Ryanair peut-il ne pas indemniser ses passagers après un retard ou une annulation ?

Ryanair peut-il ne pas indemniser ses passagers après un retard ou une annulation ?

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Nous espérons que vous avez passé de bonnes vacances, et que vous n’avez pas fait partie des nombreux passagers affectés par la grève des pilotes de Ryanair.
Sur le seul mois de juillet, « plus d’un millier de vols » ont été annulés, selon la compagnie irlandaise à bas coût.
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Le 10 août, quelque 400 vols l’ont été, en France, en Allemagne, en Belgique, en Suède et en Irlande. La compagnie a pourtant annoncé qu’elle ne verserait pas aux passagers les indemnités prévues, en cas de retard ou d’annulation, par le règlement 261/2004 et la jurisprudence européenne.
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Grève « interne »

Son PDG, Michael O’Leary, estime qu’il peut s’en dispenser, en vertu de l’article 5 de ce règlement, selon lequel le versement de la compensation n’est pas obligatoire lorsque « l’annulation est due à des circonstances extraordinaires, qui n’auraient pas pu être évitées, même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ». Le règlement indique, dans son considérant 14, que les grèves peuvent constituer des circonstances extraordinaires, mais il ne précise pas si elles doivent pour cela être externes (aiguilleurs du ciel) ou internes (pilotes, hôtesses, stewards de la compagnie).

Les 19 et 20 juillet, l’Agence espagnole de sécurité et de sûreté de l’aviation et l’Autorité civile de l’aviation du Royaume-uni ont pourtant indiqué que les passagers pouvaient demander une indemnisation à Ryanair.  L’Autorité britannique a précisé que, selon la lecture qu’elle fait des textes communautaires, lorsqu’une annulation de vol est due à une grève des employés de la compagnie (grève « interne »), celle-ci doit indemniser les passagers.

En 2014, Air France a indemnisé les passagers dont le vol avait été annulé à cause de la grève des pilotes,  en considérant qu’il s’agissait d’une grève « interne », ne pouvant pas relever de ces circonstances extraordinaires. ⊗ Lire la chronique de Sosconso intitulée Vol annulé et circonstances extraordinaires⊗
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« Circonstance extraordinaire »

La Cour de justice de l’Union européenne a déjà rappelé quelles sont les conditions nécessaires pour qu’un événement puisse être qualifié de  « circonstance extraordinaire »,  dans l’affaire Helga Krüsemann contre TUIfly GmbH.

L’affaire en question opposait des passagers à la compagnie aérienne allemande TUIfly. Le 30 septembre 2016, la direction de TUIfly avait annoncé un plan de restructuration à son personnel, non par l’intermédiaire d’un comité d’entreprise, mais par lettre personnelle à chacun des employés. A partir du 1er octobre 2016, un grand nombre de ces derniers s’étaient mis en congé maladie, ce qui avait provoqué retards et annulations de vols. Le 7 octobre 2016 dans la soirée, la direction avait informé le personnel qu’un accord avait été trouvé avec ses représentants, et le taux d’absence était redescendu à son niveau normal.

TUIfly avait ensuite refusé ensuite  d’indemniser ses passagers, au motif qu’elle avait été confrontée à une « circonstance extraordinaire ». La Cour de justice de Luxembourg, appelée à dire si la  « grève sauvage », sans préavis, des employés de TUIfly pouvait être considérée comme une circonstance extraordinaire, a rappelé, le 17 avril (2018) qu’il faut deux conditions cumulatives pour qu’un événement puisse être qualifié de « circonstance extraordinaire » :
1) il ne doit pas être, par sa nature ou son origine, inhérent à l’exercice normal de l’activité de la compagnie aérienne
et
2) il doit échapper à la maîtrise effective de celle-ci.
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Evénement inhérent à l’exercice de l’activité …

1) Dans l’affaire TUIfly, la Cour a rappelé que « les restructurations et réorganisations font partie des mesures normales de gestion des entreprises ». Et que les compagnies aériennes peuvent être, « de manière ordinaire, confrontées, dans l’exercice de leur activité, à des désaccords, voire à des conflits, avec les membres de leur personnel ou à une partie de ce personnel ».
Elle a donc jugé que les risques découlant des conséquences sociales qui accompagnent de telles mesures de restructuration doivent être considérés comme « inhérents » à l’exercice normal de l’activité de la compagnie aérienne concernée.

Si elle était appelée à se prononcer sur le cas Ryanair, elle devrait dire si le risque de grève de pilotes réclamant des contrats de droit local plutôt que des contrats de droit irlandais est inhérent à l’exercice normal de son activité de transporteur aérien à bas coût.
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… et échappant à sa maîtrise

2) Dans l’affaire TUIfly, la Cour a considéré que la « grève sauvage », bien qu’intervenant au mépris des exigences légales (l’obligation de préavis), n’échappait pas à la maîtrise effective de TUIfly. En effet, non seulement elle « trouvait son origine » dans une décision de restructuration de TUIfly, mais en plus elle « avait cessé » à la suite de l’accord que TUIfly avait conclu avec les représentants des travailleurs le 7 octobre 2016.

La Cour devrait dire si les grèves coordonnées des pilotes d’Irlande, d’Allemagne, des Pays-Bas, de Suède et de Belgique échappaient à la maîtrise effective de Ryanair. Pour  Flightright, société qui revendique le titre de « leader européen en matière de services dédiés aux droits des passagers aériens », et qui indique avoir engagé une action en justice auprès du Landgericht de Francfort, le 14 août, la réponse est négative: « Ryanair a provoqué cette grève, par de longues années de dumping salarial et par sa tactique d’épuisement progressif dans les négociations avec les syndicats.»
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Action de groupe ?

Les passagers victimes de retards de plus de trois heures ou d’annulations peuvent faire une réclamation, soit personnellement, soit par l’intermédiaire des nombreuses sociétés qui se sont créées dans ce but (Air-indemnité, aujourd’hui associée à l’UFC-Que Choisir, SkymediatorWeclaim.comRefundMeFlightrightEUclaim,  Vol-retardé…).

S’ils le font personnellement, ils pourront, après avoir reçu une décision de refus, saisir le tribunal du lieu de départ de l’avion, soit, en France, Beauvais (Oise).

Compte tenu du nombre important de personnes concernées, et du fait qu’ils subissent tous le même préjudice, il y aurait sans doute matière pour une association de consommateurs à lancer une action de groupe.
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LJD

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