« Les jeunes cadres citadins désirent s’installer au pays des vacances »

« Les jeunes cadres citadins désirent s’installer au pays des vacances »

Jean Viard est sociologue au Cevipof. Parmi ses thèmes de recherche, la décentralisation et l’administration territoriale, les identités territoriales , les loisirs et le travail.
Jean Viard est sociologue au Cevipof. Parmi ses thèmes de recherche, la décentralisation et l’administration territoriale, les identités territoriales , les loisirs et le travail.
Paris a vu une hausse phénoménale des prix de ses loyers et la ville poursuit de perdre chaque année des habitants. « Y habiter devient plus difficile, même si la machine créatrice parisienne est à son sommet », mentionne Jean Viard, directeur de recherches CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Les jeunes cadres, protégés par leurs diplômes, ont l’embarras du choix pour fuir Paris. Selon son point de vue, « le mouvement de mobilité sociale se situe désormais vers les grandes métropoles régionales : Lyon, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier ».

Comment analysez-vous le déménagement et l’envie de départ, des jeunes cadres parisiens pour les métropoles régionales ?

Nous sommes entrés dans une société de mobilité au fil de chaque journée, de l’année, de la vie. Quand on fait des études supérieures, il est bon de passer par Paris. Si possible d’y dédier un emploi en début de carrière. Puis vers 30 ans, ces jeunes cadres diplômés fondent une famille et pour eux partir de Paris devient alors attractif. Hier ils seraient allés dans les banlieues chics, aujourd’hui, plus souvent, ils vont vers les capitales régionales. Au fond, les Français nourrissent toujours le même désir de la « maison avec jardin ».

Chaque génération porte un projet d’élévation sociale. Les paysans ou les migrants qui parvenaient en ville devenaient ouvriers. Puis dans les années 1970-1990, leurs enfants ont fini un mouvement d’installation dans les zones périurbaines pour s’offrir le pavillon de leur rêve. C’est cette bande de la population qui compose le gros du mouvement des « gilets jaunes ». Car leur projet de vie est devenu passé avec la nouvelle puissance des métropoles et la pression écologique.

Pour le jeune cadre parisien, l’action de mobilité sociale se situe plutôt vers les grandes métropoles régionales : Lyon, Nantes, Bordeaux, Toulouse, Montpellier. Ces jeunes, citadins et très diplômés désirent vivre dans ces grandes villes, ils veulent une qualité de vie, une vie culturelle, être proche de la mer tout en étant dans une ville créative et dynamique. En fait, ils ont le rêve de « vivre au pays des vacances ».

La ville parfaite pour eux c’est le « Club Med » allié à la culture urbaine du baron Haussmann. Cette population, protégée par ses diplômes, a l’embarras du choix. Les entreprises, quant à elles, comprennent ces logiques des territoires jaillissants et préfèrent de s’implanter là où vont ces nouvelles compétences. Le monde numérique défend ces évolutions, à terme beaucoup de ces cadres travailleront sans doute en plusieurs lieux, au siège à Paris, dans des bureaux près de chez eux et à leur domicile. Le travail va être multilocalisé.

Paris est-elle en train de devenir insupportable, même pour cette population favorisée et protégée par ses diplômes ?

Paris symbolise, comme New York, une ville de célibataires où se nouent les rencontres. C’est la ville d’une jeunesse connectée, urbaine, diplômée et anglophone. D’ailleurs les start up ne veulent pas aller à la Défense, elles préfèrent payer des fortunes pour être au cœur de Paris.

72 % des Parisiens évoquent de quitter Paris, mais malgré ces sondages Paris reste la ville séduisante qui deviendra le New York de l’Europe dans une région de 11 millions d’habitants. Elle concentre 80 000 chercheurs et une force créatrice considérable.

Il faut aussi concevoir que si la révolution numérique a tendu sa toile universellement, elle a d’abord précipité la création de richesse dans les grandes métropoles où la créativité est plus forte, la recherche plus dense, les contacts plus rapides. Aussi Paris a vu les prix de ses loyers éclater et la surface des logements se diminuer, la ville a perdu 60 000 habitants en cinq ans. La machine créatrice parisienne est à son sommet, mais y résider devient plus difficile.

Comment les villes françaises tirent leur épingle du jeu dans cette nouvelle dynamique ?

Les vraies métropoles s’améliorent. Lyon, Toulouse, Nantes, Rennes, Aix-Marseille, Montpellier… et depuis 2008 elles ont créé de l’emploi malgré la crise. Dans les années 1980 on exprimait de « développement post-touristique » pour les villes dans des régions touristiques, Grenoble puis Sofia Antipolis, puis Montpellier…

La façade atlantique faisait figure de belle endormie. Puis elle s’est provoquée et elle progresse aussitôt très vite. Après Nantes, Bordeaux est parvenu à accélérer sa mutation. La ville a « explosé » d’un coup, ce qui a exploré des écarts avec les villes alentour.

La métropole de Lyon compte deux millions d’habitants. C‘est une sorte de Milan du Sud, tout y est, universités, entreprises, à moins de deux heures de Paris, du ski et de la mer. C’est également une ville très endogame. La grande majorité des Lyonnais sont nés à Lyon. Pour captiver les jeunes cadres diplômés il a fallu insérer le désir et développer la vitalité culturelle. Il ne manquait que l’art de vivre, ce que le classement à l’Unesco lui a donné en 1998.

Et puis il y a Aix-Marseille. Cette métropole maritime pèse presque autant que Lyon mais son organisation politique l’a longtemps freinée. Quand le Nord s’est effondré après la fin des mines, Lille s’est peu à peu rétablie en prenant les énergies des villes qui l’entouraient, comme Béthune, Dunkerque. C’est une ville qui est en train de surmonter le deuil industriel. Lille est une métropole émergente dans une région qui aime la culture industrielle. Elle est au cœur de l’Europe mais le Brexit peut modifier son destin.

L’Est est aussi en pénitence car en deuil industriel et en manque de métropole. Mais elle a des voisins puissants. Et puis il y a des villes plus petites comme Rouen, Caen ou Orléans, on peut s’y établir et continuer d’aller œuvrer à Paris, qui n’est plus qu’à une heure de TGV. C’est aussi ce modèle qui se développera.

Comment expliquez-vous l’ascension en puissance d’une ville comme Nantes ?

Nantes a connu une crise importante avec la clôture des chantiers navals et l’effondrement de l’industrie portuaire. Mais elle incarne une ville qui a réussi à se réinventer. Jean-Marc Ayrault [maire de 1989 à 2012] a su s’entourer d’hypercompétences, particulièrement de Laurent Thery (urbaniste) ou de Jean Blaise (directeur artistique)… Ensemble, ils ont repensé la ville autour de la culture, devenue cœur du lien social. C’est un cercle vertueux, ville pauvre, Nantes a attiré les investissements grâce à l’énergie culturelle.

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LJD

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