Archive dans décembre 2022

« Nous, directeurs d’école d’architecture, appelons à un investissement massif dans l’enseignement de l’architecture afin de former les futurs acteurs de la transition »

Les directeurs des vingt écoles nationales supérieures d’architecture, qui s’expriment dans une tribune au « Monde », craignent que la France ne souffre bientôt d’une pénurie d’architectes si rien n’est fait. Ce métier est pourtant au cœur des enjeux de lutte contre le réchauffement climatique et de sauvegarde de la biodiversité.

RTE, Enedis, EDF et GRDF : huissiers, poursuites en justice, gardes à vue, le dialogue social vire à l’aigre

Genou à terre en hommage au collègue suicidé, pendant la grève des salariés de GRDF, sur le site de Trudaine, à l'appel du syndicat CGT-Energie et UGICT, le 24 novembre 2022, à Paris, France.

C’est une caméra à vision nocturne. De celle qu’on peut installer dans son jardin pour surveiller la faune. Des élus du personnel de GRDF l’ont découverte en juillet dans un tunnel qui relie le siège social du distributeur de gaz, rue Condorcet à Paris, à la direction réseau Ile-de-France, dans la rue Pétrelle voisine. Et ce, deux jours après que des grévistes ont emprunté ce tunnel pour faire entendre, côté siège, leur demande d’augmentation de salaire.

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La CGT Energie Paris a porté plainte contre X le 27 juillet, selon son avocat, pour atteinte au droit à l’image et au respect de la vie privée. L’exploitation de la carte mémoire de la caméra ne laisserait aucun doute : elle accuse un cadre de GRDF de l’avoir installée là au lendemain de la manifestation, en dehors de tout cadre légal.

Quatre mois plus tard, devant l’établissement GRDF de l’avenue de Trudaine à Paris, l’incident est présenté par Cédric Liechti, secrétaire général de la CGT-Energie Paris, comme l’un des signes de « la criminalisation syndicale à des niveaux jamais atteints » dans les entreprises de l’énergie. « La direction a décidé de piéger les grévistes. Ce genre de barbouzeries, c’est du jamais-vu ! », s’indigne-t-il. Les agents en grève autour de lui sont en tenue d’intervention, casque et veste de pompier, pour rappeler la dangerosité de leur métier. Lui porte un sweat noir, floqué en rouge d’une inscription qui en dit long sur l’état des relations entre la direction du groupe et la CGT-Energie : « Collectif Trud-Haine ».

Tags insultants

Interrogée sur l’incident « caméra » de l’été, GRDF répond qu’il est de sa responsabilité « de sécuriser » l’accès à ses sites. L’entreprise fustige par ailleurs qu’une « minorité » en grève ait mis à mal la chaîne de sécurité gaz et retardé des interventions, privant de gaz 1 500 foyers fin novembre.

Car le conflit persiste alors que la direction a conclu un accord sur les salaires, le 18 novembre, avec la CFDT, la CFE-Energie et FO, majoritaires à eux trois (52 %). La CGT (48 % des voix) demande qu’il soit renégocié, revendiquant 4,6 % d’augmentation pour tous, plutôt que 2,3 % pour tous et 2,2 % individuelles. Appelant au respect de la « démocratie », les syndicats signataires ont dénoncé « des pressions morales et physiques », notamment des tags insultants, sur les sites de travail.

Une ambiance emblématique de celle qui a entouré les demandes de revalorisations salariales dans les entreprises des industries électriques et gazières (IEG) depuis le printemps. En mars et avril, les CRS sont intervenus à plusieurs reprises sur des piquets de grève des agents de maintenance de RTE (gestionnaire du réseau de transport d’électricité) à Orléans (Loiret), Nantes (Loire-Atlantique) et Saumur (Maine-et-Loire).

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Plus diplômée, la génération 2017 s’insère mieux sur le marché du travail, selon le Céreq

Qui sont les jeunes arrivés sur le marché du travail en 2017 ? Près de 80 % ont un bac, près de 50 % sont diplômés de l’enseignement supérieur, 12 % n’ont aucun diplôme – soit 90 000 jeunes. L’enquête Génération 2017, publiée jeudi 1er décembre par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq), analyse les différences de conditions d’accès à l’emploi, trois ans après que la cohorte a quitté le système scolaire ou d’enseignement supérieur.

Les 25 000 jeunes qui ont répondu à cette enquête sont représentatifs des 746 000 qui ont quitté pour la première fois le système éducatif français à tous niveaux de formation en 2017. Ils ont été interrogés sur leur parcours scolaire et leurs trois premières années de vie active à l’aide d’un calendrier mensuel, retraçant finement leurs activités au cours de la période.

Plus diplômée que les précédentes, la génération 2017 est aussi mieux lotie en termes d’insertion professionnelle, constate le Cereq : l’accès à l’emploi à durée indéterminée devient plus fréquent et rapide, tendance qui vaut pour tous les jeunes.

La part des emplois à durée indéterminée représente 72 % des emplois occupés en octobre 2020, soit 6 points de plus par rapport à la génération 2010, la précédente à avoir été scrutée. « Cette génération connaît un taux de chômage en baisse sensible, comparé à celle de 2010, qui avait subi de plein fouet la crise économique de 2008, relève Céline Gasquet, directrice scientifique. En revanche, les inégalités sur le marché du travail restent très marquées par le niveau de diplôme et tendent même à s’accroître. »

Un quart des jeunes travaillent pendant leurs études

L’influence de l’origine sociale sur la poursuite d’études est réelle : 57 % des enfants de cadres sortent diplômés du supérieur long contre 8 % des enfants d’ouvriers. Les diplômés bac + 5 ont quatre fois plus souvent une mère cadre (35 %) que les non-diplômés (9 %). Si 60 % de la génération ont poursuivi leurs études après le bac, 22 % d’entre eux ont échoué dans l’enseignement supérieur.

Le travail au cours des études a concerné 27 % de la cohorte, soit plus d’un quart des jeunes, en majorité des diplômés de l’université. Dans la moitié des cas, il s’agissait d’un emploi régulier de plus de huit heures par semaine, sans lien avec les études. Ils sont 44 % à estimer que l’expérience a perturbé leur cursus, et 78 % qu’elle a tout de même permis d’acquérir des compétences utiles pour la suite.

Pourtant issus des CSP les plus favorisées, et bénéficiant pour 80 % d’entre eux de l’aide financière familiale, 38 % des diplômés d’écoles de commerce ont contracté un prêt bancaire (contre 15 % pour les diplômés bac + 5, et 7 % pour l’ensemble).

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« Non, la hausse des salaires n’entraîne pas inéluctablement une spirale inflationniste »

Le pic du taux d’inflation semble bel et bien passé. Aux Etats-Unis, où il a atteint 9,1 % en juin, le taux est redescendu à 7,7 % en octobre. Les économistes prévoient moins de 3 % en 2023, et espèrent que les Etats-Unis éviteront la récession. En Europe, l’inflation décline aussi. En Allemagne, le pic aurait été atteint en octobre avec 10,4 %, avant de diminuer à 10 %, prévu en novembre. En Espagne, il baisse depuis quatre mois, à 6,8 % en novembre après 7,3 % en octobre.

Les prévisionnistes peuvent se tromper, mais cette tendance confirme l’analyse historique des vagues de hausses de prix survenues depuis 1960 dans les pays développés, publiée le 11 novembre par six économistes du Fonds monétaire international (« Wage-Price Spirals : What is the Historical Evidence ? », Working Papers, 22/221).

Lorsque les prix commencent à monter pour une raison ou pour une autre – qu’il s’agisse d’un choc extérieur comme la hausse du pétrole arabe (en 1973) ou du gaz russe (en 2022), ou d’une trop forte quantité de liquidité circulant sur le marché, comme l’affirment les économistes qui critiquent le « laxisme » des banques centrales pendant la pandémie –, la grande crainte des gouvernements et des entreprises est de voir exploser les revendications salariales. Si les entreprises plient, elles doivent augmenter les prix pour conserver leurs marges, ce qui accroît en retour les revendications, et ainsi de suite… C’est ce que l’on appelle la « spirale prix-salaires », considérée par les économistes comme la principale cause des grandes périodes d’inflation des années 1920 ou 1970.

Stabilisation des prix

Quand, de surcroît, le redémarrage post-pandémie et la mauvaise qualité des emplois proposés dans de nombreux secteurs rendent l’embauche difficile – ce que l’on appelle la « grande démission » –, la spirale semble prête à s’enclencher. D’où le refus actuel du patronat d’une augmentation générale des salaires, d’où la réforme des allocations-chômage pour inciter les chômeurs à accepter des baisses de rémunérations, d’où, enfin, les hausses à répétition des taux d’intérêt pour limiter le crédit et ralentir l’activité – au risque, assumé, d’augmenter le chômage.

Les six économistes ont examiné toutes les périodes de l’histoire récente de 38 pays développés où l’économie a connu pendant trois trimestres consécutifs, comme aujourd’hui, une hausse des prix à la consommation et une augmentation des salaires nominaux (c’est-à-dire une augmentation supérieure à l’inflation). Ils ont identifié 79 séquences de ce type. Or, « ce qui pourra étonner », comme l’écrivent benoîtement les auteurs, une très petite minorité de ces épisodes sont suivis d’une vague d’inflation durable. La plupart débouchent pendant les huit ou neuf trimestres qui suivent sur une simple stabilisation des prix et un retour des salaires réels à leur niveau antérieur. Autrement dit, la hausse des salaires nominaux n’entraîne pas inéluctablement une spirale inflationniste.

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« Mots & illusions » : le pouvoir du jargon managérial

« Mots & illusions : quand la langue du management nous gouverne », d’Agnès Vandevelde-Rougale. 10/18, 112 pages, 6 euros.

Le livre. Prendre soin de « valoriser son potentiel » dans sa vie privée, faire en sorte que les élèves atteignent des « objectifs » à l’école maternelle, développer une « gouvernance agile » dans les universités… Aux yeux d’Agnès Vandevelde-Rougale, « les mots de l’entreprise semblent s’infiltrer partout ».

Quel est l’impact de cette évolution dans notre quotidien, dans notre rapport aux autres, dans notre manière de penser le monde qui nous entoure ? Quel est, en somme, le pouvoir de ces mots ? Ces questionnements se trouvent au cœur d’un ouvrage concis rédigé par la sociologue et anthropologue, Mots & illusions : quand la langue du management nous gouverne (10/18).

Ses recherches sur la rhétorique managériale et sa diffusion l’ont tout d’abord conduite dans les années 1980. C’est à cette période qu’un vocabulaire spécifique s’est imposé dans le monde de l’entreprise. Il s’est par la suite « propagé à travers les différentes strates de la société ». Une « évolution lexicale qui [a] accompagn[é] la diffusion de l’idéologie gestionnaire néolibérale et lui [a] donn[é] l’apparence du bon sens », explique-t-elle.

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Mme Vandevelde-Rougale reconnaît la capacité mobilisatrice de certains mots. Ils ont une influence sur l’auditoire, une aptitude à fédérer et à façonner un imaginaire partagé. « Dans un monde incertain, les promesses de croissance et de maîtrise du discours managérial peuvent être rassurantes », note-t-elle. Les entreprises ont bien compris ce pouvoir. Elles s’en saisissent pour tenter de séduire et de renvoyer une image positive, n’hésitant pas à intégrer des critiques sociales pour en tirer profit (thématique de la responsabilité sociétale, de la diversité…).

Mal-être

Dans le même temps, le vocabulaire utilisé aujourd’hui dans les organisations valorise la responsabilité individuelle, l’autonomie, et invite à « se penser comme des indépendants, à la fois responsables de la gestion de la charge de travail et de la relation avec les autres ». Une rhétorique qui peut fragiliser les individualités, prévient l’autrice, en ce qu’elle « laisse chacun seul aux prises avec ses conditions de travail ».

Elle est, en outre, accompagnée de multiples injonctions (être performant, adaptable, développer son employabilité…) qui peuvent susciter un mal-être lorsque les salariés estiment ne pas avoir la possibilité d’y répondre. Mme Vandevelde-Rougale évoque notamment les dispositifs mis en place pour améliorer le bonheur au travail. « Si, en dépit (…) des baby-foots, des séances de yoga (…), les employés ne sont pas heureux (…), ne sont-ils pas les premiers coupables ? »

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