Chez LDLC, les cadres en forfait jours aussi sont passés à la semaine de quatre jours

A première vue, les deux bâtiments du groupe LDLC ont tout du siège classique de grande entreprise française : des bureaux assez sobres, en open space, en périphérie d’une métropole, près de Lyon, à Limonest, un toit végétalisé, des espaces de détente avec des poufs, des équipements de loisir (salle de sport, bornes d’arcade et même pistes de bowling)… Et des cadres, beaucoup de cadres : 30 % de l’effectif global. La majorité d’entre eux travaillent au siège, qui abrite 600 des 1 100 salariés du groupe de vente en ligne de high-tech.

Qu’ils soient dirigeants ou manageurs de proximité, ils ont eux aussi été associés au passage à la semaine de quatre jours, sans baisse de salaire et avec réduction du temps de travail, mise en œuvre par LDLC depuis le 25 janvier 2021. Une exception dans le paysage français. Pauline Grimaud, sociologue du Centre d’études de l’emploi et du travail, a étudié près de 300 accords signés en 2023 en France. Elle constate qu’« une part non négligeable des accords d’entreprise sur la semaine de quatre jours exclut les cadres, en particulier ceux au forfait jours », qui ne comptent pas leurs heures, car leur temps de travail est mesuré en jours, avec un maximum de 218 par an. Ce mode d’organisation du travail concernait 14,7 % des salariés du privé à temps complet en 2021, et la moitié des cadres, selon le ministère du travail.

Chez LDLC, le commun des salariés est tenu de travailler seulement 32 heures chaque semaine, et il est prévu que toute l’entreprise se cale sur cet objectif… Y compris les cadres au forfait jours. Pour Laurent de la Clergerie, fondateur de l’entreprise qui porte ses initiales, il s’agissait de « n’exclure personne » : « C’est un changement d’équilibre, un lâcher-prise à l’échelle de l’entreprise, les manageurs les premiers avaient peur que leurs collègues ne fassent rien en leur absence le cinquième jour. Or, cela peut bien attendre vingt-quatre heures, d’avoir une information. »

Laurent de la Clergerie, fondateur et président du directoire du groupe LDLC, et Jean-Claude Chaix, acheteur sénior. Au siège de l’entreprise, à Limonest (Métropole de Lyon), le 29 avril 2024.

Tout n’a pas été simple. Premier obstacle, une convention de forfait jours étant signée individuellement, il a fallu convaincre chaque salarié. Les rares collaborateurs réticents se comptaient justement parmi les manageurs : « Cela m’a fait drôle que ça arrive par la direction, se souvient Jean-Claude Chaix, aux achats depuis quinze ans. La première question, c’était comment mettre cinq jours en quatre, déjà qu’en cinq c’était compliqué. » En 2015, les forfaits jours travaillaient environ 200 heures de plus par an que les autres salariés français, soit quatre heures de plus par semaine.

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« 32 h ! La semaine de quatre jours, c’est possible » : un plaidoyer pour une nouvelle réduction du temps de travail

Les planètes seraient-elles en train de s’aligner ? Le député européen Nouvelle Donne Pierre Larrouturou – membre du groupe Alliance progressiste des socialistes et démocrates – observe avec attention l’intérêt actuel pour la semaine de quatre jours. Il en est, de longue date, un ardent défenseur.

Les voix favorables à une telle répartition du temps de travail se font plus nombreuses, à gauche comme à droite de l’échiquier politique, et les expérimentations se multiplient en France comme à l’étranger. « Le débat (…) revient en force », constate-t-il, soulignant dans le même temps le taux élevé d’adhésion au sein de la population : « 84 % des Français voudraient passer à quatre jours », selon une enquête réalisée par la société GetApp en 2023.

C’est dans ce contexte, et alors qu’il est engagé dans la campagne pour les élections européennes, que M. Larrouturou propose un manifeste sur le sujet, 32 h ! La semaine de quatre jours, c’est possible (Seuil). L’occasion de mettre en lumière les atouts du dispositif, mais aussi de préciser comment il devrait, selon lui, être déployé. Car, de fait, plusieurs semaines de quatre jours sont possibles.

Faut-il mettre en place une semaine « en » quatre jours, comme le privilégie Gabriel Attal ? En effet, le premier ministre a annoncé une expérimentation en ce sens dans les ministères : le nombre d’heures de travail hebdomadaire restera constant et sera réparti sur quatre jours. Une fausse bonne idée aux yeux de M. Larrouturou, qui milite au contraire pour que la diminution des jours travaillés s’accompagne d’une baisse du nombre d’heures à accomplir.

Embauches et exonérations

Mais il le sait : le passage aux 32 heures, qu’il appelle de ses vœux, peut « faire peur » – ou valoir à ses défenseurs un procès en naïveté. Il s’emploie donc au fil des pages à démontrer le sérieux de la démarche. Pour ce faire, il met en avant ses soutiens historiques, au premier rang desquels Michel Rocard (1930-2016), qui s’engagea à ses côtés pour une telle diminution du temps de travail, « y voyant le meilleur moyen de concilier efficacité économique et bien-être social ». Il estime par ailleurs que « plus de cinq cents entreprises en France » ont franchi le pas et que « [leurs] clients n’ont vu aucune différence dans le prix ou la qualité des produits ».

Comment financer une telle réduction du temps de travail ? M. Larrouturou prend en modèle le dispositif amorcé par la loi Robien de 1996 – et qui fut activable jusqu’au passage aux 35 heures au début du XXIe siècle. Son principe était simple : si la transition vers la semaine de quatre jours s’accompagnait d’un certain niveau d’embauches, elle donnait droit à une exonération de cotisations chômage.

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La directrice générale d’Atout France quittera ses fonctions le 16 juin

Caroline Leboucher, présidente d’Atout France, lors d’une conférence réunissant des acteurs du tourisme des pays de l’Union européenne, à l’hôtel de ville de Dijon, le 18 mars 2022.

C’est une fin de contrat très opportune. Une façon de sortir d’un épisode délicat sans trop de dégâts pour le gouvernement. Au moment où Caroline Leboucher, directrice d’Atout France (la structure chargée de faire rayonner le tourisme français), voyait son management mis en cause par plusieurs salariés, l’exécutif a décidé de ne pas reconduire dans ses fonctions celle dont le contrat s’achève le 16 juin.

La décision a été annoncée ce mardi 7 mai au matin à l’issue du comité interministériel du tourisme (CIT). L’intéressée a informé vers 9 heures ses équipes et envoyé un communiqué de presse en vue d’annoncer sa démission. « C’est non sans émotion que je quitterai mon poste le 16 juin prochain, avec le sentiment du devoir accompli grâce à la mobilisation et à l’engagement de tous les collaborateurs d’Atout France ces cinq dernières années », déclare-t-elle.

L’agence était en proie à des tensions qui ont atteint leur point culminant le 19 avril avec la circulation d’un courrier anonyme mettant en cause les méthodes de Mme Leboucher et les qualifiant de « casse organisée ». « Il fallait éviter de nouvelles plaintes », explique une source au sein dAtout France, qui tient à garder l’anonymat. La haut fonctionnaire a récemment été visée par six contentieux aux prud’hommes doublés de deux plaintes au pénal.

« Campagne de calomnie »

Contactée par Le Monde, la patronne d’Atout France récuse le terme de « crise » ou de « climat délétère ». Elle se dit « pas au fait du nombre exact de ces contentieux », se jugeant victime d’une « campagne de calomnie » menée essentiellement par une « poignée de salariés expatriés » opposés à son plan de mobilité. Elle indique par ailleurs avoir prévenu il y a quelques mois Bercy de sa décision de ne pas renouveler son mandat après les cinq ans passés à la tête de l’agence.

« Sans la défendre, car ses méthodes de management étaient sans doute contestables, la façon dont le gouvernement s’y prend manque singulièrement d’élégance. La réunion du CIT qui a pris la décision de ne pas la reconduire s’est tenue sans l’intéressée », ajoute une autre source proche du dossier. Cette dernière estime que les autorités ont laissé la situation s’envenimer : « Il y a une tutelle, la responsabilité est celle des ministres. »

Le CIT a été l’occasion pour Matignon d’annoncer en parallèle une modernisation de l’agence − qui a le statut de groupement d’intérêt économique (GIE) et emploie un peu plus de 300 personnes − ainsi qu’une refonte de ses missions. Pour ce faire, le gouvernement s’engage à ce que des concertations aient lieu avec les parties prenantes du secteur (entreprises, élus locaux…) juste après les Jeux olympiques, en septembre. Le tempo est relativement bref pour aboutir à une mise en œuvre fin 2024 ou début 2025.

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Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, défend son bilan devant les sénateurs après l’annonce de son départ

Le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, à Paris, le 3 mai 2024.

A 11 h 30, le communiqué est tombé, venant de Bercy. Bruno Le Maire s’est réservé la primeur d’annoncer, deux heures et demie avant le début de l’audition du PDG de la SNCF par les sénateurs, que ce dernier serait remercié après les Jeux paralympiques de Paris. Le conseil d’administration du 25 avril avait adopté une résolution prolongeant son mandat de deux ans, jusqu’à ses 68 ans, limite d’âge pour diriger l’entreprise ferroviaire. Tout le monde attendait une décision de l’Elysée avant l’assemblée générale du 13 mai.

« A l’issue des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, la présidente [Renaissance ] de l’Assemblée nationale [Yaël Braun-Pivet] et le président [Les Républicains, LR] du Sénat [Gérard Larcher] seront saisis par le président de la République du nom du successeur envisagé de M. Jean-Pierre Farandou, afin que la commission intéressée de chacune des assemblées se prononce dans les conditions prévues par le cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution », précise le communiqué.

Comme le président de l’exploitant d’aéroports Groupe ADP, Augustin de Romanet, celui de la SNCF doit organiser le bon déroulement de la fête olympique à la tête d’une entreprise qui ne connaît pas encore son futur patron.

Une succession d’hommages

Jean-Pierre Farandou a-t-il été sanctionné pour avoir signé avec quatre syndicats un accord de gestion de fin de carrière particulièrement avantageux pour les contrôleurs, les conducteurs et les salariés en poste pénible ? Cet accord ne concerne pas que les professions à horaires décalés. Il permet aussi aux autres cheminots de prendre leur retraite neuf mois plus tôt avec 75 % de leur rémunération (hors prime) pendant dix-huit mois ou de bénéficier d’une organisation à temps partiel dans des conditions intéressantes.

Bruno Le Maire s’en défend, saluant le bilan du patron de la SNCF, qui a mené à bien la réforme Borne de 2018 et sorti, ces deux dernières années, un bénéfice supérieur au milliard d’euros. Il laisse entendre qu’il faudra plusieurs mois, peut-être même au-delà d’octobre, pour lui trouver un remplaçant. « La limite d’âge nous laisse jusqu’au 1er mai 2025 », fait savoir l’entourage du ministre de l’économie.

Sauf que l’Elysée aurait déjà en tête le nom du prochain PDG : en coulisses, le nom de Xavier Piechaczyk, actuel président du directoire de RTE, le réseau de transport de l’électricité, circule. Ingénieur des Ponts, des eaux et des forêts, il a été directeur adjoint des services de transport terrestre au ministère de l’écologie. Il a surtout croisé Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l’Elysée, lorsqu’il était conseiller transports, logement et politique de la ville à Matignon. Il était ensuite conseiller à l’Elysée lorsque l’actuel chef de l’Etat, alors ministre de l’économie, faisait adopter sa loi créant les cars Macron.

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La « ville productive », un levier pour de nouveaux écosystèmes territoriaux

L’idée de « ville productive » n’est pas nouvelle. Mais les villes se retrouvent aujourd’hui sommées de développer des stratégies d’aménagement qui répondent autant aux impératifs de réindustrialisation qu’aux enjeux de soutenabilité sociale et environnementale. Mais de quels outils administratifs et stratégiques disposent-elles pour y arriver ?

Une étude du Plan urbanisme construction et architecture (PUCA) et de la plate-forme de réflexion La Fabrique de l’industrie analyse les développements de Bordeaux et de Rennes, ainsi que ceux de Vienne, de Berlin et de Turin (Aménager la ville productive, de Flavie Ferchaud, Alexandre Blein, Joël Idt, Daphné Lecointre, Flore Trautmann et Hélène Beraud, Presses des Mines, 2024). On retrouve dans ces villes les interventions foncières et immobilières classiques, mais elles explorent aussi un nouveau management territorial qui vise l’émergence d’écosystèmes urbains productifs et écologiquement résilients.

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Les liens entre ville, commerce et production sont anciens et se sont souvent recomposés mutuellement. Le bourg médiéval accorde ainsi aux corporations d’artisans des privilèges d’installation pour obtenir la production locale de biens de qualité. Les révolutions industrielles bouleversent les rapports à la cité, en favorisant la concentration d’hommes et de machines, ainsi que l’immobilier de bureau et les transports urbains. Des villes naissent autour des usines, ou celles-ci s’éloignent dans un périurbain consommateur de sols et de déplacements. Le zonage séparé des activités productives et résidentielles devient dominant.

Activités industrielles et services

En réaction, des villes comme Bordeaux ou Rennes se sont efforcées de réattirer des activités industrielles et des services en les imbriquant mieux avec l’immobilier résidentiel et social. Mais, aujourd’hui, les impératifs de zéro artificialisation des sols, de respect de la biodiversité et de réduction des impacts environnementaux imposent de requalifier des zones anciennes, de récupérer tout le foncier possible ou de dissocier entre propriété et usage pour limiter les investissements nécessaires.

Ces contraintes poussent les villes à expérimenter des appels d’offres pour des projets d’aménagement stipulant de multiples objectifs de réindustrialisation, de redynamisation des emplois, de densification urbaine (par exemple en verticalisant les activités). Au-delà d’un nouvel urbanisme, il s’agit de concevoir des écosystèmes rapprochant une diversité cohérente d’activités (habitat, loisirs, services, commerces…). La rareté de l’argent public impose aussi à ces aménageurs de trouver des modèles d’affaires robustes.

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La démocratie sociale mise en danger de glaciation

Le coup d’arrêt est brutal et plutôt inattendu. Après trois mois et demi de discussions, les syndicats et le patronat ont constaté, durant la nuit du 9 au 10 avril, leur incapacité à conclure un « nouveau pacte de la vie au travail ». Cette issue infructueuse frappe les esprits car, depuis un peu plus d’un an, les organisations de salariés et d’employeurs avaient réussi à trouver, sur d’autres thématiques, des compromis présentant des avancées – comme celui, ficelé en février 2023, sur le « partage de la valeur ». L’échec, qui s’est produit il y a un mois, jette un froid parmi les acteurs en présence. A tel point qu’il est permis de se demander si la démocratie sociale entre dans une période glaciaire, au risque de sombrer dans la léthargie.

Pour les syndicats et le patronat, la négociation relative à un « nouveau pacte de la vie au travail » était celle qu’ils ne devaient surtout pas rater. Cet exercice leur avait été proposé par Emmanuel Macron, peu après la promulgation – à la mi-avril 2023 – de la réforme des retraites, qui a décalé de 62 à 64 ans l’âge d’ouverture des droits à une pension. Le président de la République voulait confier aux partenaires sociaux le soin d’identifier des solutions afin que les personnes ayant franchi le cap de la soixantaine restent plus longtemps en activité.

Une telle offre avait de quoi intriguer, de la part d’un chef de l’Etat accusé d’avoir une piètre opinion des corps intermédiaires. Elle constituait, en même temps, une occasion rêvée pour les partenaires sociaux de montrer leur aptitude à élaborer ensemble des mesures concrètes. Fin 2023, ils relevèrent le défi, en engageant la réflexion autour de quatre axes : favoriser l’emploi des seniors, prévenir les tâches pénibles, faciliter les reconversions et instaurer un compte épargne-temps universel (CETU) – de manière que les travailleurs puissent s’octroyer des temps de pause à tout moment dans leur parcours professionnel.

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Au commencement des tractations, on pouvait penser qu’elles avaient des chances de déboucher sur un résultat positif, tous les protagonistes ayant réaffirmé leur foi dans le paritarisme. Un espoir également entretenu par les bonnes intentions du patronat : « L’approche qui vise à virer les gens en fin de carrière, c’est fini », lançait Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), en appelant à un « changement de paradigme ».

Avaler des couleuvres

Mais la révolution n’a pas eu lieu. Les parties en présence se sont séparées sans avoir dégagé un consensus, ce qui est rare pour une négociation de ce type, conduite à l’échelon interprofessionnel. Bien évidemment, chaque camp a rejeté sur son vis-à-vis la responsabilité de la « sortie de route ». « [Le Medef et la CPME] sont allés jusqu’à nous faire des propositions (…) qui dégradaient la situation actuelle », a dénoncé Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, dans les colonnes de Libération. Et d’enfoncer le clou, dans des termes inhabituellement abrasifs dans sa bouche : « Ils se moquent des salariés en considérant que l’heure est plutôt à la diminution de leurs droits. » Les deux mouvements d’employeurs rétorquent qu’ils ont fait des concessions, mais que les syndicats se sont montrés beaucoup trop gourmands, en méconnaissant le cahier des charges de l’exécutif : pas d’augmentation des dépenses publiques.

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Sylvie Pierre-Brossolette, la présidente du Haut conseil à l’égalité, accusée en interne de propos discriminatoires

Sylvie Pierre-Brossolette à Paris, le 16 décembre 2021.

La présidente du Haut conseil à l’égalité (HCE), Sylvie Pierre-Brossolette, est accusée d’avoir tenu des propos sexistes et racistes en contradiction avec les valeurs défendues par l’instance consultative, selon un courrier interne révélé par Médiapart et consulté par l’Agence France-Presse (AFP) lundi 6 mai.

Contactée par l’AFP, la présidente de cette instance rattachée à Matignon « conteste formellement » les accusations portées contre elle, dénonce une « volonté de déstabiliser » l’instance et sa ligne « abolitionniste et universaliste », et fait savoir qu’elle réfléchit à porter plainte.

L’équipe dirigeante est notamment accusée d’avoir tenu des « propos violents sur le ton de l’humour contribuant à banaliser et diffuser la culture du viol et à culpabiliser les victimes », des « propos stigmatisants pour les personnes LGBTQIA + réitérés en dépit de mises en garde sur le sujet », ou encore des « propos racistes et islamophobes ».

Dans une lettre de six pages datée du 2 janvier 2024, les salariés du secrétariat général du HCE disent avoir été « témoins, de manière fréquente, de propos à la limite de la légalité tenus par la présidente et les coprésident.es ». « La présidente ne prend aucune précaution pour ne pas heurter ses interlocuteur·rices dans l’équipe mais aussi en public », peut-on lire.

Huit arrêts maladie en 18 mois

Plus globalement, le courrier interne alerte sur « un certain nombre de dysfonctionnements internes qui ont progressivement conduit à l’instauration d’un environnement de travail délétère et à l’émergence d’un mal-être collectif. » Il fait état de huit arrêts maladie en 18 mois et de plusieurs départs anticipés « directement liés à la situation décrite ».

« Nous avons été attentifs et à l’écoute des salariée.es » et « nous avons à cœur de trouver des solutions qui puissent les satisfaire et permettre de travailler au service des droits des femmes », réagit Sylvie Pierre-Brossolette, dans une déclaration à l’AFP. Selon elle, ces accusations s’inscrivent « dans une volonté de déstabiliser le HCE, notre ligne universaliste et abolitionniste, et les axes de travail qui sont les nôtres, la lutte contre l’exploitation des femmes, les violences et les inégalités dont elles sont victimes, les effets délétères du patriarcat ».

Créé en 2013 sous le quinquennat de François Hollande, le HCE est notamment chargé de rédiger chaque année un rapport sur l’état du sexisme en France et d’évaluer les politiques publiques en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

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Le Monde avec AFP

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Entreprises : « Une codétermination à la française est à inventer »

Selon le juriste Alain Supiot, « le travail est quelque chose de plus grand que l’emploi (…). L’emploi est né de ce grand pacte, issu des luttes syndicales de l’ère industrielle, qui a consisté à échanger l’aliénation au travail, le renoncement à dire son mot sur la production, contre des limitations du temps de travail et de la sécurité physique et économique » − cet entretien a été publié par L’Humanité, le 11 mars 2016, à l’occasion de la nouvelle édition du rapport Au-delà de l’emploi, sous la direction d’Alain Supiot, parue chez Flammarion.

Le mouvement syndical peut dépasser ce stade en mettant au premier plan de ses exigences la réponse à deux questions de fond : « Qu’est-ce que l’on produit ? Et comment on le produit ? » Il s’agit de mobiliser les capacités d’innovation et d’apprentissage collectif pour sortir de la spirale : plus d’énergie, plus de matière pour plus de déchets, et sauvegarder le potentiel de la biosphère, premier garant de la santé sociale du genre humain.

Peut-on faire confiance au court-termisme des actionnaires aux yeux rivés sur leurs dividendes, aux champions de la financiarisation à la recherche de la liquidité, pour mettre en œuvre le renouveau industriel au cœur de cette logique ? Il s’agit d’une reconstruction, s’inscrivant dans le long terme des transitions énergétiques et écologiques indispensables. Une telle rupture de sens dans la gestion de l’économie appelle l’émergence d’une véritable citoyenneté dans l’entreprise, sans laquelle le « dialogue social » continuera à relever de l’incantation, du cosmétique ou de l’illusion.

Une « codétermination » à la française est à inventer. Elle appelle une redéfinition juridique, politique, démocratique, du concept d’entreprise induisant une révolution de sa gouvernance, associant enfin les salariés (et les territoires), très au-delà des timides premiers pas de la loi Pacte [Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises de 2019]. Il s’agit d’étendre la sphère du droit social à la dimension sociétale de l’activité économique, au gré de la transformation de l’entreprise en un véritable bien collectif donnant tout son sens au concept de « parties prenantes ».

Une transition « juste »

Face aux conséquences désastreuses du réchauffement climatique, de nombreux acteurs syndicaux cherchent à mener de front défense des travailleurs, promotion de leurs droits et prise de position sur la planification des transitions. Des droits nouveaux sont absolument nécessaires pour qu’ils aient le pouvoir d’orienter et de valider les décisions, tant sur leur contenu que sur leur rythme. Cet objectif stratégique constitue une base fédératrice pour des démarches unitaires, dans le droit-fil de celles lancées depuis la mobilisation sociale unitaire du printemps 2023.

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L’intelligence artificielle au secours des entreprises japonaises désireuses de réduire les rotations du personnel

Avril au Japon coïncide avec les premiers jours en entreprise des nouveaux employés tout juste sortis de l’université. Ces jeunes sont précieux pour les compagnies confrontées à une pénurie aiguë de main-d’œuvre. Or un jeune sur dix quitte son emploi dans l’année qui suit son embauche – parfois dès le premier jour – et 30 % le font dans les trois ans, d’après le ministère du travail japonais.

D’où l’idée de Naruhiko Shiratori, professeur à l’université de la ville de Tokyo, de développer un système basé sur l’intelligence artificielle (IA) évaluant la probabilité de départ d’un salarié, afin de le prévenir. Mis au point avec la start-up Shikinami, le système compile les données relatives aux employés de l’entreprise, comme leur assiduité, leur âge et leur genre, et leurs congés. Il intègre aussi les informations concernant les salariés qui ont quitté l’entreprise. Cela permet de créer un modèle de rotation du personnel spécifique à l’entreprise.

Sur cette base, l’utilisateur peut entrer des données sur les nouvelles recrues, telles que leurs heures d’arrivée et de départ et leurs éventuelles absences après l’entrée dans l’entreprise. Cela permet d’évaluer le risque de démission. A l’essai dans plusieurs compagnies, le taux de précision du système atteindrait 83,7 %.

Impact du mal-être

Pour créer cet outil, M. Shiratori s’est appuyé sur un logiciel qu’il a lui-même mis au point pour limiter l’abandon des études. « En moyenne, le taux d’abandon dans les universités est à moins de 2 %, mais dans certains établissements, il peut atteindre plusieurs dizaines de pour cent. » Cela a un impact important notamment sur les finances des établissements privés, eux-mêmes confrontés à la baisse générale du nombre d’étudiants.

L’enjeu est similaire pour les entreprises qui souhaitent réduire les coûts – recrutement, formation, vacance des postes et départs à la retraite – engendrés par les changements de personnel. Une embauche revient en moyenne à 936 000 yens (5 600 euros) pour les nouveaux diplômés et à 1 033 000 yens (6 200 euros) pour les travailleurs en milieu de carrière, selon l’édition 2020 du Livre blanc sur l’emploi du spécialiste des petites annonces Recruit.

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Dans le même temps, les coûts liés à l’impact psychologique du mal-être d’un employé sont évalués à 4,22 millions de yens (25 000 euros) par le Conseil gouvernemental pour l’égalité entre les femmes et les hommes. « La santé mentale des employés et la réduction de la rotation du personnel, comme des absences dues par exemple à des problèmes de harcèlement sont des questions importantes pour la pérennité et la compétitivité de l’organisation », souligne sur son site la start-up Shikinami.

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