Archive dans 2024

« Investir dans la capacité d’apprentissage de l’organisation pour la double transition digitale et écologique »

[Quelles sont les conditions pour faire de la France une puissance innovante ? Deux économistes répondent clairement à cette question. Nathalie Greenan est économiste et spécialiste de l’analyse des changements au sein des organisations privées et publiques, de leurs performances économiques et de leurs conséquences pour les salariés et sur le marché du travail. Professeure des universités au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM, Paris) et membre du Laboratoire interdisciplinaire de recherches et sciences de l’action (Lirsa), elle dirige scientifiquement les programmes de recherche transversaux « changements organisationnels, travail et emploi » du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) et « politiques des organisations » de la fédération de recherche Théorie, évaluation et politiques publiques (TEPP) du CNRS. Silvia Napolitano est également économiste, spécialisée dans la mesure de la transformation technologique, des pratiques organisationnelles des entreprises et de leurs conséquences socio-économiques, en mobilisant des données combinées à partir des enquêtes européennes auprès des employeurs et des ménages. Elle est chercheuse au CNAM-CEET et associée au Lirsa.]

La capacité d’apprentissage de l’organisation est un facteur d’innovation identifié dans la littérature économique et de gestion, mais la plupart du temps non mesuré et donc absent des études empiriques sur la transformation technologique. Pourtant, ce facteur semble essentiel à la réussite de la double transition digitale et écologique.

En effet, pour passer de la crise et de l’urgence à la transition, c’est-à-dire à une trajectoire de changement progressive et maîtrisée, il ne suffit pas de mettre en place des filets de sécurité ou d’équiper les individus avec des compétences ou même des attitudes particulières. C’est au cœur de nos organisations publiques et privées que doivent se développer les ressources permettant de réduire notre vulnérabilité et d’augmenter notre résilience face aux chocs à venir.

En soutenant les activités d’exploration de champs de connaissances nouvelles, tout en exploitant la connaissance des situations de travail existantes, la capacité d’apprentissage des organisations contribue au déplacement de la frontière technologique (Greenan et Lorenz, 2010 ; Greenan et Napolitano, 2021).

Un tel saut qualitatif est indispensable pour sortir du monde d’hier. Rester focalisé sur le seul objectif d’optimisation des processus existants contribue, en effet, à intensifier le travail (Green et al., 2021, voir la contribution de Maelezig Bigi et Dominique Méda) et à poursuivre une exploitation des ressources naturelles qui n’est plus soutenable. Investir dans la capacité d’apprentissage des organisations est donc un choix essentiel pour prendre le chemin de la transition.

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« Une partie des actionnaires de Tesla se comporte comme si ce n’était pas le groupe qui était coté en Bourse, mais Elon Musk lui-même »

La décision de la juge du Delaware de priver Elon Musk de 56 milliards de dollars de rémunération à la suite de la plainte d’un actionnaire qui ne détenait que neuf actions Tesla met en évidence deux éléments majeurs de l’évolution du capitalisme américain : la notion de rémunération abusive et la prise de pouvoir par les actionnaires minoritaires actifs.

Rappelons que tout est parti de la plainte de cet actionnaire après le vote par le conseil d’administration d’une rémunération liée à la performance boursière du groupe entre 2018 et 2022 pour son patron charismatique, Elon Musk. L’actionnaire en question est un rockeur un peu tombé dans l’oubli avant cette affaire, mais dont le nom du groupe qui l’avait rendu célèbre aurait dû alerter le milliardaire : Dawn of Correction, « l’aube de la correction (ou de la rectification) ».

La correction en question, c’est la juge Kathaleen McCormick qui l’a infligée. Elle a mis en avant la capture du conseil d’administration par son président, le montant de la rémunération n’ayant fait l’objet d’aucune négociation. Le milliardaire détient déjà 22 % de la capitalisation boursière du groupe, bien assez pour amasser des milliards lorsque la performance est positive (la juge a rappelé que Mark Zuckerberg détenait 13 % de Meta, mais ne se versait pas de salaire et ne semblait pas pour autant démotivé).

La protection des actionnaires minoritaires

Plus fondamentalement, le jugement est motivé par la volonté de protéger les actionnaires minoritaires. Il n’est pas anecdotique, puisqu’il intervient au moment même où est réformée la règle portant sur l’anonymat des actionnaires (Schedule 13D), vieille de plus de cinquante ans. Lorsqu’un actionnaire dépasse 5 % de détention, son droit à l’anonymat est annulé par le droit des autres actionnaires à être informés. Depuis 1968, le délai de déclaration aux Etats-Unis était de dix jours, le plus long des grandes économies mondiales (il est de quatre jours en France, délai maximal en Europe).

Dans certains pays, comme le Royaume-Uni, le seuil de détention contraignant à la levée de l’anonymat a été abaissé à 3 %. Une longue bataille politico-académique a opposé pendant plus de dix ans les partisans du statu quo (priorité à l’anonymat) aux partisans de la transparence (une pétition réclamait un seuil de 1 % et un délai d’un jour).

La réforme mise en œuvre le 5 février est minimale, puisque le seuil reste à 5 % et le délai de cinq jours, plus long que presque partout ailleurs. L’objectif est d’accroître marginalement la transparence des transactions au moment du franchissement, sans décourager les fonds activistes, ces minoritaires capables d’imposer leurs vues dans les entreprises cotées.

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L’argot de bureau : le « feedback sandwich » pour faire passer la pilule

« Dis donc, tu es allé chez le coiffeur ce week-end ? Ça te va vachement bien ! Mais bon, je ne suis pas venu te voir pour ça : sauf erreur de ma part, tu as pris du retard sur ce que tu devais faire la semaine dernière. Plus généralement, j’ai l’impression que tu ne te donnes pas beaucoup dans ton travail ces derniers temps, en tout cas j’en attends plus de toi. Mais je sais que tu en es capable ! » Que retenir de ce commentaire fait par un manageur à son salarié, un lundi matin ? Une certaine maladresse, certes.

Pourtant, ce supérieur a appliqué à la lettre ce qu’il pensait être une recette magique : le « feedback sandwich ». Comme le « feedback » vient littéralement nourrir le salarié de remarques sur ses performances, ici la métaphore est concrète : le retour commence par un compliment (une tranche de pain), suivi d’une critique négative (la garniture), elle-même suivie d’un nouveau compliment (l’autre tranche).

Cette méthode légendaire – dont l’origine n’est pas datée – vise à faciliter la réception de critiques négatives en les relativisant. C’est donc un enrobage pour éviter les conflits : face à un chef qui manque de tact, la colère, la tristesse ou la démotivation pointeront le bout de leur nez.

S’il veut être cohérent, et digérable, le sandwich a intérêt à porter exclusivement sur le même sujet : « L’argumentaire que vous avez envoyé aux clients est très percutant, il était bourré de fautes d’orthographe MAIS nous avons d’excellents retours financiers, donc continuez dans cette voie – en faisant attention aux coquilles la prochaine fois [accompagné d’un clin d’œil et d’un sourire] ! »

La critique à double tranchant

La critique est constructive et ne concerne ainsi que le travail qui a été fait, et non la personne. La mission innovation du ministère de l’économie et des finances propose ainsi sa recette du hamburger : « Par exemple, le steak peut être : ce que X aurait pu éviter, la salade : ce que X aurait pu mieux faire, et le fromage : ce que X aurait pu approfondir. » Elle est plutôt faite en privé qu’en public, et s’accompagne de recommandations concrètes sur ce qui pourrait être mieux fait… en se fondant sur les points forts déjà existants. Comme un professeur qui essaierait d’encourager un élève stagnant autour de la moyenne.

La généralisation de cette pratique est à double tranchant : si un chef pratique toujours ce plan en trois parties – petite thèse, grosse antithèse, petite thèse –, comment faire confiance à ses compliments ? Comment ne pas lui demander de passer sur les hors-d’œuvre pour attaquer directement le roboratif plat de résistance ? Le pain apparaît alors comme un prétexte hypocrite pour dévoiler une ignoble garniture, s’inspirant sans doute du plus haut burger du monde (1,88 mètre), réalisé à Auderghem (Belgique) en 2023.

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Ouvertures d’usines et créations d’emplois industriels : les nuages s’amoncellent pour 2024

Le ministre délégué chargé de l’industrie et de l’énergie, Roland Lescure, lors de sa visite de la ferme solaire de Marcoussis (Essonne), le 12 février 2024.

Dans sa déclaration de politique générale, prononcée le 30 janvier devant l’Assemblée nationale, le premier ministre, Gabriel Attal, s’est vanté du « retour de l’industrie » en France, après plusieurs décennies de désindustrialisation, « n’en déplaise aux Cassandre ». L’enthousiasme du nouveau chef du gouvernement pourrait-il être douché au cours des prochains mois ? Le risque est réel, si l’on en croit les résultats de la dernière étude du cabinet de recherche Trendeo sur l’emploi et l’investissement pour 2023, rendue publique dimanche 18 février.

Selon cette enquête, si les données globales restent encore positives pour 2023, dans la dynamique des années qui ont suivi la pandémie de Covid-19, de nombreux indicateurs − comme les créations d’emplois, les ouvertures d’usines ou les levées de fonds, notamment − connaissent d’importants ralentissements. Autant de signes que la crise énergétique, l’inflation, la hausse des taux et les tensions géopolitiques mondiales ont commencé à peser en 2023 sur l’investissement, la consommation et les comptes des entreprises françaises.

« Après une très forte reprise en 2021 et un niveau record de créations nettes d’emplois en 2022, l’économie française s’inscrit sur une pente descendante », résume David Cousquer, le fondateur de Trendeo. Au point que si cette pente continue au rythme des derniers mois, plusieurs de ces indicateurs pourraient passer en négatif en 2024. Le niveau d’alerte n’est donc pas encore au rouge, mais déjà à l’orange.

Il faut dire que les industries tricolores font face à la concurrence croissante de celles des Etats-Unis, portées par un coût de l’énergie nettement moindre et par les investissements colossaux de l’Inflation Reduction Act du président Joe Biden, destiné à soutenir la transition « verte ». Mais aussi, de celles des usines chinoises, qui cassent les prix sur nombre de marchés tels que l’éolien offshore.

Quatre secteurs épargnés

D’après le recensement de Trendeo, 81 147 emplois net ont été créés en France en 2023, contre 36 512 suppressions. Un solde de 44 635 qui reste donc « largement positif », mais le nombre d’emplois créés baisse de plus de 40 000 par rapport à 2022 (121 541). Un mauvais signal, alors que le taux de chômage est reparti à la hausse dans l’Hexagone, avec 7,5 % de la population active au quatrième trimestre 2023, selon l’Insee. Par ailleurs, les relocalisations d’usines ont augmenté, mais ont créé moins d’emplois que ceux détruits par les délocalisations : 1 681 emplois sont partis à l’étranger en 2023 contre 696 revenus sur le territoire national.

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L’économie circulaire, la deuxième vie fragile de l’usine Renault de Flins

Des étudiants s’initient à l’économie circulaire sur le site de l’usine Renault de Flins (Yvelines), le 19 octobre 2023.

Ils ont été jusqu’à 27 000 à y travailler. Dans les années 1990, l’usine Renault de Flins, dans les Yvelines, 232 hectares, produisait plus de 2 000 voitures par jour. Aujourd’hui, il n’en sort plus qu’une quarantaine de Zoe électriques. La chaîne s’arrêtera complètement à la fin de mars. Lisianne Guilloteau, qui la dirige, n’est pas inquiète : elle a déjà commencé son nouveau job, en tuilage avec l’ancien. Elle supervise un atelier qui remet en état des véhicules d’occasion envoyés par les concessionnaires du réseau Renault ou Dacia. Ils sont ensuite revendus sous l’étiquette Renew, la marque de seconde main du groupe. Là, il reste du volume. « Nous traitons 45 000 véhicules à l’année », explique l’ingénieure.

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A Flins, on répare aussi les voitures très accidentées, toutes marques confondues, les robots usés, et l’on reconditionne les moteurs comme leurs pièces. Au total, 1 500 personnes travaillent dans ces activités. L’effectif pourrait monter à 2 000 en 2025, à 3 000 en 2030, précise Stéphane Radut, responsable du site, rebaptisé Renew Factory, ou Refactory, dans la novlangue de l’entreprise. Un langage de start-up qui veut convaincre que, malgré le sentiment de vide, l’usine de Flins n’est pas l’ombre d’elle-même.

Le directeur général de Renault, Luca de Meo, assure y croire. Il a regroupé toutes les activités liées à l’économie circulaire dans une filiale : The Future is Neutral. En français, on dirait : « L’avenir est neutre en carbone. » « “Neutral” est une anagramme de Renault », souligne son directeur général, Jean-Philippe Bahuaud. Le capital a vocation à être ouvert à des partenaires. Et la réglementation renforce sa légitimité : depuis le 1er janvier, la loi antigaspillage pour une économie circulaire rend les constructeurs responsables de la fin de vie des véhicules qu’ils mettent sur le marché. Ils doivent en assurer la reprise sans frais sur tout le territoire et la valorisation.

Chômage partiel

D’ailleurs, Carlos Tavares, directeur général de Stellantis (Peugeot, Citroën, Fiat, mais aussi Jeep et Chrysler), s’y met aussi. Le 23 novembre 2023, à Mirafiori, au sud de Turin, depuis l’usine historique de Fiat qui assemble les Fiat 500 électriques, il a annoncé un projet similaire. Presque un copier-coller. Ici, le centre consacré à l’économie circulaire s’appelle Sustainera – à chacun sa novlangue. Stellantis a investi 40 millions d’euros pour préparer un espace de 73 000 mètres carrés, où 550 personnes travailleront, d’ici à 2025. Il y en a 170 aujourd’hui.

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La directive européenne sur les travailleurs des plates-formes définitivement bloquée, notamment par la France

« Améliorer les conditions de travail et les droits sociaux des personnes travaillant pour les plates-formes numériques » : tel était le souhait de la Commission européenne, en décembre 2021, lorsqu’elle a lancé une proposition de directive sur les travailleurs indépendants que sont les livreurs de repas, les conducteurs de voiture de transport avec chauffeur (VTC), mais aussi certains traducteurs ou aides à domicile. Après plus de deux ans de discussions animées, cette directive a sans doute vu s’envoler sa dernière chance de se concrétiser.

Vendredi 16 février, lors du Comité des représentants permanents du Conseil de l’Union européenne (UE), les gouvernements allemand, grec, et estonien – la nation des VTC Bolt – se sont abstenus de voter la dernière version de la directive, négociée en trilogue avec la Commission et le Parlement européens le 8 février. La France, de son côté, a déclaré qu’elle n’était « pas en mesure de soutenir le texte », ce qui vaut abstention. Ces quatre Etats formant une minorité de blocage selon les règles communautaires, le texte n’a pu être voté en l’état.

Le trilogue du 8 février avait abouti sur une version allégée de la présomption de salariat, censée permettre aux travailleurs qui le souhaitent d’obtenir le statut de salariés et les droits y afférant (congés payés, arrêts maladie indemnisés, chômage), à condition de prouver le lien de subordination avec la plate-forme qui les emploie. Sur 28 millions de travailleurs concernés en 2022 (un chiffre qui pourrait atteindre 43 millions en 2025), Bruxelles estime à 5,5 millions le nombre de « faux » indépendants.

Alors que les eurodéputés – de l’extrême gauche à la droite – souhaitaient depuis deux ans une présomption inconditionnelle, les gouvernements européens ont poussé pour définir des critères stricts de requalification applicables à tous les Etats, aboutissant en décembre 2023 à un premier accord en trilogue sur une liste de cinq critères pour déclencher la présomption. Ces critères ne convenant pas à la France, cette dernière s’était déjà positionnée contre ce premier accord.

« Position dogmatique »

La version actualisée de février ne lui convient pas non plus. Elle devait obliger les Etats membres à créer une présomption légale et réfutable de salariat dans leurs droits respectifs, leur laissant cette fois-ci une marge de manœuvre pour la définir au niveau national. C’est l’absence de critères qui pose désormais problème à la France. Il y a deux difficultés, justifie au Monde une source diplomatique tricolore : le caractère très flou de ce que les Etats doivent mettre en place, ce qui engendrerait des difficultés de transposition, et l’absence d’harmonisation dans l’application de la présomption à l’échelle européenne, « potentiellement génératrice de nombreux contentieux ».

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La piste d’un « CDI seniors » suscite la méfiance des syndicats

Hubert Mongon, membre du Medef, au ministère du travail, à Paris, le 21 novembre 2022.

Pour aider les chômeurs vieillissants, le patronat défend une solution choc : le « CDI seniors ». Jeudi 15 février, deux organisations d’employeurs – le Medef et la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) – ont, chacun de leur côté, plaidé en faveur d’un dispositif de ce type qui vise à remettre en selle des demandeurs d’emploi s’approchant ou ayant franchi la barre des 60 ans. Cette proposition, formulée dans le cadre de la négociation pour un « nouveau pacte de la vie au travail », qui a débuté le 22 décembre 2023, est accueillie avec beaucoup de circonspection par les syndicats.

S’adressant aux journalistes à l’issue de la séance de discussions de jeudi, Hubert Mongon, le représentant du Medef, a expliqué que l’idée portée par son mouvement cherche à « éviter la case désinsertion professionnelle » pour les inscrits à France Travail (ex-Pôle emploi) qui sont au crépuscule de leur carrière. A partir d’un certain âge, a-t-il rappelé, il est « extrêmement compliqué » de retrouver un poste.

C’est la raison pour laquelle le Medef milite en faveur d’un nouveau contrat – le CDI seniors, donc –, qui pourrait être signé par des chômeurs, à partir de 60 ans, voire moins si un accord de branche est conclu en ce sens « pour tenir compte des réalités sectorielles ». Pour l’employeur, un tel système présenterait plusieurs intérêts. D’abord, il aurait la faculté de rompre la relation de travail une fois que son collaborateur a cotisé suffisamment longtemps pour prendre sa retraite à taux plein. En d’autres termes, la mise à la retraite d’office deviendrait possible dès que ces conditions de durée d’affiliation seraient remplies, sans attendre 70 ans « comme aujourd’hui », a souligné M. Mongon. En outre, « le régime social de l’indemnité de mise à la retraite » serait revu, « en supprimant la contribution spécifique employeur de 30 % ». Quant au salarié, il serait « accompagné jusqu’à la retraite, éventuellement en cumulant l’allocation-chômage différentielle, s’il est moins bien rémunéré par rapport à [sa] précédente activité ».

« Fausse bonne idée »

La CPME, de son côté, préconise un mécanisme comparable, mais que son vice-président, Eric Chevée, juge plus « ambitieux » que celui du Medef. Cette version du CDI seniors serait assortie d’une « réduction » de cotisations patronales pour l’assurance-chômage. La mesure d’allègement serait financée en réalisant des économies sur l’indemnisation des demandeurs d’emploi les plus âgés. A l’heure actuelle, les inscrits à France Travail d’au moins 53 ans ont la possibilité – sous certaines conditions – de toucher une allocation plus longtemps que les autres. Cet avantage disparaîtrait et le droit commun serait appliqué à tous, dans le schéma recommandé par la CPME. Bruno Le Maire, le ministre de l’économie, s’est déclaré partisan de cette piste à plusieurs reprises, depuis l’automne 2023.

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Seuls 3 % des dirigeants jugent leur organisation « extrêmement efficace » pour gérer la performance de leurs salariés

Après le développement et la finance durable, les dirigeants prennent conscience de la nécessité de se soucier des ressources humaines « durables » pour améliorer la performance. Telle est la principale conclusion de l’étude « Global Human Capital Trends » réalisée par le cabinet Deloitte, qui a révélé le 12 février que 3 % seulement des dirigeants jugent leur organisation « extrêmement efficace » pour capter la valeur créée par les collaborateurs.

L’étude analyse les tendances-clés du management et de la performance au sein des organisations sur la base d’une enquête menée auprès de plus de quatorze mille dirigeants et responsables des ressources humaines à travers quatre-vingt-quinze pays différents, dont la France, où soixante-cinq personnes ont été interrogées.

La plupart des dirigeants disent avoir conscience qu’il faut rompre avec les méthodes traditionnelles au profit de nouveaux modèles plus agiles. Il s’agit là de tenir compte de l’émergence du télétravail, du freelancing [travail indépendant], de l’aspiration des collaborateurs à plus d’autonomie. Mais seulement 33 % d’entre eux évoquent une insuffisante compréhension de ces enjeux comme raison de l’incapacité de leur organisation à progresser.

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D’autres y voient un problème de données. Seuls 19 % estiment disposer de critères suffisamment fiables pour mesurer la manière dont leur organisation peut bénéficier aux collaborateurs. « Les entreprises disposent d’une quantité croissante de données, mais pas toujours pertinentes. Elles peinent à en tirer des conclusions pour orienter finement leurs actions », explique Franck Chéron, associé spécialiste du capital humain au cabinet Deloitte. Par exemple, les référentiels de compétences reposant sur du déclaratif peuvent être en partie erronés.

Pour une écoute et un management plus participatif

Même souci avec la mesure de la productivité : 74 % des dirigeants interrogés estiment qu’il est « très » ou « extrêmement » important de rechercher de meilleurs moyens de mesurer la performance des collaborateurs. Les critères traditionnels comme les heures travaillées et le temps passé sur les tâches perdent ainsi de leur pertinence. Pourtant, seulement 40 % déclarent faire quelque chose pour mettre en place de nouveaux outils.

Pour développer les ressources humaines de manière durable, mieux vaut miser sur l’autonomie que sur un contrôle tatillon. Quatre-vingt-dix pour cent des dirigeants interrogés considèrent que la transparence accroît la confiance et l’engagement, mais leurs homologues français ne sont que 52 % à le penser. Faut-il y voir un trait culturel d’un pays où la défiance prévaut ? Pas forcément, nuance Franck Chéron : « La France s’est déjà dotée d’une forte régulation en matière de transparence à travers l’index de l’égalité professionnelle, et les sondés hexagonaux peuvent considérer que l’essentiel est déjà fait.».

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Vague de faillites d’entreprises à travers l’Europe

La boutique Camaïeu du centre commercial Italie-2, à Paris, en 2013.

Sur les bureaux de S&P Global Ratings, les dossiers de défaut de paiement d’entreprises s’accumulent. Sur le seul mois de janvier, et uniquement pour la France, trois entreprises ont été classées dans cette catégorie : Labeyrie (gastronomie), Biscuits holding (marque blanche de biscuits pour grandes surfaces) et Atalian (services aux bâtiments). Alors que l’agence de notation ne couvre que les grandes entreprises, un tel rythme est inhabituel.

Ces difficultés ne sont pas limitées à la France. A travers l’Europe, le nombre de défauts que S&P a comptabilisé en 2023 a doublé par rapport à 2022, à trente. « En novembre, on anticipait qu’on atteindrait un taux de défaut de 3,75 % [du nombre d’entreprises classées « spéculatives »] cette année en Europe. Au rythme actuel, on sera au-dessus », explique Paul Watters, qui dirige la recherche crédit pour l’Europe à S&P.

Pas d’alarmisme pour autant : le taux de défauts en Europe reste moitié moindre que lors de la grande crise financière de 2008-2009, quand il avait frôlé 10 %. « Ce n’est pas un tsunami mais dans de nombreux pays, on est désormais au-dessus du taux de défaut d’avant la pandémie », poursuit M. Watters.

Jeudi 15 février, les statistiques des faillites dans l’Union européenne sont venues confirmer cette analyse. Leur nombre au quatrième trimestre 2023 a progressé de 60 % par rapport à leur point bas de mi-2020, pendant la pandémie de Covid-19, quand les aides publiques avaient maintenu à flot toute l’économie. Plus inquiétant, il y en a désormais plus que la moyenne de 2016-2019. Il faut remonter à 2015, pendant la crise de la monnaie unique, pour retrouver un tel niveau.

« On va rentrer dans le dur maintenant »

Au Royaume-Uni, la situation est pire : en 2023, le nombre de faillites était au plus haut depuis trente ans, avec 25 000 entreprises liquidées. En France, le nombre de défaillances l’an passé a atteint 55 500, en hausse de 34 % par rapport à 2022, mais encore légèrement au niveau de la moyenne de 2010-2019.

« On a une très forte remontée des faillites à travers le monde, et pas seulement en Europe, confirme Maxime Lemerle, d’Allianz Trade, une société qui répertorie les défaillances à travers le monde. Ce n’est pas une grosse surprise. » Avec le choc de l’inflation et la forte remontée des taux d’intérêt, la zone euro stagne depuis fin 2022. « Or, il s’écoule généralement dix-huit mois entre le ralentissement économique et les difficultés financières des entreprises », rappelle Douglas McWilliams, vice-président du Centre for Economics and Business Research, un cabinet britannique. Le gros des problèmes doit donc arriver dans les prochains mois. « On va rentrer dans le dur maintenant, confirme M. Lemerle. On n’a plus les mesures de soutien, la croissance ne reprend pas, en tout cas pas tout de suite, les taux d’intérêt ne vont pas redescendre très rapidement… »

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Existe-t-il un « devoir de travailler », comme l’a suggéré Gabriel Attal ?

Le premier ministre, Gabriel Attal, en déplacement à Villejuif, dans la banlieue sud de Paris, le 14 février 2024.

Quarante-huit heures avant le mouvement de grève des contrôleurs de la SNCF prévu ce week-end, le premier ministre Gabriel Attal a opposé mercredi 14 février le droit de grève à un devoir de travailler. « Les Français (…) savent que la grève est un droit, mais je crois qu’ils savent aussi que travailler est un devoir », a lancé le premier ministre, interrogé sur le mouvement qui devrait perturber la circulation des trains en plein week-end de vacances scolaires.

Les deux principes que M. Attal semble opposer sont extraits du Préambule de la Constitution de 1946. L’alinéa 5 affirme que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » tandis que le septième précise que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Quelle est la portée juridique de ces deux principes ? Sont-ils vraiment opposables ? Pour Bérénice Bauduin, maître de conférences en droit social à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, il serait « hypocrite » de mettre ainsi en regard deux principes qui n’ont pas la même valeur dans la jurisprudence constitutionnelle, où le « devoir de travailler » ne figure pas.

Sommes-nous tous soumis à un « devoir de travailler » ?

Le devoir de travailler est une notion très large ; on peut y mettre un peu ce qu’on veut car elle n’a pas été réellement définie juridiquement. Surtout, elle n’a jamais fait l’objet d’une décision de jurisprudence par le Conseil constitutionnel. C’est-à-dire que ses membres n’ont jamais eu à se prononcer sur une loi qui viendrait se confronter à ce principe. L’idée même d’un devoir de travailler est gênante car, dans le droit français, on ne peut pas obliger quelqu’un à travailler. On ne peut pas empêcher un salarié de démissionner, c’est un droit protégé. Même le principe de réquisition, qui peut s’appliquer dans certaines circonstances, est très encadré. Cela va aussi à l’encontre de certains principes internationaux, comme le travail forcé qui est interdit par l’organisation internationale du travail.

Si le « devoir de travailler » a pu être opposé au droit de grève dans certains discours politiques, d’un point de vue juridique, le Conseil constitutionnel refuse de se saisir de notions qui sont trop floues, et pour lesquelles il n’est pas en mesure de déterminer ce qu’a été la volonté du constituant. Le devoir de travailler a peut-être été pensé en 1946 comme un devoir moral. Mais il est difficile d’établir que la volonté des constituants était d’en faire une obligation imposable aux citoyens.

Un principe qui figure dans le Préambule de la Constitution peut donc ne pas avoir de réelle valeur juridique ?

Le Préambule de la Constitution de 1946, dont sont issus le principe du « droit de grève » comme celui du « devoir de travailler » a été écrit sous la IVe République, au sortir de la seconde guerre mondiale. A l’époque, c’est un texte principalement symbolique qui vise à garantir une République avec plus de droits sociaux, pour compléter la Déclaration des droits de l’homme qui se concentre plutôt sur les droits civils, et éviter une nouvelle exploitation politique de la misère, comme celle qui avait conduit le nazisme au pouvoir. Mais le texte n’avait pas été pensé par ses rédacteurs comme pouvant avoir une valeur juridique contraignante.

Ce n’est que depuis une décision de juillet 1971 que le Conseil constitutionnel s’est reconnu compétent pour contrôler la conformité des lois aux droits et libertés fondamentales garantis par la Constitution. Tous les principes qui figurent dans le préambule de 1946 n’ont toutefois pas été activés de la même manière dans la jurisprudence.

Peut-on dans ce cas opposer droit de grève et devoir de travailler, comme semble le faire Gabriel Attal ?

On peut être tentés de les opposer dans certains discours, mais cette opposition est de l’ordre du sophisme. Sur le droit de grève, le Conseil constitutionnel a été amené à plusieurs reprises à se prononcer sur des lois qui avaient pour objectif d’encadrer ce droit, comme l’instauration d’un préavis obligatoire, ou la loi relative à la continuité du service public. Pour limiter le droit de grève, il faut justifier d’un objectif proportionné, de même valeur constitutionnelle.

Ce n’est pas le cas pour le devoir de travailler. Même dans une décision comme celle de décembre 2022 sur l’application de la loi relative à l’assurance-chômage, le Conseil constitutionnel ne s’appuie pas sur le « devoir de travailler » mais y invoque plutôt un « objectif d’intérêt public » ou une incitation des travailleurs à retourner à l’emploi.

Il y a donc quelque chose d’assez hypocrite à utiliser, comme s’ils avaient la même valeur, le droit de grève, protégé en tant que tel par des décisions du Conseil constitutionnel, et le devoir de travailler qui, juridiquement, est inexistant. Par ailleurs, la grève n’est pas une méconnaissance du devoir de travailler. On ne fait pas grève dans le but de ne pas travailler, mais bien pour obtenir la satisfaction de revendications professionnelles.