Archive dans 2022

« La Précarité durable » ou les difficultés de l’emploi discontinu

Livre. L’approche est originale, mais peut surprendre. Pour explorer les contours du monde du « précariat » (néologisme, né de la contraction des mots « précarité » et « prolétariat ») – qui concernerait 40 % de la population des pays développés, selon l’économiste britannique Guy Standing –, le sociologue Nicolas Roux a choisi d’étudier en France deux catégories sociales très éloignées l’une de l’autre, d’un côté les saisonniers agricoles, de l’autre les artistes intermittents du spectacle.

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De fait, ces deux populations ont comme point commun de se situer à l’opposé du modèle salarial « fordiste », où domine un emploi stable et à temps plein. En ce qui concerne la France, ces catégories appartiennent plutôt aux marges du monde du travail, puisque le contrat à durée indéterminée (CDI) représentait encore 85,3 % de l’emploi stable, selon les statistiques de l’Insee, en 2016. Au total, ce sont quand même 3,7 millions de personnes qui ont occupé un emploi précaire dans l’Hexagone, cette année-là. Leur existence est de plus pérenne et ancienne, puisque les journaliers agricoles comme les travailleurs au cachet dans le monde du spectacle étaient déjà très nombreux au XIXe siècle, comme au début du XXe siècle.

Un fait social

Mais avec les crises sociales récentes – notamment le mouvement des « gilets jaunes » –, les discours sur l’avènement d’une « start-up nation » ou sur l’« ubérisation » de l’économie, l’idée que la précarité a gagné du terrain et s’installe dans la durée mérite une analyse. Dans ces conditions, le fil rouge de l’auteur est « de bien voir comment les individus aménagent au mieux leur situation, en fonction des ressources disponibles ».

Nicolas Roux étudie les conditions de soutenabilité et d’insoutenabilité de la précarité durable. La vie des saisonniers agricoles et celle des intermittents du spectacle alternent entre des périodes d’emploi et de chômage. La discontinuité est inscrite au cœur même de leur vie sociale, tant du point de vue du contrat (à durée déterminée, saisonnier, etc.) que du temps de travail (à temps partiel, morcelé, etc.). Mais là se situe, aussi, la grande différence entre eux.

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D’un côté, les saisonniers agricoles, issus de milieux modestes et moins diplômés, sont amenés à accepter leur condition et à s’en satisfaire. Ils n’ont pas le choix de leur activité et dépendent de leur emploi précaire pour se nourrir. De l’autre, il s’agit d’un choix de vie pour les intermittents du spectacle. L’auteur arrive vite d’ailleurs à la conclusion suivante : « N’est pas “travailleur intellectuel” qui veut. » Cela est grandement facilité par l’acquisition, dès l’origine, d’un capital social et économique. Au fil de son enquête, Nicolas Roux démontre que le précariat est bien devenu un fait social de plus en plus en plus ancré dans la société française, en revanche, il ne constitue pas une classe sociale, ce monde demeurant très éclaté.

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Assurance-chômage : le bonus-malus pour les entreprises appliqué

La réforme de l’assurance-chômage, engagée sous la précédente législature, franchit une nouvelle étape. A partir du jeudi 1er septembre, une – petite – partie des entreprises vont être assujetties à un taux de cotisations dit « modulé » en fonction du nombre de salariés dont elles se sont séparées. Cette mesure a pour objectif de lutter contre la précarité dans le monde du travail en incitant les patrons à recruter des collaborateurs sur de longues durées, par le biais d’un système de bonus-malus. Il s’agit d’une promesse de campagne faite par Emmanuel Macron durant la course à l’Elysée de 2017.

« Selon le dernier état des lieux, encore provisoire mais proche du résultat définitif, quelque 18 000 entreprises, employant 1,3 million de personnes, sont concernées, explique Yann-Gaël Amghar, le directeur général de l’Urssaf-caisse nationale. Nous sommes en train de leur notifier le taux de cotisation modulé auquel elles vont être soumises, sachant que le paiement des contributions afférentes s’effectuera à partir du 1er octobre. » Ces chiffres sont légèrement inférieurs à ceux communiqués par le ministère du travail, au début de l’été 2021, lorsque le mécanisme – relativement complexe – a commencé à prendre tournure : à l’époque, les services de l’Etat indiquaient que la réforme s’appliquerait à quelque 21 000 sociétés comptant au moins onze salariés, sur un total de 225 000 (toutes branches professionnelles confondues).

La démarche peut paraître modeste sur un plan quantitatif. Cela tient au fait que le bonus-malus ne touche que les entreprises évoluant dans sept secteurs d’activité, dont l’hébergement et la restauration, la fabrication de denrées alimentaires, ou bien encore les transports et l’entreposage. En outre, les employeurs les plus affectés par la crise sanitaire ont été temporairement exclus du dispositif.

« Globalement décevant »

Concrètement, le taux de cotisation patronale dépendra du nombre de contrats et de missions d’intérim qui prennent fin. Au lieu d’être soumises à un taux uniforme (égal à 4,05 % de la masse salariale), les entreprises verront leur contribution varier selon la stabilité des effectifs : les « bonnes élèves », qui fidélisent leur main-d’œuvre, subiront la ponction minimale (3 %) ; à l’inverse, celles où le turn-over est important – à cause, notamment, d’un recours massif aux CDD – paieront davantage, dans la limite de 5,05 % au maximum. Le but, en somme, est de manier la carotte et le bâton afin de faire évoluer les pratiques d’embauche.

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Les salaires des Français ont augmenté en 2022 mais moins que l’inflation

Les deux études constatent que les augmentations générales, c’est-à-dire pour tous les salariés de l’entreprise, sont redevenues prépondérantes.

Selon qu’on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide, on peut y lire une bonne ou une mauvaise nouvelle pour les salariés français : deux enquêtes publiées ce mercredi 31 août confirment que les budgets consacrés par les entreprises aux augmentations de salaires sont bien repartis à la hausse en 2022, sans pour autant rattraper le niveau de l’inflation à 5,8 % sur un an en août. Selon le cabinet de conseil en ressources humaines LHH, qui a interrogé 180 entreprises représentant plus d’un million de salariés, la hausse médiane atteindrait même un plus haut depuis dix ans, à 3 %. C’est 0,5 % de plus que les prévisions de janvier.

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Pour le cabinet Deloitte, dont l’enquête porte sur autant de salariés, répartis en 300 entreprises, la hausse est légèrement moindre (+ 2,5 % toutes catégories socioprofessionnelles confondues), renouant seulement avec les niveaux d’avant-crise. L’augmentation concerne tous les secteurs d’activité, détaille LHH, avec un budget pour les négociations annuelles obligatoires (NAO) légèrement supérieur dans l’industrie (3,15 %) et dans l’informatique (4 %) mais inférieur dans le secteur tertiaire financier (2,5 % après 1,4 % en 2021).

« Une équation »

Les deux études constatent que les augmentations générales, c’est-à-dire pour tous les salariés de l’entreprise, sont par ailleurs redevenues prépondérantes, alors que la pratique n’avait cessé de reculer ces dernières années au profit des augmentations individuelles.

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« Malgré la crise sanitaire, les entreprises avaient maintenu en 2020 des augmentations conformes à leurs prévisions. Mais elles ont accusé le coup en 2021, avec des prévisions à 1,45 %, un niveau très bas qu’elles ambitionnaient de rattraper cette année. La nouvelle crise économique et sociale, l’inflation, et la problématique autour du pouvoir d’achat, les ont amenées à faire un effort particulier », rappelle Delphine Landeroin, directrice de projets performance sociale chez LHH.

Au cours du premier trimestre, l’inflation a renforcé les attentes et revendications des salariés, ajoutant dans l’équation le risque de tensions sociales

L’enquête de LHH corrobore ainsi les constats de la Dares, service des statistiques du ministère du travail, qui, dans une étude sur l’évolution des salaires dans le secteur privé, publiée le 12 août, notait une augmentation de 3 % sur un an de l’indice du salaire mensuel de base de l’ensemble des salariés. La même étude soulignait qu’en euros constants, eu égard au niveau de l’inflation, cet indice baissait au contraire de 3 % toutes catégories confondues, et même de 3,6 % pour les professions intermédiaires, et 3,7 % pour les cadres.

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La place croissante des avantages non salariaux dans le management

Télétravail à la carte, congés illimités, semaine de quatre jours, congés sabbatiques… Impossible pour les entreprises de faire l’impasse sur les questions d’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. « Pendant la crise sanitaire, de nouvelles manières de travailler ont vu le jour, intégrant davantage de souplesse et d’autonomie, explique Thierry Rochefort, professeur associé à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Lyon. Aujourd’hui, les salariés, des juniors aux seniors, ne veulent plus retravailler comme avant. »

Une flexibilité indispensable tant pour séduire de potentiels candidats que pour retenir les salariés dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. « Nous évoluons dans un secteur très compétitif avec des profils rares et très recherchés, souligne Francesca Sacchi-Gueguen, DRH France du groupe de communication Dentsu. Pour les attirer et les retenir, nous nous devons d’être en phase avec leurs souhaits : recherche de sens, d’équilibre, d’autonomie et de flexibilité. »

Ainsi, un accord signé en juillet 2021 a mis en place un mode de travail hybride permettant aux salariés de Dentsu de choisir de 0 % à 100 % de télétravail. « Dans 90 % des cas, les demandes des salariés ont été acceptées », précise la DRH. Un second accord de décembre 2021 vise à privilégier la vie familiale : congés paternité, maternité, de proche aidant ou encore congé en cas de fausse couche pour les deux parents.

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D’autres entreprises misent sur les congés illimités. C’est le cas notamment de Golden Bees, agence conseil en marketing digital RH, et du néoassureur Luko. « Le but est que les salariés soient maîtres de leur travail, explique Raphaël Vullierme, cofondateur et PDG de Luko. Le dispositif repose sur un contrat de confiance et l’atteinte des objectifs. »

Trente-deux heures sans perte de salaire

Bilan : les salariés de Luko partent en moyenne trente-sept jours, soit quatre de plus que la moyenne des Français qui, d’après une étude de la ­direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail (Dares) de 2017, prennent trente-trois jours (congés payés et jours de RTT). Les cadres de Luko prennent trois jours de plus que le minimum légal et les non-cadres cinq jours.

« C’est une grande source de satisfaction en interne, ainsi qu’un argument-clé pour le recrutement », se réjouit Raphaël Vullierme. Ainsi les trois quarts des salariés se disent satisfaits de cette politique ; 80 % estiment que cela a un impact positif sur leur productivité et leur épanouissement professionnel et 59 % reconnaissent que cette politique a pu influencer leur choix de rejoindre l’entreprise.

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Emplois vacants : s’intéresser à la proximité des métiers

Carnet de bureau. Quand la mobilité séduit les salariés, la proximité des métiers peut intéresser les recruteurs. Le taux d’emplois vacants est en hausse dans tous les secteurs depuis un an. D’après le dernier bilan de la direction des études et des statistiques du ministère du travail (Dares) publié le 22 août, 355 400 emplois sont restés non pourvus au 2trimestre (contre 188 687 en 2019, avant la crise sanitaire). Et les salariés continuent de démissionner en grand nombre.

Une autre étude de la Dares indiquait, le 18 août, que le taux de démissions n’avait jamais été aussi haut depuis la crise financière de 2008. Ainsi 469 610 démissions de postes en CDI ont été enregistrées au 1er trimestre 2022. Les ex-salariés ne restent pas longtemps sans solution : « environ huit démissionnaires de CDI sur dix au second semestre 2021 sont en emploi dans les six mois qui suivent ».

Si les recruteurs ont du mal à trouver le mouton à cinq pattes recherché par les entreprises, outre le fait que les employeurs peuvent s’efforcer d’améliorer les conditions de travail, ils peuvent également se pencher sur une récente étude de Pôle emploi, concernant la mobilité des salariés et la proximité des métiers. Réalisée à partir de déclarations sociales nominatives (DSN) 2019 de 2,4 millions de salariés, elle ne concerne ni la fonction publique, ni les particuliers employeurs, ni les intermittents du spectacle, exclus de la DSN.

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Après avoir établi que « près de la moitié des demandeurs d’emploi [48,8 %] retrouvent un emploi dans un domaine professionnel différent de celui initialement recherché », Pôle emploi identifie les passerelles construites par les salariés entre les secteurs d’activité et les métiers.

Age et niveau de qualification

Les plus fortes mobilités de salariés ont été observées par Pôle emploi entre les secteurs du commerce, de la gestion-administration des entreprises, de l’hôtellerie-restauration, des services aux particuliers et aux collectivités, du transport, de la logistique et du tourisme. Elles existent aussi, mais à bien moindre échelle, entre les informaticiens, les ingénieurs et cadres de l’industrie et les chercheurs.

De l’agriculture au BTP, au transport ou à la logistique, des mouvements de salariés sont « facilités par la proximité de compétences techniques ou de situations de travail transversales (travail en équipe, normes de qualités, conditions et organisation du travail) », analysent les auteurs de l’étude. Il existe par exemple des transferts possibles entre les métiers de l’électricité-électronique et ceux de la mécanique et de la maintenance.

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« Le Canard enchaîné » se défend des accusations d’abus de biens sociaux

Découverte par les journalistes de l’hebdomadaire au début de l’été, la plainte a été déposée le 10 mai par l’un des leurs, Christophe Nobili.

Le Canard enchaîné ne pouvait pas se faire voler dans les plumes sans réagir. Depuis que l’information de la plainte contre X pour « abus de biens sociaux » et « recel d’abus de biens sociaux » au sein du journal a été révélée, vendredi 26 août par Le Monde, la riposte du volatile était très attendue.

« La réalité dépasse le fictif », annonce le titre de l’article publié au bas de la « une » de l’édition datée mercredi 31 août et parvenue, comme chaque semaine, dans les rédactions parisiennes mardi après 17 heures. Signée du « comité d’administration », elle s’efforce de battre en brèche le caractère fictif de l’emploi de la compagne d’André Escaro, 94 ans, dessinateur historique du journal et ancien administrateur. Découverte par les journalistes de l’hebdomadaire au début de l’été, la plainte a été déposée le 10 mai par l’un des leurs, Christophe Nobili, 51 ans, plume du Canard depuis une quinzaine d’années.

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Ambiance dégradée à la rédaction

Aux dires des administrateurs, la décision de « faire appel à Edith » remonte à 1996, lorsque l’auteur des cabochons (petits dessins) qui ponctuent « La Mare aux Canards », en page 2, a émis le souhait de prendre sa retraite. « Il est d’abord réticent, arguant que le cumul emploi-retraite n’est alors pas autorisé et, surtout, qu’il entend dorénavant s’éloigner des turbulences politiques… », assure le texte de six colonnes, où il est précisé qu’André Escaro souhaitait aussi se consacrer à ses passions. « Il cédera finalement, à condition que sa compagne, Edith, l’épaule en lui mâchant un peu le travail », expliquent les auteurs. Celle-ci aurait donc « lu la presse pour lui », et l’aurait aidé « à trouver l’astuce qui fait le sel des cabochons » – huit mille ont été conçus en vingt-six ans.

Seule l’enquête « déterminera si ce montage, qui peut, certes, paraître un peu acrobatique, est attaquable (…) sur le plan administratif », soulignent le président des Editions Maréchal Le Canard enchaîné, Michel Gaillard, le directeur de publication, Nicolas Brimo, les rédacteurs en chef, Erik Emptaz et Jean-François Julliard, ainsi que les journalistes et administrateurs (depuis le 22 juin), Odile Benyahia-Kouider et Hervé Liffran. Les enquêteurs de la brigade financière qui ont commencé à auditionner des salariés cet été, seront-ils convaincus par ce qui ressemble à un « Pan sur le bec ! » ?

Quant à convaincre la rédaction, où l’ambiance s’est singulièrement dégradée, que ces vignettes devaient leur malice à la compagne de leur auteur, ce ne sera pas chose aisée. Même si « Escaro et Edith ont rendu, en juin, leur tablier », l’affaire risque de laisser de profondes cicatrices.

Laurent Berger : « Ce n’est pas en réduisant les droits des chômeurs qu’on atteindra le plein-emploi »

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, dans son bureau à Paris, le 29 août 2022.

Laurent Berger considère que la réforme de l’assurance-chômage envisagée par le gouvernement relève de la « pure idéologie », mais il ne compte pas s’associer à la journée de mobilisation interprofessionnelle annoncée par la CGT le 29 septembre.

La hausse des prix continue de générer un fort mécontentement parmi les travailleurs. Est-il susceptible de se traduire par des grèves ou des conflits sociaux ?

La conflictualité est importante sur la question du salaire et du pouvoir d’achat. La caisse de grève de la CFDT, qui aide nos adhérents lorsqu’ils cessent le travail à l’occasion d’un différend avec leur employeur, a été nettement plus sollicitée au cours du premier semestre : dans 75 % des cas, les revendications portaient sur la fiche de paye. Tout laisse à penser que la question va rester très sensible cet automne. L’inflation demeure extrêmement forte. Quelque 140 branches professionnelles ont des minima salariaux inférieurs au smic. C’est inadmissible.

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Que préconisez-vous pour atténuer les tensions ?

La puissance publique a un rôle à jouer. Elle doit notamment conditionner le versement des aides publiques au respect du smic par les conventions collectives de branches. Mais les employeurs ont aussi leur part de responsabilité : s’ils ne veulent pas être confrontés à des mouvements sociaux, ils doivent mettre du grain dans le moulin.

Les chefs d’entreprise répondent-ils présent ?

Les situations sont disparates selon les secteurs, mais nous ne sommes pas au bout de la discussion sur la question des rémunérations et du partage de la valeur. Le patronat, à l’échelon des entreprises, des branches et au niveau interprofessionnel, doit se mettre autour de la table afin qu’il y ait des avancées sur les salaires, l’intéressement, la participation.

La loi sur la préservation du pouvoir d’achat, adoptée durant l’été, ne répond-elle pas à vos attentes ?

Personne ne pourra dire qu’elle n’accorde rien, mais le thème du partage des richesses dans les entreprises n’a pas été suffisamment intégré. Celui-ci doit revenir sur le devant de la scène. On a un peu l’impression, du côté des employeurs, que crise après crise, on peut s’exonérer de toute responsabilité. Il faut au contraire que les efforts soient partagés. Les aides doivent par ailleurs être davantage ciblées sur les ménages les plus modestes.

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La CFDT va-t-elle se mobiliser pour faire avancer ses demandes ?

Sur la question salariale, notre organisation est à l’action, lors de négociations ou de conflits dans des entreprises ou durant des négociations salariales de branches. Des secteurs sont en mouvement : les agents de la Sécurité sociale réclament une revalorisation du point d’indice, qui détermine le montant de leur rémunération. Les salariés du secteur des transports ont également des revendications salariales. Idem dans l’agroalimentaire ou la métallurgie.

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Peut-on être aux ordres et responsable ?

« Faire le ménage » n’a pas la même signification dans une entreprise de propreté et dans une division où arrive un nouveau patron. Un directeur informatique est licencié pour faute grave : « Vous avez instauré un climat de tension et de peur, avec une volonté affichée d’éliminer l’ancienne équipe au profit de collaborateurs embauchés par vous, plaçant par votre comportement Mme G. au bord de la dépression », justifie la direction. Une caricature de harcèlement managérial, notion certes floue au pays de la subordination, mais maladie hiérarchiquement contagieuse quand la concurrence devient féroce.

Le directeur informatique saisit alors la justice pour contester la gravité de sa faute, car c’est « en lien étroit avec sa hiérarchie qu’il avait conduit la réorganisation ». Ni faute grave ni même, en l’espèce, faute réelle et sérieuse, affirme la Cour de cassation le 12 juillet 2022. « Résultat d’une position managériale partagée et encouragée par l’ensemble de ses supérieurs hiérarchiques, le comportement de M. X ne rendait pas impossible son maintien dans l’entreprise », précise l’arrêt.

L’entreprise est condamnée à verser 24 120 euros de préavis, 30 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement non fondé et même 10 000 euros pour les conditions vexatoires de cette rupture. Il paraît logique qu’un employeur, responsable de la santé et de la sécurité de ses collaborateurs, ne puisse reprocher une « faute » à un cadre dont il a soutenu les errements.

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Cette décision voulant sanctionner les hautes directions jouant les Ponce Pilate paraît plus protectrice de l’encadrement que celle du 8 mars 2017, où la responsable RH d’un magasin avait été licenciée, parce qu’elle était restée inactive alors que le directeur créait « un climat de terreur et d’humiliations ». La Cour de cassation avait validé son licenciement, estimant qu’« en cautionnant les méthodes managériales inacceptables du directeur avec lequel elle travaillait en très étroite collaboration, et en les laissant perdurer, Mme X avait manqué à ses obligations contractuelles et mis en danger tant la santé physique que mentale des salariés ». Plus facile à dire qu’à faire, quand de bons soldats sont dirigés par de petits chefs.

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Mais, au-delà de l’aspect disciplinaire, existent aussi les très inquiétantes responsabilités civile et pénale. Le manageur fautif peut-il être poursuivi en dommages-intérêts par l’un de ses collègues-victimes, alors que l’employeur est civilement responsable de ses salariés ? « Fussent-ils commis dans l’intérêt, voire sur les ordres de l’employeur, ces faits nécessairement intentionnels engagent la responsabilité personnelle du salarié qui s’en rend coupable à l’égard de ses subordonnés. » L’arrêt de la chambre sociale du 10 novembre 2010 est hélas ignoré des manageurs ayant benoîtement cru au : « T’inquiète pas : en cas de problème, on te couvre ! » Mais ces poursuites sont rares.

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Petite enfance : face à la pénurie de personnel, les solutions du gouvernement très attendues

Dans le secteur de la petite enfance, la rentrée s’annonce difficile. Comme l’illustre la pénurie de personnels, désormais quantifiée – 10 000 professionnels manquent à l’appel selon une étude inédite de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) datée du 11 juillet –, l’attractivité de ces métiers est un enjeu-clé. Conséquence directe de cette pénurie, de nombreux établissements d’accueil collectif (le deuxième mode de garde pour les enfants de moins de 3 ans en France, derrière les assistantes maternelles) sont à la peine. « Ces derniers mois, on a des structures qui ont diminué leur amplitude horaire, d’autres qui ont fermé des sections pour continuer d’accueillir les enfants en toute sécurité. Les professionnels qui restent en poste doivent bien souvent faire des heures supplémentaires pour pallier les absences de leurs collègues », résume Véronique Escames, co-secrétaire générale du Syndicat national des professionnel·le·s de la petite enfance (SNPPE).

Il existe « un vrai gouffre entre le contenu de la formation, qui insiste sur le bien-être et le développement des enfants et l’accompagnement à mettre à œuvre, et la réalité du terrain », abonde Emilie Philippe, du collectif Pas de bébés à la consigne. Dans les faits, « on se retrouve en permanence à travailler dans l’urgence, à se relayer dans les sections pour pallier le manque de professionnels », ajoute-t-elle.

« Revaloriser ces métiers »

Les tensions actuelles de recrutement suscitent, sans surprise, le mécontentement des parents pour qui la garde de leur tout-petit vire au casse-tête. Conscient de la problématique, le précédent gouvernement a mis sur pied un comité de filière petite enfance, afin de réunir autour de la table tous les acteurs du secteur pour plancher sur des solutions. Ses premières conclusions, rendues au début de l’été, sont censées inspirer l’action des pouvoirs publics.

Dans la foulée de leur présentation, le ministère des solidarités a annoncé les premières mesures urgentes, le 11 juillet. En tête, la création d’un observatoire de la qualité de vie au travail dans la petite enfance, doté de 500 000 euros, ainsi que l’annonce de l’organisation d’une campagne de valorisation de ces métiers dès l’automne.

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Des premières pistes de réponses plutôt bien accueillies par les acteurs, qui se disent cependant vigilants à ce que le gouvernement n’en reste pas là. « On attend beaucoup du ministre pour qu’il nous aide à améliorer les conditions de travail, et à revaloriser ces métiers, y compris sur le plan financier », indique Elsa Hervy, déléguée générale de la Fédération française des entreprises de crèches, qui représente 2 000 crèches et 52 000 places. « L’une des solutions pour lutter contre la pénurie, c’est de lancer les négociations avec les régions pour augmenter le financement des places dans les formations d’éducateurs de jeunes enfants et d’auxiliaires de puériculture », ajoute-t-elle.

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Salaires, carrières : la pénurie d’enseignants, un problème qui touche toute l’Europe

Des élèves tiennent une banderole sur laquelle on peut lire « L’école est laissée sans argent et sans sécurité, nous sommes là pour notre avenir », à l’entrée d’une école de Turin, le 7 janvier 2021.

A l’heure où la France se demande pourquoi le « plus beau métier du monde », selon le mot du ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, ne fait plus recette, voilà peut-être de quoi se consoler : la crise du recrutement des professeurs est un problème dans presque toute l’Europe, et même au-delà. Les 4 000 enseignants français qui manquent à l’appel à l’issue des concours du printemps 2022 semblent un moindre mal par rapport aux situations, souvent préoccupantes, des pays voisins.

En Allemagne, où les vacances sont déjà terminées, 4 400 postes étaient vacants en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le Land le plus peuplé du pays, à la reprise des cours, le 10 août. Dans le Schleswig-Holstein, ils étaient 200 quand les écoles ont rouvert, le 14 août. A Berlin, 875 postes n’étaient pas pourvus le jour de la rentrée, le 20 août.

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En Italie, pays confronté à un fort vieillissement de sa population enseignante, 150 000 postes sont désormais occupés par des remplaçants au statut précaire. Tandis que l’agence suédoise de l’éducation, Skolverket, prévoit qu’il faudra former 153 000 enseignants d’ici à 2035, pour compenser les départs à la retraite et les changements de carrière de ceux que la profession n’intéresse plus.

Les Anglais, eux, savent que la crise couve depuis longtemps, mais elle n’en est pas moins violente : selon un sondage de l’Association of School and College Leaders (ASCL), le syndicat des directeurs d’établissement, 95 % d’entre eux disent peiner à recruter ; 72 % font appel à des remplaçants pour couvrir des postes censés être permanents. « Le recrutement des enseignants est extrêmement difficile depuis des années, mais notre sondage montre que nous avons atteint un moment de crise », estime Geoff Barton, le secrétaire général. Les taux d’abandon sont également élevés, puisque, après un an de carrière, 12 % des enseignants quittent le métier ; après cinq ans, ils sont un tiers ; après dix ans, 40 %.

Qualité de l’enseignement dégradée

Pendant que la France s’échine à trouver des contractuels et monte des formations express à quelques jours de la rentrée, les autres pays européens bricolent, eux aussi, tant bien que mal. Pour s’en sortir, les deux tiers des directeurs britanniques font appel à des professeurs qui ne sont pas spécialisés dans la matière qu’ils enseignent, et un tiers ont dû se résoudre à augmenter la taille des classes. En Italie, depuis septembre 2020, le ministère de l’éducation a mis en place un nouveau mode de recrutement en ligne appelé « Call veloce » (appel rapide) qui permet aux enseignants de postuler à un CDI quelle que soit leur région d’origine, pour remplir plus vite les postes vacants.

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