Archive dans 2019

« La Participation des salariés » : comment concilier responsabilité, participation des salariés et efficacité de l’entreprise

« La Participation des salariés », de Patricia Crifo et Antoine Rebérioux. Les Presses de Sciences Po, 128 pages, 9 euros.
« La Participation des salariés », de Patricia Crifo et Antoine Rebérioux. Les Presses de Sciences Po, 128 pages, 9 euros.

Le livre. Voici une donnée qu’il faudrait toujours garder à l’esprit lorsqu’on annonce la fin proche du travail et qu’on déclare que le futur appartient aux free-lance : en 2018, en France, dans le secteur privé, ce sont toujours 19,4 millions de personnes qui vivent leur expérience au travail en tant que salariés. « Comprendre et analyser le travail en France, c’est se pencher d’abord sur le travail salarié », rappellent Patricia Crifo et Antoine Rebérioux dans La Participation des salariés (Les Presses de Sciences Po).

Alors que la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) du 22 mai 2019 prescrit une plus grande participation des salariés au capital et aux décisions stratégiques de l’entreprise, la professeure d’économie à l’Ecole polytechnique et le professeur d’économie à l’université de Paris analysent les liens entre engagement et performance. Comment concilier les exigences de responsabilité, de participation et d’efficacité ? Comment associer les employés à la gouvernance ?

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Jusque dans les années 1970, l’intégration des travailleurs dans l’entreprise reposait sur un échange entre protection et subordination. « Un salarié travaille, sous les ordres d’un employeur et n’est pas là pour donner son avis ou participer aux décisions prises dans l’entreprise », explicitent les professeurs. Cet édifice va progressivement s’éroder sous le coup de deux mutations parallèles.

La première mutation concerne le travail lui-même. A partir des années 1980 se développent de nouvelles formes d’organisation du travail visant à rompre avec un modèle appréhendé sous le seul angle de la subordination. « La promotion de l’autonomie et l’affaiblissement du principe hiérarchique sont perçus comme un moyen d’accroître la productivité et de redonner du sens au travail salarié », soulignent les auteurs.

Vecteur de création de valeur

La deuxième mutation concerne l’entreprise : avec la prise de conscience de l’essoufflement de notre modèle de développement et des dommages environnementaux et sociaux que peut produire l’activité économique, la responsabilité des entreprises est de plus en plus sollicitée. « Ces deux mutations vont se conjuguer pour mettre au-devant des réflexions la participation des salariés aux décisions », résument la membre du Crest et le membre du Ladyss.

S’il emprunte à d’autres sciences sociales et à l’analyse juridique, l’ouvrage opte pour un regard essentiellement économique. Il analyse différents dispositifs de participation des salariés : droit économique du comité d’entreprise, négociation collective, représentation au conseil d’administration…

Entreprise et bien commun : il faut « sortir de l’opportunisme simpliste »

« La palme du bien paradoxal revient sans conteste aux géants du Web (…). Amazon prétend en plus atteindre la neutralité carbone avec dix ans d’avance sur l’accord de Paris. L’envers du décor ? Des centres-villes désertés, une hypercroissance pour doper la valeur boursière… »
« La palme du bien paradoxal revient sans conteste aux géants du Web (…). Amazon prétend en plus atteindre la neutralité carbone avec dix ans d’avance sur l’accord de Paris. L’envers du décor ? Des centres-villes désertés, une hypercroissance pour doper la valeur boursière… » DPA / Photononstop

Tribune. Etre rentable ne suffit plus. Il faut aussi être juste, vert, éthique. Aujourd’hui, qui ne l’est pas, ou qui ne prétend pas l’être ? La question est de savoir où commence le for good bashing.

Les crises sociale et écologique ont peu à peu obligé les entreprises à justifier d’un intérêt collectif. Elles ont fait feu de tout bois, précédées ou suivies par les pouvoirs publics : les labels privés se sont multipliés, tout comme les statuts, tels que « l’entreprise à mission » du rapport Notat-Senard, le statut ESUS [entreprise solidaire d’utilité sociale] pour les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) ou encore le label privé américain B Corp, dont l’obtention est officiellement visée par Danone. La « raison d’être » et le for good [« au service du bien commun »] hantent les entrepreneurs.

Et pourtant, le for good pour tous est une calamité dans cette légitime quête de sens. S’accrochant à leurs activités, certaines entreprises ne peuvent que se limiter à un affichage. D’autres peuvent être good  pour le client, mais ni pour les salariés ni pour les fournisseurs. D’autres encore peuvent l’être pour l’humanité, mais pas pour la planète. On savait que l’enfer était pavé de bonnes intentions, on en découvre la version 4.0.

La palme du bien paradoxal revient sans conteste aux géants du Web, comme Facebook, régulièrement épinglé pour des collectes de données illégales, ou Google, champion dans la catégorie « Big Brother », mais dont la maxime est « Do not evil » (« Ne faites pas le mal »)…

Un produit de plus en plus suspect

Le cas d’Amazon est encore plus parlant. Sa raison d’être ? « Etre l’entreprise la plus orientée client ». Proposer le plus de marchandises possible, livrées le plus vite possible. Amazon prétend en plus atteindre la neutralité carbone avec dix ans d’avance sur l’accord de Paris. L’envers du décor ? Des centres-villes désertés, une hypercroissance pour doper la valeur boursière, une relation salariée supplantée par une relation commerciale comme on le voit avec ses « travailleurs du clic » qui œuvrent pour 3,30 dollars l’heure, ou avec ses livreurs poussés à bout.

Pis encore, le quasi-monopole physique et technologique visé avec son activité d’hébergeur Amazon Web Services, de loin la plus stratégique et la plus rentable. La privatisation rampante d’un bien commun n’est pas l’exacte définition de l’intérêt général… Le pluralisme économique et démocratique, la vision citoyenne exigeraient le démantèlement d’un tel géant.

Sciences économiques : « Les nominations au Conseil national des universités se conforment à un seul courant de pensée »

Un collectif d’une centaine d’universitaires, parmi lesquels Aurore Lalucq, Pierre Khalfa, Gérard Filoche et Henri Sterdyniak, s’élève contre le manque de pluralisme des nominations effectuées par le ministère de la recherche dans la section « Economie » du Conseil national des universités, en charge des recrutements et des carrières de la discipline.

Laurent Escure : « A la SNCF et à la RATP, des avancées sur la réforme des retraites sont sur la table »

Laurent Escure, secrétaire général de l’UNSA, était l’invité du Club de l’économie du « Monde », jeudi 19 décembre.
Laurent Escure, secrétaire général de l’UNSA, était l’invité du Club de l’économie du « Monde », jeudi 19 décembre. CAMILLE MILLERAND / © CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR LE MONDE

Pour Laurent Escure, secrétaire général de l’UNSA, premier syndicat à la RATP et très présent à la SNCF et dans l’enseignement, les propositions sont sur la table. Au gouvernement de décider.

Comment en est-on arrivé là ?

Je l’ai dit au premier ministre : le gouvernement aurait pu éviter le mur du 5 décembre et la crise sociale qui s’enkyste depuis quinze jours. Tout ce qui est aujourd’hui sur la table pour tenter de sortir du conflit a été porté depuis l’origine par les syndicats réformistes : la prise en compte de la pénibilité, l’aménagement des fins de carrière, le relèvement du minimum contributif qui doit être supérieur à 1 000 euros pour ceux qui ont travaillé toute leur vie, le renforcement des garanties sectorielles. Edouard Philippe aurait dû nous écouter. Dès l’origine, nous avons marqué notre refus de l’âge pivot qui n’a rien à voir avec la transformation du système de retraite. C’est une mesure paramétrique qui va conduire à faire travailler plus longtemps les futurs retraités, y compris ceux qui n’étaient pas concernés par la réforme. Ce n’est pas acceptable.

Une trêve est-elle possible ?

Je vais être précis. Si ce sujet du paramétrique ne bouge pas, nous lancerons des actions en janvier. Pour ce qui est de la SNCF et de la RATP, un certain nombre d’avancées que nous demandions pour faire respecter le contrat social sont sur la table. Les modalités de calcul pour l’entrée dans le nouveau système pourraient être un peu plus favorables que ce qui était prévu. Il faut à présent que les directions de ces deux entreprises convainquent non seulement les cadres syndicaux, mais aussi les personnels de terrain que ces avancées leur seront profitables.

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Craignez-vous que les syndicats soient débordés par leur base ?

La radicalité, qui a émergé lors du mouvement des « gilets jaunes » s’exprime également dans les syndicats. La CGT a lancé des actions comme les coupures d’électricité que je condamne fermement. On ne peut pas plaider pour la valorisation du dialogue social et la démocratie sociale et en même temps ne pas respecter les principes élémentaires de la démocratie. Cette radicalité crée un effet d’entraînement sur des gens qui n’ont pas besoin d’être beaucoup poussés. Au 15e jour de grève, ils se disent : « J’ai perdu cela. Qu’est-ce que j’ai en face ? »

Pourquoi l’âge pivot constitue-t-il pour vous un tel casus belli ?

En soi, la réforme des retraites est un dossier très anxiogène. Si vous y ajoutez en plus des contraintes financières…

On peut retourner le raisonnement : n’est-ce pas anxiogène d’entrer dans le nouveau système sans se soucier de savoir s’il est ou non équilibré ?

Bien sûr qu’il faut viser l’équilibre si nous voulons préserver la répartition mais nous refusons la méthode du gouvernement qui consiste à nous tendre la main puis à nous tordre le bras.

L’espérance de vie a sensiblement augmenté au cours des trente dernières années. Cela ne plaide-t-il pas pour un allongement de la durée de la vie active ?

En réalité, l’espérance de vie stagne ces dernières années et l’espérance de vie en bonne santé diminue. Par ailleurs, 40 % des personnes qui liquident la retraite à 63,3 ans ou bientôt à 63,5 ans, sont au chômage depuis deux ou trois ans, parfois sans indemnité. Elles n’ont pas manifesté la volonté de travailler plus. Elles ont attendu un peu dans l’espoir d’avoir une retraite correcte.

Qu’est-ce que ce conflit dit du climat social ?

La société française est à la fois tendue et profondément fracturée. Cela interroge le syndicalisme. Notre défi est de parler aux 30 %, 40 % de travailleurs éloignés de la vie démocratique, syndicale et sociale. Nous voulons leur être utiles. Il ne peut y avoir une classe moyenne ou une classe moyenne supérieure qui profitent de la situation et le reste des Français qui se sentent dépassés par les transitions écologiques et technologiques.

Un nœud de la crise actuelle concerne la difficulté à avoir confiance dans la parole publique. Les alternatives politiques crédibles au gouvernement n’apparaissent pas. Celui-ci en bénéficie mais c’est un jeu dangereux car nul ne sait à qui profite toute cette colère sociale.

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« L’objectif de la plupart des réformes de retraite, à l’étranger, est d’unifier des systèmes disparates »

Troisieme journee de mobilisation contre la reforme des retraites. Un homme tient un pancarte represantant un tableau d Emmanuel Macron en monarque et lisant
Troisieme journee de mobilisation contre la reforme des retraites. Un homme tient un pancarte represantant un tableau d Emmanuel Macron en monarque et lisant « 14 mai 2017 restauration de la monarchie ». JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

Monika Queisser est chef de la division des politiques sociales à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Elle a participé à la publication du rapport de l’OCDE Pensions at a Glance 2019 (« Panorama des retraites 2019 », non traduit), qui fait un point statistique et analytique sur les systèmes de retraite des 36 pays membres et ceux du G20. Le premier chapitre fait le point sur les dernières réformes mises en œuvre entre 2017 et 2019.

Le gouvernement français affirme que la plupart des pays comparables ont déjà réformé leurs systèmes de retraite, et que la France serait en quelque sorte la dernière à ne pas avoir franchi ce pas. Est-ce exact ?

La plupart des pays de l’OCDE ont, en effet, mené des réformes au cours des dernières décennies, mais elles sont extrêmement diverses, portent sur des paramètres différents (âge de départ en retraite, montant des cotisations ou des pensions versées, parts respectives des caisses publiques et privées, etc.) en fonction des systèmes préexistants et des projections démographiques ou économiques nationales.

Mais y a-t-il des points communs entre ces réformes, en particulier des points communs avec le projet de réforme actuel en France ?

Oui. L’un des objectifs de la plupart des réformes a été d’unifier des systèmes jusque-là disparates, offrant des modalités d’ouverture de droits et de versement de pensions différentes selon les statuts, les professions… Ce qui créait d’importantes difficultés pour les « polypensionnés », c’est-à-dire les travailleurs passant d’un système à l’autre au cours de leur carrière ; mais aussi des inégalités difficiles à justifier, par exemple lorsqu’un travailleur exerçant le même métier dans les mêmes conditions touche des pensions différentes selon la caisse de retraite dont il dépend.

Pour le bon fonctionnement, pour combattre ces inégalités, l’unification autour d’un système unique, soit par leur fusion, soit par leur harmonisation, est effectivement souhaitable. C’est ce qu’ont fait la plupart des pays. Le système français reste aujourd’hui un des plus fragmentés.

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Cela dit, il reste encore à faire dans ce domaine dans d’autres pays que la France. Ainsi, la France est, avec l’Allemagne, la Corée et la Belgique, l’un des quatre pays où il existe des régimes complètement différents pour les fonctionnaires et pour les salariés du privé. En Allemagne, si ces derniers relèvent tous du même régime, il existe 89 régimes spécifiques pour les indépendants – un par profession.

Le succès de la bande dessinée ne profite pas aux auteurs, qui s’appauvrissent

Le ministre de la culture, Franck Riester, au Festival de la bande dessinée d’Angoulême, en janvier.
Le ministre de la culture, Franck Riester, au Festival de la bande dessinée d’Angoulême, en janvier. YOHAN BONNET / AFP

« La France aime le 9art ! » Franck Riester, ministre de la culture, a déclaré sa flamme à la bande dessinée, en présentant l’évènement BD 2020, devant un parterre de professionnels, rue de Valois, à Paris, mercredi 18 décembre. « La programmation est multiple et protéiforme, avec, pour le moment, plus de 350 événements prévus » en France, s’est réjouie le ministre. « Il est grand temps de consacrer à la BD toute l’attention qu’elle mérite. La reconnaissance a été trop tardive. » Le coup d’envoi sera donné lors de la 47édition du Festival d’Angoulême, le 30 janvier 2020.

Car derrière l’engouement des Français pour la BD − 8,4 millions de Français en achètent, et le secteur a généré un chiffre d’affaires de 276,2 millions d’euros, en 2018, selon le Syndicat national de l’édition − se cache un mal-être grandissant. Selon les derniers chiffres officiels, qui datent de 2014, 53 % des 1 500 auteurs interrogés à l’époque déclaraient un revenu inférieur au smic et, parmi eux, 36 % étaient au-dessous du seuil de pauvreté.

« [Et depuis], on sait que la situation s’est aggravée. Il ne passe pas une semaine sans qu’un auteur jette l’éponge », explique Samantha Bailly, autrice et vice-présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et de la Ligue des auteurs professionnels.

« Les auteurs ne peuvent plus vivre convenablement »

Depuis plusieurs années, les auteurs ne sont plus payés à la page, mais signent un contrat avec les éditeurs sur l’ensemble de l’ouvrage. « Le prix a diminué. Les auteurs ne peuvent plus vivre convenablement. Même les plus anciens ont peu de garanties. Il y a une véritable paupérisation », constate Emmanuel Lepage, l’un des rares auteurs à vivre du métier (Ar-Men, l’enfer des enfers, publié chez Futuropolis en 2017).

« A part les rares Zep, Arleston…, ceux qui travaillent le plus, avec les plus gros éditeurs, ont un petit smic », déplore Emmanuel De Rengervé, délégué général du Syndicat national des auteurs (SNAC). « Les difficultés sont connues. Trop nombreux sont ceux qui souffrent d’une précarité », a reconnu Franck Riester, qui, en début d’année, a commandé un rapport sur la situation des créateurs.

Un rapport Racine très attendu

« Un travail achevé, que Bruno Racine [ancien président du Centre Pompidou, puis de la Bibliothèque nationale de France] me remettra prochainement. Nous pourrons alors décider d’actions concrètes », a déclaré le ministre. Une remise très attendue par les auteurs. « Le rapport Racine est un animal fabuleux, comme le Marsupilami ! On sait qu’on va le voir, mais on ne sait pas quand ! », a déclaré Jul (Silex and the City), parrain de BD 2020, devant le ministre et sous des rires un peu gênés. Or ce rapport ne sera pas le dernier. Une enquête qualitative complémentaire, censée permettre de mieux connaître la situation des auteurs, a été demandée par le ministre.

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« Après quatre ans de mobilisation des auteurs, nous n’avons encore rien vu de concret », regrette Marc-Antoine Boidin, scénariste, dessinateur et vice-président du SNAC, tout en reconnaissant que c’est la première fois qu’un ministre se penche réellement sur ce sujet. « [M. Riester] a annoncé une allocation d’achats de matériel pour les artistes, même si on ne connaît pas encore son montant ni ses conditions. Il s’est cependant montré frileux sur la question de la rémunération des auteurs dans les festivals. »

Mme Bailly attend des mesures fortes : « Il faut un vrai courage politique face aux éditeurs. » Elle demande au gouvernement de « mettre de la régulation dans cette jungle absolue » et de créer un statut professionnel pour les auteurs, avec des protections sociales.

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Emploi, marques, gouvernance… les questions que posent la fusion PSA-FCA

L’union à 8,7 millions de véhicules entre PSA et Fiat-Chrysler (FCA), dévoilée mercredi 18 décembre par les deux constructeurs automobiles, ne sera pas concrétisée avant le début 2021. Elle soulève pourtant déjà questions et inquiétudes, à commencer par celle de sa réalisation effective. Le projet traversera-t-il les validations indispensables à sa concrétisation : assemblées générales, autorités de la concurrence américaine et, surtout, européenne ? « En matière d’antitrust nous n’anticipons aucune difficulté particulière », a commenté ce même 18 décembre, Carlos Tavares, le président de PSA et futur patron de la nouvelle entité. Dont acte. Mais d’autres points méritent d’être examinés.

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Le projet comporte-t-il des risques pour l’emploi en Europe ?

C’est l’interrogation numéro un en France, en Italie mais aussi en Allemagne et au Royaume-Uni, autrement dit partout où les marques de FCA-PSA ont laissé une trace industrielle historique. Pourtant, les nouveaux mariés l’ont promis : les 3,7 milliards d’euros de synergies générées par cette fusion n’impliqueront aucune fermeture d’usine. Il n’empêche : côté PSA, Force ouvrière, premier syndicat de l’entreprise, a réclamé la création d’un « comité de suivi de la fusion » et « entend obtenir (…) des garanties sur les volumes de production de l’ensemble des sites français ».

Ce n’est pas dans l’Hexagone que la situation est la plus préoccupante, les usines françaises, hors Poissy, tournent à plein régime. En Italie, en revanche, les surcapacités sont fortes. La première priorité est « la question de l’emploi », a déclaré, mercredi, Rocco Palombella, secrétaire général du syndicat italien UILM. « Les usines FCA fonctionnent toutes à moins de 75 % de leur capacité, valeur que l’on considère comme économiquement problématique », explique un consultant.

L’angoisse est palpable aussi au Royaume-Uni où les salariés de la marque Vauxhall, rachetée par PSA en 2017, redoutent que le Brexit ne devienne un prétexte pour rompre la promesse du zéro fermeture. Le syndicat britannique Unite a demandé une « réunion d’urgence » avec les responsables du groupe pour obtenir des « garanties sur l’avenir à long terme sur la fabrication au Royaume Uni ».

L’inquiétude est-elle fondée ? « Avec Peugeot-Citroën, puis avec Opel, à chaque fois, Carlos Tavares a fait la même chose, explique Franck Don, délégué CFTC de PSA. Il a compacté les usines, chassé les dépenses superflues, négocié des accords de modération salariale, le tout avec l’œil rivé sur un indicateur : le rapport entre le coût du travail et la production écoulée. »

A Radio France, le conflit s’enlise

Des employés de Radio France manifestent devant le ministère de la culture, à Paris, le 29 novembre.
Des employés de Radio France manifestent devant le ministère de la culture, à Paris, le 29 novembre. GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

« Comprenez bien que, dans une radio, il y a des moments de grâce… et des moments où on dégraisse ! » Ce mercredi 18 décembre, dans la matinale de France Inter, Charline Vanhoenacker prend une voix de grande bourgeoise pour imiter Sibyle Veil, la présidente de Radio France. « Dites plutôt, on réorganise », lui rétorque son coéquipier, Guillaume Meurice, qui endosse le rôle du chargé de communication.

En ce 25e jour de grève de la radio publique, le duo d’humoristes évoque, à sa façon, un conflit qui s’enlise entre les syndicats et la direction du groupe, qui souhaite mener un plan de départs volontaires portant sur 299 postes sur 4 600.

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Jusque-là, ce mouvement social était essentiellement conduit par la CGT, ce qui permettait à la direction d’expliquer qu’il était très peu suivi, chiffre de (faible) mobilisation à l’appui. Ce qui n’a pas empêché les grilles d’être fortement perturbées : sur France Inter, les soirées sont animées par des playlists depuis trois semaines, tandis que cent vingt heures de programmes ont été annulées sur France Info.

« Pourquoi ce blocage ? »

Mais, jeudi 19 décembre, la situation devait être bien pire : tous les syndicats ont appelé à la grève, s’élevant contre des discussions qui patinent depuis un mois. « Sibyle Veil confond négociations et information des instances », se plaint Renaud Dalmar, de la CFDT. Jusqu’à présent, la direction ne voulait discuter que du montant des chèques des partants. « Pour être éligible au départ, il faut avoir un projet derrière ou un CDI. Est-ce que les secrétaires de France Bleu visées par le plan auront un CDI ? Il faut réduire le nombre de départs », explique Valeria Emanuele, du SNJ.

Lire l’interview : Sibyle Veil : « Si nous ne faisons rien, Radio France aura un déficit de 40 millions d’euros d’ici à 2022 »

Devant cette nouvelle levée de boucliers, la direction a élargi le champ des discussions de jeudi au « projet de réorganisation », au « plan d’adaptation des effectifs » ou à « l’utilisation des CDD », autrement dit « les précaires, qui vont se multiplier et constituent un vrai potentiel de dérives », explique Renaud Delmas, qui y voit là un début d’ouverture.

« Le Chœur, c’est un instrument à part entière. Son identité est mise en péril »

Au sein de la « maison ronde », la situation se tend sensiblement. « Le Chœur, c’est un instrument à part entière. Son identité est mise en péril », regrette la soprano Laurya Lamy, protestant contre l’amputation d’un tiers des 90 chanteurs du Chœur de Radio France.

« Le harcèlement managérial mis en exergue par le procès France Télécom relève d’une stratégie globale »

Tribunal. Le procès France Télécom a souvent été présenté comme un procès hors norme par son ampleur, ses protagonistes, le nombre de ses victimes. C’est aussi un procès qui fera date sur le plan juridique.

« Le but de ce procès n’est pas de poser un jugement de valeur sur vos personnes, mais de démontrer que l’infraction pénale de harcèlement moral peut être constituée par une politique d’entreprise, par l’organisation du travail, et qualifier ce que l’on appelle le harcèlement managérial », a affirmé la procureure de la République. Et elle a ajouté, s’adressant aux juges : « L’évolution du droit vous permet de reconnaître l’infraction pénale de harcèlement managérial ».

« Harcèlement managérial » : la formule n’est pas nouvelle, mais elle a longtemps été utilisée comme synonyme ou comme sous-catégorie du harcèlement moral. La jurisprudence de la Cour de cassation avait consacré l’existence d’un harcèlement moral « de type managérial », mais celui-ci se caractérisait par les méthodes de gestion « mises en œuvre par un supérieur hiérarchique ».

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Mais le harcèlement managérial mis en exergue par le procès France Télécom relève pour sa part d’une réalité différente, dès lors qu’il ne se rattache pas à un harceleur ou à un groupe de harceleurs, mais à une stratégie globale. On déplace le point focal, depuis la conduite d’un ou de plusieurs individus vers le système de management lui-même. Cela a été explicitement souligné par la procureure : « Il est incontestable qu’en programmant la restructuration par des réductions massives d’effectifs et des mutations professionnelles en trois ans, les dirigeants ont conscience qu’ils déstabilisent les salariés ». Elle a précisé : « Vous allez même plus loin. Vous la recherchez, cette déstabilisation. Et vous la baptisez déstabilisation positive ».

C’est bien la manière dont s’est déroulée la réorganisation de l’entreprise qui est en cause. Les plans de réorganisation, baptisés NeXt et Act, s’accompagnaient d’un changement de paradigme : ils transformaient les métiers en processus, privant par là même les salariés de la possibilité de valoriser leurs expériences ou leurs compétences. Le programme Time to Move, lui, institutionnalisait leur instabilité temporelle, géographique et professionnelle.

« On a poussé le ballon un peu trop loin »

Dans ce contexte, les salariés les plus investis sont devenus les plus vulnérables. Au procès, le psychiatre Christophe Dejours a souligné que « ce ne sont pas les paresseux, les tire-au-flanc qui se sont suicidés, mais les plus impliqués. En cas de mise au placard, leur ardeur au travail pouvait constituer une véritable menace pour leur état psychique ». Et loin d’être prise en charge, cette implication, transformée en fragilité, devenait fautive.