Rencontres RH : les risques du métier de DRH se sont accrus avec le Covid-19

Rencontres RH : les risques du métier de DRH se sont accrus avec le Covid-19

« Les utilisateurs des réseaux sociaux ne s’y trompent pas, lorsqu’ils lancent la campagne #BalancetonDRH qui tente de faire porter sur la seule personne d’un DRH toute la politique managériale d’une société. »

« L’expérience animale a prouvé qu’une souris qui sait quand elle va être maltraitée déprime moins que celle qui ne sait pas quand elle le sera. L’effet d’incertitude, c’est cela qui déprime une personne, comme la souris du laboratoire, car l’homme est un animal social », explique Raphaël Gaillard. Le professeur en psychiatrie et président de la Fondation Pierre-Deniker a illustré, par cet exemple, l’impact potentiel de la crise due au Covid-19 sur les salariés. Il introduisait ainsi les Rencontres RH, le rendez-vous mensuel d’actualité du management, organisé par Le Monde en partenariat avec ManpowerGroup qui a réuni le 6 avril, à Paris, une dizaine de DRH pour débattre des risques de leur métier.

« Les DRH sont à la fois sujets aux risques psychosociaux (RPS) et porteurs de la responsabilité des RPS pour toute l’entreprise. La santé mentale, on oublie toujours à quel point c’est important : un actif sur cinq est susceptible d’être en détresse liée à un trouble mental. Et plus la période dépressive est longue, plus la surface du cerveau affectée est importante », explique le professeur Gaillard. Or la crise sanitaire a renforcé les principaux facteurs associés au trouble mental : le déséquilibre vie privée-vie professionnelle, l’incertitude, le manque de soutien des collègues ou de sa hiérarchie et enfin les difficultés de communication au travail.

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Depuis le Covid, « on est en mode d’ajustement permanent, ce qui est très stressant pour tout le monde, témoigne Marc-Henri Bernard, le DRH Group de Rémy Cointreau. On a beaucoup d’humilité à essayer d’apporter des solutions, sans jamais être sûr du résultat. On a essayé d’être dans la sur-communication permanente, pour donner du sens, maintenir le lien social, en commençant par rassurer sur le maintien de l’emploi et de la rémunération. L’objectif étant que les salariés puissent se dire “L’entreprise ne m’a pas oublié” ».

« Garder ses distances »

Car l’entreprise a pris une place démesurée dans la vie des salariés, y compris celle des DRH. Elle est devenue un lieu d’affirmation du lien social et « le rôle du DRH est de renforcer la notion de corps social, estime Jean-Marie Lambert. Depuis un an, pour beaucoup, ils n’ont que l’entreprise et la maison. Le rôle de l’entreprise comme lien social est devenu plus important ». Le DRH de Veolia environnement note « qu’un certain nombre de salariés sont en souffrance. Il ne nous appartient pas de les traiter, car on n’est pas médecin, mais nous devons en tenir compte. On prend le sujet au sérieux. Mais en tant que DRH, il est primordial de garder ses distances. La vraie difficulté est d’être à l’écoute sans se sentir responsable de toute la souffrance de l’entreprise ».

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Dans la plupart des organisations, la prise en compte des risques psychosociaux des salariés s’est concrétisée par la mise en place de plates-formes téléphoniques d’écoute de psychologues. « Il y a un enjeu à être proactif pour que s’exprime la souffrance, car plus la prise en charge est précoce, plus elle est efficace. Le pire serait de faire l’autruche », alerte le professeur Gaillard. « On a également rappelé les rôles de chacun, souligne Marion Azuelos, DRH monde de BNP Paribas Asset Management. Lorsqu’un RH reprend à son compte la charge mentale, après il ne va pas bien. Il faut savoir où son rôle s’arrête et savoir renvoyer vers la santé au travail ou l’assistante sociale. »

Pour le professeur Gaillard, « il est essentiel de penser en termes de lien social » pour ne pas tomber « dans la culture de la responsabilité personnelle, particulièrement difficile à vivre ». Les utilisateurs des réseaux sociaux ne s’y trompent pas, lorsqu’ils lancent la campagne #BalancetonDRH qui tente de faire porter sur la seule personne d’un DRH toute la politique managériale d’une société. « Je ne suis pas sûr que le DRH soit plus exposé depuis le Covid, relativise Rémi Boyer, le DRH de Korian, mais il s’est considérablement rapproché de l’opérationnel, ce qui est très positif. Et il porte davantage les valeurs de l’entreprise. »

Recrudescence de la violence

Vu de sa PME de sécurité, le DRH de Panthera Alexis Berthel constate, quant à lui, une recrudescence de la violence à l’encontre des personnels des ressources humaines : « Toutes les évolutions sociétales retombent dans l’entreprise, y compris les incivilités et la violence. Tout DRH a connu des incivilités ou des agressions physiques au cours de se carrière. Mais depuis un an, les gens sont dans l’instantanéité de la violence, dit-il. On reçoit des mails assassins. Ils ne font pas la différence entre la fonction et l’individu et n’hésitent plus à passer à l’acte. Une salariée des ressources humaines a ainsi été menacée de mort pour avoir mis un employé en activité partielle. » Jean-Marie Lambert confirme que « les gens n’hésitent plus à faire de la délation sur les réseaux sociaux. Mais le plus difficile pour le DRH reste le moment où il faut se séparer de quelqu’un, le licenciement ».

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Les risques du métier de DRH ont augmenté avec le Covid, parce que la crise sanitaire a d’une part renforcé la responsabilité du lien social de l’entreprise, alors que ce lien était distendu par la digitalisation, et d’autre part provoqué de profonds changements dans l’organisation du travail portés par la fonction des ressources humaines. « Le DRH est aussi devenu plus visible », note M. Bernard.

Mais « le DRH n’est que le chef d’orchestre », rappelle Dominique Brard, la directrice générale Talent Solutions de ManpowerGroup. « Ses deux grands champs d’action sont la maîtrise de l’incertitude et celle du lien social », conclut le professeur Gaillard : une suggestion pour échapper au sort de la souris de laboratoire.

Les invités du 6 avril

Ont participé aux Rencontres RH du 6 avril : Marion Azuelos, DRH monde de BNP Paribas Asset Management ; Marc-Henri Bernard, DRH Groupe Rémy Cointreau ; Alexis Berthel, DRH de Panthera ; Rémi Boyer, DRH Groupe de Korian ; Dominique Brard, directrice générale Talent Solutions de ManpowerGroup ; Flavie Bultez, DRH de La Société charentaise d’investissements hôteliers (SCIH) ; Emilie Conte, DRH Groupe Le Monde ; Raphaël Gaillard, professeur de psychiatrie et président de la Fondation Pierre-Deniker ; Jean-Marie Lambert, DRH de Veolia environnement ; Igor de Langsdorff, directeur associé de Julhiet Sterwen ; Caroline Languillon, DRH monde de Kenzo ; Hélène Pauvert, directrice marketing Manpower ; Anne Rodier, journaliste, Le Monde ; Gilles van Kote, directeur délégué, Le Monde.

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