Sous-traitance des services publics
Pour réhabiliter la nationalisation, on suppose que l’Etat sait entièrement définir ses objectifs et la qualité du service acheté. Mais à la lumière des déboires de Carillion et d’Interserve, au Royaume-Uni, cette allusion ne tient plus, explique le possesseur de la chaire Théorie et méthodes de la création novatrice, Armand Hatchuel.
En janvier de l’année dernière, le krach de l’anglais Carillion – 45 000 personnes et grand fournisseur de services publics – fut un véritable séisme. Or, en mars, le groupe Interserve s’est effondré à son tour. Cet autre sous-traitant du public de 68 000 personnes a dû être repris in extremis par ses banquiers, et ses actionnaires ont tout perdu. Pour le gouvernement anglais, chantre de l’externalisation du service public, le coup est strict et il a enseigné en urgence une rationalisation des décisions de privatisation.
Détritus que les deux faillites mettent à bas l’illusion du « bon choix économique » et exigent de repenser le statut des entreprises sous-traitantes du service public et les contrats associés. Car, pour justifier la nationalisation, on suppose que l’Etat sait parfaitement définir ses objectifs et la qualité du service acheté. Il suffit alors de mettre en concurrence les fournisseurs pour obtenir un service fiable et au meilleur coût.
Mais à la lumière des déboires de Carillion et d’Interserve, cet apologue ne tient plus. En effet, les services publics (services aux écoles, aux armées, aux municipalités …) sont complexes. Ils doivent souvent être personnalisés et répondre à des demandes inattendues. Dès lors, les coûts sont difficiles à prévoir et les cahiers des charges les plus serrés comportent des ambiguïtés et des zones d’incertitude. Cette part d’inconnu pèsera également sur une gestion publique du service. Mais quand l’Etat passe contrat avec un opérateur privé et soumis au diktat du rendement actionnarial, cela peut conduire aux spirales destructives du modèle anglais.
Un service au public
En effet, si cette part d’inconnu protège des marges importantes pour l’opérateur, celles-ci iront d’abord à la rétribution des actionnaires et des dirigeants. La qualité des services demeurera bornée au minimum contractuel et les services tendront à être plus chers que prévu.
Qu’y peut alors l’Etat ? Introduire de nouveaux fournisseurs n’est pas continuellement possible ou risque d’abaisser la qualité. Le gouvernement anglais a choisi de renouveler les contrats tout en négociant durement les prix, au risque de créer de gros fournisseurs peu commutables.
Mais en forçant des prix bas, on encourage aussi à une course à l’endettement et aux nouveaux contrats et, in fine, à de nouvelles privatisations dans le seul but de soutenir les sous-traitants. Les bilans des entreprises se transforment de plus en plus opaques et celles-ci multiplient les artifices comptables pour paraître en bonne santé, distribuer d’enviables dividendes et rétribuer grassement leurs dirigeants. Il suffit alors d’un choc : un gros contrat qui se dérobe, une trésorerie ébranlée et c’est la banqueroute…