Procès France Télécom : le regard du romancier Vincent Message

Procès France Télécom : le regard du romancier Vincent Message

L’écrivain Vincent Message, qui publiera à la rentrée un roman sur la souffrance au travail, a assisté, pour « Le Monde », aux audiences du tribunal correctionnel de Paris sur le harcèlement moral subi par les employés du groupe

Par Vincent Message Publié aujourd’hui à 06h00, mis à jour à 08h43

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« Avez-vous déjà pensé sérieusement à vous suicider ? » La question flotte dans la salle d’audience aux tons clairs. Posée lors d’une enquête IFOP, elle est reprise à la barre par le professeur de médecine Michel Debout, témoignant à l’appel des parties civiles au procès France Télécom. Dans la population générale, explique le fondateur de l’Observatoire national du suicide, 20 % des personnes interrogées répondent « oui ». Parmi celles qui estiment avoir un travail facteur d’équilibre dans leur existence, les réponses positives atteignent encore les 12 %. Mais les personnes qui ont subi un harcèlement au travail, elles, sont 42 % à avoir réfléchi à mettre fin à leurs jours. Le chiffre dit la place que le travail prend dans nos vies, et l’impact ravageur qu’il peut avoir sur nous.

Gilles Rapaport

La justice se rend en public. On le sait en théorie, mais on a rarement le temps d’en faire l’expérience en personne. Pour ma part, le procès France Télécom, qui s’est ouvert le 6 mai, est le premier dont je suis les audiences au long cours. Les bâtiments du palais de justice sont flambant neufs et les enjeux du procès, inédits : c’est la première fois que les dirigeants d’une grande entreprise française sont jugés pour harcèlement moral. Sur les bancs des prévenus, ils sont sept à devoir rendre compte de la politique qu’ils ont menée pour redresser l’entreprise entre 2005 et 2010. Sous la pointe de l’iceberg que constituent les 19 décès et les 12 tentatives de suicide dont le tribunal est saisi, ce sont des milliers de salariés qui ont été fragilisés par la réorganisation à marche forcée de l’opérateur dans le cadre du plan Next et de son volet social Act.

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J’ai décidé de me rendre régulièrement aux audiences de ce procès car cela fait dix ans que je m’intéresse aux métamorphoses du capitalisme contemporain et à la question de la souffrance au travail. Le roman que j’y ai consacré, et qui paraît mi-août, a pris forme au moment de la crise des subprimes, qui a coïncidé avec l’entrée de ma génération sur le marché de l’emploi. La crise que traversait France Télécom n’était alors qu’un des exemples des effets que la pression économique exerce sur nos corps et sur nos esprits, mais elle a acquis avec les années une valeur emblématique. Entre l’exercice de la justice et l’art du roman, du moins quand il est pratiqué dans un esprit de pluralisme, il m’a toujours semblé y avoir de solides points communs : ce sont des espaces où les discours entrent en confrontation, où on se donne les moyens d’entendre toutes les voix ; on est incité à s’y méfier des jugements hâtifs et à prendre le temps de raisonner à charge et à décharge. C’est le sens de ma présence ici : aller au-delà de ce que j’ai pu lire sur le sujet et me faire ma propre opinion.

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LJD

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