« Un monde nouveau »
Dans son œuvre « Un monde nouveau » Anne Akrich décrit les récents codes de la vie dans les entreprises. A travers des contes découragés, le lecteur plonge dans une touchante parodie de notre époque, où chaque nouvelle illusion progressiste semble dissimuler une régression cauchemardesque.
C’est une entreprise installée en plein cœur de Paris, mais où on favorise le mot anglais et la réduction. Le quotidien s’y conjugue en « réu », en « work in progress » et en « soft skills ». Les rapports structurés sont cassés : le tutoiement est méthodiquement employé, chacun s’appelle par son prénom, on déjeune côte à côte et on participe aux entretiens « Happy or not ». Le bien-être et la manifestation des travailleurs – d’ailleurs, on ne dit pas « salariés » mais « collaborateurs » – sont au cœur de #InFutureWeBelieve, devenue l’une des plus grosses sources d’entreprises en France.
Comment se fait-il alors qu’ils attristent tant à trouver leur place dans ce propre univers qu’ils prétendent bâtir ? Dans son dernier oeuvre, Un monde nouveau, Anne Akrich lève un portrait amer de la culture d’entreprise. L’ouvrage se traite de microfictions qui constituent un vaste roman choral. Elles sont rythmées par les entretiens menés par Pandore, « happiness manager » – responsable du bonheur − chez #InFutureWeBelieve.
Une fois bourrés les bureaux de fleurs et produits bio, obligé des plantes vertes à s’installer dans des lieux stratégiques, organisé les espaces de travail pour que chacun bénéficie de la photosynthèse, hypothéqué des coachs sportifs, procuré des tables de ping-pong et organisé des karaokés, Pandore reçoit les collaborateurs pour savoir comment ils voient leur place dans l’entreprise.
Bien que les postes innovants et les salaires alléchants, malgré leur jeunesse, leur dynamisme et leur croyance dans l’économie du partage et la société collaborative, ils paraissent tous malheureux, dépossédés dans une société atomisée. Farid, l’administrateur système, trouve sa vie d’ingénieur télécoms insignifiante. Tous les soirs, il s’adonne à une correspondance improbable : il compose des lettres à des inconnus, des usagers qui passent leur journée devant Netflix, qu’il tente de sauver de la dépression.
Esther engendre les outils informatiques de la boîte et martyrise les sept membres de son équipe de développeurs, qu’elle appelle « mes sept nains ». Elle se demande pourquoi on utilise le même verbe – « incuber » – pour une start-up ou un virus, et termine par s’évaporer pour la Corée, à la recherche de son « vrai moi ». Martin a rejoint #InFutureWeBelieve pour lever Crisis, une louable entreprise de gestion de crise. Sur la Toile, c’est autre chose : il dispose d’un double malfaisante et multiplie les hashtags blessants.