« Une vision désirable et émancipatrice doit limiter l’importance personnelle et sociale du travail »

« Une vision désirable et émancipatrice doit limiter l’importance personnelle et sociale du travail »

Tribune. Dans une récente tribune, des universitaires de renom prônent une réforme du travail à l’aune de la crise du coronavirus et de la crise écologique (« Il faut démocratiser l’entreprise pour dépolluer la planète », Le Monde du 18 mai). Nous espérons que ce texte lancera un débat nécessaire sur le rôle du travail dans nos sociétés.

En principe, nous partageons leurs inquiétudes et suggestions.

Néanmoins, nous pensons que certaines propositions vont en réalité dans la mauvaise direction et sont en retard sur le potentiel progressiste des débats actuels sur le travail.

Les auteurs esquissent également une image acritique et uniment positive du travail et sont étonnement silencieux sur beaucoup des problèmes posés par le travail.

Vision discriminatoire et antidémocratique

La tribune pointe à juste titre l’exclusion des travailleurs de la plupart des mécanismes décisionnels des entreprises. Etendre la démocratie au monde du travail est une nécessité qui ne saurait attendre davantage. Mettre en œuvre la cogestion dans les entreprises est donc indispensable.

Cependant, cela ne change pas la finalité principale des entreprises privées : générer du profit pour les propriétaires du capital. Mettre l’intérêt des travailleurs au centre requiert donc d’autres formes d’organisation, comme les coopératives possédées et gérées directement par les travailleurs.

Surtout, la vision implicite d’un futur où il faut un travail pour se prononcer sur la marche de l’économie est discriminatoire et fondamentalement antidémocratique. Elle exclut de larges parts de la population, notamment en marginalisant plus avant les chômeurs et les personnes engagées dans les activités domestiques et de soin non ou sous-rémunérées, typiquement les femmes et les migrants.

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Une réelle démocratisation du travail nécessite d’aller bien plus loin et d’inclure la démocratisation de l’économie tout entière, où la société dans son ensemble décide du nombre d’heures travaillées, de ce qui est produit, comment et au bénéfice de qui.

Une délibération collective portant, par exemple, sur la finalité du secteur financier ou la nécessité des emplois dans l’armement ou l’abattage industriel mettrait rapidement en question le nombre croissant de « bullshit jobs » (« boulots à la con », pour reprendre l’expression de l’anthropologue américain David Graeber) inutiles et même destructeurs pour notre société. La pandémie due au coronavirus a ainsi jeté une lumière crue sur la liste plutôt limitée des emplois et secteurs essentiels pour satisfaire les besoins sociaux de base.

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LJD

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