Archive dans 2022

Le gouvernement cherche son équilibre dans le débat sur l’immigration

Le pouvoir exécutif n’a pas encore trouvé son dosage. Au cours de l’été, après une campagne présidentielle marquée par une surenchère raciste et xénophobe, Emmanuel Macron avait jugé la première mouture du projet de loi immigration trop restreinte. Il y manquait des mesures d’intégration. Prévu pour septembre, le débat sur le texte de Gérald Darmanin a été reporté à janvier 2023 et un duo de ministres a été chargé d’incarner cette politique à deux voix : le ministre de l’intérieur pour la fermeté, et celui du travail, Olivier Dussopt, pour l’intégration par l’emploi. Ils sont « très copains », insistent depuis quelques semaines leurs entourages respectifs. Toujours côte à côte au conseil des ministres, ils seraient même des complices « en mode Tic et Tac », comme les célèbres écureuils des studios Disney.

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La scénographie du « en même temps » était rodée. Mais le camp présidentiel s’est fait voler son coup d’envoi, selon les mots de conseillers ministériels. L’extrême droite et la droite ont bruyamment préempté le terrain en se servant du meurtre de la jeune Lola à Paris, le 14 octobre, dont la principale suspecte est une Algérienne sans titre de séjour valide. « Il faut poser le cadre, remettre du rationnel dans l’émotionnel », presse un familier du palais. Depuis quinze jours, l’Elysée reçoit des analyses du service d’information du gouvernement jugées alarmantes : sur les réseaux sociaux, les sujets de discussion liés à l’immigration ne se tarissent pas.

Il était temps de « pousser les feux à fond », résume un conseiller du chef de l’Etat. Si la logique macronienne à deux jambes perdure, l’exécutif franchit un cran dans chacune des directions. Il ne s’agit plus seulement de distinguer l’asile, au nom de l’humanité, et l’immigration irrégulière, associée à la fermeté. Mais de valoriser plus généreusement les étrangers qui travaillent, même en situation irrégulière, et de cibler ceux qui présentent un danger. « On doit désormais être méchants avec les méchants et gentils avec les gentils », a résumé Gérald Darmanin dans un entretien au Monde.

« Tout le monde sera expulsable »

Le ministre de l’intérieur attribue la délinquance à une partie des étrangers, selon sa rhétorique habituelle, défendue par Emmanuel Macron sur France 2 le 26 octobre. Des propos qui auraient choqué l’opinion il y a quelques années. « La politique, c’est un temps de maturation », confie-t-on à l’Elysée, où l’on scrute les sondages successifs. Selon l’enquête « Fractures françaises », réalisée par Ipsos-Sopra Steria et publiée en octobre, plus de 60 % des interrogés trouvent qu’on « ne se sent plus chez soi comme avant » et qu’il y a trop d’étrangers en France.

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« Le Courage de renoncer » : face à l’urgence environnementale, le cas de conscience des élites

« Le Courage de renoncer. Le difficile chemin des élites pour bifurquer vers un monde durable », de Jean-Philippe Decka. Payot, 224 pages, 19 euros.

Le livre. Au Moyen Age, l’Eglise catholique avait mis en place un système permettant le pardon des péchés en échange d’une contribution pécuniaire : le commerce des indulgences. L’argent donnait la possibilité de se racheter après avoir commis un acte condamnable, mais aussi de se donner bonne conscience. Quelques siècles plus tard, les pollueurs à travers la planète peuvent obtenir des certificats en échange d’un paiement : en achetant, par exemple, un certificat pour compenser leurs émissions sur un vol en avion, en participant par exemple à un projet de reforestation.

Dans son ouvrage Le Courage de renoncer (Payot, 224 pages, 19 euros), Jean-Philippe Decka met en parallèle ces deux mécanismes. L’argent permet dans les deux cas de dissimuler la faute commise et, en quelque sorte, de s’en dédouaner. Mais il ne combat pas pour autant le mensonge ni ne s’attaque à la source de la pollution.

Au fil de son essai, l’auteur réalise une traque méthodique des illusions, demi-mesures et fausses promesses qui pullulent face à la crise environnementale. Il met au jour les travers de la compensation carbone comme du recyclage du plastique, de la finance verte ou de la voiture électrique. Cela pour mieux nous convaincre que ce n’est qu’avec un changement radical, loin de la politique des petits pas et des initiatives isolées, qu’il sera possible de faire face au défi écologique. « Il n’est plus suffisant de trier ses déchets et de réduire ses voyages en avion ; c’est la totalité du système qu’il faut revoir, c’est le capitalisme et son obsession pour la croissance auxquels il faut mettre un terme », explique M. Decka.

La voie d’un changement radical

Le projet collectif qu’il appelle de ses vœux implique un préalable : convaincre les élites de devenir la locomotive de ce cheminement vers un nouveau modèle de société. « En tant que privilégiés et détenteurs des clés du système économique et politique, c’est [à elles] de faire bouger les lignes », juge-t-il.

Problème : ces mêmes élites sont les grandes bénéficiaires du système en place. Adopter un mode de vie durable, c’est donc accepter de renoncer à nombre de privilèges. « Comment accepte-t-on de diviser son salaire par dix ? Comment accepte-t-on de renoncer à une carrière dont on nous a vanté les mérites pendant tant d’années ? Comment supporte-t-on le jugement des autres sur ce qui est souvent vécu comme un “déclassement choisi” ?  », s’interroge l’auteur.

M. Decka s’exprime là sur un sujet qu’il connaît bien. Il compte en effet parmi les « renonceurs », ces diplômés de grandes écoles (HEC pour l’auteur) qui ont décidé de changer de route après une prise de conscience de l’urgence climatique. Il mène aujourd’hui des actions de sensibilisation, notamment via le podcast Ozé, qui l’ont conduit à rencontrer de nombreux représentants de cette élite et à les interroger sur leur prise en compte de la question environnementale.

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Négociations salariales : on n’est pas tous égaux devant l’inflation

Carnet de bureau. Trente pour cent des dirigeants d’entreprise interrogés par Opinionway pour The Trusted Agency, dans le cadre d’une étude publiée le 25 octobre, redoutent l’ouverture des négociations avec les salariés. Ils savent qu’ils ne pourront pas ignorer les demandes d’ajustement sur l’inflation lors des négociations annuelles obligatoires (NAO) sur les salaires.

Le taux moyen prévu par les entreprises pour 2023 s’établissait à 4,3 % cet été, selon l’enquête Inflation-salaires 2022-2023 du cabinet de conseil Alixio. « Dans les grands groupes – Bouygues, Air France, Disney –, on a désormais passé la barre des 5 % », précise Rodolphe Delacroix, directeur du département actionnariat salarié et rémunération d’Alixio. Des taux plus élevés ont été obtenus à hauteur de 7 % chez TotalEnergies, et même de 8,3 % en deux temps (4 % puis 4,3 %) pour l’Union nationale des missions locales. Mais on n’est pas tous égaux devant l’inflation.

Pour certains DRH, les NAO devraient être plus compliquées que pour d’autres, car les entreprises sont plus ou moins résistantes au risque inflationniste. En clair, comme pour tout, il y a des gagnants et des perdants, et donc des entreprises qui plus que d’autres peuvent plus facilement répercuter la hausse de l’inflation dans les salaires. Une récente note du cabinet Syndex, spécialisé dans le conseil aux représentants des salariés, en a établi la typologie en quatre catégories : les « indifférentes », les « bénéficiaires », les « vulnérables » et enfin les « résistantes » à l’inflation.

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Au nombre des « indifférentes », on retrouve ainsi les entreprises qui ont peu de pouvoir de négociation des prix avec leurs clients, mais dont les coûts sont largement fixes, comme les prestataires de services professionnels. Syndex cite, en exemple, les cabinets de conseil ou d’audit.

L’édition et la presse « vulnérables »

Une entreprise qui, en revanche, a une forte capacité de négociation pour relever ses prix, et des coûts largement fixes ou liés à des contrats à long terme, sera « bénéficiaire » durant les périodes d’inflation. C’est le cas des compagnies pétrolières. TotalEnergies, par exemple, avait les coudées franches pour augmenter les salaires.

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« Les marges de manœuvre sont évidemment liées au rapport de force entre l’entreprise et ses fournisseurs et au niveau de concurrence au sein du secteur [d’activité] », rappelle la note de Syndex.

Typiquement, les « vulnérables » sont les entreprises avec une forte variation des coûts liée aux éléments nécessaires à la production (les intrants), et peu de pouvoir sur les prix dans un marché très concurrentiel. Syndex cite, sur ce profil, les entreprises de l’édition et la presse, où les négociations pourraient être compliquées.

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La pénurie de médecins du travail inquiète les services de ressources humaines

Un camion de la médecine du travail.

« C’est une hypocrisie absolue. » Ce DRH d’une entreprise de taille intermédiaire dans les services ne décolère pas lorsqu’il énumère les évolutions introduites par la loi du 2 août 2021 relative à la santé au travail. Suivi renforcé des salariés avec notamment la mise en place d’une visite de mi-carrière, accent mis sur la prévention, extension des missions des services de prévention et de santé au travail (SPST)… « Certaines de ces mesures sont intéressantes, mais on pratique la politique de l’autruche : on feint d’ignorer que ces services sont déjà totalement engorgés et ne parviennent plus à répondre aux besoins des entreprises. Alors leur donner des missions supplémentaires… »

Une récente étude de l’Association nationale des DRH (ANDRH) fait écho à ses propos : 67 % des services de ressources humaines (RH) disent pâtir du manque de médecins pour mettre en œuvre la nouvelle réforme de la santé au travail. Au-delà de cette dernière, il s’agit d’un problème bien connu des professionnels du secteur : la médecine du travail est en tension, faisant face à une diminution continue de ses effectifs. Des médecins retraités ou étrangers viennent renforcer les effectifs, mais cela suffit rarement à fluidifier le fonctionnement des services de prévention et de santé au travail.

Le phénomène touche tout particulièrement les territoires les moins peuplés, avec des tensions importantes identifiées notamment dans le Sud-Ouest. Ce qui n’exclut pas des difficultés en Ile-de-France, comme le souligne Bérangère Benon, DRH de l’opérateur Internet Claranet France. « A Rennes, où nous avons notre siège, nous parvenons à obtenir des rendez-vous pour des retours de salariés après une longue absence ou un congé de maternité. C’est totalement différent à Paris, où il s’agit d’une vraie bataille pour avoir des places ! » « On retrouve également une inégalité d’accès à la médecine du travail en fonction du type d’entreprise, ajoute Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH. Les problèmes sont surtout rencontrés par les PME et les TPE. Les grands groupes sont épargnés : ils ont constitué leurs propres services de santé au travail autonome, en interne. »

« Nous sommes à cran »

Les visites et rendez-vous obligatoires après une interruption de travail constituent le principal point de crispation des entreprises concernées. « Certains sont refusés faute de place, c’est une vraie préoccupation, explique Mme Breton-Kueny. En tant que DRH, nous avons des obligations légales liées au code du travail, nous assurer, par exemple, qu’il y ait une visite de reprise après un arrêt maladie de plus de soixante jours ou un retour de congé de maternité, sans oublier les visites de suivi des travailleurs exposés à des risques. Le sujet peut donc se déplacer sur le terrain juridique. »

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Darmanin et Dussopt sur le projet de loi immigration : « Nous proposons de créer un titre de séjour métiers en tension »

Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer, et Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein-emploi et de l’insertion, au ministère de l’intérieur, le 31 octobre 2022.

Alors qu’un nouveau projet de loi immigration doit être examiné début 2023, le ministre du travail, Olivier Dussopt, et celui de l’intérieur, Gérald Darmanin, annoncent, dans un souci d’équilibre, vouloir créer un titre de séjour « métiers en tension » pour les travailleurs sans-papiers déjà sur le territoire, à côté de mesures visant à améliorer les reconduites à la frontière. Un texte sur lequel le gouvernement entend rallier la droite.

L’affaire Lola, du nom de la jeune fille tuée par une ressortissante algérienne sans-papiers, a remis la question des obligations de quitter le territoire français (OQTF) au centre du débat. La France en a prononcé 122 000 en 2021 mais n’en exécute qu’une faible part. Pour quelle raison ?

Gérald Darmanin : D’abord, il y a près de 50 % des OQTF qui font l’objet de recours qui les suspendent. L’une des dispositions du projet de loi qui sera examiné début 2023 au Parlement, est de fortement simplifier les procédures et de passer de douze à quatre catégories de recours, pour exécuter beaucoup plus rapidement les mesures.

Ensuite, pour calculer le taux d’exécution, on ne compte que les départs aidés et les départs forcés, soit près de 17 000 éloignements en 2021. Or, des milliers de personnes quittent le territoire après avoir reçu une OQTF, sans qu’on le sache. Nous allons désormais inscrire toutes les OQTF au fichier des personnes recherchées, le FPR. Il ne s’agit pas de rétablir le délit de séjour irrégulier mais de pouvoir constater que la personne repart comme lorsque, par exemple, elle reprend un avion et ainsi de compter tous les départs d’étrangers.

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Par ailleurs, il faut comprendre que la majorité des personnes qui sont en situation irrégulière sont venues régulièrement sur notre sol et sont restées après l’expiration de leur visa ou de leur titre de séjour. C’est le cas de l’assassin présumé de la petite Lola, venue avec un visa étudiant pour un CAP et restée irrégulière sur notre sol pendant trois ans. Personne ne s’est demandé où elle était. C’est un problème. Aujourd’hui, lorsque la préfecture prend une OQTF, le suivi n’existe que pour les personnes dangereuses. Je demande donc aux préfectures de réaliser un suivi des personnes sous OQTF. Le préfet veillera à leur rendre la vie impossible, par exemple en s’assurant qu’elles ne bénéficient plus de prestations sociales ni de logement social. Nous changeons de braquet.

Vous communiquez beaucoup sur les expulsions de délinquants. Cela a représenté 3 200 personnes depuis deux ans, sur plus de 5 millions d’étrangers en France. Ne contribuez-vous pas à mettre la focale sur un aspect qui n’a pas l’importance que les Français imaginent ?

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Le défaut d’information environnementale du CSE peut-il annuler des licenciements économiques ?

Droit social. Issue des travaux de la convention citoyenne pour le climat, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets impose à l’employeur, dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, de fournir au comité social et économique (CSE) des informations sur « les conséquences environnementales de ses décisions ».

Ces échanges se font tant dans le cadre des informations et consultations récurrentes que lors des consultations obligatoires relatives à l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, énumérées dans le livre II du code du travail.

Le CSE doit également être saisi « en temps utile » lorsqu’un projet de restructuration et de compression des effectifs implique l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE, ex « plan social »), pour émettre un avis sur l’opération projetée et ses modalités d’application.

« Un PSE irrégulier pour défaut d’information peut notamment conduire à la nullité de l’ensemble des licenciements et des mesures des départs volontaires qui y figurent »

En pratique, dans le cas d’un licenciement économique d’au moins dix salariés, deux consultations du CSE doivent être menées avant la mise en œuvre du PSE : la première a trait aux mesures ayant une incidence sur la marche générale de l’entreprise et le volume des effectifs, la seconde est spécifique aux licenciements et aux mesures destinées à les éviter.

Toutefois, la loi Climat et résilience n’a modifié ni les règles applicables aux consultations et informations ponctuelles, parmi lesquelles se trouvent les dispositions concernant les licenciements collectifs pour motif économique, ni le livre I du code du travail organisant le PSE. Si l’on suit, l’employeur doit donc informer des conséquences environnementales à la première consultation… mais le doit-il également à la seconde ?

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Cette question du périmètre de la nouvelle obligation d’information en matière environnementale n’est pas purement théorique : un PSE irrégulier pour défaut d’information peut notamment conduire à la nullité de l’ensemble des licenciements et des mesures des départs volontaires qui y figurent.

Des litiges sur cette question ont déjà été portés en justice, en l’occurrence devant le juge administratif. Des CSE ont, en effet, critiqué des décisions de l’administration du travail qui homologuaient les documents unilatéraux portant sur le projet de licenciement collectif pour motif économique : ils réclamaient l’annulation de ces décisions au motif que la procédure d’information et de consultation des instances représentatives du personnel aurait été irrégulière, notamment du fait de l’absence d’information environnementale. Pour les demandeurs, s’agissant de fermetures de sites et de « délocalisation » de certains salariés, le PSE ne serait « pas neutre pour le climat ».

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Un QR code sur une pierre tombale pour se reconvertir

« Dans les années 2010, les QR codes ont commencé à fleurir sur les tombes » (Photo : QR code sur une pierre tombale au cimetière de Courtisols dans la Marne).

Vous le verrez sans doute si vous allez au cimetière du Père-Lachaise à Paris mardi 1er novembre : un QR code apposé sur la stèle La Mémoire nécropolitaine. Grâce à votre smartphone, il vous guidera vers le monde d’André Chabot, l’ethnographe des cimetières.

Pour Delphine Letort, ces QR codes sont devenus un fonds de commerce, sous forme de médaillons gravés au laser pour héberger la mémoire des défunts, les souvenirs de leurs proches : leur biographie numérique.

« J’ai toujours été attirée par les métiers du funéraire », confie-t-elle aujourd’hui. Elle s’est lancée dans l’entrepreneuriat à 48 ans, après avoir passé une vingtaine d’années en tant que salariée de la fonction publique territoriale. « C’était une hyperzone de confort dans une très bonne ambiance, un travail que j’aimais, à la direction administrative des pompiers. Mais je changeais de poste tous les quatre ans, car j’ai besoin d’apprendre tout le temps. J’ai demandé une formation dans la perspective d’une mobilité externe. »

Certifiée en « accompagnement de deuil »

Elle aura mis près de dix ans à mûrir son projet de reconversion professionnelle. Pendant longtemps, la seule chose dont elle a été sûre résidait dans le fait qu’elle n’était « pas à [sa] place dans un bureau ». C’est de passage à Rennes (Ille-et-Vilaine) qu’elle découvre la biographie numérique : « Ça m’a touché, car je fréquentais les cimetières avec la sensation que ce sont des lieux de vie. »

Après un énième changement de poste et la reprise d’études en psychologie, sa décision est prise. Une fois certifiée en « accompagnement de deuil », elle lance son business : l’autoentreprise Histoires de vie est née en 2020, en plein Covid. Elle lui vaudra le Prix Audace de l’Union des autoentrepreneurs et des travailleurs indépendants, qui salue les projets les plus prometteurs de plus d’un an d’existence.

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Ce n’est pas l’activité la plus porteuse de l’autoentreprise. L’Urssaf enregistre les plus gros chiffres d’affaires plutôt dans le juridique, le BTP et l’immobilier, avec des moyennes de chiffre d’affaires annuel de 17 000 à 20 000 euros. Mais l’initiative de Delphine Letort, qui s’inscrit dans le commerce de détail spécialisé, a été remarquée pour son originalité.

Elle n’est pas la première à avoir investi ce segment du marché funéraire pour prolonger la vie après la mort, afin que les petits enfants connaissent mieux leurs ancêtres ou dans un intérêt plus historique pour les grands de ce monde.

Un quasi-effet de mode

Dans les années 2010, les QR codes ont commencé à fleurir sur les tombes : 50 euros l’adhésif à coller sur la stèle, 95 euros le médaillon en céramique, voire 270 euros le médaillon gravé sur métal inoxydable. Les ambassadeurs d’Internet s’étaient multipliés pour proposer aux familles en deuil d’installer dans le « cloud » les photos, vidéos, sons et autres formes d’hommage à leurs chers disparus, avec des mises à jour illimitées de la biographie.

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L’argot de bureau : le « deep work », silence, on bosse !

« Allez, je m’accorde une pause ! De toute façon, je n’arrive pas à faire autre chose que regarder mes mails, et c’est tout juste le début d’“aprèm”… Je sais que je peux être efficace, et comme je compte partir à 19 heures, j’aurai largement le temps de faire ce machin-là. »

Cette réflexion de Maxime, travailleur de bureau désabusé, est le symbole de trois tendances : la baisse de l’attention, le présentéisme et la procrastination – remettre au lendemain ce que l’on est censé faire au plus vite. Face à ces fléaux, il existerait pourtant un mode de travail parfait : le « deep work ».

Deep Work, c’est d’abord le nom d’un ouvrage à succès sur le développement personnel, publié en France en 2017 sous le titre Deep Work. Retrouver la concentration dans un monde de distractions. Son auteur, Cal Newport, professeur d’informatique à l’université de Georgetown (Etats-Unis), le dit haut et fort à Maxime : vous êtes nul, vous ne savez pas vous organiser et, en plus, vous vous plaignez d’être débordé et fatigué à ne rien faire. Si vous saviez vous concentrer le plus longtemps possible pour réaliser des tâches difficiles, vous deviendrez riche. Merci du conseil, Cal !

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Ce gourou de la productivité avance en fait une théorie un peu plus développée : le travail en profondeur serait un « état de concentration absolue qui pousse vos capacités cognitives jusqu’à leurs limites ». Il s’oppose strictement au travail dit « superficiel » (shallow work en anglais), qui consiste à faire croire aux autres (et à soi-même) que l’on est efficace.

Maximiser ses capacités en structurant sa journée

Le shallow work représente toute l’hostilité de l’environnement de travail moderne, fait d’une foule de tâches purement logistiques, non exigeantes sur le plan intellectuel et qui empêchent de se consacrer au cœur de son emploi : intégrer des notifications, répondre aux mails, « checker » son téléphone de peur de manquer quelque chose, alors que, justement, les notifications sont supposées éviter de manquer ce quelque chose… Ajoutez à cela le bruit dans l’open space. Le deep work est une tentative de réponse face à tous ces facteurs de déconcentration, puisqu’il s’agit de se concentrer sur un seul objectif.

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La méthode consiste à maximiser ses capacités en structurant sa journée. C’est une discipline avec ses rituels : éteindre son téléphone, fermer les onglets nocifs (Twitter, mails) et établir des limites – en toute diplomatie – avec d’éventuels collègues, avant de se mettre en mode « machine de guerre ».

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Contre le barème Macron, l’« arrêt de résistance » de la cour d’appel de Douai

Cinq ans après avoir éclaté, la « bataille des prud’hommes » provoque encore des étincelles. La cour d’appel de Douai vient de ranimer la flamme de la rébellion contre une mesure phare du premier mandat d’Emmanuel Macron : l’encadrement des dommages-intérêts que les tribunaux accordent aux salariés victimes d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les magistrats nordistes, dans un arrêt rendu le 21 octobre, ont écarté cette disposition, car elle « ne permet pas une indemnisation adéquate et appropriée » du préjudice subi par un homme employé dans une société de nettoyage. La décision retient l’attention car elle contredit les plus hautes juridictions de notre pays.

Au commencement de la controverse, il y a un barème mis en place par les ordonnances de septembre 2017 qui ont réécrit le code du travail. Il se présente sous la forme de grilles de dédommagements, avec des planchers et des plafonds qui varient selon l’ancienneté du salarié et l’effectif de son entreprise.

Bien qu’elles aient reçu le feu vert du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel, ces règles ont été contestées devant les tribunaux, au motif qu’elles n’assureraient pas toujours une réparation « adéquate » à la personne abusivement congédiée par son patron. Or, il s’agit d’un principe inscrit dans des textes auxquels la France a souscrit : la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Charte sociale européenne.

« Circonstances particulières »

Dans plusieurs litiges, des conseils de prud’hommes, suivis par des cours d’appel, se sont affranchis du barème et ont attribué aux plaignants des sommes supérieures à ce qui était prévu par celui-ci. A l’appui de leur décision, ces juridictions se sont prévalues de la convention de l’OIT et de la Charte sociale européenne. La querelle a duré plusieurs années. Saisie par la CGT et par Force ouvrière, l’OIT s’en est également mêlée : dans un rapport publié fin mars, l’une de ses instances écrit que le barème risque de ne pas assurer le bon niveau de protection et invite les autorités françaises à l’évaluer à intervalles réguliers, pour envisager d’éventuelles améliorations.

Après de multiples rebondissements, la Cour de cassation a validé le mécanisme, d’abord dans un avis en 2019. Puis, dans des arrêts prononcés le 11 mai 2022, elle a estimé qu’il était conforme aux engagements internationaux de la France et que les juridictions devaient s’y conformer, au nom du principe d’égalité, afin d’éviter les dérives d’un droit appliqué à la carte.

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« Dernier travail », de Thierry Beinstingel : revenir à France Télécom

Conférence de presse en présence des parties civiles après la condamnation de France Télécom et de ses anciens dirigeants pour « harcèlement moral institutionnel », à Paris, le 20 décembre 2019.

« Dernier travail », de Thierry Beinstingel, Fayard, 256 p., 19 €, numérique 14 €.

Longtemps, ce fut l’usage : les employés de France ­Télécom ne disaient pas qu’ils y travaillaient mais qu’ils y « appartenaient ». Relevant ce particularisme, Thierry Beinstingel, retraité depuis 2020 de l’entreprise rebaptisée « Orange » en 2013, marque une pause au téléphone et souffle : « Ça paraît fou aujourd’hui. » A tout le moins, cela donne une idée du puissant lien d’identification entre les salariés et l’entreprise autrefois publique, et de la violence avec laquelle a été reçu le plan de restructuration Next, visant à supprimer 22 000 postes de France Télécom (« FT ») entre 2007 et 2010. Le PDG d’alors, Didier Lombard, avait fait savoir à ses équipes qu’il souhaitait que ces départs se fassent « par la fenêtre ou par la porte ». Cette brutalité managériale théorisée avait engendré une crise sociale majeure, marquée par des dizaines de ­suicides et de cas de dépression. Le 30 septembre, Didier Lombard (tout comme son ancien bras droit) a été condamné en appel pour « harcèlement moral ­institutionnel ».

Evidemment inspiré de ces faits, un procès semblable sert d’arrière-plan à Dernier travail, le nouveau roman de Thierry Beinstingel. Sur le même sujet, ce dernier avait publié, en plein scandale, Retour aux mots sauvages (Fayard, 2010). « Je l’avais écrit à chaud », dit-il aujourd’hui. A l’époque, l’entreprise (qui n’était pas nommée dans le texte, comme elle ne l’est pas aujourd’hui – « Cela me permet de me sentir plus libre ») lui avait « fait subir des pressions » : « Après avoir lu un article sur mon livre, une directrice avait fait 300 kilomètres pour me poser une question : “Partagez-vous les valeurs de l’entreprise ?” » Cadre aux ressources humaines dans l’Est, il estime avoir été « protégé » par le fait que Retour aux mots sauvages s’était retrouvé en lice pour le Goncourt.

Les questions qui l’ont hanté

Dans les années suivantes, Thierry Beinstingel a continué à travailler pour l’entreprise. Il a écrit une thèse sur la « représen­tation du travail dans les récits français depuis la fin des “trente glorieuses” » (soutenue en 2017), et poursuivi son œuvre, étroitement liée à son sujet d’études ­universitaires. Dans le même temps, il y a eu la « refondation » d’Orange, où l’entreprise a tenté de « faciliter le dialogue » avec les personnels, puis le premier procès (en 2019) jugeant les responsables, et son propre départ d’Orange. « Il m’a semblé qu’il était temps de revenir sur ces événements, avec plus de distance, peut-être, que dans Retour aux mots sauvages. » Et de revenir ainsi plus directement, même si toujours par le biais de la fiction, sur sa propre expérience aux ressources humaines – Retour… se penchait sur les tâches des téléopérateurs – et sur les questions qui l’ont hanté : « De quoi aurais-je pu m’apercevoir à l’époque ? » « Ai-je refusé de voir des signaux ? » « Ai-je failli dans mon éthique ? » – l’écriture du livre, confie-t-il, n’a pas permis d’y répondre ; elle les a même « décuplées ».

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