Archive dans avril 2019

Poissons d’avril

« Il est apparu que le flux sanguin baissait en moyenne de 7,5%, voir parfois de 10% chez les élégants au col serré, et que ce flux restait inférieur à la normale quelques minutes après desserrage. »
« Il est apparu que le flux sanguin baissait en moyenne de 7,5%, voir parfois de 10% chez les élégants au col serré, et que ce flux restait inférieur à la normale quelques minutes après desserrage. » Philippe Turpin / Photononstop

Dans sa chronique Annie Kahn réintègre sur quelques études pour le moins insolites menées par les chercheurs en conduites des organisations ou les psychologues du travail. Tour d’horizon instructif en ce jour si distinctif.

Les chercheurs en conduite des organisations, sociologues et psychologues du travail, neuroscientifiques, s’inclinent parfois sur des sujets qui auraient passé pour des poissons d’avril, et qui pourtant n’en sont pas. En cette semaine propice aux canulars de tous ordres, nous en avons choisi trois, qu’il serait risqué de ne pas prendre au sérieux malgré leurs apparences.

Ainsi en est-il du port de la cravate. Porter une cravate bien ajusté diminue le flux sanguin cérébral prévient Christophe Rodo, jeune chercheur finissant une thèse en neurosciences à Aix-Marseille Université, au sein du Laboratoire de Neurosciences Cognitives, dans un article de la revue en ligne The Conversation. Une équipe de chercheurs en médecine de l’Université de Kiel (Allemagne), a établi le phénomène en passant trente personnes, pour moitié attaqués, et pour moitié col ouvert, au crible d’un IRM.

Il est présenté que le flux sanguin baissait en moyenne de 7,5%, voir parfois de 10% chez les élégants au col serré, et que ce flux restait inférieur à la normale quelques minutes après dévissage. Cette fluctuation serait sans gravité pour les personnes en bonne santé. En revanche, elle pourrait se révéler problématique pour les personnes âgées, les fumeurs et tout individu fragile au plan vasculaire. On ne peut donc que s’amuser de l’abandon progressif du port de cet auxiliaire vestimentaire.

Avec caquette de baseball ou casque à vélo?

Si œuvrer cravaté reste une pratique proportionnellement courante, il est plus rare de porter un casque de cycliste au travail, quand la tâche à accomplir n’est pas physiquement dangereuse. Sauf à gamberger professionnellement, tout en roulant. Quoiqu’il en soit, mieux vaut savoir que porter un casque incite à prendre des décisions plus risquées ont prouvé des chercheurs en psychologie de l’Université de Bath (Angleterre).

Ils ont confronté les attitudes de deux groupes de joueurs de jeu vidéo. Les uns portaient une casquette de baseball et les autres un casque de cycliste. Le résultat était patent. Les porteurs de casques étaient plus audacieux. Enfin que l’on soit ou non casqué ou cravaté, travailler debout affile l’esprit, affirment Yaniv Mama, chercheur à l’Université Ariel (Israël) et deux de ses collègues.

« Je désirais concevoir le fait d’être étrangère quelque part »

Anne Tetort.
Anne Tetort. Anne Letort DR
Anne Letort, 36 ans, enseignante des écoles en Seine-Saint-Denis, travaille cette année dans une école primaire en Allemagne.

« Depuis la rentrée 2018, je suis professeur à Weil am Rhein, dans le Bade-Wurtemberg. C’est près de la Forêt-Noire, où je vais skier. Je faillais y rester jusqu’à l’été, mais j’ai sollicité un an de plus. Au-delà de l’expérience professionnelle, de la découverte d’un autre système éducatif, je voulais concevoir le fait d’être étrangère quelque part. J’ai beaucoup voyagé, mais je n’avais jamais été émigrée. Partir n’est pas simple. Il y a peu d’information sur ces échanges. Je suis passée par l’Office franco-allemand pour la jeunesse, dont j’ai eu l’intuition par une amie. J’enseigne le français, pour une vingtaine d’heures par semaine, et le sport, car j’ai fait Staps. En Allemagne, à l’école primaire, les enseignants se suppléent dans la classe. Lorsqu’on change de classe, et quand les parents quittent leurs enfants le matin, on se dit “viel Spass”, ce qui signifie “amuse-toi bien”. Ici, le directeur ou la directrice est le supérieur hiérarchique des enseignants. L’élève est un partenaire, inclus dans l’école, qui donne son avis, argumente, vote les sorties. L’apprentissage passe beaucoup par le jeu. Pour participer à ce genre d’échange, il n’est pas obligatoire de parler allemand, mais cela assiste les relations avec les collègues et les parents. En mai, la promotion précédente donne des conseils à ceux qui vont partir. En août, Français et Allemands se perçoivent pour un stage de pédagogie et des cours de la langue du pays d’accueil. On a aussi un bilan à mi-parcours et un autre à la fin, avec nos successeurs. Avec ce système, on encaisse et on donne. »

Une formation pour anticiper le burn-out

Des stagiaires du Crédir pendant une séance de travail en extérieur.
Des stagiaires du Crédir pendant une séance de travail en extérieur. Crédir

Cette situation touche des salariés occasionnellement très jeunes et il reste mal pris en charge. En pleine campagne, des salariés ou les directeurs d’entreprises souhaitant anticiper ou guérir un burn-out peuvent suivre un stage sur le phénomène.

Au XIVe siècle, la commanderie des Antonins d’Issenheim, en Alsace, est un haut lieu de pèlerinage. On vient ici projeter une maladie effrayante, le « feu de saint Antoine ». Les souffrants sont conduits devant le fameux retable d’Issenheim : ils trouvent réconfort et consolation devant ce chef-d’œuvre de la Renaissance germanique. Aujourd’hui, c’est un mal différemment moderne que l’on soigne en Alsace. Depuis 2013, à Kientzheim, près de Colmar (Haut-Rhin), un centre organise des stages de formation pour anticiper ou sortir du burn-out. Un état de détresse psychologique qui, selon un rapport de l’Académie nationale de médecine, est lié à une « impossibilité de faire face à un facteur professionnel stressant chronique », et qui se traduit par un épuisement et un « sentiment de perte de sens de soi-même ».

Ce vendredi de mars, huit personnes participent au 53e stage disposé par le Crédir, à Kientzheim. Pendant trois jours, entourés par une équipe interdisciplinaire de médecins, d’experts en ressources humaines et de coachs sportifs, les stagiaires alternent présentations, entretiens individuels et activités physiques. Les profils sont variés : le plus jeune a 24 ans, la doyenne 64. Gérant, consultante, restauratrice ou étudiant, tous éprouvent les mêmes symptômes : surtravail, troubles du sommeil et de la mémoire, addictions numériques, maladies ponctuelles ou chroniques dominant aller jusqu’au problème cardio-vasculaire, l’AVC ou encore l’infarctus.

« Durant deux ans, il m’a été impossible d’apprendre ne serait-ce qu’un nouveau nom », développe le créateur de la formation

« Le terme est vulgarisé : on évoque 3 millions de personnes en risque de burn-out. Cette standardisation pose problème : d’après le psychiatre Herbert Freudenberger, le premier à décrire le phénomène, une personne en burn-out est une personne en danger de mort », souligne Jean-Denis Budin. Cet constructeur sait de quoi il parle. Avant de fonder le Crédir, il a connu une telle crise qui s’est traduit par une énorme fatigue, une apathie et une perte totale de ses capacités de mémorisation : « Pendant deux ans, il m’a été impossible d’apprendre ne serait-ce qu’un nouveau nom. »

Le Crédir présente un espace de parole bienvenu aux salariés en souffrance.

Le Crédir présente un espace de parole bienvenu aux salariés en souffrance. Crédir

Nicolas Moreau, ancien stagiaire du Crédir, a fait un AVC avant ses 40 ans. « Les médecins me disaient que c’était irréalisable, se souvient celui qui travaillait alors comme DRH pour un groupe de 3 500 salariés. L’actionnaire m’a demandé de collaborer à la destruction de l’entreprise. Une vraie irruption aux enfers : pendant neuf mois, il a fallu ménager la motivation des salariés tout en vendant la boîte par petits bouts. J’en suis sorti très abîmé. Le Crédir m’a sauvé la vie. »

Etre professeur, à tous prix

Des milliers de candidats se disposent à plancher sur les épreuves du capes. Face à la crise des vocations, à l’université de Cergy-Pontoise, des étudiants développent leur choix de regagner l’éducation nationale.

Debout, dos au grand tableau vert, Julien relit une dernière fois ses notes de cours. « Quelqu’un a une balle antistress ? », souhait le jeune homme à lunettes, souriant, avant d’affronter l’épreuve. Face à lui, ses compagnons de première année de master métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation de mathématiques de l’université de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), et leur formatrice, Céline. A la rentrée prochaine, si Julien – les personnes questionnées n’ont pas souhaité donner leur nom – réussit le concours du capes, le sésame pour apprendre au collège ou au lycée, il sera devant des élèves.

« Vous avez vingt minutes d’oral puis nous pourchasserons sur un entretien », lui développe la formatrice de l’Ecole supérieure du professorat et de l’éducation (ESPÉ) de l’académie de Versailles, qui rassemble cinq universités, dont celle de Cergy-Pontoise. Au menu de cet oral blanc, une leçon de géométrie sur les proportionnalités. Pour la vingtaine d’étudiants présents ce mercredi de mars, c’est la dernière ligne droite. La saison des concours s’annonce, entre la fin mars et le début du mois d’avril. Tous les étudiants présents dans la salle désirent devenir professeurs. La réputation en berne du métier, les rémunérations peu enthousiasmantes, le risque de débuter dans des établissements difficiles… : ils n’ignorent pas les pénuries qui les attendent. Ce sont celles qui, en quinze ans, ont contribué à faire diminuer le nombre d’inscrits aux concours du second degré de près de 30 %. La session 2019 du capes offre près de 9 000 places pour l’enseignement public et privé.

« Faire apprendre quelque chose à quelqu’un »

Julien et ses camarades protègent leur motivation. « J’aime l’idée d’un métier où, chaque jour, je peux me dire que je vais permettre à quelqu’un d’apprendre quelque chose », développe Marion, étudiante en première année, qui se destine aux lettres modernes. Même si apprendre n’était pas son « choix numéro un », ce désir a mûri au cours de ses études supérieures. Elsa, elle, assure une envie précoce. « J’y pense depuis le primaire ! » Après un détour de trois ans en droit – « une matière trop froide » –, elle s’est lancée.

Les deux jeunes femmes n’ont pas de naïveté sur le métier qui les attend : elles ont déjà une procédé du professorat. Toutes deux ont bénéficié d’emplois d’avenir professeur, dispositif de formation en alternance créé sous la gauche, autant pour contenir la crise de recrutement que pour donner un coup de pouce financier à des jeunes que la perspective d’un bac + 5 peut freiner. Cette logique de prérecrutement que le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, envisage de renforcer, a permis à Elsa et à Marion de faire cours une journée par semaine et d’être rétribuées. « Cela m’a vraiment confortée dans mon choix d’être prof », déclarent-elles d’un même élan.

Les réunions silencieuses 

Selon une étude de l’IFOP, nous passons en moyenne 4 heures par semaine en réunion. Alors que leur rendement n’est pas certaine, certains désirent réétudier cet instant collectif et se consacrent aux « silent meetings ».

Les réunions silencieuses sont considérées comme un nouveau levier de l’inclusion au bureau.
Les réunions silencieuses sont considérées comme un nouveau levier de l’inclusion au bureau. GIORGIO FOCHESATO / WESTEND61 / PHOTONONSTOP

Pour : la parole aux taiseux

A part peut-être s’éclaircir avec son café du matin, il n’y a pas grand-chose de pire que de démarrer la journée de travail par une « réu’». Fréquemment, cela renvoie à subir les visions business poussivement grandiloquentes et les aphorismes téléphonés (« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ») d’un Napoléon du tertiaire. Ce pensum est loin d’être anecdotique puisque nous passons quatre heures par semaine en réunion (IFOP 2018), ce qui équivaut tout de même à vingt-sept jours de travail par an.

Au contraire cette tendance à se rassembler autour d’une table où trônent des mini-viennoiseries, seuls 12 % des cadres examinent que toutes les réunions auxquelles ils collaborent sont « réellement productives et efficaces ». En toute logique, 75 % des salariés avouent avoir déjà fait autre chose lors de ces grands-messes de bureau, au lieu de se focaliser sur l’ordre du jour (IFOP, 2014).

Inutilité, dissémination, sentiment d’inutilité : tout cela n’est pas dû au hasard. Un des principaux griefs affirmés à l’encontre de la réunion dans sa forme classique est le darwinisme de la parole qu’elle favorise. Tels de grands fauves, ceux qui se trouvent au sommet de l’organigramme conduisent l’attention, admettant que quelques orateurs au pelage brillant soient aussi conviés à la fête, histoire de faire croire que l’on est en train de vivre un grand moment de démocratie directe. Pour les autres, l’heure est au semi-coma contemplatif, à la fuite numérique via le smartphone, voire clairement à la sieste digestive.

Il était donc essentiel de reconsidérer ce rituel inefficace. « Si, pour des raisons de statut ou de capacité, tout le monde n’est pas égal face à la prise de parole, pourquoi alors ne pas tout simplement arrêter de parler ? », se sont dit les promoteurs du nouveau concept de réunion silencieuse.

Arrivés des Etats-Unis, ces « silent meetings » auraient été lancés, selon le site Quartz, par Jeff Bezos, le patron d’Amazon. Lors des réunions exécutives du géant du commerce en ligne, les adhérents doivent lire et annoter en silence, durant trente minutes, un mémo de plusieurs pages, avant de pouvoir définitivement s’exposer. Les interventions sont alors généralement concises et pertinentes, enrichies par ce moment d’application antérieur où les enjeux stratégiques auront eu le temps d’infuser en chacun.

Chez Square, entreprise californienne spécialisée dans le rémunération mobile, c’est au moyen de leurs ordinateurs portables que les cadres, bec clos, sont invités à annoter un Google Doc – il est donc possible de participer à la réunion sans être physiquement présent. Les vertus de ces réunions silencieuses sont abondantes, mais la première d’entre elles est de faire émerger des voix qui sont facilement inaudibles, ou marginalisées, dont la voix des femmes. Comme le soulignait une étude menée par les universités de Brigham Young et Princeton en 2012, les hommes accapareraient 75 % du temps de parole en réunion, et pas toujours pour faire jaillir des idées lumineuses. Le silence studieux n’est donc rien moins que le nouveau levier de l’inclusion au bureau.

Le Parlement veut restituer de l’ordre dans l’accès en soirée des commerces alimentaires

Maintenant considérée au Sénat, la loi Pacte pourrait octroyer aux enseignes de concession alimentaire la possibilité d’employer du personnel dans les magasins au-delà de 21 heures, sans avoir à amoindrir au travail de nuit

Pouvoir pousser son chariot dans les allées de son hypermarché après 21 heures, en rentrant du travail ? Ce sera peut-être bientôt une réalité. Simultanément étudiée au Sénat, avant un dernier passage à l’Assemblée nationale courant avril, la loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la modification des entreprises) ne va pas seulement raccourcir la durée de la période des soldes de six à quatre semaines.

Elle admettra aussi, probablement, aux enseignes de distribution alimentaire d’ouvrir, en toute légalité, leurs portes en début de soirée. Une disposition du projet de loi leur donne, sous conditions, la conjoncture d’employer du personnel dans les magasins au-delà de 21 heures, sans avoir à recourir au travail de nuit, rarement autorisé dans le secteur.

Une telle exception serait plus utile pour des commerces de proximité dans les grandes villes que pour des grandes surfaces dans les territoires ruraux et ce, afin d’être sur un pied d’égalité avec des acteurs tels qu’Amazon ou Uber Eats. Chez Monoprix, on recense plus de 1,6 million de Parisiens qui, chaque année, accomplissent leurs achats en soirée, avec plus de 5 millions de passages en caisse.

Cela contient des enjeux financiers, mais aussi sociétaux, selon Yohann Petiot, directeur général de l’Alliance du commerce, qui représente 26 000 points de vente. Il enregistre « une vraie demande à Paris, comme dans d’autres grandes villes de France, en raison des changements de rythme de vie et d’un fractionnement des achats alimentaires ». Or aujourd’hui, pour contourner une réglementation très stricte sur le sujet, des supérettes ouvertes sans interruption 24 heures sur 24, avec des caisses automatiques et des vigiles pour garantir la sécurité, ont commencé à voir le jour.

42 000 salariés concernés

De ce fait, un filtrage de la législation devenait urgente. « Ce n’est pas une fois que les magasins 24 heures sur 24 se seront démultipliés qu’il faudra songer à sauver l’emploi », poursuit M. Petiot. Il précise que 42 000 salariés sont intéressés par le travail en soirée dans le commerce alimentaire dans l’Hexagone mais que, par contre, « il n’y a pas de demande des autres secteurs. L’alimentaire est très spécifique par sa récurrence d’achat, que l’on ne retrouve pas dans l’habillement, par exemple ».

Mené dans le projet de loi par des modifications au Sénat, ce toilettage de la législation du travail en soirée dans les commerces alimentaires a été réformé à l’Assemblée nationale sur ses contreparties sociales. Le texte doit encore être opté en dernière lecture par les deux Chambres.