Thomas Cook, ou la mort subite des grandes entreprises

Thomas Cook, ou la mort subite des grandes entreprises

A travers les déboires du géant du tourisme anglais, le professeur de sciences de gestion Armand Hatchuel explique, dans sa chronique, que les règles de l’audit comptable et financier semblent peu adaptées à la complexité des investissements de modernisation des grandes entreprises.

Publié aujourd’hui à 06h30 Temps de Lecture 2 min.

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« La trajectoire [du voyagiste] illustre un dilemme stratégique plus général entre croissance externe, qui vise à une position dominante du secteur, et croissance par l’innovation qui renouvelle le métier » (Palma de Majorque, le 25 septembre).
« La trajectoire [du voyagiste] illustre un dilemme stratégique plus général entre croissance externe, qui vise à une position dominante du secteur, et croissance par l’innovation qui renouvelle le métier » (Palma de Majorque, le 25 septembre). DPA / Photononstop

Chronique « Entreprises ». Il y a un mois, Thomas Cook, une des plus vieilles entreprises anglaises, un géant du tourisme, a fait faillite. Près de 600 000 vacanciers de toutes nationalités se retrouvaient, de par le monde, sans moyen de retour, imposant un rapatriement d’urgence aux frais des contribuables.

Quant aux milliers d’agents et d’hôtels qui avaient fait confiance à Thomas Cook, ils voyaient leurs créances compromises. Les faillites sont courantes mais la mort subite d’une des enseignes les plus établies du tourisme est troublante ! Beaucoup y ont vu la main invisible de la « destruction créatrice » propre aux économies de rupture. Mais ces explications n’ont pas suffi au Parlement anglais dont une commission d’enquête a réuni et publié, en un temps record, une masse de témoignages et de documents sur l’affaire.

Ces données révèlent une course en avant commencée dès 2007, avec une série de fusions et d’acquisitions qui devaient donner à Thomas Cook une taille critique mondiale, quoique au prix d’un endettement massif. Mais les bénéfices escomptés ne sont pas là et, en 2011, Thomas Cook est exsangue et remercie son dirigeant.

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L’équipe suivante s’efforce de recapitaliser l’entreprise, abandonne des filiales et engage la transformation numérique. Mais cette marche forcée passe mal et, en 2015, l’actuelle direction la remplace. Celle-ci développe des partenariats avec des acteurs du Web, comme Expedia, mais l’asphyxie financière menace toujours.

Dilemme stratégique

En 2018, la canicule et les effets du Brexit plombent la maison mère anglaise, et imposent plusieurs tentatives de recapitalisation, notamment avec l’entrée du chinois Fosun. Mais plusieurs hedge funds (fonds spéculatifs) parient sur la faillite de Thomas Cook. Acculés, les dirigeants sollicitent en vain l’aide du gouvernement anglais. La liquidation s’impose.

Ainsi la trajectoire de Thomas Cook ne reflète pas un aveuglement constant face à la mutation digitale du tourisme. Elle illustre un dilemme stratégique plus général entre croissance externe, qui vise à une position dominante du secteur, et croissance par l’innovation qui renouvelle le métier.

Des travaux récents (Laure-Anne Parpaleix, « Le capital-investissement peut-il soutenir durablement la croissance des entreprises ? Etude, modèle et conditions d’un capital-régénération », Thèse PSL/Mines ParisTech 2019) montrent que conduire l’une sans l’autre peut condamner l’entreprise à une oscillation désespérée, sous contrainte d’endettement, entre les deux stratégies.

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LJD

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