Des entretiens d’embauche menés sans humain : le monde du recrutement se questionne sur les usages de l’IA

Très classiquement, elle a répondu à une petite annonce, en janvier. Puis, très classiquement encore, elle a reçu un mail préformaté lui indiquant qu’elle avait été retenue pour un entretien d’embauche. Dans ce même message, l’entreprise en question, la SNCF, lui avait indiqué que ce dernier se passerait en ligne sur une interface. Qu’en d’autres termes, personne ne serait derrière l’écran.

Le jour J, Anne Vulliez s’est malgré tout fait surprendre par la méthode, à savoir cliquer sur un lien, faire un bref test, puis répondre à l’oral à trois questions écrites, en une minute chacune, chrono sous les yeux, en actionnant sa webcam. « J’ai à peine eu le temps de dire bonjour, merci, que c’était déjà fini », raconte cette responsable en communication. Quelques semaines plus tard, la candidate reçoit un nouveau courriel lui signifiant, cette fois, qu’elle n’a pas été retenue. « Du début à la fin, il n’y a eu aucune interaction humaine », s’étonne-t-elle encore, pourtant ouverte aux nouvelles technologies. « Nombre d’entreprises veulent montrer qu’elles sont innovantes. Mais à l’heure où elles doivent remettre de l’humain dans leur stratégie, elles utilisent souvent l’intelligence artificielle [IA] à mauvais escient. »

Rédaction d’offres d’emploi, filtrage des CV, tests en ligne… L’IA générative, popularisée fin 2022 par ChatGPT, et qui consiste à créer du texte à partir d’instructions précises, est un outil supplémentaire qui s’invite désormais à tous les stades du recrutement. Dans la rédaction d’offres d’emploi, comme reconnaissent le faire L’Oréal ou le cabinet de conseil Ernst & Young (EY), mais aussi lors des entretiens. Mais cette robotisation n’a pas attendu l’IA générative.

« Certaines entreprises ont d’ores et déjà recours à des chatbots [robots conversationnels] qui posent des questions, enregistrent des réponses et prétendent savoir “décoder” les expressions du visage du candidat sous forme de “cartographie de ses émotions”, censée renseigner sur sa personnalité », confirme Gilles Gateau, le directeur général de l’Association pour l’emploi des cadres.

Transparence

Menées au nom d’économies, ces pratiques sont aussi justifiées par leurs promoteurs par le fait qu’elles ne véhiculeraient pas plus de stéréotypes qu’un recruteur classique. Plusieurs affaires ont cependant révélé que ces algorithmes pouvaient être porteurs de biais. En 2018, Amazon a dû renoncer à l’utilisation d’un outil de tri automatique des candidatures. Ce dernier discriminait les femmes qui postulaient à des métiers techniques ou de développeuse Web.

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Corinne Gaudart, sociologue : « Les liens entre générations permettent d’acquérir les gestes protecteurs pour moins s’user au travail »

Les jeunes, et de manière générale les débutants, sont particulièrement exposés aux risques de blessures graves et mortelles sur leurs lieux de travail : telle était la conclusion du dernierplan national pour la prévention des accidents du travail, en 2022, qui en faisait une préoccupation prioritaire. Face à cet enjeu, Corinne Gaudart, directrice de recherche au CNRS, ergonome et coautrice de l’ouvrage Le Travail pressé (Les Petits Matins, 2023), met en avant l’importance de la transmission intergénérationnelle au sein des collectifs de travail.

Quels facteurs expliquent que les plus jeunes soient très exposés aux risques de douleurs ou d’accidents au travail ?

Leur manque d’expérience est un facteur crucial. Les plus jeunes sont moins aguerris concernant ce qu’on appelle les « savoir-faire de prudence », les gestuelles, positionnements ou appuis qui permettent d’éviter les blessures ou la mise en danger.

Prenons un jeune ouvrier du BTP, comme nous en rapportons le récit dans notre ouvrage. A ses débuts, avec tout un groupe d’ouvriers novices que l’entreprise n’a pas pris le temps de former, il est affecté à des tâches fatigantes, mais qui ne sont pas supposées demander de compétences particulières. Très souvent, on donne une pelle et il faut creuser des tranchées. Mais bien tenir une pelle demande aussi un savoir-faire, qui, lorsqu’il n’est pas transmis, fait que les jeunes ouvriers se font mal rapidement. Jusqu’à parfois générer des douleurs durables et gênantes dans le travail.

Vous avez justement étudié les bienfaits de la transmission des bons gestes ou des comportements de prudence entre générations. En quoi cette transmission est-elle essentielle dans les collectifs de travail ?

Ces fameux « savoir-faire de prudence » ne s’acquièrent pas tous dans des formations classiques. Souvent, ce sont des savoirs un peu invisibles, qui s’apprivoisent avec le temps et s’apprennent en côtoyant une équipe ou un tuteur sur son lieu de travail. Les liens entre générations, lorsqu’ils peuvent se déployer, permettent d’acquérir souvent de façon efficace les gestes protecteurs pour s’économiser, moins s’user au travail ou encore pour savoir faire face à la variabilité des situations professionnelles. C’est essentiel, pas seulement sur le plan physique, mais aussi sur le plan psychosocial, sur la façon dont on se projette et on vit son travail.

Cette transmission ne se fait pas que dans un sens. Au travail, il s’agit d’un échange réciproque, où les nouveaux arrivés peuvent aussi apprendre aux plus anciens. On pense souvent aux compétences numériques par exemple, mais pas uniquement : je me souviens d’une équipe d’aides-soignantes, dans un hôpital, où la transmission se jouait aussi d’une plus jeune à une plus ancienne sur la bientraitance des patients.

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Après la mort d’un jeune couvreur, les manquements de l’employeur pointés du doigt au tribunal de Tours

Un couvreur au travail dans le Nord de la France, en 2015.

« Face à la douleur d’une famille, à l’indignation devant le fait que l’on puisse mourir sur son lieu de travail, et aux discussions extrêmement techniques sur les causes de l’accident, il faut toujours privilégier les victimes, lance la procureure de la République, Catherine Sorita-Minard, en ouverture de son réquisitoire au tribunal correctionnel de Tours, mardi 9 avril. Benjamin était un jeune homme, inexpérimenté, qui aurait dû être accompagné et formé par son employeur. »

Benjamin Gadreau est mort le 28 février 2022 à 23 ans, des suites d’une chute de treize mètres, après avoir glissé sur une gouttière. Salarié depuis un an de l’entreprise de couverture Quinet, il travaillait sur le toit d’un bâtiment de logements collectifs, à Chinon (Indre-et-Loire). La société est poursuivie pour homicide involontaire, absence de protection collective conforme, et mise à disposition d’équipement de travail sans information ou formation.

Au tribunal, les proches de la victime sont entourés d’une dizaine de familles du collectif Stop à la mort au travail, que sa mère Caroline Dilly a cofondé fin 2022. Ces parents ou conjoints de victimes ont pris l’habitude de se rendre aux procès pour se soutenir mutuellement, accompagnés de banderoles et vêtements à l’effigie de la personne décédée.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Accidents du travail : les jeunes paient un lourd tribut

Le déroulement des faits est typique des risques que prennent régulièrement les couvreurs. Avec son chef d’équipe, Benjamin Gadreau a la journée pour changer une partie des gouttières situées à l’angle du bâtiment, et remplacer quelques ardoises sur le toit. Ils utilisent une plate-forme élévatrice mobile de personne, un équipement qui permet de travailler en sécurité « à condition que les tâches de travail s’effectuent depuis l’intérieur du panier nacelle », selon l’inspection du travail.

C’est là tout le souci : le chef d’équipe puis Benjamin sortent tous les deux de la nacelle, car le toit est en pente et ils ne peuvent réaliser leur travail depuis celle-ci. C’est en remontant dedans, que le jeune homme, sans protection, glisse et tombe.

Le directeur adjoint du travail en Indre-et-Loire Bruno Rousseau, qui s’exprime au nom de l’inspectrice du travail qui a suivi le dossier – désormais retraitée – est formel : « C’était “mission impossible” de travailler en sécurité à deux avec cette nacelle. L’employeur n’a pas évalué les risques et pris les mesures nécessaires pour assurer la santé de ses travailleurs. On n’a même pas trouvé de règlement intérieur. » Le couvreur décédé n’était pas formé au travail sur ce type d’engin.

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A moins de 30 ans, leur corps est déjà abîmé par le travail : « Ça a quelque chose de déprimant de se rendre compte qu’on est toute cassée si jeune »

Désormais, chaque matin, Léa Ruiz revêt tout un attirail. Positionner un masque FFP2 sur le visage, enfiler une paire de gants en latex. Sur son agenda personnel, toujours avoir un rendez-vous chez le kiné programmé à court ou moyen terme. A 32 ans, elle n’a pas le choix si elle veut alléger les troubles physiques qui pèsent sur elle après neuf années en tant que coiffeuse.

Les premières douleurs sont survenues très tôt, dès ses périodes de stage. Dans les salons de grandes chaînes où la jeune apprentie coiffeuse officiait – debout toute la journée et soumise à une « cadence effrénée » –, son dos a commencé à lui faire mal. Puis ses poignets et ses épaules, à force d’enchaîner les Brushing coudes relevés et sèche-cheveux à la main, et enfin ses jambes, en raison du piétinement continu. « Au début, ça s’en allait, avec du sport ou des séances de kiné. Et puis ça s’est installé, et c’est devenu des douleurs constantes », raconte Léa Ruiz. A l’orée de la trentaine, un eczéma envahit ses mains, abîmées par les shampooings, suivi de violents maux de tête, liés à l’inhalation quotidienne des produits de décoloration.

Depuis 2020, elle a quitté l’industrie des salons de coiffure « à la chaîne » et a monté une coopérative avec d’autres collègues, décidés à penser une organisation du travail plus respectueuse : Frange radicale, à Paris, où les coiffeurs essaient de prendre davantage leur temps pour chaque coupe. Mais la jeune femme traîne toujours ces séquelles physiques, qui s’aggravent d’année en année. « Je ne vois pas bien combien de temps je vais pouvoir encore tenir comme ça », confie-t-elle.

« Usure prématurée »

Dans de nombreux secteurs, en particulier peu qualifiés, des jeunes travailleurs et travailleuses subissent, avant même la trentaine, les impacts précoces de leur activité professionnelle. Des domaines comme la logistique, le BTP, la vente, la restauration, l’esthétique – souvent essentiellement soit féminins, soit masculins – sont marqués par un même turnover, symptomatique de milieux qui essorent les corps en un temps record.

Si les métiers en question sont caractérisés par une pénibilité intrinsèque, les jeunes entrants sont particulièrement exposés à ce que les chercheurs appellent une « usure prématurée » en raison de la nature des emplois qui leur sont attribués. Souvent en intérim ou en CDD, ils passent en coup de vent, découvrant à chaque contrat un nouvel environnement de travail, auquel ils ne peuvent s’adapter pleinement. Et où on leur confie souvent les tâches les plus harassantes, dont les manutentions les plus lourdes et contraignantes, comme le souligne un rapport du Centre d’études de l’emploi et du travail de 2023.

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Dans une entreprise de moins de cinquante salariés, un délégué syndical ne peut être représentant syndical

Droit social. Depuis leur naissance en 1936, l’élection des délégués du personnel d’abord, puis, après l’intermède des comités sociaux créés par le régime de Vichy, dont les membres étaient désignés par l’employeur, celle des membres du comité d’entreprise, créé en 1945 dans les entreprises de plus de cinquante salariés, ont donné lieu à un nombre incalculable de décisions de justice.

Bien que délégués du personnel et comités d’entreprise aient été fusionnés en un comité social et économique (CSE) par l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 décembre 2017, dite « ordonnance Macron », les litiges sur la désignation des représentants syndicaux au CSE, troisième composante avec l’employeur et les élus de cette instance, n’ont pas cessé. Les règles de désignation de ces représentants des syndicats au CSE – mais qui n’y ont pas de voix délibérative – diffèrent en fonction de plusieurs seuils d’effectifs.

La situation est simple dans les entreprises d’au moins 300 salariés : chaque organisation syndicale représentative dans l’entreprise peut désigner un représentant syndical au CSE, à condition que cette personne soit éligible au CSE. Il en est de même dans les établissements entre 50 et 300 salariés : le délégué syndical de chaque organisation est, de droit, représentant syndical au CSE, il cumule ces mandats.

La situation est plus complexe en deçà de cinquante salariés, dans la mesure où il y peut y avoir imbrication de la fonction d’élu avec celle de délégué syndical. Aux termes de l’article L. 2143-6 du code du travail, dans ces établissements, les syndicats représentatifs peuvent désigner, pour la durée de son mandat, un membre élu au CSE comme délégué syndical à condition qu’il ait recueilli à titre personnel et dans son collège électoral au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections dudit CSE. Ce salarié aura deux fonctions.

Le principe de non-cumul

En revanche, par un arrêt du 11 septembre 2019, la chambre sociale de la Cour de cassation a édicté un principe de non-cumul entre la fonction d’élu du CSE (ayant voix délibérative) et celle de représentant syndical au CSE (sans voix délibérative mais porteur de la parole du syndicat). Il n’est donc pas possible de désigner le délégué syndical choisi parmi les élus du CSE en tant que représentant syndical à ce même CSE.

Cette impossibilité vient d’être confirmée alors même qu’une convention collective nationale – celle des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 – ouvre à tous les syndicats représentatifs, dans toute entreprise, la possibilité de désigner un délégué syndical quel que soit l’effectif de l’entreprise ou de l’établissement.

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Réforme de l’assurance-chômage : la droite cherche la juste distance critique face à Gabriel Attal

Olivier Marleix, président du groupe parlementaire Les Républicains, à l’Assemblée nationale, le 26 mars 2024.

Ils ont bien essayé de le dépeindre en ancien militant socialiste à peine repenti, mais les chefs du parti Les Républicains (LR) se sont vite rendus à l’évidence : Gabriel Attal sait parler à la droite et à leurs électeurs actuels ou perdus. Quand le premier ministre n’évoque pas la « désmicardisation » du pays ou ne lâche pas un très sarkozyste « tu casses tu répares » lors de son discours de politique générale, il annonce un nouveau tour de vis pour les chômeurs au « 20 heures » de TF1 le 27 mars. Réduction de la durée d’indemnisation (de dix-huit à peut-être douze mois) et augmentation du temps de travail nécessaire pour ouvrir des droits à une allocation, les pistes mènent à droite et braquent l’aile gauche de la majorité.

Les Républicains évitent pourtant de voler à son secours au moment où ils laissent planer la menace d’une motion de censure contre son gouvernement. Leur chef de groupe, Olivier Marleix, dénonce ainsi un « enfumage » pour trouver un dérivatif à un déficit public établi à 5,5 %. « En 2024, le déficit de l’Etat sera de 173 milliards d’euros. En 2024, l’assurance-chômage sera excédentaire de 3 milliards d’euros. Où croyez-vous que le gouvernement propose un effort ? Chômeurs âgés, transports sanitaires… oui. Train de vie de l’Etat… rien », s’insurge le député d’Eure-et-Loire.

Favorable à travailler avec le gouvernement, Nicolas Forissier (Indre) rappelle que les mesures avancées par M. Attal sont proches de celles présentes dans le contre-budget proposé par LR en octobre 2023. « Quelle est l’idée ? S’opposer pour s’opposer ? On devrait plutôt souligner qu’ils reprennent nos idées », suggère ce proche de Nicolas Sarkozy.

Dans ce document, Les Républicains avançaient une économie de 6 milliards d’euros et plaidaient aussi pour « développer les incitations au travail ». Pour les conditions d’éligibilité, la droite propose de les durcir dans des dispositions comparables à celles du premier ministre. Concernant la durée d’indemnisation, la fourchette restait large avec un passage de « six à vingt-quatre mois contre six à trente-six actuellement pour s’aligner sur nos voisins allemands et néerlandais ». Une piste qui semble viser la durée d’indemnisation plus longue pour les seniors de plus de 55 ans.

« Certains sont plus libéraux chez nous »

Réduire la durée d’indemnisation n’est pas une idée nouvelle à droite. Elle a été défendue dans le passé par des figures comme Pierre Méhaignerie, Eric Woerth, Jean-François Copé ou même l’actuel président de LR, Eric Ciotti, dans un entretien au Parisien le 30 septembre 2023. Elle n’est pas majoritaire pour autant.

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Inondations à répétition : quel impact sur l’emploi ?

Nombre d’entreprises et de commerces en Bourgogne, dans le Centre-Val de Loire et le Poitou-Charentes sont sous les eaux ou opèrent en mode dégradé du fait des inondations survenues début avril. Mais avant même que l’état de catastrophe naturelle ne soit décrété dans toutes les zones concernées, l’Urssaf, qui a beaucoup appris de la crise sanitaire, a pris les devants.

Le 3 avril 2024, les entreprises et indépendants affectés par les inondations apprenaient que l’organisme qui collecte les cotisations sociales avait activé des mesures d’urgence. Les employeurs qui se trouvent dans l’incapacité temporaire de soumettre leur déclaration en raison des dommages causés par les inondations ne seront pas pénalisés.

Les échéances de cotisations pourront également être reportées, les pénalités et majorations de retard faisant l’objet d’une remise d’office. Un aménagement bienvenu, sachant que les cotisations patronales représentent quelque 45 % du salaire brut. Cela dit, malgré leur ampleur, les inondations mettent finalement peu de salariés au chômage technique.

A Saintes, une commune de 25 000 habitants de Charente-Maritime inondée quatre fois cet hiver et qui l’avait déjà été en 2021, « l’activité économique est surtout perturbée par les problèmes de livraison et de stationnement qui affectent le chiffre d’affaires. Les collaborateurs, on arrive toujours à leur faire faire quelque chose. Et puis il y a le télétravail », explique Eric Guével, administrateur de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) en Charente-Maritime et gérant du groupe Muric, qui détient trois commerces (librairie papeterie, informatique, ameublement) employant 17 salariés dans ce département.

Soutenir les acteurs économiques

Si les inondations mettent finalement peu de salariés au chômage technique, cela tient aussi au fait que les entreprises les plus importantes, généralement implantées en périphérie, peuvent continuer à fonctionner. A l’inverse, les petits commerces sont souvent situés au centre des villes, historiquement construites le long des cours d’eau. Dans les cités frappées régulièrement par les catastrophes naturelles, l’emploi local pourrait ainsi être menacé à moyen terme : les commerçants et habitants situés dans les zones inondables peuvent être tentés de partir, occasionnant de la vacance immobilière, synonyme de déclin économique.

La crise climatique s’aggravant, l’Urssaf se trouve, quoi qu’il en soit, amenée à se mobiliser plus souvent pour soutenir les acteurs économiques. « Nous l’avons fait lors des intempéries dans le Pas-de-Calais en janvier 2024, lors du cyclone à La Réunion en janvier 2024 et lors des tempêtes Ciaran et Domingos en France en novembre 2023 », rappelle-t-on à l’Urssaf, qui s’efforce de faire preuve d’une « réactivité toujours plus grande face aux crises ».

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Une dame de compagnie est-elle une salariée ?

Une personne se trouve-t-elle dans une relation de travail salariée avec une autre parce qu’elle lui fait ses courses et qu’elle est présentée aux tiers comme sa « dame de compagnie » ? Telle est la question que pose l’affaire suivante. En janvier 2013, Mme X, sexagénaire, est mise en relation avec les époux Y, octogénaires lourdement handicapés, qui cherchent, en plus de leurs aides de jour, une personne acceptant de dormir chez eux, en échange du couvert.

Mme X s’installe à leur domicile jusqu’à ce que, en mars 2014, M. Y lui reproche de lui avoir fait acheter une voiture, 4 800 euros, et d’avoir profité de la procuration sur son compte. Elle part avec la voiture. En juin 2014, il porte plainte contre elle pour abus de faiblesse.

Elle est placée en garde à vue et poursuivie. Deux ans plus tard, elle sera relaxée. Mais, sur les conseils d’une avocate, elle porte plainte contre M. Y pour harcèlement sexuel et travail dissimulé, plaintes qui seront classées sans suite. Elle saisit un conseil de prud’hommes pour faire juger qu’elle a été, pendant quinze mois, salariée à temps complet, selon un contrat de travail verbal ; puis qu’elle a été licenciée sans cause réelle et sérieuse.

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Elle est déboutée de ses demandes, mais elle fait appel. Le 10 mai 2022, la cour d’appel de Nîmes lui donne raison, au vu des déclarations que M. Y a faites à la police, lors de ses auditions, notamment : « Malgré la femme de ménage, les assistantes de vie, j’ai cherché à trouver une personne qui pourrait dormir à notre domicile la nuit et s’occuper de nous à temps complet… J’ai voulu la déclarer, mais elle ne le voulait pas… (…) Cette personne a travaillé chez moi en qualité de dame de compagnie. » La cour s’appuie aussi sur le témoignage d’une infirmière et d’une voisine, confirmant ces dires.

Assistante de vie

La cour considère que Mme X a été « salariée de M. Y » et qu’elle a occupé un poste d’assistante de vie 1, classée niveau II de la convention collective des particuliers employeurs, dont la fonction est d’assurer une présence auprès des personnes âgées ou handicapées en veillant à leur confort physique et moral et en exécutant les tâches ménagères courantes.

Elle l’indemnise en lui allouant la somme de 34 300 euros (dont 19 338 euros pour rappel de salaire, 1 934 euros au titre des congés payés correspondants, 9 427 euros pour travail dissimulé, 1 500 euros pour licenciement sans cause et sérieuse, et déduction faite de 4 800 euros de voiture). Cette somme est censée lui être versée non par M. Y, mort en cours d’instance, mais par les héritières de celui-ci. Lesquelles se pourvoient en cassation, en contestant l’existence d’un contrat de travail.

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« Nous devons sortir d’une situation paradoxale où des entreprises, d’un côté, nous aident à vivre, et d’un autre côté, abîment le vivant »

Il s’en est fallu de peu pour que l’adoption de la qualité de société à mission ne soit imposée aux groupes d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) privés.

D’abord votée par l’Assemblée nationale le 21 novembre 2023 sur proposition de la députée Annie Vidal (Renaissance), cette disposition a ensuite été abandonnée par la commission mixte paritaire qui s’est réunie le 12 mars pour finaliser la loi « bien vieillir », votée définitivement le 27 mars. Il a été choisi de préserver le « cadre volontaire » de l’adoption de la qualité de société à mission, qui serait, pour certains, garant d’une plus forte responsabilisation des acteurs et d’une démarche plus authentique.

Ce débat parlementaire non médiatisé est toutefois digne d’intérêt parce qu’il a posé une question cruciale, celle des spécificités de l’économie de la vie et des formes d’entreprise qui doivent y être développées. « L’économie de la vie », pour reprendre le titre du livre de Jacques Attali (Fayard, 2020), regroupe tous les secteurs qui, d’une façon ou d’une autre et de près ou de loin, se donnent pour mission la défense de la vie : la santé, l’alimentation, l’eau, l’énergie, mais aussi l’éducation, la culture, l’assurance…

De nombreux exemples montrent que la société ne tolère plus que ces secteurs détruisent ce qu’ils sont censés protéger. Comment accepter que l’agriculture intensive nuise exagérément à la biodiversité, au stockage de carbone dans les sols et parfois directement à notre santé ? Comment accepter que le secteur sanitaire et médico-social réifie ses salariés au point de créer des problèmes psychosociaux majeurs et d’aggraver les risques de maltraitance ?

Des logiques de gestion différentes

Il est temps d’officialiser le fait que les entreprises de ces secteurs ne doivent plus être gérées uniquement au profit de leurs actionnaires. Nous pouvons exiger qu’elles aient un impact positif sur la qualité de vie au travail de leurs salariés, sur la santé de leurs clients et sur les écosystèmes naturels. Nous sortirions d’une situation paradoxale où des entreprises, d’un côté, nous aident à vivre, et d’un autre côté, abîment le vivant, tout en générant des coûts que la collectivité se charge d’assumer : problèmes de santé publique, crises environnementales…

Lire aussi la chronique : Article réservé à nos abonnés « Des sociétés à mission pour les Ehpad ? »

C’est justement pour répondre à cet enjeu que la qualité de société à mission a été instaurée en 2019 par la loi Pacte [Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises] et déjà adoptée par plus de 1 500 entreprises. Ces dernières modifient leurs statuts pour y inscrire une mission, c’est-à-dire une raison d’être, ainsi que des objectifs sociaux et environnementaux qu’elles s’engagent à poursuivre. Un contrôle de l’exécution de cette mission est effectué en continu par un « comité de mission », nouvel organe de gouvernance représentant les parties affectées par l’activité de l’entreprise (salariés, clients, environnement…), et par un organisme tiers indépendant, qui s’apparente à un commissaire aux comptes pour les engagements extrafinanciers.

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