Réforme des retraites : politiques et syndicats divergent

Réforme des retraites : politiques et syndicats divergent

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, et Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, lors d’un débat sur les retraites, au journal « Le Monde », mercredi 26 octobre 2022.

Pour Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, il faut d’abord s’intéresser au travail des seniors et à la pénibilité, avant de s’occuper de l’équilibre financier du système. Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, plaide, lui, pour une réforme forte.

L’urgence d’une réforme

Bruno Retailleau : Trois raisons nous poussent à avancer sur cette réforme. D’abord, la démographie. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, quatre – au moins – voire cinq générations cohabitent. La France a détruit, depuis dix ans, la politique familiale, le quotient familial, les gardes d’enfants, etc. Cela se traduit par une baisse de la natalité. Nous sommes à 1 pensionné pour 1,7 personne active, demain, 1 pour 1,5 et, en 2070, 1 pensionné pour 1,3 travailleur.

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Ensuite, nous avons un problème de justice et de pouvoir d’achat des retraités. Avec Emmanuel Macron, jamais les retraites n’ont autant été appauvries. En 2019, la CFDT a chiffré cet appauvrissement à 1 250 euros par personne et par an, soit un mois de smic. La contribution sociale généralisée [CSG] et les désindexations ont touché environ 8 millions de retraités pour 4,5 milliards d’euros de baisse des pensions. Nul ne souhaite augmenter les cotisations, étant donné que les cotisations sociales sont très fortes en France par rapport aux autres pays européens.

Laurent Berger : Le déséquilibre du système est proche de 10 milliards d’euros par an, sur 320 milliards de retraites versées chaque année, soit environ 3 %. Un citoyen n’est pas en interdit bancaire à 3 % de découvert à la fin du mois. Le déficit de 3 % doit être traité, mais il n’est pas surdominant. Les réformes de 1993, de 2003, de 2010 et de 2013 ont expurgé de nombreux problèmes liés au baby-boom d’après-guerre.

Il faut cesser de croire que les Français ne travaillent pas assez. Il n’y a jamais eu autant de personnes dans l’emploi au cours des trente dernières années. L’âge moyen de départ à la retraite est proche de 63 ans. Le Conseil d’orientation des retraites considère que cet âge sera proche de 64 ans avec l’allongement de la durée de cotisation.

Le chiffon rouge de l’âge de départ

L. B. : Pour nous, à la CFDT, la question de l’âge n’est pas le meilleur indicateur. Le sujet majeur est la durée de cotisation. Nous sommes beaucoup, ici, à penser que travailler jusqu’à 65 ans sera sans doute une réalité et un désir, mais ce n’est pas le cas de nombreux autres travailleurs qui sont dans d’autres situations. La durée de cotisation s’établit à quarante ans en Suède, alors que nous irons à quarante-trois ans en France.

Je suis agacé par le présupposé que les Français ne travailleraient pas assez, et pas assez longtemps. Nous avons augmenté la durée des carrières depuis vingt ans. La réforme Touraine continue de s’appliquer, avec l’augmentation de la durée de cotisation. Le dispositif de carrière longue est prévu si vous avez travaillé quatre ou cinq trimestres avant 20 ans. Les projections de départ à la retraite sont à 64 ans. Je rappelle que huit Français sur dix sont opposés au report de l’âge légal de départ à la retraite. Je n’ai jamais pensé que les sondages devaient guider l’action publique, mais il faut en tenir compte dans le contexte actuel de conflictualité.

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Je crois au libre choix, à la solidarité entre les générations, au contrat de départ, travailler quarante-trois ans jusqu’à la retraite. L’âge, c’est faire payer un peu plus aux travailleurs les plus précaires. Je ne veux pas être de ceux qui acteront qu’il y a, dans ce pays, des salariés qui partiront en pleine forme à 65 ans et d’autres qu’on reléguera à des dispositifs de solidarité à partir de 60 ou 62 ans, parce qu’ils seront cassés.

B. R. : Au Sénat, nous proposons de faire les deux : repousser l’âge à 64 ans et accélérer la réforme Touraine. Il faut les deux pour équilibrer. La Caisse nationale d’assurance vieillesse a comparé deux hypothèses, celle d’un départ à 65 ans et une autre sans âge, mais avec quarante-cinq annuités. Dans ce dernier cas, les gens ont tendance à partir avant, sans avoir rempli toutes leurs annuités, et ils touchent donc une pension bien plus faible.

Les seniors au travail

L. B. : Un patron d’une grande entreprise de l’aéronautique m’a dit qu’en reculant l’âge de départ à la retraite, au lieu de faire partir les gens à 59 ans, on les fera partir à 60 ans. C’est une hypocrisie : gardez-les ! 40 % des personnes qui partent à la retraite ne sont déjà plus en emploi : ils sont en invalidité ou au chômage sans accompagnement d’un plan d’entreprise, aux minima sociaux, en l’absence d’autres droits, etc.

J’en ai assez des entreprises qui disent qu’il faut aller jusqu’à 65 ans et qui se séparent des gens avant en faisant porter l’indemnisation sur les régimes sociaux ou, pour d’autres, sur les fonds propres de l’entreprise. Il faut gérer la question des retraites autrement que comme un couperet. Aujourd’hui, on part à la retraite le vendredi soir, en travaillant à fond jusqu’à la dernière minute, on éteint la lumière et on s’en va. Ce devrait être plus progressif.

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Il faut traiter le sujet du travail en amont. L’emploi des seniors est aussi une source de financement. Le taux de l’emploi des 55-64 ans s’établit à près de 77 % en Suède, contre 56 % en France, ce qui est problématique. Nous plaidons pour poser les sujets et que le gouvernement prenne ses responsabilités.

B.R. : On ne peut pas envisager une retraite totalement à la carte. Il faut des règles de durée de cotisation, des règles d’âge légal de départ. Ensuite, on traite. Il vaut mieux, à partir de règles collectives, traiter des questions de transition professionnelle, de carrières longues, de pénibilité, des cas où le travail devient pesant et où on ne peut pas faire durer des gens trop longtemps.

La méthode

L.B. : Dans un pays à peu près mature démocratiquement, on pourrait débattre de ce que serait le nouveau pacte social sur l’emploi, les retraites, le travail, la protection sociale, dans un texte qui engloberait le tout. Là, on a déjà commencé la vente à la découpe. Le sujet travail, on ne sait pas bien l’appréhender, donc on va le laisser. Il y a des propositions qui ne sont pas toutes législatives. Nous plaidons pour cela : discutons de l’emploi, du travail et des retraites dans un texte global, au début de 2023.

B. R. : Le gouvernement va utiliser le vecteur d’un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale [PLFRSS], car il peut utiliser autant de 49.3 qu’il souhaite sur le reste des textes budgétaires. Mais on ne peut y mettre que des sujets qui touchent les finances de la Sécurité sociale. Donc les mesures qui touchent le code du travail dont on parle actuellement feraient plutôt l’objet d’une loi ad hoc. Si le gouvernement utilise le [PLFRSS], ce n’est pas parce que c’est le meilleur vecteur pour une réforme globale des retraites, c’est à cause de la situation de l’Assemblée nationale et du fait qu’il n’a pas sa majorité.

Le risque social

B. R. : Le gouvernement Macron fait ce qu’ont fait tant de gouvernements en France : il réduit la politique à une simple question de coûts sociaux. On a désormais la dépense publique la plus forte au monde. Est-on mieux éduqué pour autant ? Est-on mieux soigné, plus en sécurité ? Il faut le courage de réformer l’hôpital, la santé, l’école, d’avoir une nouvelle politique pénale, mais c’est ce courage que nous n’avons pas. Du coup, la tentation est grande de dire : « Mon butin, ce sera la réforme des retraites. »

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L. B. : Ce qui peut se passer en janvier 2023, c’est une forme de révolte de ces fameux travailleurs de seconde ligne, si utiles durant la crise sanitaire, qui auront le sentiment qu’on va leur marcher dessus. Si le projet passe par deux textes différents, avec, d’un côté, des mesures paramétriques dures, notamment sur l’âge de départ et de l’autre des promesses sur la pénibilité, pas un adhérent CFDT ne croira à la loyauté de cet engagement. Je crains beaucoup de sécessions.

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LJD

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