Archive dans juin 2024

L’IA générative s’attaque aux métiers des « cols blancs »

Quand Ilan Twig, le cofondateur et responsable de la technologie de Navan, a vu l’intelligence artificielle (IA) générative arriver, il est devenu « très paranoïaque ». Toutes les fonctions du groupe, gestionnaire en ligne des voyages et dépenses d’entreprises, étaient touchées : l’équipe marketing, les programmeurs, les juristes…

Il s’est alors empressé d’acheter 20 000 dollars (18 360 euros) d’unités de traitement graphique (GPU) pour mieux comprendre les usages de l’IA. Sa conclusion : ceux qui n’adopteraient pas cette nouvelle technologie prendraient du retard par rapport à leurs concurrents dans un horizon de un à trois ans. Et, au bout de cinq ans, ils auraient disparu.

Il y a encore quelques mois, les pionniers de l’IA générative se voulaient rassurants. La force de travail souffrirait peu, promettaient-ils. Après tout, les tâches réalisées par ce nouvel outil seraient toujours supervisées par un humain. Mais plus on avance, plus les chatbots améliorent leurs performances. Et l’on mesure l’ampleur des gains de productivité dans des domaines autrefois chasses gardées des cols blancs. Chez Navan, l’agente de voyages virtuelle Ava résout, seule, 40 % des problèmes posés par des clients, sans aucune intervention humaine. Et ses ingénieurs utilisant le copilote GitHub repèrent 25 % de plus de défauts de conception qu’un simple programmeur.

Coursera, qui offre des milliers de formations en ligne, a de même grandement bénéficié de l’IA générative. Depuis le début de l’année, le groupe propose 4 700 cours en vingt et une langues. Lectures, instructions, sous-titres de vidéo, questionnaires… sont adaptés à la langue de l’usager pour un prix dérisoire. La traduction d’un cours coûtait autrefois 13 000 dollars, elle est aujourd’hui à 25 dollars.

Plusieurs métiers intellectuels en danger

Près d’un cadre sur deux estime les patrons remplaçables par l’IA. « Les tâches réalisées par l’IA sont plus sophistiquées, constate le rapport du Burning Glass Institute et de la Society for Human Resources Management (SHRM) sur l’IA générative et la force de travail. Les emplois impactés sont ceux accomplis par des professionnels porteurs d’une expertise métier. » Et de citer les multiples atouts de l’outil virtuel : il répond aux questions, il se fait programmeur, il crée des images et des vidéos, il synthétise les textes, récupère très vite une énorme quantité d’informations… De quoi mettre en danger plusieurs métiers intellectuels, autrefois protégés des révolutions industrielles.

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La coresponsabilité en toile de fond des stratégies RH pour la formation professionnelle

Quelles formations pour garder vos talents ? C’est le sujet qui a réuni, mardi 4 juin au Monde, une vingtaine de DRH pour le rendez-vous mensuel de l’actualité des ressources humaines. Damien Brochier, le socio-économiste du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), un organisme qui dépend du ministère du travail, a introduit les débats en retraçant l’évolution de la formation professionnelle depuis une cinquantaine d’années, pour annoncer un tournant stratégique vers la cores.

« La question de la responsabilité de l’employeur se pose depuis l’origine de l’histoire de la formation professionnelle », a-t-il rappelé. « Le système mis en place par la loi du 16 juillet 1971 [loi Delors portant sur l’organisation de la formation professionnelle continue] a très vite distingué deux pôles : le plan de formation annuel de l’entreprise d’une part et d’autre part les initiatives individuelles rapidement externalisées. Puis, depuis la loi de 2018, c’est l’individu qui peut choisir sa formation professionnelle avec le CPF [compte personnel de formation]. Les entreprises ne doivent-elles pas aujourd’hui changer de paradigme pour développer une vision fondée sur la coresponsabilité ? », interroge-t-il.

Les entreprises représentées lors de ces Rencontres RH, organisées par Le Monde en partenariat avec ManpowerGroup Talent Solutions et Malakoff Humanis, ne se sont pas étendues sur le contenu de leurs programmes de formation aussi divers que leurs secteurs d’activité – l’industrie, la logistique, le commerce, le luxe, la pharmacie, etc. –, pas plus que sur l’impact de l’intelligence artificielle, mais sur leurs stratégies, qui suivent plus ou moins les trois axes identifiés par Damien Brochier : l’abondement du CPF pour reprendre en main ce dispositif, le recrutement à travers l’apprentissage et, enfin, l’accompagnement des mobilités. « Il faut aider les salariés à pouvoir évoluer même à l’extérieur de l’entreprise », avance le socio-économiste.

Les écoles maison font florès

La nécessité d’une coresponsabilité entre employeur et salariés est une vision largement partagée par les DRH présents, mais avec des motivations différentes.

Pour le géant de la logistique et de l’e-commerce Amazon, qui évolue vers la robotique (8 000 emplois créés), le besoin est de « se réinventer en permanence et d’accompagner la mobilité interne. Dans nos activités de logistique, par exemple, on recrute sans conditions de diplôme. Ce qui signifie qu’après il y a un effort important à accomplir à l’intérieur de l’entreprise », décrit la DRH d’Amazon France, Catherine Schilansky.

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La Confédération syndicale internationale alerte sur la détérioration des droits des travailleurs en Europe

Depuis la création en 2014 de l’indice CSI des droits des travailleurs dans le monde, « c’est l’Europe qui connaît le déclin le plus prononcé », alerte la Confédération syndicale internationale (CSI) dans son rapport annuel publié mercredi 12 juin, trois jours après des élections européennes marquées par une poussée de l’extrême droite.

Plus largement, « en cette année où quatre milliards de personnes se rendront aux urnes sur la planète, les groupes autoritaires de droite s’emploient à désigner des boucs émissaires (…) et à imposer leur propre programme hostile aux travailleurs. (…) La démocratie est en danger », s’alarme la principale confédération syndicale mondiale, qui fédère 340 syndicats implantés dans 169 pays et territoires.

Sur une échelle allant de 1 (« violations sporadiques des droits » des travailleurs) à 5 (« aucune garantie des droits »), « l’Europe, malgré sa réputation de porte-drapeau mondial pour les droits des travailleurs, a vu sa note moyenne passer de 2,56 à 2,73 entre 2023 et 2024 », s’inquiète la CSI. En 2014, le Vieux Continent affichait encore une note moyenne de 1,84, rappelle la Confédération, qui englobe dans le terme « Europe » des pays non-membres de l’Union européenne (Royaume-Uni, Suisse, Albanie…).

« Cette dégradation continue indique que le modèle social européen (…) est activement démantelé par les gouvernements et les entreprises, à un rythme qui s’accélère, ce qui entraîne de lourdes conséquences dans la région et risque de déclencher un nivellement par le bas à l’échelle mondiale pour les droits des travailleurs », poursuit-elle.

La Finlande et la Suisse épinglée

La situation des travailleurs est certes encore pire ailleurs : la région « Moyen-Orient et Afrique du Nord » enregistre ainsi une note moyenne de 4,74 en 2024, contre 4,25 en 2014. Dans les Amériques, la note moyenne a dérapé de 3,16 en 2014 à 3,56 dix ans plus tard. Avec seize assassinats de syndicalistes recensés, sur un total de vingt-deux depuis la parution du dernier Indice, les Amériques restent « la région la plus meurtrière » de la planète pour les travailleurs et leurs représentants.

Si aucun assassinat n’a été recensé en Europe en 2023-2024, deux pays du Vieux Continent ont vu leur note dégradée par la CSI. La Finlande est ainsi accusée de « violations réitérées » des droits des travailleurs en 2024, alors que la CSI ne lui reprochait en 2023 que des violations « sporadiques ».

Helsinki a été sanctionné « suite à la proposition, par la coalition de droite du premier ministre Petteri Orpo, de réformes constituant une attaque sans précédent contre le modèle social nordique », explique la CSI. « Les réformes en question entendent limiter les grèves politiques à une journée, compromettent les négociations salariales et proposent de réduire les prestations de maladie et les allocations chômage », détaille-t-elle.

« Au cours de l’année passée », reproche le secrétaire général de la CSI, Luc Triangle, « nous avons observé dans les pays nordiques une certaine détermination de la part des gouvernements et des entreprises pour démanteler les piliers fondamentaux de la démocratie » : droit de grève, de manifestation…

Quant à la Suisse, accusée de « violations réitérées » en 2023, elle est désormais considérée comme coupable d’atteintes « régulières » aux droits des travailleurs, un cran plus haut dans l’échelle de notation de la CSI.

« Crise démocratique »

Au total, 73 % des Etats européens ont « violé le droit de grève » et « des travailleurs ont été victimes de violences dans 9 % des pays » du Vieux Continent.

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Pour Luc Triangle, « le modèle social européen se désagrège rapidement. Une crise démocratique s’opère dans la région, du fait que les syndicats, les droits des travailleurs et la démocratie sont étroitement liés ».

Faible lueur d’espoir, la Roumaine voit sa note s’améliorer d’un cran. Elle est désormais accusée de violations « régulières » des droits des travailleurs et non plus « systématiques ». Parmi les avancées constatées dans ce pays, « le droit de grève a été étendu et la négociation collective est désormais obligatoire dans les entreprises de plus de dix employés », se satisfait la CSI.

Le Monde avec AFP

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L’argot de bureau : à la recherche du « funemployment » ou « chômage plaisir »

« Un coup de pouce pour aider les personnes en recherche d’emploi », telle est la vocation d’un événement qui a eu lieu le 16 mai à Bordeaux. S’agit-il d’un atelier de formation, d’une rencontre entre recruteurs et chômeurs ? Oui, en quelque sorte, mais après avoir… dévalé une pente sur un fauteuil ergonomique. La « course de chaises de bureau » veut réunir dans la bonne humeur des patrons qui recrutent et des jeunes. Manque de chance, le gagnant 2023 a bien obtenu un entretien d’embauche, mais il n’a même pas abouti.

Ces dernières années, France Travail a multiplié les initiatives similaires, notamment avec des centaines de journées « Du stade vers l’emploi », où sont réunis anonymement demandeurs et recruteurs dans des équipes sportives le matin, avant que ces derniers ne révèlent leur identité. Début 2024, le dispositif « L’art d’accéder à l’emploi » propose même aux chômeurs des Hauts-de-France de créer une œuvre artistique qui leur servira de CV.

Ces opérations ludiques, qui cherchent à remobiliser des personnes éloignées de l’emploi, ont le mérite de sortir des modalités habituelles de recrutement (CV, lettre de motivation…). Mais elles provoquent un certain malaise : le temps d’une journée, il faudrait oublier l’urgence de retrouver un emploi, s’amuser, et sourire à de potentiels recruteurs.

Pour justifier l’existence de ces événements est souvent évoquée l’idée de « donner envie » à ces personnes de s’y présenter : cela signifierait donc que la plupart d’entre elles se complaisent dans leur statut de demandeur d’emploi ? Un terme très maladroit − évidemment importé des Etats-Unis − décrit cette insinuation : « funemployment », contraction de « fun » et d’« unemployment » (chômage).

Une relance pour l’emploi ?

Au même titre qu’existeraient des « métiers passion », il faudrait reconnaître l’existence d’un « chômage plaisir ». Cette tendance artificielle s’est propagée il y a quinze ans, dans la foulée de la crise de 2008. Il s’agissait alors pour certains licenciés de dédramatiser l’épreuve du chômage en prenant une pause à base de loisirs, relayait en masse la presse française.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés « L’expression “plan de carrière” ne parle pas aux jeunes »

L’expression revit aujourd’hui, notamment avec le mouvement QuitTok, où des jeunes annoncent avec fierté, sur TikTok, qu’ils ont démissionné de leur boulot, qui les ennuie ou les épuise. Cette nouvelle définition ne concerne en réalité que de rarissimes jeunes cadres, profitant d’une conjoncture toujours favorable sur certains métiers pour s’amuser.

Et c’est ainsi que l’exemple de Jean-Kévin, ingénieur produit dans un grand groupe industriel, qui a tout plaqué pour faire le tour du monde, conduit à la conclusion que « les jeunes ne veulent plus travailler ». Le filet de sécurité de l’assurance-chômage ne serait donc qu’un hamac où les fainéants somnolent.

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Réussir la transformation numérique dépendra surtout de « la capacité des dirigeants d’entreprise à prendre les bonnes décisions pour ne pas se faire distancer »

Depuis que l’apparition de ChatGPT a rendu tangible la puissance de l’intelligence artificielle (IA) et sa capacité de transformation, nombreux sont ceux qui s’inquiètent de son impact sur l’économie et la société. Si cette « intelligence » nous dépasse, un tsunami détruira peut-être nos métiers et nous rendra inutiles. Si, au contraire, nous savons la conduire, elle nous accompagnera vers de nouveaux horizons, comme un copilote complétant notre humanité.

On pense parfois que la réponse à cette question viendra de nos capacités individuelles à nous adapter, et des capacités collectives à nous transformer et à accompagner les perdants de cette transformation.

Prendre les bonnes décisions

En réalité, elle tient surtout à la capacité des entreprises et de leurs dirigeants à prendre les bonnes décisions pour ne pas se faire distancer. Dans le cas contraire, nous risquons une crise similaire à celle que la sidérurgie a connue après la deuxième guerre mondiale et qui a entraîné tant de malheurs dans les régions industrielles françaises comme dans la Rust Belt, la « ceinture de la rouille » des Grands Lacs américains. Mais cette nouvelle « désindustrialisation » toucherait alors le secteur des services, qui sont aujourd’hui le moteur principal de notre économie.

Pour évaluer la situation des données numériques et de l’IA en France, Verian (ex-Kantar Public) et l’Essec Metalab for Data, Technology & Society réalisent depuis 2020, en partenariat cette année avec Claranet, des enquêtes annuelles pour la French Tech Corporate Community, anciennement Mission interministérielle pour les grands groupes. Nous évaluons la perception des métiers, des emplois et des formations par les responsables des activités numériques et des ressources humaines des grandes entreprises françaises. Nous en constatons ainsi les progrès et les faiblesses.

En 2024, ces responsables ont pour la plupart pris la mesure de la révolution en cours : 69 % répondent que l’exploitation et la gestion de la donnée occupent une place centrale ou très importante dans leur activité, soit un gain de 19 points en deux ans. La prise de conscience est enfin généralisée, avec 87 % des répondants affirmant que leurs dirigeants sont très sensibilisés aux enjeux des données numériques (leur collecte, leur analyse et leur gouvernance), et 70 % indiquent que leur entreprise s’est emparée des problématiques de l’IA générative ou ont commencé à mettre des actions en place.

Etonnamment, alors que les responsables se donnent un satisfecit – 39 % pensent être plus avancés que leurs concurrents dans la gestion et l’usage des données, 19 % seulement pensent être en retard –, cette autosatisfaction ne semble pas nécessairement mener à une stratégie clairement définie. En effet, 50 % des entreprises éprouvent encore des difficultés à évaluer leurs besoins de recrutement.

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« Avec la loi pour le plein-emploi, le risque de déstabilisation de l’offre de garde d’enfants est grave »

L’enfer est pavé de bonnes intentions. En voulant créer un service public de la petite enfance et 200 000 places d’accueil supplémentaires pour les enfants, le gouvernement a fait voter une loi qui va déstabiliser la garde d’enfants dans tous les territoires. Nous, maires, présidents d’intercommunalités, élus locaux, appelons le gouvernement à revoir la loi pour ne pas fragiliser un système déjà en difficulté.

Cette loi pour le plein-emploi, plutôt que de répondre aux difficultés du secteur, tente de réorganiser le service public de la petite enfance en obligeant chaque commune à s’en charger. Or, la plupart du temps, les communes ne s’en occupent pas seules : les maires agissent collectivement dans le cadre de leur intercommunalité (communauté de communes, agglomération ou métropole). Ils le font pour mieux répartir l’offre de garde sur le territoire et en améliorer la qualité en mutualisant les moyens. C’est une garantie pour permettre aux familles de tout un bassin de vie d’avoir accès à un accompagnement et à une solution de garde.

Cela, la loi n’en tient pas compte. Conséquence : en 2025, les intercommunalités pourraient se retrouver dans l’impossibilité d’agir en matière de petite enfance et les maires se retrouveront isolés et seuls pour répondre aux demandes des familles et des professionnels. Comble de l’ironie, elles n’auront pas non plus de moyens supplémentaires pour le faire.

Que risque-t-il de se passer en 2025 ? Les maires, en particulier des petites communes, seront incités à concéder le service public de la petite enfance à des acteurs privés à but lucratif. Aujourd’hui, quelques grandes centrales nationales se partagent ce marché. Elles sont plus guidées par la rentabilité que par l’intérêt général et sont souvent plus chères pour les familles. Comment parler dans ce cadre de « service public » comme s’en targuent les ministres successifs chargés des solidarités ?

Un vœu pieux

Le risque de déstabilisation de l’offre de garde d’enfants est grave. Pour le prévenir, les communes et les intercommunalités pourraient devoir délibérer en urgence, avant le 1er janvier 2025, afin de préserver ce qui est déjà en place. Mais, , jusqu’à présent, l’Etat n’a pas su nous expliquer quand, comment et sur quoi ces délibérations devront porter. La loi a été trop mal rédigée et laisse des vides juridiques que les ministères eux-mêmes ne savent pas combler. La colère gronde dans nos communes et dans nos intercommunalités.

Nos politiques de petite enfance sont en danger, et il est urgent de changer la loi. Nos familles ne peuvent pas se payer le luxe d’une désorganisation de la garde d’enfants. N’ajoutons pas du chaos au chaos : une famille sur deux – surtout les plus précaires – ne dispose pas de solution d’accueil, il manque 10 000 professionnels de la petite enfance et 40 % des assistantes maternelles en exercice seront parties à la retraite en 2030. Dans ce contexte, l’objectif du gouvernement de créer 200 000 places d’accueil d’ici à 2030 ne sera qu’un vœu pieux.

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Peut-on porter des claquettes-chaussettes à la DRH ?

En entreprise, il arrive que l’exceptionnel devienne le standard (malheureusement, cette règle ne concerne pas la généralisation du treizième mois à tous les mois de l’année). C’est le cas, par exemple, en matière d’habillement. Connue sous le nom de casual Friday, la décontraction vestimentaire qui, le vendredi, autorisait les salariés à venir sans nœud coulant autour du cou s’est d’abord développée durant les années 1980 au cœur de la Silicon Valley, avant de se massifier.

Symbole d’une mise à mal des vieilles normes, cette décontraction vestimentaire, signe de la prise de pouvoir des ingénieurs informatiques et de leur culture sur le reste de la société, avait d’ailleurs des avantages pratiques : lorsque l’on passe quatre-vingts heures par semaine à coder, mieux vaut être dans un vêtement molletonné, plus pratique qu’un costume étriqué pour improviser une sieste sur un coin de canapé.

Après Steve Jobs, c’est Mark Zuckerberg qui a porté jusqu’à son point d’incandescence ce style informe, faisant exploser tous les codes corporate en matière d’habillement. Tee-shirt invariablement gris, jean pas super bien coupé et claquettes de piscine : ce look typique du gars qui sort les poubelles permet en réalité de ne pas avoir à gaspiller de ressources cognitives inutiles (pff, choisir comment s’habiller, quel intérêt ?) quand on peut les employer à révolutionner nos modes de sociabilité – pas forcément en bien, d’ailleurs. Tout ça pour dire qu’au fil du temps le casual Friday s’est mué en casual everyday (« décontracté tous les jours ») : l’exception est devenue la règle.

Des lignes rouges floues

Les confinements, le travail hybride et les canicules à répétition sont venus affermir ce mouvement qui tend à faire de nous des Big Lebowski d’open space. D’après une étude pour International Workplace Group publiée en août 2023, 50 % des salariés américains portent des sweats à capuche au bureau, 44 % des vêtements transparents et 42 % des jeans troués. Birkenstock, minishort, maillot du Stade brestois, yoga pants : les lignes rouges entre le portable et l’importable sont désormais difficiles à déterminer, variant en fonction de l’entreprise et des circonstances. Passer un entretien d’embauche avec un tee-shirt de Mötley Crüe n’est pas une très bonne idée, mais cela pourra s’avérer bénéfique si vous êtes graphiste ou créatif.

Bien que le look formel traduise encore un statut élevé, la bonne nouvelle, c’est qu’on peut désormais occuper une position hiérarchique avec des Gazelle aux pieds. Mais est-il possible pour autant de venir travailler à la DRH en claquettes-chaussettes ? Si chacun est libre de s’habiller comme il le souhaite, dans la mesure où il arbore une tenue décente, l’employeur peut néanmoins imposer certaines restrictions justifiées par des impératifs de sécurité ou des questions d’image.

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