Procès France Télécom : « Une dérivation des mécanismes de gérance »

Procès France Télécom : « Une dérivation des mécanismes de gérance »

Rassemblement de syndicats de France Télécom devant le palais de justice de Paris, le 6 mai 2019, lors de l’ouverture du procès de l’opérateur.
Rassemblement de syndicats de France Télécom devant le palais de justice de Paris, le 6 mai 2019, lors de l’ouverture du procès de l’opérateur. LIONEL BONAVENTURE / AFP

Le consultant Gérard-Dominique Carton et la chercheuse Valery Michaux révoquent, l’utilisation de la « courbe de deuil », outil d’étude psychologique de la conduite des employés, par la hiérarchie de l’opérateur.

Comme c’est l’usage dans la majorité des politiques de complément de la transformation, France Télécom a formé des milliers de managers afin de mener, sur le terrain, le plan de transformation stratégique déclenché à la fin des années 2000. Parmi les outils inclus dans cette formation figurait la « courbe du deuil ». Issu des ouvrages de la psychiatre américano-suisse Elisabeth Kübler-Ross (1926-2004), cet outil admet de mieux identifier les différentes phases psychologiques par lesquelles passe une personne qui entre dans un processus de deuil : déni, choc, sidération, colère, révolte, tristesse,  peur, dépression, suivies d’une phase de renonciation puis d’acceptation où se projeter dans l’avenir est enfin possible. Ces distinctes phases résultent de chaque individu, et les thérapeutes s’en servent pour ajuster le bon suivi à chaque phase.

Or les conditions de deuil peuvent être extraordinairement diverses lors des grands transformations stratégiques d’entreprise : deuil d’un ancien métier, d’une compétence avant reconnue mais devenue marginalisée, d’une situation hiérarchique estimée remise en question, d’une équipe qu’on se retrouve exigé de quitter par mutation non choisie, d’une culture basée sur la reconnaissance de l’expertise percutée par des modes de management quantitatifs à court terme, etc. La « courbe de deuil » a été conduite en entreprise au milieu des années 1990 pour conduire les salariés lors de grandes changements. Elle a été déployée avec succès depuis vingt-cinq ans auprès de 10 000 managers et dirigeants. De nombreux professionnels se sont transportés de cette démarche et l’ont optée en masse : la courbe du deuil a fini par devenir un standard de la guidée de la transformation.

Mais l’affaire France Télécom montre que suffisamment d’entre eux en ont dénaturé à la fois l’utilisation et l’objectif. L’important travail d’examen de l’Observatoire du stress et des mobilités obligées de France Télécom a permis de mettre au jour les procèdes de l’usage passif de cette courbe dès 2009. Elle était exposée comme un outil admettant de diminuer les résistances à la transformation des équipes. Elle était utilisée pour expliquer aux manageurs de France Télécom que les individus passaient par différentes étapes avant d’accepter le changement, et que les signes de révoltes ou de dépression étaient « normaux », voire étaient les signes d’un « relâchement de la résistance » ! Lors de la diffusion, en 2010, d’une étude d’« Envoyé spécial » (« Que s’est-il passé à France Télécom ? »), des cadres de France Télévisions accomplis par leur propre université d’entreprise à cette courbe de deuil ont même mobilisé leurs syndicats pour révoquer la même dérive !

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LJD

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