Un fonctionnaire qui fait grève le vendredi et le lundi peut-il perdre quatre jours de salaire ?

Un fonctionnaire qui fait grève le vendredi et le lundi peut-il perdre quatre jours de salaire ?

De nombreux fonctionnaires sont mobilisés, jeudi 5 décembre, contre la réforme des retraites. Or, les agents publics sont soumis à des règles spécifiques concernant les jours de grève, et une inquiétude est apparue sur les réseaux sociaux concernant les retenues sur salaire liées à l’application d’un arrêt datant de 1978.

Ce qu’on peut lire

Selon ces messages, si un fonctionnaire fait grève le vendredi et le lundi, il se fait prélever quatre jours de paie, en incluant donc le samedi et le dimanche.

C’EST PLUS COMPLIQUÉ

En principe, dans la fonction publique d’Etat, à chaque fois qu’un agent se met en grève, un trentième de salaire est déduit sur la fiche de paie, y compris les jours où il n’est pas censé travailler (dimanche, jour férié, temps partiel…). Et ce, en vertu de deux dispositions :

  • la règle du trentième indivisible : une grève d’une heure ou d’une minute « coûte » une journée au fonctionnaire. Un trentième étant égal à une journée, c’est un seuil de retenue sous lequel il est impossible de descendre. La retenue est calculée sur l’ensemble des rémunérations : le traitement de base, mais aussi l’indemnité de résidence et les primes ;
  • l’arrêt du Conseil d’Etat du 7 juillet 1978, dit arrêt Omont :

« En cas d’absence de service fait pendant plusieurs jours consécutifs, le décompte des retenues à opérer sur le traitement mensuel d’un agent public s’élève à autant de trentièmes qu’il y a de journées comprises du premier jour inclus au dernier jour inclus où cette absence de service fait a été constatée, même si, durant certaines de ces journées, cet agent n’avait, pour quelque cause que ce soit, aucun service à accomplir. »

Ainsi, un enseignant qui déciderait de ne faire grève que jeudi 5 décembre et le lundi suivant, car il ne travaille pas le vendredi, pourrait être tout de même considéré comme gréviste de jeudi à lundi, week-end inclus. Soit cinq trentièmes de salaire.

Cet arrêt a été étendu en 2003 à l’ensemble des fonctionnaires par une circulaire qui précise : « Le calcul de la retenue peut donc porter sur des jours au cours desquels l’agent n’était pas soumis à des obligations de service (jours fériés, congés, week-end). Cela s’applique, par exemple, dans le cas d’un week-end, lorsque l’agent a fait grève le vendredi et le lundi, auquel cas la jurisprudence conduit à procéder à la retenue de deux trentièmes à raison du samedi et du dimanche. »

Une règle pas toujours appliquée

Ces dispositions pourraient décourager nombre de grévistes… Sauf que le principe de l’arrêt Omont est rarement appliqué de façon aussi rigide dans la réalité. En 2003, par exemple, lorsque les enseignants s’étaient mobilisés, déjà contre une réforme des retraites, le gouvernement avait affiché sa fermeté sur le non-paiement des jours de grève, avant d’accepter de lâcher du lest, en annonçant qu’il ne comptabiliserait pas les dimanches et les jours fériés dans le décompte des jours de grèves non rémunérés.

A l’époque, à cause de consignes peu claires, les rectorats avaient adopté des politiques différentes, attisant encore davantage la colère des enseignants. Résultat : un cafouillage au niveau national et l’impossibilité de vérifier si toutes les retenues indues avaient bien été corrigées.

Cette même attitude conciliante a été adoptée par le gouvernement lors de la grève des corrections du bac, en juin 2019 : les enseignants qui avaient fait de la rétention de notes, mais avaient finalement rendu les copies, ont eu une retenue sur salaire correspondant seulement au nombre de jours de retard (quatre ou cinq) sans inclure les week-ends, selon Jean-Michel Harvier, responsable juridique au Syndicat national des enseignements de second degré (SNES). Interrogé, le ministère de l’éducation ne nous a pas répondu.

Des stratégies de contournement

Si toutefois le gouvernement décidait de faire appliquer l’arrêt Omont, les syndicats pourraient ruser en posant des préavis de grève de vingt-quatre heures et en les renouvelant si besoin. Ce procédé permet, en effet, de contourner les effets de l’arrêt Omont en « partitionnant » la période de grève, explique Pascal Caillaud, chargé de recherche au CNRS en droit social à l’université de Nantes et membre du collectif d’enseignants-chercheurs en droit Les Surligneurs.

« Pour que la retenue sur traitement de l’agent public cesse, il faut qu’il reprenne son service avant le jour de congé ou le week-end concerné », explique-t-il : passer dans l’établissement et remplir le cahier de textes devant témoins, envoyer un mail professionnel à leur administration, entrer des notes dans les logiciels de l’établissement… Ce procédé est conseillé par certaines organisations syndicales pour le mouvement de décembre mais son efficacité n’est pas garantie, avertit M. Caillaud. En effet, il n’y a pas (encore) de jurisprudence sur ce point. Seule certitude : si un agent a posé des congés au milieu du mouvement de grève et qu’ils ont été validés, ils ne peuvent faire l’objet de retenue.

Cagnottes et caisses de grève

Dans le privé, certains mouvements sociaux se terminent par un accord de fin de conflit qui donne parfois l’occasion de négocier le paiement, l’étalement ou la compensation des jours de grève, par exemple en posant des jours de RTT. Mais ce n’est pas le cas dans le secteur public, où les consignes de non-paiement sont strictes, surtout depuis la loi sur le service garanti de 2007.

Autre subtilité : la règle du « trentième indivisible » ne concerne que les agents de la fonction publique d’Etat. Dans la fonction publique territoriale et hospitalière, les retenues sont proportionnelles à la durée de la grève : la loi de 1982 fixait ces seuils à 1/160e du traitement mensuel pour une grève inférieure à une heure ; 1/50e en cas de grève inférieure à une demi-journée et supérieure à une heure ; 1/30e en cas de grève supérieure à une demi-journée.

Les syndicats peuvent limiter financièrement les pertes de salaire par des caisses de grève, alimentées par les cotisations. Ainsi, lors de la grande grève de la SNCF du printemps 2018, la CFDT a versé à ses adhérents une indemnité de 7 euros de l’heure (soit un peu moins du smic) à partir du deuxième jour de grève. La CGT et SUD-Rail ont lancé des appels aux dons. Cela n’a toutefois pas suffi à compenser le manque à gagner des cheminots grévistes.

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LJD

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