Gabriel Attal et « la théorie du chômage volontaire » : un argument discutable pour séduire les classes moyennes

Le premier ministre, Gabriel Attal, lors de la séance de questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 12 mars 2024.

Depuis son arrivée à Matignon, Gabriel Attal en a fait l’un de ses marqueurs. Il le répète comme un mantra. « Le travail doit toujours mieux payer que l’inactivité », assène le premier ministre. Cette petite phrase en forme de slogan a été prononcée lors de sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale, le 30 janvier, puis face aux salariés d’une entreprise de la métallurgie – Numalliance –, à l’occasion d’un déplacement dans les Vosges, le 1er mars. Dans son esprit, il s’agit de rendre « notre modèle social plus efficace et moins coûteux », dans un contexte d’économies budgétaires. Le chef du gouvernement entend également lancer un message aux classes moyennes, « ces Français de l’entre-deux, qui gagnent un peu trop pour toucher des aides », mais pas assez « pour être à l’aise ».

Cette préoccupation devait constituer l’un des thèmes du séminaire, organisé mercredi 27 mars à l’hôtel Matignon en présence de la plupart des ministres. Initialement, cette rencontre avait vocation à plancher – entre autres – sur les résultats d’une négociation entre partenaires sociaux, qui aurait dû prendre fin la veille. Mais les syndicats et le patronat ont décidé de prolonger jusqu’au 8 avril leurs discussions « pour un nouveau pacte de la vie au travail » (emploi des seniors, prévention de l’« usure professionnelle », etc.). Pour autant, il n’était pas exclu que M. Attal fasse des annonces en lien avec ces pourparlers, mercredi soir, lors du journal télévisé sur TF1. Depuis plusieurs mois, l’exécutif communique avec insistance sur le projet d’une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, qui se traduirait, une fois de plus, par un durcissement des règles en raccourcissant la durée d’indemnisation – notamment aux dépens des seniors.

Le leitmotiv du premier ministre renvoie à des problématiques anciennes, comme le rappelle Yannick L’Horty, professeur d’économie à l’université Gustave-Eiffel. « Dans le passé, il a pu arriver que des personnes sans emploi touchent des prestations dont le montant était temporairement supérieur à ce qu’elles auraient perçu si elles avaient repris un poste », affirme-t-il. « Avant le changement de mode de calcul de l’indemnisation, décidé en 2019, environ un allocataire sur cinq gagnait un peu plus en étant au chômage qu’en occupant un emploi », complète Bruno Coquet, économiste associé à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

Sur le plan des principes, de telles situations ne sont pas souhaitables car « il est essentiel que les politiques de redistribution et que notre système de protection sociale soient conçus pour qu’il y ait toujours un gain à reprendre une activité », enchaîne Stéphane Carcillo, professeur à Sciences Po Paris : « Sinon, cela signifierait que l’Etat-providence désincite au travail. »

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Le management dans l’inconnu : préserver les emplois plutôt que détruire

« La notion de manageur a besoin d’être revisitée pour être sur les temps longs. Il n’est plus celui qui décide, mais il doit être capable de conduire le collectif pour adhérer à un enjeu commun », a déclaré Pascal Daloz, le directeur général de Dassault Systèmes, lors de l’inauguration, le 13 mars, à l’Ecole des mines Paris-PSL du « Bauhaus des transitions ».

Ce centre de recherche vient d’être créé pour développer une nouvelle culture de management adaptée aux profondes mutations actuelles : dans l’écologie, la santé, la mobilité, etc. « On est frappé de plein fouet, soumis à d’énormes transitions dans tous les sens. Comment accompagner les dirigeants à gérer l’inconnu ? La formation française des ingénieurs n’est pas du tout préparée à cela », a souligné Denis Bonnet, le vice-président de la recherche et de l’innovation chez Thales.

Ce dont on est sûr, c’est que l’on ne sait pas grand-chose. Les transformations contemporaines ont réveillé les Cassandre, qui ne manquent pas d’évoquer les destructions d’emploi massives à venir, ou le manque de visibilité sur le devenir du travail. Au printemps 2023, Goldman Sachs annonçait ainsi des centaines de millions d’emplois menacés par l’intelligence artificielle générative. Les perspectives d’évolution d’emploi liées aux changements climatiques peuvent être aussi alarmistes et hasardeuses, vu la part de mystères sur la transformation des métiers. Comment avancer dans l’inconnu ?

Durant la période liée au Covid-19, les entreprises ont appliqué le management de l’incertitude qui, depuis des années, avait prouvé son efficacité en situation de crise politique ou sanitaire : cellule de crise pour gérer l’urgence, plate-forme d’écoutes, réduction du nombre de niveaux hiérarchiques pour raccourcir et accélérer la chaîne de décisions, communication en réseau renforcée.

Créer des dynamiques collectives

Le management de l’incertitude a été salvateur pour maintenir l’activité durant la pandémie, remettant au goût du jour le mode disruptif et, avec lui, les théories de la destruction créatrice de Joseph Schumpeter. Mais les chercheurs estiment aujourd’hui que, pour avancer sur le long terme, le mode disruptif n’est plus la réponse appropriée. Le futur du travail aurait davantage besoin de préservation que de destruction.

Ils s’interrogent en effet sur la « création préservatrice ». « Ce dont le monde a besoin pour demain, c’est vraiment de ces deux mots-là », estime Frédéric Arnoux, le président de STIM, une société qui accompagne les grands groupes en matière de stratégies d’innovation.

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Le délicat engagement des employeurs contre les addictions au travail

Interdiction de l’alcool lors des événements internes (pots, séminaires), non-remboursement de l’alcool sur les notes du frais au-delà du seuil légal du code de la route, témoignages de l’association des Alcooliques anonymes, éthylotests intempestifs sur les postes à risques… Voilà les mesures prises par la direction d’Enedis en région Pays de la Loire, en 2022, pour lutter contre les conduites addictives.

En janvier 2024, certains de ces principes ont été généralisés à l’échelle nationale. « Notre outil de suivi et de validation des notes de frais “détecte” désormais la consommation d’alcool via le contrôle automatique du taux de TVA », explique François Luciani, directeur délégué Pays de la Loire.

Dans la même région, le fabricant de camions Scania, déjà adepte du « zéro alcool », a décidé d’interdire le tabac dans son usine d’Angers (Maine-et-Loire), en septembre 2022. « On ne voulait pas aller trop rapidement dans cette démarche de santé publique : on n’était pas là pour dire aux salariés d’arrêter de fumer, donc on a proposé un accompagnement en plusieurs temps aux fumeurs inquiets », justifie Frédéric Guibert, responsable du pôle santé-sécurité.

En entreprise, les conduites addictives demeurent à un niveau élevé. Selon la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), en 2021, chez les actifs occupés, 27 % des hommes et 23 % des femmes fumaient quotidiennement ; 20 % des hommes et 8 % des femmes avaient une consommation dangereuse d’alcool.

Agriculture et bâtiment

Dans les emplois physiquement pénibles – agriculture, bâtiment – ou en contact avec le public, l’alcool demeure un outil de convivialité et un moyen de tenir. « Qu’il soit ouvrier ou encadrant de proximité, toute nouvelle recrue est incitée à consommer de l’alcool », écrit ainsi la sociologue Marie Ngo Nguene dans sa contribution à l’ouvrage Travailler aux chantiers (dir. Gwenaële Rot, Hermann, 2023), portant sur le secteur du BTP. La cocaïne est particulièrement répandue dans l’hôtellerie-restauration, ou chez les marins pêcheurs.

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Que peut l’entreprise face à ces conduites qui relèvent a priori de la vie privée ? En premier lieu, comprendre qu’il y a un lien entre organisation du travail et addictions : « L’addiction, c’est la rencontre entre un produit, un individu et un environnement, résume Valérie Saintoyant, déléguée de la Mildeca. L’environnement professionnel peut favoriser les consommations à risques. » Le stress, les risques psychosociaux, les horaires atypiques, le travail isolé et le télétravail sont autant de facteurs aggravants.

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Ascometal : vers un troisième redressement judiciaire en dix ans

Le ministre délégué à l’industrie, Roland Lescure, à l’Elysée, à Paris, le 27 février 2024.

Et de trois ! Pour la troisième fois en dix ans, le groupe Ascometal devrait se retrouver, mercredi 27 mars, plongé en redressement judiciaire. Sauf que, cette fois, au siège social d’Hagondange (Moselle), près de Metz, personne ne l’a vu venir. Car si la volonté de désengagement du propriétaire, le suisse Swiss Steel, est connue de tous, le groupe était en pourparlers très avancés avec l’aciériste italien Venete. « Nous sommes abasourdis. Pour nous, c’était acté. Venete était dans nos locaux depuis des mois. Nous avions eu le business plan, qui prévoyait d’ambitieux investissements. Là, on se retrouve avec plus rien du jour au lendemain », explique dépité un délégué syndical CGT, qui préfère garder l’anonymat.

Venete ne devait reprendre que le cluster automobile du groupe, soit Ascometal Hagondange (environ 450 salariés et 100 intérimaires), Ascometal Marcus (à Custines, en Meurthe-et-Moselle, près de Nancy, 70 salariés et Ascometal Le Marais, à Saint-Etienne, 70 salariés aussi) et Ascometal France Holding, le siège social et son centre de recherche, aussi à Hagondange (100 salariés).

Des repreneurs sont recherchés pour les sites de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône, environ 360 salariés) et des Dunes, à Dunkerque (Nord, environ 170 salariés).

« Dégradation de la situation économique »

La nouvelle de ce redressement judiciaire a été annoncée par la direction d’Ascometal, lundi 25 mars, aux élus du personnel en comité social et économique (CSE), lors d’une réunion extraordinaire. Cela a provoqué de vives inquiétudes sur le site mosellan, qui travaille à 90 % pour l’industrie automobile, dont il constitue un des maillons essentiels du marché européen, avec ses produits d’excellence. Contactée, la direction de la communication de Swiss Steel n’a pas donné suite, mardi 26 mars, à nos demandes.

Selon la CGT, les raisons de cet échec évoquées par la direction sont multiples, mais seraient principalement dues « à une dégradation de la situation économique depuis le début de l’année ». « L’accord signé entre Swiss Steel et Venete, en décembre [2023], comprenait un certain nombre d’engagements concernant le niveau de stock et les besoins en fonds de roulement. Ces conditions n’étant plus remplies, il aurait été nécessaire d’injecter plusieurs millions d’euros pour finaliser l’accord. Etant donné que ni notre actionnaire ni notre candidat à la reprise n’étaient disposés à le faire, le redressement judiciaire apparaît comme la seule option restante », déclare le syndicat.

La direction a annoncé aux élus du personnel qu’elle transmettrait, dès mardi, une demande de mise en redressement judiciaire au tribunal de commerce de Strasbourg. Une audience est déjà programmée pour mercredi 27 mars. La durée de la période d’observation dépendra du niveau de trésorerie de l’entreprise. Selon la CGT, celui-ci permettrait de tenir jusqu’à juillet.

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La semaine en quatre jours expérimentée au printemps dans les ministères

L’expérimentation de la semaine en quatre jours dans les ministères débutera au printemps et durera « un an au moins », selon une note de l’administration, consultée mardi 26 mars, par l’Agence France-Presse, à la veille d’un séminaire gouvernemental sur le travail.

Annoncée en janvier par le premier ministre, Gabriel Attal, cette expérimentation vise à évaluer « l’impact », notamment en ce qui concerne « l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle », de cette modulation du temps de travail qui consiste à concentrer ses heures sur un nombre de jours réduit.

« Elle se fera à effectifs constants » et sans réduction du temps de travail légal de 1 607 heures par an, insiste la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) dans cette note datée de vendredi.

L’expérimentation se déroulera aussi bien à Paris que dans les services « déconcentrés » (hors de la capitale) des ministères. Les opérateurs de l’Etat « pourront être associés (…) si cela paraît pertinent », détaille l’administration. « Il appartiendra à chaque chef de service de déterminer la pertinence » de mener ou pas l’expérimentation, ajoute-t-elle.

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Sur la base du « volontariat »

La DGAFP espère arrêter la liste des services prêts à tester la modulation du temps de travail en avril ou en mai, et lancer dans la foulée les premières expérimentations. La modulation du temps de travail commencera « au plus tard en septembre 2024 pour une durée d’un an au moins », est-il précisé dans la note. Un premier bilan sera dressé à l’été 2025 et servira à préparer « la pérennisation ou l’extension » de l’expérimentation – l’administration n’évoque pas le scénario d’une expérimentation non concluante.

Outre la semaine en quatre jours, les administrations pourront tester la semaine en quatre jours et demi ou l’alternance de semaines de quatre puis de cinq jours. L’expérimentation se déploiera sur la base du « volontariat », mais les fonctionnaires qui ont des « obligations réglementaires de service », comme les enseignants, ou des cycles horaires différents de la traditionnelle semaine de cinq jours, en seront exclus.

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Sa « logique » est « d’évaluer en quoi le dispositif permettrait (…) de faire bénéficier le plus grand nombre possible d’agents », et en particulier ceux qui n’ont pas accès au télétravail, « d’une diminution des jours travaillés avec présence sur site ». Dans les services publics accueillant des usagers, « les plages d’ouverture ne doivent naturellement pas être réduites mais peuvent a contrario être étendues du fait de la présence des agents sur une amplitude [horaire] quotidienne élargie », écrit la DGAFP.

Le Monde avec AFP

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Ouvrier amputé sur le chantier du métro de Rennes : « Un accident du travail, c’est l’écart entre le travail prescrit et le travail réel »

Il y a la loi, les plans de sécurité, les consignes. Et il y a le quotidien d’un chantier d’envergure, a rappelé l’audience du tribunal correctionnel de Rennes, lundi 25 mars, éclairant un accident survenu il y a huit ans sur le chantier du métro de la ville. « Huit ans et trois mois », corrige Bertrand Le Goff, partie civile, pour souligner combien chaque jour lui coûte sans sa jambe gauche.

En cette fin 2015, la station Sainte-Anne n’est encore qu’une excavation à ciel ouvert profonde de 22 mètres. Un chantier exceptionnel par le nombre d’entreprises qui y interviennent en même temps, en « coactivité ». La situation, accidentogène, nécessite une grande coordination : un phasage précis détermine qui travaille où et quand.

Dans la fosse ou « fond de fouilles », l’entreprise Guintoli (filiale de NGE) arase la roche avec une pelleteuse équipée d’une énorme fraise rotative « avec crochets, comme une mâchoire », précise le président du tribunal. Elle a remplacé le brise-roche hydraulique dont les vibrations ont fragilisé l’église voisine, provoquant six mois d’arrêt de chantier.

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Botte Fondations (filiale de Vinci) intervient ensuite pour projeter du béton sur des « voiles », les parois de la future station. Elle emploie Bertrand Le Goff, un maçon qualifié de 43 ans, père de trois enfants, en intérim depuis cinq jours, à la prise de cote. Ce 30 novembre, il prévient son chef qu’il manque 20 centimètres de terrassement sur le voile n° 7. Au mépris du phasage, la pelleteuse de Guintoli est rappelée sur la zone.

Une « situation dégradée »

Bertrand Le Goff s’en éloigne en se déportant le long d’un mur perpendiculaire, sur un talus. Un instant plus tard, le sol se dérobe sous ses pieds et la fraise lui happe la jambe. Il faudra deux heures pour l’extraire, sept heures de chirurgie pour le sauver, suivies de mois de douleurs et d’une nouvelle opération deux ans après.

Renvoyées devant la justice pour blessures involontaires par personne morale et par manquement délibéré à une obligation particulière de prudence ou de sécurité avec incapacité de travail supérieure à trois mois, les deux entreprises plaident la relaxe. Revendiquant des taux de sinistralité sous la moyenne du BTP, elles affirment avoir dûment appréhendé les risques dans leurs plans particuliers de sécurité et de protection de la santé.

« Je ne comprends pas pourquoi la fraise est sortie de sa zone d’évolution », s’étonne à la barre le représentant de Botte Fondations, selon qui une barrière sur le talus était inutile, car « ça ne sert qu’à signaler le danger, or M. Le Goff en avait connaissance ». « Elle serait tombée avec lui », renchérit le représentant de Guintoli. Les deux hommes mandatés ne sont cependant sûrs de rien, et pour cause : ce ne sont pas ceux qui encadraient le projet. « Après l’accident, on a rajouté un aide-fraiseur pour guider la pelleteuse. Aurait-on dû le faire avant ? Il ne me semble pas, car il y avait des consignes », plaidera la défense de Guintoli.

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Peut-on licencier un senior pour « désalignement culturel » ?

Droit social. Un magnifique cas d’école a fait le tour du monde. Dans un jeune cabinet de formation, le « fun & pro » est la culture officielle. Mais avec des pots alcoolisés et des séminaires alliant promiscuité et brimades. Refusant d’y participer, un directeur senior a été licencié pour insuffisance professionnelle sur… quatre motifs, dont le premier est singulier : « Désalignement culturel profond, de plus et en visible ». A ce directeur avec quatre ans d’ancienneté, 496 299 euros ont été accordés par la cour de Paris le 30 janvier 2024.

Une décision qui pose deux questions. Sur le niveau d’indemnisation d’abord, le barème Macron qui en 2017 a instauré des plafonds n’était pas applicable, pas tant à cause de la date du licenciement – le 11 mars 2015 – que de sa justification. Il ne s’agissait pas d’un banal défaut de cause réelle et sérieuse, mais de l’atteinte à une liberté « fondamentale » : la liberté d’expression.

Au salarié, et à lui seul, de choisir : demander sa réintégration ou de lourds dommages et intérêts. Mais comment atteindre 496 299 euros ? Ce fut toute l’habileté de son conseil : se placer sur le terrain de la réintégration. Car le licenciement étant rétroactivement annulé, l’employeur est d’abord condamné à payer une dissuasive « indemnité d’éviction », correspondant aux salaires que le cadre aurait perçus entre sa demande et sa réintégration réelle. Souvent plusieurs années…

L’ex-directeur ayant retrouvé du travail seize mois plus tard, fallait-il déduire les sommes en cause ? Que nenni, s’agissant là encore d’une liberté fondamentale. La solution aurait été inverse s’il s’était agi de la liberté vestimentaire.

Vie de commando, marcher sur des braises

Mais les autres motifs (perte de clients, manquements managériaux), étaient-ils bien réels et sérieux ? La Cour de cassation poursuit ici sa politique de dissuasion préventive. Lorsqu’un employeur invoque plusieurs motifs, il suffit qu’un seul porte atteinte à une liberté fondamentale pour que s’applique le principe du « motif contaminant » : y faire simplement allusion autorise le juge à ne pas examiner les autres motifs. Même si l’article L. 1235-2-1 créé le 22 septembre 2017 a voulu en limiter les effets.

Deuxième question posée par la décision du 30 janvier : peut-on perdre son emploi pour « désalignement culturel » ? « La bonne foi devant être respectée dans le cadre d’un contrat de travail n’implique pas un devoir de loyauté absolue, ni une obligation de réserve entraînant la sujétion du travailleur aux intérêts de l’employeur » (Cour de Strasbourg, 24 février 2024). Et depuis 1999, la Cour de cassation rappelle qu’être cadre n’entame pas la liberté d’expression.

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