Grève dans l’automobile aux Etats-Unis : « Le balancier du rapport de force revient du côté des salariés »

Le président du syndicat automobile américain United Auto Workers, Shawn Fain, à côté de l’usine Ford de Wayne (Michigan), le 15 septembre 2023.

Les premiers piquets se sont installés, à 0 heure vendredi 15 septembre, devant les usines General Motors (GM) du Missouri, Stellantis de l’Ohio et Ford du Michigan. En tout, 12 700 salariés se mettent en grève. Pour la première fois de son histoire, le syndicat américain de l’automobile United Auto Workers (UAW) entame un conflit simultané avec les trois grands constructeurs du pays.

Elle en a pourtant connu des conflits, cette organisation, née en 1935 après des années de lutte violente contre les milices patronales. La plus célèbre grève a eu lieu dans l’usine Ford de Flint, dans le Michigan, en 1936. Quarante-quatre jours de sit-in, avant de parvenir à un accord.

Aujourd’hui, ce n’est plus d’un sit-in (« assis ») dont rêve Shawn Fain, l’ambitieux patron de l’UAW, mais d’un stand-up (« debout »). « L’argent est là, la cause est juste, le monde nous regarde et l’UAW est prête à se lever », affirme-t-il avec emphase. Et c’est bien d’un redressement dont a besoin ce syndicat, qui faisait la loi dans les ateliers de l’après-guerre.

L’emploi dans l’industrie manufacturière a chuté d’un tiers par rapport à son pic des années 1970, et seulement 10 % des salariés américains sont désormais syndiqués. Les Big Three de la région des grands lacs, Chrysler (devenu Stellantis), Ford et GM restent le dernier bastion. Les constructeurs étrangers ont pris garde de s’installer dans le sud du pays, où les syndicats sont souvent interdits et les salaires plus bas.

Le conflit risque de durer

Mais Shawn Fain, fraîchement nommé à la tête de l’organisation, sait qu’il arrive à un moment critique. Les emplois manquent partout dans le pays. Le balancier du rapport de force revient du côté des salariés, qui poussent leurs revendications.

Les camionneurs d’UPS viennent d’obtenir une hausse de salaire de 18 % sur cinq ans, les pilotes d’avion, 40 % sur quatre ans, ceux de Deere (machines agricoles), près de 20 %. Même les acteurs et scénaristes d’Hollywood tâtent de la grève et de la revendication salariale. Il faut dire que les bénéfices des entreprises n’ont jamais été aussi plantureux. Pas loin de 40 milliards de dollars (37,5 milliards d’euros) pour les trois rois du 4 × 4 américain.

UAW s’engouffre dans la brèche et demande de 30 % à 40 % d’augmentation de salaire, la semaine de trente-deux heures et l’amélioration de la couverture sociale des retraités. Il n’aura pas tout cela, mais veut frapper les esprits. Le conflit risque de durer. Et, comme en Europe, ces hausses de salaire, qui arrivent après plus d’un an d’inflation, vont entrer en vigueur au moment où la conjoncture se retourne. Le marché de l’emploi se détend progressivement, et la croissance ralentit avec la hausse des taux par les banques centrales.

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Etats-Unis : une grève débute dans trois usines automobiles

Devant l’usine Ford à Wayne (Michigan), vendredi 15 septembre 2023 peu après minuit.

Le syndicat des employés des trois grands constructeurs automobiles américains, le United Auto Workers (UAW) – a annoncé le début d’une grève dans trois usines à partir de vendredi 15 septembre à minuit (6 heures du matin, heure à Paris), faute d’un accord trouvé avec ces entreprises pour les nouvelles conventions collectives.

« La grève débute dans les trois usines désignées », a déclaré l’UAW, qui avait annoncé un peu plus tôt avoir choisi trois usines – une de chacun des trois groupes General Motors (GM), Stellantis et Ford – pour lancer ce mouvement, enjoignant aux membres du syndicat des autres sites de se tenir prêts en fonction de l’évolution des négociations. Les trois sites concernés sont des usines d’assemblage : à Wentzville (Missouri) pour GM, à Toledo (Ohio) pour Stellantis, et à Wayne (Michigan) pour Ford. Ils totalisent environ 12 700 syndiqués de l’UAW.

En deux mois de négociations, les représentants du United Auto Workers et les dirigeants des « Big Three » – General Motors, Ford et Stellantis, qui contrôle l’américain Chrysler – n’ont pas pu trouver un terrain d’entente. L’UAW, qui représente quelque 146 000 employés du trio aux Etats-Unis, réclame un relèvement des salaires de 36 % sur quatre ans, alors que les trois constructeurs américains n’ont pas été plus loin que 20 % (Ford), selon le leader syndical.

Les trois grands groupes historiques de Detroit ont également refusé d’accorder des jours de congés supplémentaires et d’augmenter les retraites, assurées par des caisses propres à chaque entreprise.

Joe Biden dans une situation délicate

Le cabinet de conseil Anderson Economic Group (AEG) estime qu’une grève de dix jours pourrait représenter plus de 5 milliards de dollars (4,69 milliards d’euros) de perte de revenus pour l’économie américaine. La dernière grève du secteur remonte à 2019 – elle n’avait affecté que GM et avait duré six semaines.

« Consommateurs et concessionnaires sont en général relativement protégés des effets d’une grève courte », a expliqué le vice-président du cabinet AEG, Tyler Theile. Mais avec des stocks représentant un cinquième de ceux que possédait l’industrie en 2019, lors de la dernière grève chez GM, ils « pourraient être touchés beaucoup plus rapidement » qu’il y a quatre ans, selon lui.

« On arrive au quatrième trimestre, période durant laquelle on voit le plus de ventes de pick-up et de gros SUV, qui sont très rentables pour ces trois constructeurs, rappelle Jessica Caldwell, du site spécialisé Edmunds.com. S’ils n’en ont pas suffisamment en stock, ils vont manquer des ventes. »

Par ailleurs, un conflit social prolongé pourrait avoir des conséquences politiques pour le président, Joe Biden, dont le bilan économique est critiqué, en particulier du fait de l’inflation tenace aux Etats-Unis. A un peu plus d’un an du scrutin présidentiel, le chef de l’Etat marche sur des œufs, entre son soutien affiché aux syndicats et le spectre d’un coup porté à l’économie américaine par une grève.

Le Monde avec AFP

A « Marie Claire », la crainte de « l’ubérisation » des métiers de la presse écrite

Est-ce la situation au Journal du dimanche, qui lui a fait l’effet d’ « un parpaing dans la figure » ? Ou les craintes exprimées l’hiver dernier par les rédactions du Parisien ou des Echos au sujet de leur indépendance ? « Je ne sais pas pourquoi, mais là, ça ne passe plus, confie une journaliste de Marie Claire. Peut-être parce qu’on n’a plus rien à perdre. » Au mensuel féminin, le probable licenciement de deux secrétaires de rédaction (des journalistes chargés notamment de monter les pages) lève un mouvement de protestation comme on ne se souvient pas en avoir connu.

Dévoilée en janvier, la décision de mettre un terme à leur activité afin de l’externaliser a provoqué la constitution de la première Société des journalistes (SDJ) de l’histoire du titre créé en 1937, un bras de fer entre la direction et les représentants des salariés, ainsi que la tenue de plusieurs assemblées générales. « Nous réprouvons cette décision unilatérale de la direction et nous nous interrogeons sur la pertinence de sacrifier deux postes (sur un total de six dans le groupe) pour équilibrer les comptes de l’entreprise », s’insurge la SDJ dans un communiqué le 12 septembre.

Dès le prochain numéro, pourtant, le travail sera sous-traité par l’agence Com’Presse, basée à Astaffort, dans le Lot-et-Garonne. Outre les deux salariés rattachés à Marie Claire, quatre secrétaires de rédaction travaillant pour d’autres titres du groupe (Avantages, Cosmopolitan, et Marie Claire Maison) sont également convoqués, à partir du vendredi 15 septembre, à des entretiens préalables à leur licenciement. L’économie annuelle attendue avoisinerait les 265 000 euros, selon des chiffres qui circulent en interne. « Nous dénonçons cette décision qui préfigure l’ubérisation de tous les métiers de la presse écrite », conclut le communiqué de la SDJ.

Lire aussi la tribune de l’historien des médias Alexis Lévrier  : Article réservé à nos abonnés « La métamorphose du “JDD” provoque un sentiment de malaise »

« Un tiers de la masse salariale a déjà disparu »

Ce n’est pas la première fois que le magazine, qui compte trente-cinq journalistes aux rédactions Print et Web ainsi que plus d’une vingtaine de pigistes réguliers, regarde partir des collègues sans espoir de les voir remplacés. « C’est le dixième petit plan en dix ans, un tiers de la masse salariale a déjà disparu », assure Françoise Feuillet, la déléguée syndicale SNJ-CGT – en dessous de dix salariés visés par un licenciement, l’entreprise n’est pas tenue de déclencher de plan de sauvegarde de l’emploi.

D’après les chiffres de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias, Marie Claire s’écoulait à 286 867 exemplaires en 2022, accusant une baisse de 3,75 % sur un an. Or selon des journalistes, les ventes de ces quatre derniers mois seraient en hausse par rapport à l’année précédente. « On a conscience que la presse ne va pas bien, on n’est pas des idiots, reprend la syndicaliste. Mais quand on prend toute une profession pour l’externaliser, comment croire que nous aurons, à l’arrivée, la même qualité ? » La rédaction craint qu’à terme, le service de la maquette ne soit, lui aussi, confié à une entreprise extérieure – un processus de sous-traitance de certaines fonctions déjà expérimenté par Les Inrocks ou Psychologies Magazine.

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Le vertige des IA capables de doubler votre voix dans une langue étrangère

Joshua Xu, cofondateur et président de la start-up HeyGen, le 28 juin 2023, à Toronto (Canada).

C’est une vidéo sur laquelle on voit un internaute qui se filme avec son téléphone en train de parler en anglais… Puis on revoit le même extrait, mais la personne s’exprime désormais en français, sans que son timbre de voix soit changé et sans que le mouvement de ses lèvres soit décalé. Puis, la vidéo recommence, cette fois-ci en allemand… Cette petite démo, mise en ligne le 11 septembre par un internaute sur le réseau social X (anciennement Twitter), illustre l’effet bluffant et troublant de nouveaux outils capables, grâce à l’intelligence artificielle (IA), de générer un doublage automatique, tout en clonant la voix de l’interlocuteur et en synchronisant sa diction. Déjà visionnée plus de 6 millions de fois, cette vidéo utilise un logiciel créé par une start-up américaine, HeyGen, mais d’autres entreprises, dont Google, possèdent des applications similaires. Cette nouvelle avancée de l’IA renforce les questions sur l’avenir de la traduction et du doublage.

Sur le Web, plusieurs internautes, impressionnés ou amusés, ont essayé l’outil de HeyGen. Le consultant en numérique Michel Levy Provençal a testé cette « nouvelle fonction révolutionnaire de traduction automatique de vidéo » en espagnol, polonais, hindi… D’autres ont doublé une chanson de Jacques Brel, une conférence de presse de Lionel Messi ou un discours de Charles de Gaulle.

Le site de HeyGen permet d’essayer gratuitement l’outil sur environ deux minutes de vidéo, mais il faut passer par une file d’attente qui comptait, jeudi 14 septembre, plus de 100 000 documents. La start-up propose aussi des abonnements payants (par exemple 48 dollars (45 euros) par mois pour environ trente minutes de vidéo).

Questions et inquiétudes

Ces outils de doublage synthétique impressionnent, en assemblant plusieurs techniques d’intelligence artificielle pourtant déjà présentes sur le marché : la transcription du son vers le texte (Trint, DeepL ou YouTube, qui génère des sous-titres automatiques sur ses vidéos), la traduction (DeepL, ChatGPT, Google Translate…), la synthèse vocale de texte, et le « clonage » d’une voix à partir d’un enregistrement, comme va le proposer bientôt Apple avec son outil Personal Voice, qui cible les personnes sujettes aux extinctions de voix ou malades.

Les logiciels comme HeyGen font soupçonner des développements vertigineux de l’IA dans la traduction : demain, pourra-t-on entendre tout interlocuteur étranger traduit en direct dans les écouteurs de son smartphone ? Regarder toute vidéo ou film doublé dans n’importe quelle langue ?

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Aérien : Didier Lebbe, le syndicaliste trublion, bête noire de Ryanair en Belgique

Didier Lebbe, à Bruxelles (Belgique), le 12 mai 2020.

Un entretien entrecoupé de coups de fil d’autres journalistes sur son portable, un passage dans les studios de la RTBF avant un autre dans une radio commerciale et une prise de température sur le terrain, à l’aéroport de Charleroi-Bruxelles-Sud : cheveux en bataille et pull marin, Didier Lebbe, dopé à la caféine, promène partout sa grande carcasse pour expliquer et justifier la nouvelle grève que devaient mener les pilotes belges de Ryanair, jeudi 14 et vendredi 15 septembre. Cinquante-huit vols annulés sur les deux cent quatre-vingt-huit prévus pour ce hub où la compagnie irlandaise réaliserait 12 % de ses gigantesques bénéfices (663 millions d’euros lors du premier trimestre de 2023).

C’est la quatrième fois cette année que les pilotes, excédés par le refus de tout dialogue affiché par la direction irlandaise, se croisent les bras. Et c’est la vingt-quatrième grève que connaît le syndicaliste Didier Lebbe, responsable du secteur transports de la Centrale nationale des employés, une branche de la Confédération des syndicats chrétiens. Depuis 2018, il est la bête noire de Michael O’Leary, le patron de la compagnie qu’il n’hésite pas à traiter de « clown ».

L’Irlandais, en réponse, dit se moquer éperdument des syndicalistes belges mais ce sont bien les grèves, et un recours introduit devant la Cour de justice de l’Union européenne, qui ont notamment forcé la direction à admettre, en 2019, que c’est le droit belge, et non irlandais, qui s’appliquait au personnel de cabine basé à Charleroi. Cette main-d’œuvre, très majoritairement issue du sud ou de l’est de l’Europe, était auparavant considérée comme irlandaise, soumise à une compagnie d’intérim.

Salaire minimal

Des mouvements menés conjointement avec des organisations espagnoles, portugaises et italiennes ont aussi abouti à la signature de conventions collectives pour les pilotes et le personnel de cabine avec, à la clé, l’instauration d’un salaire minimal − quelque 2 000 euros brut aujourd’hui − pour ce dernier.

Cette fois, ce sont les pilotes qui réclament la restauration de leur salaire, après les 20 % qu’ils ont abandonnés au moment de la pandémie de Covid-19. Leur rémunération devrait, en plus, être augmentée, en vertu du système d’indexation automatique qui adapte les revenus à l’inflation (soit 17 % de hausse depuis 2019), mais, pour la direction irlandaise, il n’est pas question de céder, quitte à enfreindre la législation belge.

Les pilotes protestent également contre un projet de réaménagement de leurs périodes de repos et dénoncent le « chantage » auquel se livrerait la compagnie, promettant la négociation d’une nouvelle convention de travail − l’actuelle expire en 2024 − en échange de l’arrêt des actions en justice qui ont été lancées.

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« Les jeunes femmes sont toujours plus diplômées que les hommes mais les inégalités ne se réduisent pas »

Cérémonie de remise de doctorat, à l’université Paris-VI Pierre-et-Marie-Curie, à Paris, en juin 2009.

Des femmes toujours plus diplômées mais des inégalités au travail encore fortes, et ce dès les premières années de la vie active. C’est ce qu’observent la sociologue Dominique Epiphane et l’économiste Vanessa Di Paola dans un article du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) paru en juillet et fondé sur les données de l’enquête Génération 2017, qui a interrogé 30 000 jeunes trois ans après leur sortie du système scolaire en 2020.

Dans un entretien accordé au Monde, Dominique Epiphane, chercheuse au Céreq, rappelle que, malgré les politiques publiques de ces dernières années, les écarts entre les femmes et les hommes en début de vie professionnelle se maintiennent, voire se creusent, sur certains points, comme l’accès à un statut de cadre ou le salaire.

La précédente enquête Génération passait au crible la situation des jeunes sortis du système scolaire en 2010. Quelles évolutions avez-vous notées en sept ans ?

Les jeunes femmes sont toujours plus diplômées que les hommes : la moitié des femmes sont titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, contre 40 % pour les hommes. Dans l’enquête Génération 2010, ils étaient respectivement 44 % et 35 %. Mais les inégalités sur le marché du travail – de l’accès à l’emploi aux niveaux de salaire – ne se réduisent pas.

Les jeunes femmes continuent à subir une double ségrégation : horizontale, c’est-à-dire qu’elles ne suivent pas les mêmes formations, n’exercent pas les mêmes métiers que les hommes ; et verticale, elles n’accèdent pas aux mêmes postes et donc aux mêmes salaires. Un exemple : 21 % des jeunes hommes sont des cadres, contre 18 % de jeunes femmes. Un écart de trois points qui est en réalité sous-évalué : les femmes étant davantage diplômées, elles devraient être plus nombreuses que les hommes dans cette catégorie. Le salaire médian chez les jeunes femmes cadres est de 2 370 euros, contre 2 500 chez les jeunes hommes.

Les jeunes de 2010 sont entrés sur le marché en pleine crise économique, contrairement à ceux de 2017 qui ont bénéficié de conditions plus favorables jusqu’à la pandémie de Covid-19. Les résultats auraient pourtant dû s’améliorer…

En période de récession, les écarts ont tendance à se réduire, les hommes étant nombreux à travailler dans le secteur industriel, très vulnérable aux crises. Mais dès que la situation s’améliore, les inégalités repartent à la hausse. Les femmes ne parviennent pas à tirer leur épingle du jeu car elles sont plus nombreuses à travailler dans des secteurs peu valorisés. En sept ans, non seulement beaucoup d’écarts se sont maintenus, mais certains se sont même creusés, comme l’avantage salarial des hommes, leur accès plus important à la catégorie des cadres et leur faible proportion au sein des professions peu qualifiées.

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Egalité femmes-hommes : la Cour des comptes pointe des « avancées limitées », dues à des « erreurs de méthodes » et l’absence de « stratégie globale »

Depuis 2017, malgré une « mobilisation indéniable », la politique d’égalité entre les femmes et les hommes menée par le gouvernement français n’a permis que des « avancées limitées », en raison d’« erreurs de méthode », signale la Cour des comptes dans un rapport rendu public jeudi 14 septembre.

L’institution de contrôle de l’emploi des fonds publics estime en effet que l’égalité femmes-hommes, malgré le fait qu’elle ait été désignée « grande cause nationale », ne bénéficie pourtant pas d’une « stratégie globale » ni d’un « pilotage efficace ». Elle relève ainsi une « diversité » de plans stratégiques, qui n’ont pas été consolidés « en une feuille de route unique » suivie régulièrement à un niveau interministériel.

Le pilotage de cette politique a, en outre, été rendu « difficile » par « des lacunes dans la conception des mesures elles-mêmes » : nombre d’entre elles ne sont « pas fondées sur un diagnostic précis des situations et des besoins ». De plus, de nombreuses mesures « n’ont été assorties ni de moyens, ni de calendrier de réalisation, ni d’indicateurs de résultats, ni de cibles, ce qui rend leur évaluation impossible », déplore la juridiction financière.

Le besoin d’une « feuille de route mesurable et évaluable »

Par conséquent, la Cour des comptes recommande de décliner le nouveau plan interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027 en « une feuille de route mesurable et évaluable », avec notamment la description des « moyens » alloués, des calendriers imposés et des « cibles ». Celle-ci devrait faire l’objet d’un « calendrier de suivi interministériel ». Elle préconise également de concevoir un « programme interministériel d’évaluation des actions » menées par l’Etat et par les organismes qu’il finance.

Pour l’heure, la lutte pour l’égalité professionnelle et celle contre les violences conjugales, deux chantiers devenus prioritaires du gouvernement, n’ont « avancé que partiellement », selon la Cour des comptes.

En matière d’égalité au travail, les progrès dans la réduction des inégalités dans le secteur privé restent « lents, malgré un arsenal législatif croissant depuis plusieurs décennies ».

Concernant la lutte contre les violences conjugales, la juridiction indépendante salue les avancées faites pour la protection des victimes (dispositifs d’écoute et d’accompagnement renforcés, téléphones grand danger distribués) et l’accompagnement des auteurs (création de centres de prise en charge des auteurs, ports de bracelets anti-rapprochement). Mais elle regrette l’absence de mise en œuvre de mesures « pour faire évoluer les mentalités », comme celles relatives à la prévention axée sur l’éducation.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Quand les violences conjugales franchissent le seuil de l’entreprise

Le Monde avec AFP

La crise du bâtiment suscite une crainte aiguë pour l’emploi

La filière du logement et de la construction a connu rentrée plus joyeuse. Depuis quinze jours, les chiffres présentés par les fédérations du secteur (promoteurs, constructeurs, artisans) se succèdent et se ressemblent. Au mieux, les indicateurs sont maussades, quand ils ne dessinent pas un avenir franchement sombre.

« Le secteur du bâtiment entre en récession, c’est historique depuis sept-huit ans », annonçait, mercredi 13 septembre, Olivier Salleron, le président de la puissante Fédération française du bâtiment (FFB), expliquant avoir dû réviser ses prévisions à la baisse (– 0,2 %, et non plus + 0,7 %) pour 2023, la faute au logement neuf, « touché, coulé ». Le tableau n’est pas meilleur du côté des promoteurs qui, jeudi 14 septembre, décrivaient une offre et une demande « en chute libre » : – 30 % de ventes et mises en vente au second semestre 2023. Les achats des investisseurs particuliers ont même baissé de 50 % sur le deuxième trimestre par rapport à 2022.

Pour la construction neuve, cela était attendu. La crise amorcée il y a un an et demi, en raison de la hausse des taux d’intérêt et du durcissement des conditions d’accès au crédit immobilier, ne s’est pas enrayée. Depuis le début de 2023, les mises en chantier ont reculé de 15 %, « et le mouvement ne peut que s’accentuer puisque les permis chutent de près de 30 % », détaille la FFB. Sur la période, seuls 303 000 logements ont été mis en chantier, poursuit le lobby des constructeurs. Il faut remonter à 1991 pour trouver un chiffre équivalent. La France entrait alors dans une longue crise du logement. Il n’y a pas grand espoir à attendre du côté du non-résidentiel, même si, et c’est à noter, la commande publique repart, avec une hausse des permis pour les bâtiments administratifs (+ 8,4 %).

Les Français déménagent moins

Au printemps, les acteurs de la filière avaient haussé le ton face à l’état de la crise qu’ils disaient voir venir – « l’avantage, dans le bâtiment, c’est qu’on sait trois ou quatre ans à l’avance ce qui va se passer » – et l’absence de réaction des pouvoirs publics. Espérant que le gouvernement revienne notamment sur la suppression de l’avantage Pinel et sa décision de réserver le prêt à taux zéro aux seules zones tendues, ils avaient brandi la menace de la destruction d’emplois. Entre 100 000 et 150 000, craignait la FFB, d’ici à 2025, qui parle à présent de 150 000. Voire 300 000, en comptant les emplois indirects, insiste-t-elle, sachant que les discussions sur le projet de loi de finances 2024 sont en cours. « La phase de croissance dans l’emploi depuis 2017 va se refermer », prévient Olivier Salleron.

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Fichage illégal : Pascal Pavageau, ancien secrétaire général de FO, devant la justice

Pascal Pavageau peut avoir la dent dure quand il parle de lui-même : « prétentieux », « piètre manageur », « naïf » Mais, si l’ancien secrétaire général de Force ouvrière (FO) se livre à cette autocritique, mercredi 13 septembre, devant la 17chambre correctionnelle du tribunal de Paris, c’est pour mieux récuser les infractions qui lui sont reprochées. Le fichage clandestin de hauts gradés de son organisation ? Il martèle qu’il ne l’a jamais demandé. A l’en croire, cette opération de basse police, qui avait fait scandale il y a presque cinq ans et l’avait contraint à la démission, résulte d’une sorte de malentendu entre lui et sa garde rapprochée : « J’aurais dû être plus clair dans les consignes. » En somme, il a une part de responsabilité, mais n’est pas coupable.

Cette ligne de défense ressemble à celle qu’il avait adoptée au début de l’affaire. Le 10 octobre 2018, Le Canard enchaîné révélait l’existence de deux listings de 127 dirigeants de FO, avec, pour chacun d’eux, des commentaires de natures diverses (accointances politiques, orientation sexuelle, etc.). Dans certains cas, les appréciations étaient assorties d’injures (« ordure », « mafieux »…). Elaborés plus d’un an avant que M. Pavageau soit élu à la tête de FO, en avril 2018, lors d’un congrès à Lille (où il était seul en lice), ces documents classaient aussi les personnes en fonction de leur proximité avec le leader syndical. A l’époque, il avait parlé d’une « belle connerie », imputée à deux de ses collaboratrices, Cécile Potters et Justine Braesch : il croyait que celles-ci réalisaient un simple « mémo » à partir d’éléments qu’il leur avait fournis.

Aujourd’hui, ces deux femmes, également renvoyées devant la 17chambre, reconnaissent avoir participé à la confection des fichiers. Mme Potters explique même que c’est elle qui a eu « l’idée » de créer une rubrique avec des renseignements sur les 127 cadres. Il s’agissait de « former » la future équipe de direction de M. Pavageau, avant le congrès de Lille, afin qu’elle sache où elle mettait les pieds dans une maison secouée par des divisions internes.

« Lâcheté »

Mais les deux prévenues ne veulent pas porter seules le chapeau : selon elles, M. Pavageau était au courant. Le fait qu’il le conteste démontre une « lâcheté que je ne comprends pas », tacle Mme Potters à la barre.

Par moments, l’audience tourne au règlement de comptes. M. Pavageau se pose en victime d’une cabale : la fuite des fichiers dans Le Canard enchaîné était une mesure de représailles contre son projet de mener un « audit » des comptes du syndicat, après les « abominations » qu’il avait découvertes – en évoquant des financements occultes en faveur de partis. « Elucubrations », réagit Frédéric Souillot. L’actuel secrétaire général de FO prend la parole au nom de son organisation, partie civile dans le dossier, en soulignant qu’elle a été « salie ».

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