Archive dans avril 2020

Amazon : « La crise nous fait basculer dans les nouveaux Temps modernes »

Pertes & profits. Cette crise devait être une forme de sacre pour Amazon. La démonstration éclatante de son utilité sociale et de sa suprématie sur ses concurrents physiques, fermés pour cause de confinement. Grâce à lui des millions de reclus conservent une petite fenêtre marchande sur l’extérieur. Chez Amazon, comme naguère à la Samaritaine, on trouve tout, du dernier prix Goncourt à la table de jardin, de la console de jeu à la grenouillère pour bébé. Et le succès est au rendez-vous, les ventes grimpent et l’entreprise embauche à tour de bras au moment où le commerce licencie en masse ou place en chômage technique des cohortes entières de salariés. La dernière bouée de sauvetage de l’économie.

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Et puis voilà que le tribunal judiciaire de Nanterre ordonne, mardi 14 avril, au plus gros magasin en ligne du monde de ne plus vendre en France que des produits essentiels, d’alimentation et de santé, sous peine d’une amende de un million d’euros par jour. Non pas que les juges aient trouvé immoral de commercialiser des objets plus futiles en cette période troublée, mais parce que l’entreprise n’a pas suffisamment respecté « son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés ».

Révolution en marche

Pourtant, la société, qui assure que « rien n’est plus important que la sécurité des collaborateurs », n’a pas lésiné sur les fournitures : 27 000 litres de gel hydroalcoolique, 1,5 million de masques, pour les seuls 6 500 salariés français. Mais les inspecteurs, alertés par le syndicat SUD, auteur de la plainte en justice, ont souligné la promiscuité dans les vestiaires, la distance entre opérateurs dans les entrepôts… Pour le syndicat, la protection des salariés passe par la réduction de l’activité, limitant le personnel nécessaire, et donc les risques de contamination.

Cette histoire promet des jours difficiles lorsque le déconfinement se produira. Voulant protéger leurs troupes, les syndicats seront intraitables sur les consignes de sécurité quand les directions seront obsédées par le retour à une activité décente et à la rentabilité. D’autant que toutes les sociétés ne sont pas aussi riches qu’Amazon pour noyer ses salariés sous les hectolitres de gel et les millions de masques. Il faudra de bonnes heures de discussion avec les représentants du personnel.

Amazon : en France, une activité jalonnée de conflits sociaux

Avril 2020 : des salariés mobilisés contre le Covid-19

Le 18 mars, les salariés d’Amazon Saran (Loiret) appelaient à un débrayage et demandaient la fermeture du site, s’estimant mal protégés contre le coronavirus.
Le 18 mars, les salariés d’Amazon Saran (Loiret) appelaient à un débrayage et demandaient la fermeture du site, s’estimant mal protégés contre le coronavirus. PhotoPQR/République du Centre/MaxPPP

Menaçant de se mettre en grève ou d’exercer leur droit de retrait, des salariés d’Amazon se mobilisent, depuis plusieurs semaines, contre des conditions de sécurité jugées insuffisantes. Cinq entrepôts de la firme sur six ont été mis en demeure par le ministère du travail de mieux protéger les salariés contre le Covid-19. Puis la mise en demeure a été levée pour trois d’entre eux. Ce qui n’a pas convaincu le syndicat Sud-Solidaires, qui a assigné, le 10 avril, la multinationale en référé devant le tribunal de Nanterre afin d’obtenir « l’interdiction de continuer à employer du personnel sur ses six sites français et, à tout le moins, de réduire, comme la société s’y est engagée, son activité aux 10 % de marchandises “essentielles” ». Quatre jours plus tard, la juridiction a estimé que la société avait « de façon évidente méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés ». Elle lui enjoint de restreindre son activité « aux seules activités de réception des marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, d’hygiène et médicaux ».

Février 2019 : condamnation des prud’hommes à Orléans

A l’intérieur du site de distribution d’Amazon à Saran, dans la banlieue d’Orléans (Loiret).
A l’intérieur du site de distribution d’Amazon à Saran, dans la banlieue d’Orléans (Loiret). PhotoPQR/Le Parisien/MaxPPP

C’est une décision très attendue par beaucoup de salariés français de la plateforme américaine. Le conseil des prud’hommes a condamné le géant de la vente en ligne à réévaluer le statut de sept salariés caristes du site d’Orléans (Loiret). Une situation qui avait été dénoncée, un an auparavant, par la commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation, qui affirmait que le classement des salariés d’Amazon ne respectait pas la convention collective. La juridiction orléanaise a assorti sa décision d’un rappel de salaire, de congés payés et de treizième mois. Au total, ce sont près de 154 000 euros qui devront être versés aux sept employés.

Janvier 2019 : quatre « gilets jaunes » licenciés

Le 5 février 2019 à Montélimar (Drôme), Des gilets jaunes, la CGT et la CFDT manifestent devant Amazon, qui veut licencier pour « faute grave » quatre personnes qui ont apporté leur soutien aux « gilets jaunes ».
Le 5 février 2019 à Montélimar (Drôme), Des gilets jaunes, la CGT et la CFDT manifestent devant Amazon, qui veut licencier pour « faute grave » quatre personnes qui ont apporté leur soutien aux « gilets jaunes ». PhotoPQR/Le Dauphiné/MaxPPP

Quatre salariés du groupe ont été licenciés pour avoir exprimé sur les réseaux sociaux leur solidarité avec le mouvement des « gilets jaunes » : deux logisticiens à Douai (Nord), un salarié de Montélimar (Drôme) et un autre sur le site de Saran (Loiret). Ce dernier, Rémi Deblois, avait posté le 18 novembre 2018 ce message sur Facebook : « Pour frapper un grand coup et nuire à l’économie, blocage des entrepôts Amazon. La semaine du Black Friday commence demain et c’est encore les plus aisés qui vont en profiter. » La direction l’accuse de manque de loyauté et estime que ce texte démontre son « envie manifeste de dénigrer l’entreprise et de lui porter préjudice ». Rémi Deblois a décidé de contester son licenciement.

Octobre 2018 : le rapport qui épingle le site de Montélimar

La base logistique d’Amazon à Montélimar (Drôme), en février 2019.
La base logistique d’Amazon à Montélimar (Drôme), en février 2019. Nathalie Rodrigues/Radio France/Maxppp

Une petite bombe. En l’occurrence, un rapport de 217 pages qui raconte par le menu les effets du système Amazon sur les salariés du site de Montélimar, une des cinq plateformes de stockage du groupe à l’époque en France. Mené à la demande du CHSCT par le cabinet Syndex auprès de 256 salariés (sur un total de 776), le document révèle notamment que 44 % des sondés ont déclaré avoir consulté leur médecin traitant pour un problème lié à leur environnement de travail, et 70 % affirment être en état de stress au travail. La direction du groupe a assuré « prendre très au sérieux ce rapport ».

Juin 2013 : grève à l’entrepôt de Saran

Saran est le premier site d’Amazon à avoir ouvert en France.
Saran est le premier site d’Amazon à avoir ouvert en France. PHOTOPQR/OUEST FRANCE/ maxppp

Mauvaise séquence pour le géant américain. Alors qu’Aurélie Filippetti, à l’époque ministre de la culture du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, vient d’accuser la multinationale de « dumping » sur le marché de l’édition, une centaine de salariés (sur un total de 900) du site de Saran se met en grève, imitant ainsi leurs collègues allemands. Ils dénoncent des salaires trop bas, des cadences de travail jugées trop soutenues et « une surveillance de tous les instants ». Inauguré en 2007, cet entrepôt géant de 70 000 mètres carrés est le premier site du géant américain à avoir ouvert en France.

L’action se déroule chez Amazon car le symbole est fort, médiatique et américain, alors que tout est disponible en ce moment sur Internet chez les innombrables marchands français de la toile, sans pour autant que l’on soit certain que les manutentionnaires et les livreurs soient mieux traités que chez le géant de Seattle. Mais il incarne à lui seul cette révolution en marche, comme Ford dans les années 1930 avec la révolution industrielle. Même promesse de prospérité et d’emploi, mais même rudesse dans les rapports sociaux. Les employés des immenses entrepôts robotisés d’Amazon sont comme Charlot dans Les Temps modernes, pris dans l’engrenage d’une machine qui les dépasse et les déshumanise. Comme le soulignait récemment l’économiste Daniel Cohen, la révolution numérique nous promet dans un même élan la croissance, l’emploi, le confort, la solitude et la précarité. La crise sanitaire d’aujourd’hui nous fait basculer dans les nouveaux Temps modernes. A nous d’inventer la société qui les rendront plus vivables.

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Quelle politique de relance en France pour l’après-crise du coronavirus ?

Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, dans son bureau à Paris, le 14 avril.
Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, dans son bureau à Paris, le 14 avril. BENOIT TESSIER / REUTERS

C’était il y a un an à peine. Le mouvement des « gilets jaunes » avait fait tanguer comme jamais le quinquennat d’Emmanuel Macron. Fin avril 2019, après un hiver de grand débat national et des mesures d’urgence pour le pouvoir d’achat, le chef de l’Etat annonçait une baisse de 5 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu.

Une manière de montrer qu’il avait entendu la colère des manifestants, sans revenir trop fortement sur les gages donnés aux entreprises et aux « premiers de cordée », comme la suppression de l’ISF. Mais la politique de l’offre et de soutien aux entreprises afin de doper la croissance et l’emploi, héritée de la seconde moitié du quinquennat Hollande, et poursuivie par Emmanuel Macron, s’en trouvait toutefois amendée.

Un an plus tard, la situation est radicalement différente, mais les similitudes, troublantes. « Il nous faudra rebâtir notre économie plus forte afin de produire et redonner plein espoir à nos salariés (…). Il nous faudra rebâtir une indépendance agricole, sanitaire, industrielle et technologique française. Cela passera par un plan massif pour notre santé, notre recherche, nos aînés, entre autres », a assuré le président de la République à la fin de son allocution télévisée, lundi 13 avril, comme en écho au « quoi qu’il en coûte » de sa première prise de parole, le 12 mars.

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Le chef de l’Etat a aussi annoncé une aide exceptionnelle pour les familles modestes, déplorant que « notre pays, aujourd’hui, tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ».

Une préoccupation partagée par le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire. « Au moment où l’on s’aperçoit que l’on a besoin des caissières, des transporteurs, la question de la justice sur les salaires des plus modestes revient encore plus sur le devant de la scène », a-t-il souligné, mardi matin, sur BFM-TV.

Un ton qui contraste fortement avec celui employé à la fin de la semaine précédente. « Le redressement économique sera long, difficile et coûteux. Il demandera des efforts de la part de tous les Français », avait lancé le patron de Bercy, jeudi 9 avril, dans un entretien aux Echos.

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Récession inédite

De là à imaginer un nouveau tournant social pour la fin du quinquennat, il y a un pas qu’il ne faudrait pas franchir trop vite. Le coût sans précédent de la crise a fait voler en éclats la trajectoire budgétaire de l’exécutif. Le second projet de budget rectifié, qui devait être présenté en conseil des ministres mercredi 15 avril, entérine 110 milliards d’euros de mesures de soutien aux entreprises.

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Les professionnels du tourisme réclament des mesures rapides

L’annonce, lundi 13 avril, par le président de la République, de la mise en œuvre prochaine « d’un plan spécifique » pour le secteur du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration n’a pas suffi à calmer les angoisses des professionnels. « Je peux affirmer que 2020 est perdue pour le secteur », se lamente Roland Héguy, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH). Un pessimisme qui tranche avec le volontarisme affiché, par Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, à l’occasion d’une conférence de presse, mardi 14 avril.

Selon lui, c’est la « satisfaction générale » qui règne chez les professionnels du secteur après l’allocution d’Emmanuel Macron. Il a évoqué les mesures de « soutien à court terme » par les autorités « d’un secteur principalement impacté ». Selon ses calculs, l’impact économique de la pandémie de Covid-19 sur le tourisme, l’hôtellerie et la restauration atteindrait 40 milliards d’euros par trimestre. Pour le seul tourisme, la facture mensuelle s’élèverait à 10 milliards d’euros.

Ce n’est donc pas un hasard si les entreprises de ce secteur ont été parmi les plus nombreuses à solliciter des prêts garantis par l’Etat. D’après les derniers décomptes, 1,26 milliard d’euros de prêts ont déjà été accordés, soit 11,45 % du total. Dans le détail, « quatre grandes régions », a pointé M. Lemoyne, l’Ile-de-France, PACA, la Nouvelle-Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes, se partagent 60 % de la manne distribuée par les pouvoirs publics.

Une « année blanche »

Pour M. Lemoyne, ces sommes sont une bouffée d’oxygène bienvenue pour des entreprises souvent exsangues. Ces « prêts permettent d’obtenir jusqu’à un quart du chiffre d’affaires ». Surtout, a-t-il ajouté, ils interviennent alors que « l’on entre dans des mois importants pour le tourisme ». En juillet et août, le tourisme domestique génère 41 milliards d’euros, tandis que les revenus du tourisme international s’élèvent à 14 milliards d’euros.

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M. Lemoyne a aussi tenté de calmer les « attentes des professionnels » qui souhaiteraient connaître le calendrier de « la relance de la filière ». Surtout, les entreprises veulent savoir quand « les annulations de charges », évoquées par le président de la République seront effectives. A en croire M. Lemoyne, cela pourrait prendre encore un moment. Le secrétaire d’Etat a prévu de se réunir avec le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, et les représentants du secteur, « jeudi 16 ou vendredi 17 avril ». Un premier rendez-vous de « préparation » avant la tenue d’un comité interministériel consacré au tourisme prévu « courant mai », sans plus de précision. Ces annulations de charges pourraient aller jusqu’à 750 millions d’euros, selon le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, mercredi 15 avril, sur Europe 1.

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« Le gouvernement rompt l’équilibre entre l’activité de l’entreprise et le droit au repos des travailleurs »

« Les congés payés symbolisent la part de liberté individuelle qui ne peut être enlevée aux travailleurs »
« Les congés payés symbolisent la part de liberté individuelle qui ne peut être enlevée aux travailleurs » Philippe Turpin / Photononstop

Tribune. L’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, prise dans le cadre de la loi « d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid -19 », autorise l’employeur, dans « l’intérêt de l’entreprise eu égard aux difficultés économiques liées à la propagation du Covid-1933 », à modifier de manière unilatérale les dates des jours de réduction du temps de travail, des jours de repos prévus par les conventions de forfait annuel et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié.

Le gouvernement s’attaque ici à la question du temps de travail et de son corollaire, celle des temps de repos. Parmi les temps de repos, les congés payés ont la dimension d’un symbole. Ils ont été acquis de haute lutte. La généralisation de cette révolution culturelle que fut la création des congés annuels payés n’a en effet pas été accordée par le bon vouloir patronal, mais arrachée, à l’époque du Front Populaire, par la grève générale de mai et juin 1936.

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Avec les vacances payées, ils avaient conquis le droit, presque autant que les bourgeois, de voir la mer ou la montagne. Et même s’ils n’ont pas tous vu la mer, cela a pu leur donner le sentiment qu’ils n’étaient plus du bétail. Les congés payés symbolisent la part de liberté individuelle qui ne peut être enlevée aux travailleurs. Ce « droit à l’évasion » du travailleur est la trace historique d’une véritable révolution existentielle.. Les photographies de l’époque traduisent un sentiment de liberté et de dignité retrouvée de façon extrêmement forte.

Une modification du droit aux congés payés

Or, l’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 modifie radicalement – au sens de pris à la racine – le droit aux congés payés. Non seulement elle vient rompre l’équilibre trouvé entre les nécessités de la poursuite de l’activité de l’entreprise et le droit au repos des travailleurs, mais elle dénature ce droit.

Ce texte pris en urgence, sans la moindre discussion, permet qu’un « accord d’entreprise » ou, à défaut, un « accord de branche », pourra déterminer les conditions dans lesquelles l’employeur se verra autorisé à décider de la prise de jours de congés acquis par un salarié, y compris avant l’ouverture de la période à laquelle ils ont normalement vocation à être pris, ou à modifier unilatéralement ses dates de prise de congés payés, dans la limite de six jours de congés et sous réserve de respecter un délai de prévenance qui ne peut être réduit à moins d’un jour.

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Face aux crises, les investisseurs préfèrent les directions bicéphales

« Les dirigeants n’aiment guère diviser leur pouvoir, mais lorsque de grandes turbulences traversent l’entreprise, ils finissent par céder. »
« Les dirigeants n’aiment guère diviser leur pouvoir, mais lorsque de grandes turbulences traversent l’entreprise, ils finissent par céder. » Otto Dettmer/Ikon Images / Photononstop

Depuis le début de l’année, il y a deux pilotes chez l’avionneur Boeing. David Calhoun, un ancien de General Electric et du groupe d’investissement Blackstone, a revêtu la casquette de CEO : chief executive officer ou directeur général en français. Et Larry Kellner, ex-dirigeant de Continental Airlines, est devenu chairman, soit président du conseil d’administration du groupe.

Le géant Boeing, après plusieurs mois de crise et deux crashs du 737 MAX ayant entraîné la mort de 346 personnes, a revu et corrigé son organigramme. Fini le système pyramidal avec un numéro un tout puissant, président et directeur général, incarné par Dennis Muilenburg. Il a été renvoyé en décembre 2019. Le constructeur préfère dorénavant l’option aigle à deux têtes.

Le trop grand optimisme de Dennis Muilenburg avait plombé Boeing. Il croyait que la Federal Aviation Administration accorderait au 737 MAX le droit de voler à nouveau d’ici à la fin de 2019. En fait, sa prévision s’est révélée fausse. Elle a provoqué la fureur des politiques, des compagnies aériennes clientes, des investisseurs et des familles des victimes. Cet exemple est souvent cité aujourd’hui par les militants de la bonne gouvernance, fervents avocats de la séparation des rôles.

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Remettre les clés du pouvoir entre les mains d’une seule personne « n’a aucun sens », explique ainsi le professeur Charles Elson, responsable du centre John Weinberg, à l’université du Delaware. « Le directeur général, dont l’activité doit être supervisée par le conseil d’administration, ne peut superviser ce même conseil d’administration [CA]. Lorsque le CA est dominé par le président-directeur général, il est beaucoup plus passif », poursuit-il. Et en cas de crise majeure, comme celle du coronavirus, mieux vaut deux dirigeants, plutôt qu’un seul… Si l’unique PDG tombe malade, qui le remplace ?

Le bon moment

Ces arguments ont convaincu de nombreux investisseurs institutionnels. Ainsi est-il inscrit dans les statuts du puissant fonds de pension Calpers, chargé de la retraite des fonctionnaires de l’Etat de Californie, que « le président du CA doit favoriser une culture d’ouverture et des débats constructifs qui permettent à des points de vue différents de s’exprimer ». « Les rôles du DG et du président du CA, est-il précisé, ne doivent être cumulés que dans des circonstances très limitées. »

Les manageurs du fonds anglais LGIM (Legal General Investment Management) sont encore plus nets. Le groupe responsable du placement d’1,4 trillion d’euros a lancé une campagne anticumul dans les grandes entreprises cotées en Bourse aux Etats-Unis, en France et en Espagne. Lorsque le fonds d’investissement américain BlackRock, la banque JP Morgan Chase, Facebook ou encore Amazon réuniront l’assemblée générale annuelle de leurs actionnaires, ils entendront les objections des représentants de l’investisseur LGIM.

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Le congé s’échange comme une monnaie

« L’instauration des congés payés en 1936 l’assimile au repos. Quelque 600 000 salariés partiront cette année-là pour la première fois deux semaines en vacances » (Des ouvriers grévistes stationnent devant le portail des usines d’aviation Farman à Boulogne-Billancourt  lors des grandes grèves qui ont marqué le gouvernement du Front populaire en 1936).
« L’instauration des congés payés en 1936 l’assimile au repos. Quelque 600 000 salariés partiront cette année-là pour la première fois deux semaines en vacances » (Des ouvriers grévistes stationnent devant le portail des usines d’aviation Farman à Boulogne-Billancourt  lors des grandes grèves qui ont marqué le gouvernement du Front populaire en 1936). AFP

Carnet de bureau. Depuis le confinement, le congé a changé de nature. De l’ancien français cumgiet, issu du latin commeatus, participe passé de commeare (« aller et venir »), de cum et meare « aller », c’est à l’origine une autorisation de circuler. L’instauration des congés payés en 1936 l’assimile au repos. Quelque 600 000 salariés partiront cette année-là pour la première fois deux semaines en « vacances ». Mais, depuis l’ordonnance du 25 mars, qui autorise un accord d’entreprise à imposer jusqu’à six jours de congé à une date choisie par l’employeur, le congé semble changer de rôle. Il s’échange comme une monnaie.

De multiples accords d’entreprise ont été signés depuis mars, chez Schneider Electric, Legrand, Covéa, PSA, Renault, etc., qui utilisent les jours de congé comme variable économique. Chez les uns, la prise de congé anticipée permet d’amortir le choc que subissent les entreprises, en s’assurant de la disponibilité maximale des salariés pour la reprise (Schneider Electric, Covéa). Chez les autres, elle retarde l’entrée dans le dispositif de chômage partiel (Legrand). Dans le secteur automobile, le don de jours de congé finance le maintien de 100 % de la rémunération des collègues en chômage partiel. Plus surprenant, enfin, la pose de jours permet de venir en aide au secteur de la santé en participant à la création d’un fonds ad hoc.

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Ce sont ainsi 700 000 euros que le groupe mutualiste Covéa a réunis, le 10 avril, en proposant à ses salariés d’abonder de 10 euros chaque jour de congé posé durant la période de confinement : 70 000 jours de congé ont permis la création d’un fonds destiné à la Fondation des Hôpitaux de Paris, à la Fédération des hôpitaux de France, à la Fondation de France, à l’Institut Pasteur et à l’AP-HP. Dans le même temps, le groupe mutualiste s’assure d’avoir le maximum de salariés en poste après le confinement pour répondre au surcroît d’activité attendu.

Une dérive

Chez PSA, les partenaires sociaux ont signé le 7 avril la mise en place d’un « fonds de solidarité Covid-19 », constitué des dons de jours de congé de 47 000 salariés pour compenser la perte de rémunération de tous les collègues en chômage partiel en France. Les deux semaines des congés d’été restent garanties.

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« C’est une remise en cause brutale de nos congés d’été », a critiqué la CGT, interrogée par l’AFP. C’est le seul syndicat à ne pas avoir ratifié l’accord. Renault, dans son contrat de solidarité et d’avenir, signé le 2 avril, a mis en place un système similaire. Chacun des 36 000 salariés du groupe donne un jour de congé pour chaque semaine de chômage partiel. Le constructeur automobile prend à sa charge les cotisations salariales et patronales correspondantes. Le fonds de solidarité ainsi constitué finance le maintien de 100 % des rémunérations, malgré le chômage partiel. La CGT, non signataire, déplore que les salariés soient « les seuls contributeurs au maintien de leur rémunération ».

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Le droit du travail après les dérogations

«  Il convient, comme le font nos juges, de vérifier trois critères : le texte est-il justifié par la gravité de la situation ? Proportionné au but recherché ? Et limité à la durée prévisible de l’urgence en cause ? » (Covid-19 et du travail).
«  Il convient, comme le font nos juges, de vérifier trois critères : le texte est-il justifié par la gravité de la situation ? Proportionné au but recherché ? Et limité à la durée prévisible de l’urgence en cause ? » (Covid-19 et du travail). Philippe Turpin / Photononstop

Droit social. Le tsunami économique et donc organisationnel causé par le Covid-19 a logiquement entraîné une avalanche de textes, indispensables à nombre d’entreprises pour s’adapter rapidement à la chute parfois abyssale de leur activité. But : éviter des licenciements économiques massifs, mais aussi préparer l’après. Crainte : que ces mesures d’exception perdurent au-delà des circonstances exceptionnelles qui les ont fait naître.

Mais avant d’évoquer des « mesures liberticides », il convient, comme le font nos juges, de vérifier trois critères : le texte est-il justifié par la gravité de la situation ? Proportionné au but recherché ? Et limité à la durée prévisible de l’urgence en cause ? En n’oubliant jamais notre cher La Fontaine : « Ne faut-il que délibérer, la cour en conseillers foisonne. Est-il besoin d’exécuter, l’on ne rencontre plus personne ! »

Revue des quatre catégories de réformes.

– D’abord celles à durée très déterminée et pragmatiques, par exemple pour faire fonctionner le dialogue social. Ainsi de la visioconférence, voire des conférences téléphoniques, en matière de négociation collective ou de réunions du comité social et économique, logiquement limitées à la seule période « d’urgence sanitaire » (jusqu’au 24 mai 2020). Même si elle devait être renouvelée, l’idée d’une digitalisation totale de ces réunions n’est réclamée par personne.

– Les mesures visant le temps de travail, pour les seuls « secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation et à la continuité de la vie économique et sociale », fixées par décret. L’ordonnance du 25 mars permet de déroger à la durée maximale quotidienne pouvant passer de 10 heures à 12 heures, et hebdomadaire de 48 heures à 60 heures. Ces mesures visent donc les secteurs en forte tension : il paraît difficile d’embaucher du jour au lendemain des infirmières ou des chauffeurs routiers.

Nouveauté la plus sensible

Autorisées en cas « d’événements exceptionnels » par les directives de 1989 et 2003, ces dérogations sont valables jusqu’au 31 décembre 2020, pour permettre un rebond rapide. Et nous ne sommes pas dans des pays autoritaires de l’ex-bloc de l’Est.

– Nouveauté la plus sensible : celle visant les jours de repos ou de congé, pour amortir le choc. Avec la prise anticipée de jours de congé, mais aussi de RTT ou figurant sur le compte épargne-temps. Rude question, en forme de conflit des logiques : côté salarié, le confinement n’est vraiment pas de tout repos, et ne ressemble en rien à des vacances. Mais pour des entreprises exsangues, avec trois mois sans recettes, c’est une question vitale que de pouvoir répondre immédiatement à la demande.

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« Comment on m’a démotivé » : Hommage aux héros du service public

« Comment on m’a démotivé. Un an dans la prison dorée d’une entreprise publique », de Denis Monneuse. Editions Deboeck Supérieur, 224 pages, 17,90 euros.
« Comment on m’a démotivé. Un an dans la prison dorée d’une entreprise publique », de Denis Monneuse. Editions Deboeck Supérieur, 224 pages, 17,90 euros.

Le Livre. « Le besoin d’exprimer mon dégoût devant cet immense gâchis » : voilà ce qui conduit Denis Monneuse à rédiger un journal intime professionnel. Lorsqu’il est embauché comme directeur adjoint chargé du développement durable par une grande entreprise publique française, le sociologue croit rêver. Son idylle tourne vite au cauchemar, si bien qu’au bout d’un an, il quitte l’entreprise. « J’étais plein d’énergie et d’enthousiasme au départ ; j’en suis sorti usé et totalement démotivé. » Ecrit à partir des notes prises quotidiennement pendant ces douze mois, Comment on m’a démotivé (Deboeck Supérieur) est le récit critique de cette expérience.

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Directeur d’un cabinet de conseil, conférencier, enseignant en ressources humaines, Denis Monneuse n’est pas mû par l’envie de se mêler à « la vindicte populaire contre les agents du service public » : les propos lapidaires hostiles au service public et aux fonctionnaires, confie-t-il, l’ont toujours mis mal à l’aise. Dans cette entreprise du service public, l’auteur a certes côtoyé des tire-au-flanc, des profiteurs, des planqués, des incompétents. Mais il a surtout rencontré une majorité de salariés découragés. « Je ne m’en prends donc pas aux individus, mais au système qui les entoure et, en partie, les conditionne », écrit-il. Parce qu’il serait dommage de ne se focaliser que sur le seul cas particulier d’un employeur.

Les dysfonctionnements du système

Le phénomène de démotivation va bien au-delà de cet exemple précis, l’entreprise a été anonymisée. Afin de ne blesser personne et de ne pas jeter l’opprobre sur tel ou tel ancien collègue, l’auteur a légèrement romancé les mots consignés jour après jour dans son journal intime professionnel. « J’ai par exemple interverti des personnages, fusionné certains traits, gommé des détails et flouté certains faits. Bref, ce récit se situe quelque part entre l’auto-ethnographie et le roman, dans un réel fictionné, dans ce qu’Aragon appelait le “mentir-vrai”. Tout est à la fois vrai et faux au sens où tous les détails sont faux, mais le fond de l’histoire, lui, est vrai. »

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L’ouvrage ne se veut pas un livre noir du service public, mais une critique plus subtile du monde du travail en général. En tant que consultant, Denis Monneuse croise un large éventail d’entreprises, rencontre des centaines de salariés chaque année et assure que ce qu’il observe dans le service public existe aussi dans le secteur privé. « La démotivation est sans doute à son paroxysme à S-P [l’entreprise du secteur public], mais n’épargne guère d’autres entreprises. C’est pourquoi tant de salariés font une crise de la quarantaine ou de la cinquantaine et cherchent du sens en tapant à la porte de l’économie sociale et solidaire ou bien rêvent d’intégrer une start-up ou une PME “à taille humaine”, pour fuir leur grosse entreprise qui se révèle une prison dorée. »

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Amazon : en France, une activité jalonnée de conflits sociaux

Avril 2020 : des salariés mobilisés contre le Covid-19

Le 18 mars, les salariés d’Amazon Saran (Loiret) appelaient à un débrayage et demandaient la fermeture du site, s’estimant mal protégés contre le coronavirus.
Le 18 mars, les salariés d’Amazon Saran (Loiret) appelaient à un débrayage et demandaient la fermeture du site, s’estimant mal protégés contre le coronavirus. PhotoPQR/République du Centre/MaxPPP

Menaçant de se mettre en grève ou d’exercer leur droit de retrait, des salariés d’Amazon se mobilisent, depuis plusieurs semaines, contre des conditions de sécurité jugées insuffisantes. Cinq entrepôts de la firme sur six ont été mis en demeure par le ministère du travail de mieux protéger les salariés contre le Covid-19. Puis la mise en demeure a été levée pour trois d’entre eux. Ce qui n’a pas convaincu le syndicat Sud-Solidaires, qui a assigné, le 10 avril, la multinationale en référé devant le tribunal de Nanterre afin d’obtenir « l’interdiction de continuer à employer du personnel sur ses six sites français et, à tout le moins, de réduire, comme la société s’y est engagée, son activité aux 10 % de marchandises “essentielles” ». Quatre jours plus tard, la juridiction a estimé que la société avait « de façon évidente méconnu son obligation de sécurité et de prévention de la santé des salariés ». Elle lui enjoint de restreindre son activité « aux seules activités de réception des marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, d’hygiène et médicaux ».

Février 2019 : condamnation des prud’hommes à Orléans

A l’intérieur du site de distribution d’Amazon à Saran, dans la banlieue d’Orléans (Loiret).
A l’intérieur du site de distribution d’Amazon à Saran, dans la banlieue d’Orléans (Loiret). PhotoPQR/Le Parisien/MaxPPP

C’est une décision très attendue par beaucoup de salariés français de la plateforme américaine. Le conseil des prud’hommes a condamné le géant de la vente en ligne à réévaluer le statut de sept salariés caristes du site d’Orléans (Loiret). Une situation qui avait été dénoncée, un an auparavant, par la commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation, qui affirmait que le classement des salariés d’Amazon ne respectait pas la convention collective. La juridiction orléanaise a assorti sa décision d’un rappel de salaire, de congés payés et de treizième mois. Au total, ce sont près de 154 000 euros qui devront être versés aux sept employés.

Janvier 2019 : quatre « gilets jaunes » licenciés

Le 5 février 2019 à Montélimar (Drôme), Des gilets jaunes, la CGT et la CFDT manifestent devant Amazon, qui veut licencier pour « faute grave » quatre personnes qui ont apporté leur soutien aux « gilets jaunes ».
Le 5 février 2019 à Montélimar (Drôme), Des gilets jaunes, la CGT et la CFDT manifestent devant Amazon, qui veut licencier pour « faute grave » quatre personnes qui ont apporté leur soutien aux « gilets jaunes ». PhotoPQR/Le Dauphiné/MaxPPP

Quatre salariés du groupe ont été licenciés pour avoir exprimé sur les réseaux sociaux leur solidarité avec le mouvement des « gilets jaunes » : deux logisticiens à Douai (Nord), un salarié de Montélimar (Drôme) et un autre sur le site de Saran (Loiret). Ce dernier, Rémi Deblois, avait posté le 18 novembre 2018 ce message sur Facebook : « Pour frapper un grand coup et nuire à l’économie, blocage des entrepôts Amazon. La semaine du Black Friday commence demain et c’est encore les plus aisés qui vont en profiter. » La direction l’accuse de manque de loyauté et estime que ce texte démontre son « envie manifeste de dénigrer l’entreprise et de lui porter préjudice ». Rémi Deblois a décidé de contester son licenciement.

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Coronavirus : échange housses mortuaires contre masques Décathlon, la grande débrouille des hôpitaux

« Je recherche, urgent, des sets de dialyse. » « J’ai un bon stock de pyjamas en cas de besoin. » « Quelqu’un peut fournir du gel hydroalcoolique ? » « Je dispose de cinq pousse-seringues électriques »… Sur la boucle WhatsApp, les messages de ce type sont nombreux. La dernière de ces offres a déclenché une cascade de réactions d’intérêt, de propositions de troc, de promesses.

Il ne s’agit ni de trafic ni de marché noir. Seulement d’un groupe informel qui mêle des cadres hospitaliers de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et des directeurs de cliniques franciliennes. Ils s’y lancent des bouteilles à la mer, des appels à l’aide et se donnent des coups de main salvateurs.

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Nuit et jour, depuis presque un mois, les responsables des achats des établissements de santé mènent une course qui semble sans fin pour glaner, ça et là, de quoi équiper leurs soignants. Début mars, chaque établissement disposait, théoriquement, de stocks de matériel permettant de répondre à une crise majeure. Mais ces dernières semaines ont prouvé qu’ils étaient parfois insuffisants. Le 12 mars, quand Emmanuel Macron a annoncé l’ouverture du « plan blanc » pour les hôpitaux, « personne ne s’est rendu compte alors de l’étendue de la crise qui arrivait ni de sa durée », avoue une directrice d’un grand établissement francilien. « Les draps jetables, les masques sont produits en Chine, les gants en Malaisie. Quand la Chine a commencé à tousser, nous nous sommes dit que cela allait piquer », détaille Stéphane Michot, responsable des achats à l’Hôpital américain de Paris, situé à Neuilly-sur-Seine.

« Tous dans la même barque »

En mars, les directeurs des achats des hôpitaux et cliniques « ont eu la tête dans le guidon pour la recherche de masques, raconte une cadre de santé parisienne, sans suffisamment regarder le reste. Et puis nous avons commencé à manquer de draps, de surblouses et de médicaments alors que les patients continuaient de déferler. » « WhatsApp permet d’échanger sur les besoins et les capacités de chacun en temps réel », témoigne Jean-Philippe Gambaro, directeur de la clinique Floréal, à Bagnolet (Seine-saint-Denis).

Les trocs s’organisent en quelques coups de pouces sur l’écran d’un smartphone. « Nous étions en pénurie de masques, la clinique Ambroise-Paré de Neuilly-sur-Seine nous a dépannés avec des masques Décathlon, nous les avons échangés contre des housses mortuaires que nous avions en abondance », admet M. Michot, de l’Hôpital américain. Les groupes des directeurs des achats sont ceux « de la débrouille, de la persévérance », rend compte un directeur d’hôpital de l’Oise. Mais aussi de la solidarité.

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