« Mots & illusions » : le pouvoir du jargon managérial

« Mots & illusions » : le pouvoir du jargon managérial

« Mots & illusions : quand la langue du management nous gouverne », d’Agnès Vandevelde-Rougale. 10/18, 112 pages, 6 euros.

Le livre. Prendre soin de « valoriser son potentiel » dans sa vie privée, faire en sorte que les élèves atteignent des « objectifs » à l’école maternelle, développer une « gouvernance agile » dans les universités… Aux yeux d’Agnès Vandevelde-Rougale, « les mots de l’entreprise semblent s’infiltrer partout ».

Quel est l’impact de cette évolution dans notre quotidien, dans notre rapport aux autres, dans notre manière de penser le monde qui nous entoure ? Quel est, en somme, le pouvoir de ces mots ? Ces questionnements se trouvent au cœur d’un ouvrage concis rédigé par la sociologue et anthropologue, Mots & illusions : quand la langue du management nous gouverne (10/18).

Ses recherches sur la rhétorique managériale et sa diffusion l’ont tout d’abord conduite dans les années 1980. C’est à cette période qu’un vocabulaire spécifique s’est imposé dans le monde de l’entreprise. Il s’est par la suite « propagé à travers les différentes strates de la société ». Une « évolution lexicale qui [a] accompagn[é] la diffusion de l’idéologie gestionnaire néolibérale et lui [a] donn[é] l’apparence du bon sens », explique-t-elle.

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Mme Vandevelde-Rougale reconnaît la capacité mobilisatrice de certains mots. Ils ont une influence sur l’auditoire, une aptitude à fédérer et à façonner un imaginaire partagé. « Dans un monde incertain, les promesses de croissance et de maîtrise du discours managérial peuvent être rassurantes », note-t-elle. Les entreprises ont bien compris ce pouvoir. Elles s’en saisissent pour tenter de séduire et de renvoyer une image positive, n’hésitant pas à intégrer des critiques sociales pour en tirer profit (thématique de la responsabilité sociétale, de la diversité…).

Mal-être

Dans le même temps, le vocabulaire utilisé aujourd’hui dans les organisations valorise la responsabilité individuelle, l’autonomie, et invite à « se penser comme des indépendants, à la fois responsables de la gestion de la charge de travail et de la relation avec les autres ». Une rhétorique qui peut fragiliser les individualités, prévient l’autrice, en ce qu’elle « laisse chacun seul aux prises avec ses conditions de travail ».

Elle est, en outre, accompagnée de multiples injonctions (être performant, adaptable, développer son employabilité…) qui peuvent susciter un mal-être lorsque les salariés estiment ne pas avoir la possibilité d’y répondre. Mme Vandevelde-Rougale évoque notamment les dispositifs mis en place pour améliorer le bonheur au travail. « Si, en dépit (…) des baby-foots, des séances de yoga (…), les employés ne sont pas heureux (…), ne sont-ils pas les premiers coupables ? »

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