Ces ex-Parisiens en recherche d’une meilleure vie à Nantes

Ces ex-Parisiens en recherche d’une meilleure vie à Nantes

 

« Voilà, ça, c’est ma terrasse. Elle fait la taille de mon ancien appartement à Paris. » C’est avec cette inspiration des récents arrivants qu’Emilie Abel, jeune trentenaire fraîchement exilée à Nantes, nous reçois un jour d’hiver chez elle. La terrasse en question, établie en plein cœur de l’île de Nantes, fait 60 mètres carrés. Inondée de lumière, elle donne directement sur les jardins des Fonderies, où jadis des ouvriers fabriquaient des hélices et des turbines pour les constructions navales. On peut encore y voir d’anciens fours et quelques rails perdus au milieu des plantes tropicales.

Emilie Abel a répliqué, comme une centaine d’autres anciens Parisiens, à un message laissé sur le groupe Facebook Les Nantisiens, qui compte environ 2 000 membres et qui a été conçu pour les Parisiens récemment installés à Nantes. Sur ce groupe fermé, ils partagent leurs bons plans – garde d’enfants, offres d’emploi, appartements… –, dans la capitale régionale des Pays de la Loire.

Comme à Bordeaux, l’abondance de « jeunes cadres parisiens » à Nantes est une tendance de fond depuis plusieurs années. En quête d’une « qualité de vie » qu’ils disent ne plus voir en région parisienne, ces trentenaires accourent dans ces grandes métropoles « dynamiques » qui leur offrent des emplois qualifiés et des mètres carrés meilleur marché que dans la capitale. « Nantes, c’est le nouveau Montreuil », récapitule Elie Guéraut, sociologue et maître de conférences à l’université Paris-I.

Dans une enquête diffusée en septembre 2018, le site de recrutement Cadremploi révélait que plus de huit cadres franciliens sur dix envisageaient de quitter la région parisienne pour s’installer ailleurs en France. Depuis plusieurs années, les démographes de l’Insee pointent la réduction des habitants de la capitale, qui perd environ 12 000 personnes par an. A Paris intra-muros, 3 000 élèves en moins sont marqués chaque année depuis trois ans dans les écoles primaires.

 « “La belle endormie”, s’est réveillée »

Mais si Paris perd des habitants, elle « concentre continuellement le plus d’emplois de cadres en volume et le plus de formations de l’enseignement supérieur », rappelle Elie Guéraut. Autre spécificité, la capitale compte, parmi ces cadres et professions intellectuelles supérieures, 70 % de titulaires d’un diplôme bac + 5.

« Paris reste une ville très attractive pour les 15-30 ans, ajoute le sociologue. C’est la ville des études supérieures et des débuts de carrière. Le moment où le solde migratoire s’inverse arrive uniquement après trente ans, lorsque les questions d’achat de logement se posent ou lors de l’arrivée du premier enfant. »

En parallèle de ce fait, d’autres villes ont une croissance démographique particulièrement dynamique – Bordeaux, Toulouse, Lyon ou Rennes. L’aire urbaine de Nantes gagne environ 13 400 habitants chaque année depuis 2011, 9 000 pour Nantes métropole (vingt-quatre communes sur la centaine de l’aire urbaine).

Pour Johanna Rolland, maire (PS) de la métropole, cette attirance repose sur deux raisons principales : « Nantes est une ville facile et à taille humaine. Elle conjugue la qualité de vie et le dynamisme de l’emploi. “La belle endormie”, comme on l’appelait dans les années 1990, s’est éveillée et s’inscrit dans les transitions écologique, démographique et numérique. »

Emilie Abel dirigeait l’incubateur de HEC et la Majeure Entrepreneurs de la grande école de Jouy-en-Josas. Diplômée de Sciences Po Grenoble, elle admet volontiers avoir quitté une situation professionnelle « épanouissante » et « bien payée ».

Ecosystème numérique et immobilier accessible

Mais l’arrivée du premier enfant enchaine la réflexion dans son couple. La nounou qui arrive à 9 heures et repart à 19 heures, le temps perdu dans les embouteillages, l’appartement qui devient brusquement plus étroit.

Partir ou rester ? La naissance de leur deuxième enfant, en 2017, accélère l’issue. « Timothée est né avec un asthme sévère, il a eu une bronchiolite à l’âge de trois semaines et a enchaîné les traitements lourds », déclare la jeune trentenaire. Ce bébé fragile vient secouer la vie du couple qui commence à examiner plus sérieusement les portes de sortie.

« Nous avons pris une carte de France et nous avons comparé les différentes villes », poursuit Emilie. Celles où il fait « bon vivre », selon l’expression médiatique consacrée, celles qui rapprochent des ancrages familiaux, celles qui sont « dynamiques » en termes d’emploi, celles où l’immobilier est abordable.

Dans ce palmarès personnel, Bordeaux et Nantes réussissent les faveurs de ce jeune couple. Avec ses diplômes et son expérience, Emilie trouve du travail dans l’écosystème numérique nantais, auprès de l’entrepreneur californien Rob Spiro, ancien de Google, qui a lancé un accélérateur de start-up, sur cette île de Nantes, emblème de la renaissance d’une ville qui a perdu ses industries portuaires au début des années 1980.

Selon Pierre Lamblin, directeur d’études à l’Agence pour l’emploi des cadres (APEC), cette trajectoire est de plus en plus commune. « Ce qui compte pour les jeunes cadres qui débutent leur carrière, c’est la rémunération, l’intérêt des missions, la perspective d’évolution. Après quelques années, ce sont les conditions de travail et le sens des missions qui deviennent des valeurs cardinales », explique-t-il.

Envie de « prendre du temps »

Comme toutes les capitales, Paris s’embourgeoise. Le prix de l’immobilier flambe, pendant que le sentiment de déchéance de la classe moyenne supérieure et des cadres grandit. Ce sentiment, forcément subjectif, « dépend de qui l’on fréquente et de l’effet de comparaison sociale », selon Elie Guéraut.

Dans le jardin des plantes de Nantes, nous recouvrons Louis, un œil sur son fils, un autre sur Blanqui, son golden retriever blanc. Louis, s’interroge : combien de temps « l’inhumanité des villes » peut-elle durer ? « Paris est devenue la capitale de l’invivable, résume ce graphiste de 33 ans. En venant à Nantes, j’ai voulu échapper au jeu des contraintes : acheter un appartement pour ne pas perdre chaque mois un loyer délirant, courir après un salaire toujours plus haut pour pouvoir consommer ce que la ville a à offrir, payer une salle de sport pour décompresser des trop longues journées et des transports bondés. Si on veut de jouer le jeu, la somme de contraintes devient rapidement difficile à maîtriser. »

Louis a gardé son emploi à Paris pendant un an, en faisant des allers-retours en TGV une fois par semaine. Puis il a démissionné. Il prend désormais le temps de réfléchir à une reconversion dans l’édition. Peut-être loin de Nantes ou loin d’une ville. Plusieurs anciens Parisiens partagent cette envie de « prendre du temps » après des années de course de fond professionnelle. Le rapport au travail change. « Je suis comme désintoxiqué d’une certaine façon de travailler », ajoute Louis.

L’objectif de ces nouveaux arrivants est complexe à mesurer. Jade Letenneur, consultante en « relocation et mobilité » à Nantes, remarque que « l’arrivée des cadres parisiens, qui sont les trois quarts de mes clients, a totalement chamboulé le marché de l’immobilier nantais, que ce soit à la location ou à l’achat ». En un an, les prix de l’immobilier ont grimpé de 5,3 %, selon le site Ouestfrance-Immo du journal Ouest-France, de 19,2 % en dix ans.

En fuyant Paris, « son ciel gris et ses matins moroses », comme le chante Camille, les jeunes cadres parisiens seront-ils aussi tenus coupables de phénomènes de gentrification dans certains quartiers de Nantes ? « Peut-être sommes-nous en train de détruire ce que nous étions venus chercher », lance Louis avant de nous laisser.

Selon une étude de l’Atelier parisien d’urbanisme (janvier 2019), parmi les familles qui ont abandonné la capitale la moitié réside encore dans la métropole et s’est établi dans les communes limitrophes (Boulogne-Billancourt, Montreuil, Levallois-Perret, etc.), plus d’un tiers est parti pour la province, 15 % se sont installés en Ile-de-France en dehors de la deuxième couronne.

Les jeunes de 25 à 29 ans partent plus généralement de Paris avant la naissance du premier enfant.

Selon une étude de l’agence d’urbanisme de la région Nantaise (janvier 2019), Nantes comptait 961 521 habitants en 2016 ; la ville a encaissé en moyenne 13 394 habitants par an au cours des cinq dernières années. Porté particulièrement par un apport migratoire, le dynamisme traduit une forte attractivité économique et universitaire du territoire.

Le taux d’inactivité à Nantes est de 7,1 % de la population active (contre 8,9 % en France), une tendance à la diminution depuis 2015.

 

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LJD

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