Archive dans décembre 2024

A Bordeaux, un lieu de vie pour prendre soin des forçats de la livraison : « Quand on tombe, le réflexe, c’est de voir si la commande n’a rien »

Dans la Maison des livreurs, à Bordeaux, le 6 décembre 2024.

La modeste bâtisse, située à dix minutes à pied de la gare Saint-Jean, à Bordeaux, ne paie pas de mine. On peut lire sur la porte : « Besoin de voir un médecin ? Un travailleur social ? » C’est une affiche de Médecins du monde, traduite en anglais et en arabe comme la majorité des messages inscrits sur les murs de la Maison des livreurs. Ce local de 70 mètres carrés accueille chaque après-midi presque autant de visiteurs, venus se renseigner sur leurs droits, consulter un médecin dans le bureau qui fait office de cabinet de consultation, changer la batterie de leur vélo dans l’atelier, ou profiter du canapé ou du baby-foot avec un café pour recharger leurs propres batteries.

Depuis son ouverture en février 2023, la Maison des livreurs a accueilli plus de 350 coursiers sur les quelques milliers qui travaillent dans la métropole girondine. « Ce sont des amis qui m’ont parlé de cet endroit, raconte Ibrahim (les personnes citées par leur seul prénom ont souhaité conserver leur anonymat), 27 ans, arrivé de Guinée en 2021. Quand je suis venu, j’ai vu tous ces gens qui aidaient, qu’on pouvait se détendre, entretenir son vélo. »

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Accidents du travail non mortels : des doutes sur la fiabilité des données

La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet (au centre), entourée de membres du syndicat, à Cournon-d’Auvergne, dans le Puy-de-Dôme, le 31 mars 2023.

Un bilan à la fois sombre et déconcertant. En 2023, le nombre de morts liés au travail a atteint 1 287, soit 60 de plus qu’en 2022. A la lecture de ces données, dévoilées le 13 décembre, les syndicats ont, logiquement, exprimé leur très forte préoccupation au sujet d’un fléau que les politiques publiques ne parviennent pas à réduire. Fait plus inattendu, ils ont également tenu à manifester leur perplexité face à des statistiques qui dessinent des courbes difficiles à comprendre à leurs yeux.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Morts au travail : un niveau record en 2023

Les chiffres incriminés émanent de la direction de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP). Ils concernent, pour l’essentiel, les « sinistres » touchant les salariés du privé affiliés au régime général de la Sécurité sociale. Sont exclus du décompte, par exemple, les fonctionnaires et les exploitants agricoles. Même si elles offrent une vision incomplète du problème, ces informations, qui donnent lieu tous les ans à un rapport, sont guettées avec beaucoup d’intérêt.

Le document publié le 13 décembre montre que, en 2023, les accidents du travail ont causé la mort de 759 personnes. S’y ajoutent ceux qui se sont produits lors d’un trajet effectué dans le cadre professionnel : ils ont occasionné 332 décès. Enfin, 196 individus ont perdu la vie à la suite d’une maladie liée à leur métier. Ce qui donne donc un total de 1 287, en progression de près de 4,9 % en un an. Une « aggravation alarmante », s’est indignée la CGT, dans un communiqué diffusé le 19 décembre. « Des défis importants restent à relever », complète Frédéric Fischbach, président de la CFTC Santé sociaux, qui déplore que « peu de choses [aient] été entreprises, cette année-là, en faveur de la santé au travail ».

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Plans sociaux, les visages de la crise : « Je ne suis pas inquiet, peut-être que je suis inconscient »


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Joris Fraysse, technicien de laboratoire, fait partie des salariés qui vont être licenciés. Dans l’usine Lidea, à Caussade (Tarn-et-Garonne), le 13 décembre 2024.

Une banderole de soutien balayée par le vent gît sur le sol à l’entrée du site industriel de Lidea, à Caussade (Tarn-et-Garonne), spécialisé dans le développement de variétés de semences agricoles (céréales à paille, maïs, tournesol, colza…) et leur commercialisation. Près de la bascule – une balance pour peser la production –, on peut lire « Euralis voleur », en lettres capitales peintes en blanc sur une bâche grise. Quelques stigmates de la mobilisation des salariés sont encore visibles dans cette usine, construite en 1962 sur 10 hectares, à la lisière de la commune qui compte aujourd’hui un peu moins de 7 000 habitants.

Joris Fraysse, qui joue les guides, croise, ce 13 décembre, quelques employés, habillés de leur veste orange fluo, prêts à travailler, et s’en étonne. « Je ne comprends pas leur attitude. Par conscience professionnelle ? », lance ce technicien de laboratoire contrôle-qualité de 41 ans, sans attendre de réponse.

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« Vous ne détestez pas le lundi » : des voies pour « libérer le travail »

De juillet 2019 à mai 2021, des femmes de chambre ont organisé une longue grève à l’Hôtel Ibis Batignolles de Paris. Un combat victorieux, conclu notamment par l’obtention de revalorisations salariales de 250 à 500 euros. Ce n’est pas le seul mouvement social qu’ont connu les secteurs du ménage et de l’hôtellerie : bien d’autres ont éclaté ces dernières années.

Pour le rédacteur en chef du magazine Frustration, Nicolas Framont, c’est un signe positif, qui bat en brèche les « prophéties sociologiques sur la fin de la conflictualité au travail ». Un signe qui démontre que l’« obtention d’un rapport de force par la grève est loin d’être un outil du passé », mais aussi, plus largement, que la colère gronde parmi les travailleurs français.

C’est la thèse centrale de l’ouvrage que M. Framont, sociologue de formation, auteur engagé, a publié aux éditions Les Liens qui libèrent. Vous ne détestez pas le lundi se veut ainsi porteur d’une « bonne nouvelle : la résistance est déjà là, même si elle passe parfois sous les radars médiatiques », écrit-il. Après avoir décrit les maux qui touchent le monde du travail (intensification du contrôle hiérarchique, violence systémique…), vecteurs de nombreuses souffrances parmi les salariés, l’auteur met en lumière cette « sécession qui vient ». « Le système d’oppression dans le travail craque de partout », assure-t-il.

Comment s’exprime ce « mouvement d’infra-révolte, dont chacun connaît l’odeur, mais personne ne semble voir la couleur » ? Il prend, à ses yeux, des formes multiples. Face à des conditions de travail qu’ils ne supportent plus, certains salariés font le choix de démissionner.

D’autres mènent des actions de « résistance au travail » de l’intérieur : sabotages du quotidien, grève du zèle ou encore travail « en perruque » (usage des moyens fournis par l’entreprise pour effectuer d’autres tâches que celles pour lesquelles on est payé).

D’autres, enfin, ont recours aux arrêts de travail.

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A Mer, le désenchantement d’une ville sacrifiée sur l’autel de la logistique

La plateforme colis de La Poste collecte et livre douze départements (dont les six de la région Centre-Val de Loire), à Mer (Loir-et-Cher), le 25 novembre 2020.

Une fois par mois, un rutilant camion financé par la région Centre-Val de Loire stationne place de la Corbillière, à Mer (Loir-et-Cher) et se transforme en cinéma. Trois séances à la chaîne et un peu d’évasion pour 240 spectateurs, au cœur d’un centre-ville moribond. « Les boucheries, la poissonnerie, les restaurants, tout a fermé… », résume, en ce début décembre, Patrice Fourneau, Mérois de souche, salarié de la plateforme logistique de But, la principale de Mer, et en retraite à la fin du mois. Dans la rue Dutems, l’artère marchande menant jusqu’à l’église et la mairie, quatre kébabs se succèdent, un bar-PMU et une myriade de boutiques fantômes, aux vitrines poussiéreuses.

« Heureusement que des Libanais d’Orléans ont ouvert un cabinet d’ophtalmologie sinon, ce serait le désert commercial et médical. » Patrice Fourneau a connu la grande époque, quand cette petite ville ouvrière de 6 400 habitants aujourd’hui, au cœur de la Beauce, vivait au rythme de l’usine de matelas Epéda, fermée en 2000. Dix plateformes logistiques lui ont succédé depuis. Six autres, dont l’une d’elles à proximité immédiate des habitations, sont en projet.

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Plans sociaux, les visages de la crise : « En plus du chômage, nous sommes condamnés à avoir l’inquiétude de la maladie jusqu’à la fin de nos jours »

Sophian Hanous, employé à l’usine Solvay de Salindres (Gard), durant un rassemblement des ouvriers de l’établissement, le 12 décembre 2024.

Depuis trois mois, Sophian Hanous ne dort presque plus et s’est mis au sport « pour penser à autre chose ». Comme ses collègues, ce salarié de l’entreprise Solvay, à Salindres dans le Gard, a appris, le 24 septembre, que l’usine allait fermer et licencier 68 personnes au printemps 2025. « Un coup de massue » pour ce trentenaire et « une double peine ». Car, sur ces terres situées au pied des monts cévenols, des enquêtes, dévoilées en mars, ont révélé que l’entreprise rejetait dans les eaux des taux très importants d’acide trifluoroacetique – un produit utilisé pour la fabrication de pesticides, d’extincteurs et de médicaments, que l’on retrouve dans les polluants éternels. « Maintenant que la pollution est avérée, l’entreprise ferme. Et nous, on reste sans emploi et avec de grosses inquiétudes sur notre santé », critique Sophian Hanous.

Né à Alès, le Gardois travaille chez Solvay depuis treize ans. A l’époque, âgé de 25 ans, avec un bac en poche et quelques emplois en intérim sur son CV, il pense avoir trouvé un poste en or lorsqu’il se fait embaucher en CDI. « L’entreprise nous a financé un bac pro en alternance dans les métiers de la chimie sur un an. Ils voulaient des gens qualifiés. On était contents d’être dans une grosse boîte avec des salaires supérieurs. On a tous fermé les yeux sur ce qu’on faisait », raconte-t-il. Avec 3 000 euros net par mois « pour un niveau bac », Sophian Hanous sait qu’il fait partie des privilégiés dans un département à l’économie sinistrée, le cinquième plus pauvre de l’Hexagone : « Ça nous a donné une qualité de vie qu’on ne veut pas abandonner. Les chefs de poste touchent plus de 4 000 euros. »

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Cherche Père Noël désespérément : un métier où les saisonniers manquent à l’appel

Avec les vendeurs de muguet, les Pères Noël exercent le métier le plus saisonnier qui soit, leur activité débutant début décembre pour s’achever le 24. Et, comme chaque année, les comités sociaux et économiques (CSE), centres commerciaux, mairies, maisons de retraite, écoles, marchés de Noël, hypermarchés et gares s’arrachent aux mêmes dates leur bonhomme rouge.

Au total, plusieurs milliers de postes seraient proposés dans toute la France, faute de statistiques officielles portant sur ce métier dans lequel il n’est pas si facile de trouver des candidats.

La raison tient d’abord à des horaires et des rémunérations très inégaux d’une mission à l’autre. Ainsi, le site myJob recherchait encore cette semaine un Père Noël pour travailler le vendredi 20 décembre de 18 h 30 à 22 heures sur le secteur de Montauban (Tarn-et-Garonne) pour 11,88 euros de l’heure, hors prime de précarité et indemnités de congés payés (+ 10 % pour chaque). Et, à ce tarif, il fallait qu’il soit « dynamique, courtois, souriant et [qu’il] chausse du 45 au maximum » afin de pouvoir enfiler les bottes fournies.

Emmitouflé dans son costume

A l’inverse, d’autres recruteurs pris par l’urgence lâchent du lest. Employé des impôts à la retraite, Yves, 64 ans, qui va débuter dans le métier samedi 21 et dimanche 22 décembre dans une galerie commerciale en banlieue parisienne, s’étonne d’être mieux payé à l’heure (22,50 euros brut pour six heures par jour) que dans son ancien métier à Bercy.

Archives de 2013 | Article réservé à nos abonnés Mais qui s’occupe du Père Noël?

A cela s’ajoutent des conditions de travail tout aussi variables. Le bonhomme rouge peut être amené à endurer le froid toute la journée sur les marchés de Noël. Ou, à l’inverse, subir la chaleur, le bruit et la fureur d’un magasin bondé à l’approche des fêtes, emmitouflé dans son costume, son bonnet et sa barbe postiche. Et pas question de se faire remplacer par un lutin pour la séance photo avec les bambins qui trépignent dans la file d’attente et oublient la politesse. « Certains de nos Pères Noël se plaignent que des enfants se comportent mal sans que leurs parents ne réagissent », observe Kari Bounabi, fondateur d’Intérim Spectacle, qui se positionne en décembre sur ce métier.

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Pour les salariés à temps partiel contraint, une situation toujours difficile

Des hôtesses de caisse dans un supermarché de Givors (métropole de Lyon), en avril 2020.

La situation ne s’est guère améliorée, durant la décennie écoulée, pour les salariés à temps partiel – en particulier ceux qui aimeraient travailler davantage. Pis, certaines des mesures prises en leur faveur semblent avoir eu un « impact négatif ». Dans un rapport rendu public, mercredi 18 décembre, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) parvient à cette conclusion, plutôt fâcheuse, mais considère que des « inflexions » sont possibles. Elle suggère aux syndicats et au patronat de plancher, à nouveau, sur le sujet dès 2025, tout en formulant une vingtaine de préconisations qui visent à réduire la précarité dans laquelle se trouve, bien souvent, cette catégorie d’actifs.

Le rapport diffusé mercredi répond à une commande passée le 16 octobre 2023 par Elisabeth Borne, alors première ministre, à l’occasion de la conférence sociale. Citant le temps partiel contraint comme l’une des principales causes de « pauvreté au travail », elle s’était engagée à élever la problématique au rang de « chantier prioritaire » et avait réclamé un état des lieux, assorti de propositions.

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Des RTT pour le repos ou pour le pouvoir d’achat

Carnet de bureau. « Il apparaît nécessaire de proroger cette mesure qui permet d’augmenter la rémunération des salariés concernés et leur pouvoir d’achat », indique l’amendement au projet de loi de finances qui devait prolonger, jusqu’en 2026, la possibilité d’échanger des jours de réduction du temps de travail (RTT) contre une rémunération. Adopté le 26 novembre, l’amendement du député de Maine-et-Loire Emmanuel Capus aura été encore plus provisoire que le dispositif instauré par la loi du 16 août 2022 pour aider les salariés à passer la période de forte inflation jusqu’en décembre 2025, puisqu’il a évidemment été suspendu par la chute du gouvernement Barnier, le 4 décembre.

En attendant le futur budget 2025 qui pourrait pérenniser (ou pas) la monétisation des RTT, le recours à ce dispositif est toujours d’actualité et particulièrement en cette fin d’année, car les jours de RTT non pris par le salarié sont normalement perdus, sauf si la responsabilité en incombe à l’employeur.

L’indemnisation des jours de repos perdus n’était pas possible à l’origine, à moins qu’un accord d’entreprise l’ait prévue. Mais elle l’est devenue avec la loi de 2022. C’est ainsi que les RTT, nées de la réforme de Martine Aubry pour réduire le temps de travail à 35 heures, ont été mobilisées vingt ans plus tard non plus pour se reposer, mais pour améliorer le pouvoir d’achat.

A condition que l’employeur accepte

Le salarié est ainsi autorisé, quelle que soit la taille de l’entreprise, et à sa demande (à condition que son employeur accepte), « à renoncer à tout ou partie des journées ou demi-journées de repos acquises au titre des périodes postérieures au 1er janvier 2022 et jusqu’au 31 décembre 2025 », pour les transformer en salaire majoré.

« Les journées ou demi-journées travaillées à la suite de l’acceptation de cette demande donnent lieu à une majoration de salaire au moins égale au taux de majoration de la première heure supplémentaire applicable dans l’entreprise », précise la loi.

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En entreprise, les cellules internes pour les lanceurs d’alerte dysfonctionnent

« Quelques jours après avoir lancé mon alerte, j’ai été convoqué par le directeur général, qui a demandé que je reconnaisse que j’en étais l’auteur. Une semaine après, j’étais mis à pied et convoqué à un entretien de licenciement. » Après avoir averti sans succès ses manageurs puis les ressources humaines (RH) sur le management toxique d’une membre de la direction, ce cadre d’un grand groupe industriel, qui témoigne sous le couvert de l’anonymat, s’était saisi d’une adresse e-mail interne réservée aux lanceurs d’alerte, dont le traitement devait pourtant être assuré par un cabinet indépendant.

En entreprise, les salariés souhaitant faire remonter des informations portant sur un crime, un délit ou une menace pour l’intérêt général disposent en théorie d’un certain nombre de protections, notamment depuis les lois Sapin-II de 2016 et Waserman de 2022. Il est illégal pour un employeur de procéder à un licenciement ou toute mesure de licenciement à l’encontre d’un lanceur d’alerte.

Depuis 2022, un lanceur d’alerte a aussi le choix de faire remonter ses informations en interne, ou en externe auprès du Défenseur des droits ou d’autres autorités compétentes, selon la nature des faits dénoncés.

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