égard des corps intermédiaires, malmenés depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017. « Je crois en la démocratie sociale et en la légitimité de la société civile et des partenaires sociaux », a-t-elle assuré. Et d’ajouter : « Les liens se sont parfois distendus ces dernières années. Je m’emploierai à les restaurer et à les consolider. » Pour elle, « le compromis n’est pas la compromission ». Une petite phrase quasiment identique à celle que Laurent Berger, ex-secrétaire général de la CFDT, a prononcée dans un entretien à l’hebdomadaire Le 1, daté du 4 septembre. La ministre du travail manie ainsi une phraséologie susceptible de sonner agréablement aux oreilles des leaders syndicaux, en particulier ceux qui sont présentés comme « réformistes ».

« Relations constructives »

Sans entrer dans les détails, Mme Panosyan-Bouvet a esquissé sa feuille de route pour les prochaines semaines. Premier objectif : le travail « doit payer ». « Le smic peut être un salaire d’entrée dans la vie active mais ne doit pas être un salaire à vie », a-t-elle complété.

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Les entreprises des pays émergents peuvent-elles garder leurs experts ?

Entreprises. Le Maghreb perd chaque année une part importante de ses ingénieurs et scientifiques. Certes, cette diaspora apporte des contributions importantes au pays d’origine. Mais, pour les entreprises locales et les filiales de groupes étrangers, confrontées à une compétition mondiale marquée par un rythme rapide d’innovation, la rareté de ces compétences et un turnover élevé déséquilibrent leur développement.

Ces entreprises peuvent-elles tenter, malgré tout, d’attirer et de conserver ces experts, sans pouvoir offrir des salaires proches de ceux des pays riches ? L’équation semble difficile à résoudre. En Tunisie, une chercheuse, Amina Nadia Nasri, a étudié les motivations au départ des ingénieurs du numérique, en s’immergeant dans plusieurs entreprises du secteur. Son travail souligne la nécessité d’une gestion originale des carrières de ces experts, fondée sur une triple échelle d’évolution (« Vers un nouveau modèle de gestion des carrières adapté aux ingénieurs en informatique dans les entreprises de services du numérique en Tunisie », thèse université de Tunis, Essect, Larime).

La question des carrières des experts n’est pas nouvelle et s’appuie classiquement sur une double échelle de promotion : l’une, hiérarchique, reconnaît la capacité à diriger et à assumer des responsabilités croissantes ; l’autre, professionnelle, récompense la maîtrise technique et une expertise accrue. Cependant, la fin des années 1990 voit l’accélération des innovations numériques et la multiplication des projets transformants.

Des recherches invitent alors à complexifier l’échelle professionnelle, en récompensant la capacité de certains experts à renouveler leurs expertises et à s’adapter à des projets en rupture (Olga Lelebina, « La gestion des experts en entreprise : dynamique des collectifs de professionnels et offre de parcours », thèse MinesParis 2014).

Une condition existentielle pour eux-mêmes

La nécessité de cette évolution semblait encore réservée aux entreprises à forte intensité technologique. Or, la recherche menée en Tunisie – dans six entreprises du numérique et sur un large échantillon de projets informatiques – généralise cette analyse tout en inversant sa logique.

Dans les pays riches, le renouvellement de l’expertise était un gage de survie des entreprises. En Tunisie, il est perçu, par les experts informatiques, comme une condition existentielle pour eux-mêmes. Ils ne resteront dans l’entreprise – voire dans le pays – que s’ils ont l’assurance de pouvoir développer leurs capacités d’innovation, maîtriser les phases d’un projet numérique ou obtenir des missions à l’étranger, qui légitimeront leur niveau sur le marché mondial.

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Une bergère obtient la reconnaissance de sa fracture en accident du travail après un an de procédure

Un troupeau de moutons près du col du Glandon, dans les Alpes françaises, le 21 août 2018.

C’est un cas représentatif des conditions de travail de certains travailleurs ruraux, en particulier les bergers, souvent contraints d’arriver sur le lieu de leur contrat avant que celui-ci démarre. Dès lors, qui est responsable si une blessure survient à ce moment-là ? « Il s’agit d’un accident de vie privée », s’est d’abord vu répondre J. par la sécurité sociale agricole (MSA) des Alpes-du-Nord, le 31 août 2023. La bergère espérait pourtant voir la fracture de sa cheville, survenue deux mois plus tôt en arrivant sur son lieu de travail, un alpage de Haute-Savoie, reconnue comme accident du travail.

Lire l’enquête | Article réservé à nos abonnés Les morts au travail, une hécatombe silencieuse en France

Son employeur l’avait convoquée la veille du début de son contrat d’un mois. Du village le plus proche à la cabane qui devait lui servir de logement de fonction, il faut compter quarante minutes de route sur une piste très escarpée, praticable uniquement avec le véhicule tout-terrain de l’employeur. Ils ont rendez-vous dans l’après-midi pour y monter ensemble, acheminant du même coup le matériel et les vivres nécessaires, avant l’arrivée des brebis, le lendemain.

Mais voilà que la trentenaire se blesse en arrivant sur l’alpage, dès sa descente du véhicule. Diagnostic, posé par un certificat médical le jour même, en date du 3 juillet 2023 : « Fracture luxation trimalléolaire », soit une triple fracture au niveau de la cheville et du tibia, entraînant une interruption temporaire de travail de quatre-vingt-dix jours.

« Travail dissimulé »

Seulement le contrat de travail, lui, ne démarre que le lendemain, le 4 juillet. Quand elle reçoit la déclaration d’accident du travail, la MSA signifie donc en deux lignes à la salariée son refus de prise en charge au titre d’un accident du travail d’une blessure survenue la veille du début officiel de son activité. La mutuelle précise cependant la possibilité de contester cette décision devant la commission de recours amiable.

C’est ce que va faire la jeune femme, avec l’aide précieuse de la CGT qui, dans deux courriers à la commission, va faire valoir « des éléments de contextes déterminants quant aux conditions de prise de poste des bergers d’alpage », estimant le cas de J. « loin d’être isolé ».

« Dans l’écrasante majorité des cas, les bergers sont contraints de travailler un ou plusieurs jours avant le début de leur contrat de travail, donc sans rémunération ni protection sociale », écrit le syndicat des gardiens et gardiennes de troupeaux CGT, qui dénonce la « généralisation » de ce « travail dissimulé ». Cela, pour prendre connaissance de la montagne « en vue de l’établissement d’un plan de pâturage », installer « le matériel de contention » des bêtes, remettre en fonction les équipements essentiels (eau, électricité), prendre possession des lieux en y apportant ses affaires…

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En France, du mieux sur le front de la productivité

Devant l’une des agences de France Travail (anciennement Pôle emploi), à Paris, le 19 septembre 2024.

L’économie française ne réserve pas que de mauvaises surprises. Au contraire de la situation budgétaire du pays, qualifiée de « très grave » par le nouveau premier ministre, Michel Barnier, la productivité horaire, mise à mal par la pandémie de Covid-19, semble donner quelques signes de rétablissement.

Sur douze mois, entre le deuxième trimestre 2023 et le deuxième trimestre 2024, cette donnée, qui mesure la valeur ajoutée produite en fonction du nombre d’heures travaillées, a progressé de 1,3 %, indique Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques. Un « rythme bien supérieur à celui de l’avant-crise ». Les années précédant la crise sanitaire, la productivité croissait, en effet, d’environ 0,9 % par an.

La crise liée à la pandémie, avec les confinements et autres arrêts de production industrielle, puis les désordres d’approvisionnement liés à la guerre en Ukraine ont fait chuter la production. Or, dans le même temps, le marché du travail, soutenu par le chômage partiel, les aides aux entreprises et le fait que les sociétés conservent leurs effectifs en attendant la sortie de crise, a permis de soutenir les créations d’emplois. L’apprentissage, de son côté, poursuivait son essor.

Inexplicable

Entre fin 2019 et le deuxième trimestre 2024, l’économie nationale a gagné 1,1 million d’emplois. Beaucoup plus que ce qu’on aurait obtenu si la productivité était restée la même qu’avant la crise : l’économie n’aurait dû gagner « que » 129 000 emplois supplémentaires. Soit, résume M. Heyer, 980 000 emplois « de trop » par rapport à la croissance du pays.

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A la sortie du Covid-19, le bilan était inquiétant : les économistes chiffraient les pertes de productivité à 5 % environ sur la période comprise entre mi-2019 et mi-2023. Une partie de cette baisse s’explique par la « rétention » de main-d’œuvre, l’apprentissage et la baisse de la durée du travail, mais une autre partie est inexplicable, selon les économistes. Elle correspondait à 480 000 créations d’emplois.

Cependant, ce chiffre a été révisé à la baisse : « Selon les comptes nationaux publiés en mai, le produit intérieur brut a été un peu supérieur à ce qui avait été initialement évalué par l’Insee, et on a eu plutôt moins de créations d’emplois », explique Matthieu Lemoine, économiste à la Banque de France. « Au total, pendant cette période, la productivité s’est donc moins dégradée que ce que l’on pensait. »

La partie « inexpliquée » ne représente plus que 285 000 emplois, concentrés dans deux secteurs, l’industrie pour 200 000 emplois environ, et la construction. Cette situation devrait être transitoire : « Lorsque l’activité va répartir ces branches, ces entreprises vont utiliser cette main-d’œuvre disponible et n’auront pas à embaucher », explique Eric Heyer. Et ce « surplus » d’emplois sera alors résorbé.

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Les repentis de la reconversion professionnelle : « On s’attend à vivre une autre vie, mais la désillusion est totale »

Stéphanie plaque tout en 2021. A l’approche de la cinquantaine, elle envoie valser son boulot de fonctionnaire et ses vingt-huit ans de mariage. « J’ai lancé mon divorce en même temps que ma rupture conventionnelle », plaisante la Rémoise, qui préfère garder l’anonymat. Cette mère de deux enfants quitte son emploi aux ressources humaines payé au smic, laissant les désaccords avec sa hiérarchie sur son bureau. « Ma cheffe me harcelait et j’avais envie d’un métier artistique. Par exemple, tatoueuse ou fleuriste. Je souhaitais un job passion qui me donne la force de me lever le matin ! », résume cette quinquagénaire touche-à-tout. Son CAP de fleuriste en poche, l’apprentie découvre peu à peu l’envers du décor : des patrons maltraitants, des tâches répétitives et une précarité grandissante.

A plusieurs reprises, les enseignes lui claquent la porte au nez. « Tous les bons postes étaient pris, et ceux qui restaient se trouvaient dans des grosses chaînes avec beaucoup de turnover », confie-t-elle. Dès qu’elle décroche un contrat, les missions se résument aux livraisons, à la manutention et au ménage. « En entretien, un employeur me disait qu’il fallait réceptionner les colis des clients sur notre pause déjeuner. Je lui ai répondu que je n’étais pas postière ! », s’emballe la Champenoise au caractère bien trempé.

Celle qui voulait « toucher de la fleur » et « confectionner des bouquets » enchaîne les déconvenues. Elle cherche maintenant à récupérer son ancien métier. « Ce n’est pas facile, car j’ai un gros trou dans mon CV », soupire Stéphanie, qui vit avec 580 euros mensuels d’allocation de solidarité spécifique. Regrette-t-elle sa bifurcation ? « J’essaie de le prendre bien, en me disant que c’était une expérience. »

Difficile d’admettre l’échec quand on est inondé de récits positifs sur les changements de vie. Sourire aux lèvres, tradeurs et assureurs expliquent dans les médias comment ils ont troqué leur costume contre une blouse ou un tablier. « Déjà, dans les années 1990, on parlait de ces cadres qui plaquaient tout pour ouvrir des chambres d’hôtes. Chaque époque a ses stéréotypes et, maintenant, on a rajouté une dimension écologique », souligne Jean-Laurent Cassely, journaliste et essayiste qui écrit sur les modes de vie. Si ce phénomène n’est pas nouveau, il n’est plus, selon lui, réservé aux cols blancs : « C’est devenu courageux de suivre sa passion. Et cette injonction au bonheur dans le travail, si elle existe depuis longtemps dans les classes privilégiées, se diffuse dans toute la société. »

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Le Rassemblement national veut interdire l’embauche d’un étranger en cas de candidature d’un Français

La cheffe de file des députés du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, lors de la rentrée des parlementaires RN, à Paris, le 14 septembre 2024.

Réserver les emplois aux Français : la promesse figure en bonne place dans le programme du Front national, devenu le Rassemblement national (RN), depuis plus de quarante ans. « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord ! », affichaient, dès 1978, les troupes de Jean-Marie Le Pen. Sa fille Marine a, depuis, pris les rênes et renommé le parti d’extrême droite, sans renoncer à l’application de la « préférence nationale » au monde du travail. « Le Français est chez lui, justifiait-elle, en 2021. Il faut permettre aux employeurs de donner en priorité accès à l’emploi à un Français. »

Si le RN propose cette mesure de longue date, jamais la discrimination à l’embauche n’avait été aussi explicitée par ses promoteurs que lors de la rentrée 2024. Le fascicule programmatique du RN destiné aux entreprises, présenté le 14 septembre, ne se contente pas de rappeler un principe : « Appliquer la priorité nationale, à compétences égales, pour l’ensemble des postes à pourvoir en France. » Le document en précise les modalités d’application, à destination des employeurs : « Il sera nécessaire d’inscrire la nationalité parmi les critères de choix d’un candidat, sachant que la règle de nationalité s’applique déjà dans une large part de la fonction publique d’Etat. » Le RN précise dans sa brochure que l’embauche d’étrangers ne serait « naturellement » pas interdite s’agissant d’« étrangers présentant des compétences rares et nécessaires à la prospérité de l’économie française ».

En 2017, Marine Le Pen comptait favoriser le recrutement des Français par la création d’une « taxe additionnelle sur tout nouveau contrat d’employé étranger ». Une idée reprise dans une proposition de loi déposée en janvier par le député de l’Oise Alexandre Sabatou, signée par la quasi-totalité des parlementaires RN, visant à majorer les cotisations patronales afférentes au contrat de travail d’un étranger, hors ressortissant de l’Union européenne (UE).

Logique inversée

Le parti d’extrême droite ne vise désormais plus la dissuasion, par l’augmentation du coût de travail d’un extracommunautaire, mais la contrainte, par l’insertion d’un critère de nationalité à l’ouverture de chaque emploi privé. « A compétences égales, l’employeur devra recruter le Français plutôt que l’étranger », résume Jean-Philippe Tanguy, auteur du programme économique. Le député de la Somme confirme le caractère obligatoire de la « priorité nationale ». Le Français s’estimant lésé lors du recrutement bénéficierait d’une forme de « droit opposable ». « L’administration ne fera pas d’enquête sur chaque embauche, précise le parlementaire. Mais une personne pourra saisir la justice pour discrimination si elle juge qu’un étranger a été injustement recruté à sa place. L’employeur devra prouver qu’aucun Français ne s’est proposé. »

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