Retraites complémentaires : la CFDT conteste le malus

La CFDT est-elle en train de réétudier sa position sur un dispositif-clé relatif aux retraites complémentaires ? La question vient d’émerger, à la faveur de déclarations de Jean-Claude Barboul, représentant de la centrale syndicale et président du conseil d’administration de l’Agirc-Arrco, le régime qui verse une pension complémentaire à quelque 12,6 millions d’ex-salariés du privé. Dans un article dernièrement publié sur le site Internet de L’Express, ce responsable cédétiste demande le report à 2020 du système de malus entré en vigueur le 1er janvier, en invoquant des motifs techniques. Mais d’autres raisons, plus politiques celles-là, semblent aussi à l’œuvre : selon nos informations, la CFDT aimerait, en effet, que le mécanisme incriminé, très décrié lors de sa création, soit remis en cause.
Pour comprendre cette ombreuse affaire, il faut aller à octobre 2015. A l’époque, le patronat et trois organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC, CFTC) signent à l’arraché un accord pour redresser les comptes, très dégradés, de l’Agirc et de l’Arrco. L’une des mesures retenues dans ce « deal » prédit des abattements et des bonifications, afin d’encourager les personnes à travailler plus longtemps. Ainsi, sauf exception, celui qui cesse sa vie professionnelle dès l’instant où il a droit à une pension de base à taux plein (par exemple 62 ans pour un individu né en 1957 qui a cotisé 41,5 ans) subit une décote temporaire de 10 % sur sa retraite complémentaire ; en revanche, s’il décale son départ d’un an, il n’est pas pénalisé, et s’il prolonge sa carrière de deux ans ou plus, sa pension Agirc-Arrco est majorée.
« Un malus intermédiaire »
Les trois signataires principaux de l’accord acceptent, à contrecœur, un dispositif auquel le Medef tient par-dessus tout car il encourage les actifs à rester dans le monde du travail. « Un tabou est tombé », se réjouit alors le chef de file de la délégation patronale. La CGT et FO, de leur côté, refusent d’entériner un tel compromis, estimant qu’il porte atteinte à la règle des 62 ans pour pouvoir réclamer le versement de sa pension.
Précision importante : le malus ne concerne pas les retraités exonérés de CSG (c’est-à-dire ceux qui ont de faibles ressources). Pour ceux qui sont assujettis au taux réduit de CSG (3,8 %), la décote est deux fois moins élevée que pour ceux soumis au taux normal de CSG (8,3 %). Mais qu’en est-il pour ceux qui se voient appliquer le tout nouveau taux de CSG (6,6 %), instauré par les mesures d’urgence de la fin décembre 2018 ? Faut-il leur prescrire un abattement de 10 % ou de 5 % ?






Il y a trente ans, le combat se faisait entre ceux qui arrivaient à valider leur bac + 5 et les autres. Dans le contexte actuel, où de plus en plus de jeunes sont archidiplomés, même un master n’offre plus la certitude d’une entrée facile sur le marché de l’emploi.
Qu’est-ce qui rend l’insertion des jeunes diplômés si difficile ?
Seuls quelques établissements, les facultés de médecine notamment, organisent fortement le placement de leurs jeunes sur le marché du travail. Face au nombre de prétendants – que la plupart des secteurs n’ont pas le débit suffisant pour accueillir –, l’accès à un stage professionnel ne découle plus naturellement d’une bonne réussite de ses études. Ce qui rend plus grande encore la difficulté à entrer par la suite dans le monde du travail. Avec des études de plus en plus longues, au fur et à mesure desquelles les attentes des étudiants s’accroissent, la connaissance du milieu professionnel s’est, elle, dramatiquement rétrécie. Dans ce contexte, les risques de déconvenue au moment où le marché produit son verdict sont souvent brutaux.
En France, 43% des jeunes diplômés de 25-29 ans considèrent qu’ils ont des difficultés « à joindre les deux bouts », selon des chiffres Eurostat, contre seulement 10% en Allemagne. La brutalité vient donc aussi, une fois dans la vie active, de cette confrontation à un niveau de vie en deça des attentes…
Oui, dès que les parents cessent d’aider leurs jeunes à soutenir leur niveau de vie, les difficultés adviennent. Le contexte actuel se caractérise par une forte croissance du nombre de diplômés par rapport aux postes qualifiés disponibles, un coût élevé de la vie dans les zones urbaines où les jeunes diplômés tentent de trouver des emplois à leur niveau, et bien évidemment de prix souvent prohibitifs du logement. Dans ce cadre, les jeunes diplômés français peinent à payer les dépenses nécessaires habituelles.
Le « reste à vivre » ne leur permet plus de garantir les dépenses plus élaborées, considérées comme normales dans les classes moyennes (sortie, spectacle, vacances, etc.). Si le diplôme permet généralement d’échapper à la pauvreté, la faible valorisation relative de la jeunesse diplômée pourrait avoir des conséquences dramatiques sur le pessimisme français. Les efforts consentis par les parents pour offrir à leurs enfants de meilleurs diplômes ne permettent pas d’échapper au déclassement socio-économique.
Comment mieux préparer les étudiants à ce passage vers le monde professionnel ?
La valeur théorique des diplômes est bonne, leur valeur pratique dans le monde du travail est extrêmement réduite : c’est sur cela que l’enseignement supérieur français doit travailler. C’est un chemin que les grandes écoles de premier plan ont emprunté depuis longtemps, notamment en entretenant un lien très fort avec leurs réseaux d’anciens. Dans les secteurs plus précaires et universitaires, ces réseaux, très coûteux, sont bien moins étoffés et ne remplissent pas la mission essentielle de placement des étudiants.
Ils préfèrent alors parfois de partir au Québec, au Royaume-Uni ou en Allemagne faire un deuxième master, dans des institutions qui conservent une très forte connexion avec le marché du travail mais qui demeurent particulièrement onéreuses. Ce sont donc les étudiants les mieux armés par leur succès scolaire et par le soutien familial qui échappent le mieux à l’absence de transition en France.
Une citation de Sigmund Freud récapitule très bien, à mon sens, la situation française : « L’éducation pèche en ne préparant pas l’être jeune à l’agressivité dont il est destiné à être l’objet. (…) [Elle] ne se comporte pas autrement que si l’on équipait de vêtements d’été et de cartes des lacs italiens des gens partant pour une expédition polaire. » Il est urgent de fournir un nouvel équipement aux étudiants français pour qu’ils puissent aborder plus sereinement cette expédition qu’est l’entrée dans l’emploi.