En Allemagne, entre les salariés d’IG Metall et les sociaux-démocrates du SPD, un « muraille du CO2 »

Anxieux pour leurs emplois depuis le « dieselgate », les cols bleus du syndicat IG Metall se détournent du grand « parti populaire » de gauche et se laissent tentés par l’extrême droite de l’AfD.
Une autre fois, la dernière fournée de sondages d’opinion n’a pas été favorable au Parti social-démocrate allemand (SPD). Selon une enquête de l’institut INSA, diffusée lundi 21 janvier, le grand « parti populaire » de gauche de jadis ne rassemble plus que 13,5 % des intentions de vote. Aux élections de l’automne 2017, où il avait enregistré le pire score de son histoire, il était encore à 20,5 %. Aujourd’hui, le SPD est relégué au troisième rang, derrière l’Union chrétienne (CDU/CSU), à 31 %. Largement dépassé par les écologistes (à 19,5 %), il est au coude-à-coude avec le parti d’extrême droite AfD, qui pointe à 13 %.
Avec l’arrivée d’une année électorale importante – outre les européennes, trois scrutins régionaux doivent avoir lieu en Allemagne en 2019 –, ces résultats sont très inquiétants pour le Parti social-démocrate. La formation a certes régulièrement vu reculer ses scores depuis dix ans, mais le net décrochage récent s’explique par un élément en particulier : le fossé grandissant entre deux franges de son électorat sur la question de l’environnement. Entre les ouvriers de l’industrie et les diplômés de l’enseignement supérieur, qui forment traditionnellement les deux piliers du SPD, se dresse désormais un « mur du CO2 », qui s’illustre sur les questions énergétiques (charbon), ainsi que dans l’automobile, l’industrie la plus exportatrice du pays, mais aussi la plus organisée.
Pour s’en convaincre, il suffit de se pencher sur le discours de l’un des personnages les plus influents de la société civile allemande : Bernd Osterloh, le président du Betriebsrat (conseil des salariés) de Volkswagen (VW). Il est la voix des quelque 290 000 salariés du groupe en Allemagne, un personnage central du syndicat de l’industrie IG Metall, traditionnellement proche du SPD. Depuis quelques semaines, M. Osterloh multiplie les attaques contre le parti, dont il est membre, qu’il accuse de ne pas assez défendre les intérêts des ouvriers et les emplois dans l’automobile, menacés par un passage forcé et trop rapide à l’électrique, estime-t-il.
« Un nouveau défi énorme »
« Les responsables politiques nous ont placés, peu avant les fêtes de fin d’année, devant un nouveau défi, qui est énorme : la réduction de 37,5 % de la limite des émissions de CO2 à partir de 2030. Je me demande si les décideurs, à Bruxelles et à Berlin, ont bien conscience de ce qu’ils font aux salariés de l’industrie automobile », a-t-il déclaré, dans une lettre envoyée au personnel avant les congés de fin 2018, dont Le Monde a obtenu une copie. Il redoute la disparition de milliers d’emplois. « Je pense que les salariés de l’industrie automobile sauront discerner, lors des élections à venir, quel parti démocrate représente au mieux leurs intérêts. Lequel oublie la durabilité sociale de milliers d’emplois, tout en se faisant célébrer dans les quartiers chics des grandes villes en imposant des limites d’émissions trop sévères », a-t-il annoncé, dans une référence à peine voilée au SPD.
Comme prévu, les mouvements d’employeurs ont refoulé une proposition des organisations de salariés, visant à instaurer un bonus-malus afin de contenir la prolifération des contrats courts. Cette fin de non-recevoir n’a pas, pour autant, provoqué de conflit. Les acteurs veulent prolonger leurs échanges, même s’ils tournent à la « course de lenteur », selon la formule de Denis Gravouil (CGT). Deux réunions supplémentaires auront lieu, les 14 et 20 février.
La délégation patronale a procédé avec méthode, mardi. D’abord, tailler en pièces tout système de bonus-malus qui augmenterait les cotisations des entreprises dont la main-d’œuvre tourne fréquemment. Une « mauvaise idée », d’après Hubert Mongon (Medef), car elle « risquerait de freiner l’activité », de fragiliser plus encore les sociétés déjà « en difficulté » et de peser « sur les gains de productivité ». « Présentation à charge d’une piste qu’ils n’ont jamais voulu ouvrir », a objecté Marylise Léon (CFDT). Les parties en présence ont cependant disserté durant plus d’une heure sur la problématique pour aboutir à la conclusion, prévisible, qu’aucun terrain d’entente ne pourrait être trouvé.
Intérêt poli
Puis est venu le temps des « proposions alternatives », portées par le patronat pour favoriser « l’accès durable à l’emploi » et « sécuriser le parcours » des personnes. Une douzaine de résultats ont été déclinées, dont plusieurs s’inspirent de conventions de branches récemment signées : favoriser le recrutement en « contrat long » des salariés ayant enchaîné des contrats courts, améliorer la régulation des CCD d’usage (un statut particulièrement flexible), promouvoir les groupements d’employeurs – un dispositif où la main-d’œuvre partage son temps de travail entre plusieurs sociétés, etc.
Certains avis ont suscité un intérêt poli, du côté de la CFDT et de la CFE-CGC. Par exemple, celle accordant la priorité à l’embauche des individus effectuant des CDD à répétition. D’autres, au contraire, ont été vues par toutes les centrales comme des « lignes rouges » à ne pas passer : ainsi en va-t-il du recours facilité aux heures complémentaires pour les personnes à temps partiel. Mais, au total, la copie patronale a été jugée insuffisante : « Il n’y a aucun effort de fait par les entreprises, a lâché Michel Beaugas (FO). Ça ne sécurise que les [employeurs]. »
Dès lors, à quoi bon poursuivre la négociation ? Elle « n’a pas [débuté], on ne va pas la quitter », a expliqué M. Gravouil. « Les vraies [discussions] commenceront le 31 janvier », a renchéri Jean-François Foucard (CFE-CGC). Ce jour-là, le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l’Union des entreprises de proximité (U2P) doivent découvrir un projet d’accord, avec – entre autres – des mesures sur les paramètres d’indemnisation des demandeurs d’emploi.
Elles s’annoncent rudes, aux yeux des syndicats, car le patronat entend respecter la « trajectoire financière » fixée par le gouvernement : permettre à l’assurance-chômage d’économiser 3 à 3,9 milliards d’euros en trois ans. Les représentants des organisations de salariés veulent donc continuer à croiser le fer pour, annoncent-ils, s’opposer à un texte synonyme de réduction des droits pour les chômeurs.
Position gênante
Dans cette condition, la probabilité de parvenir à un compromis apparaît très faible, de prime abord. « On va droit dans le mur », pronostique M. Gravouil. Mais une autre issue est possible : celle d’un « accord » a minima, paraphé par le patronat et une partie des organisations syndicales, qui ne contiendrait aucun mécanisme nouveau de majoration des cotisations ni de dispositions trop douloureuses pour les demandeurs d’emploi. Un tel scénario n’est pas à écarter : la CFTC et la CFDT se sont dites prêtes à mettre en balance le bonus-malus avec les propositions des mouvements d’employeurs.
Si cette hypothèse s’accomplit, l’exécutif se retrouvera dans une position inconfortable : soit il entérine l’accord, ce qui impliquera de renoncer à l’objectif d’économies et au bonus-malus – promesse de campagne d’Emmanuel Macron ; soit il le rejette pour pouvoir aller au bout de ses desseins mais avec le risque d’être, une fois de plus, dénoncé de piétiner les corps intermédiaires.