Partout dans le monde, des acteurs s’organisent pour conformer l’économie de plate-forme au droit social

Partout dans le monde, des acteurs s’organisent pour conformer l’économie de plate-forme au droit social

Une enquête comparative internationale montre que ce n’est pas le modèle économique des plates-formes qui limite les droits des travailleurs, mais les choix managériaux de certaines d’entre elles, note dans une tribune au « Monde » le chercheur Christophe Degryse.

Publié aujourd’hui à 18h00 Temps de Lecture 5 min.

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« Depuis peu émergent des acteurs qui tentent de lutter contre cette forme d’évasion sociale, ou de désertion du champ des relations collectives. Parmi ces acteurs, les premiers sont les travailleurs eux-mêmes. »
« Depuis peu émergent des acteurs qui tentent de lutter contre cette forme d’évasion sociale, ou de désertion du champ des relations collectives. Parmi ces acteurs, les premiers sont les travailleurs eux-mêmes. » Ingram / Photononstop

Tribune. C’est une forme d’aveu qu’a fait Uber dans son prospectus d’entrée en Bourse. Dans un avertissement aux futurs investisseurs, la société prévient que son « modèle d’affaire » est construit sur l’interprétation juridique selon laquelle ses chauffeurs ne sont pas ses employés. Si, écrit Uber, des décisions de justice devaient réfuter cette interprétation, et si donc l’entreprise devait respecter les lois sur les salaires, les horaires de travail, les cotisations de Sécurité sociale et les congés, elle devrait « modifier fondamentalement [son] business model », ce qui aurait un impact négatif sur ses résultats.

Le respect du droit social est-il donc un « facteur de risque » pour l’entreprise et ses investisseurs ? Une approche juridique comparative de l’économie de plate-forme dans neuf pays d’Europe et aux Etats-Unis réalisée par le Centre de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale (Comptrasec, université de Bordeaux) montre comment les stratégies déployées par certaines plates-formes visent à trouver dans les interstices du droit national le moyen d’échapper à ce « facteur de risque ».

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L’argument avancé est connu : les plates-formes ne seraient pas des entreprises comme les autres, mais des services des technologies de l’information, ou des « places de marché ». Elles n’auraient à ce titre aucune responsabilité vis-à-vis de leurs collaborateurs, travailleurs libres et indépendants.

Un brouillard juridique

A ce jour, aucun des pays examinés dans l’étude citée n’a apporté de réponse claire à cette question. Dans certains pays, le statut des travailleurs de plates-formes fait l’objet d’un début de jurisprudence, mais bien souvent contradictoire. En Espagne, en Italie, aux Etats-Unis, des décisions de justice sont prises allant dans des directions parfois diamétralement opposées pour des cas semblables.

Dans d’autres pays, c’est l’argument politique de ne pas entraver ce nouveau moteur de croissance qui l’emporte, favorisant l’adoption de lois pour le moins contestables d’un point de vue juridique. En Belgique, le travail sur plates-formes est dispensé de toute obligation sociale ou fiscale jusqu’à un seuil de 6 000 euros par an : une légalisation du travail au noir ? Au bout du compte, le résultat de ce brouillard juridique se reflète dans les conditions de travail des travailleurs de plates-formes : rémunérations souvent inférieures au salaire minimal, insécurité juridique, irresponsabilité organisée de l’employeur, accès verrouillé aux droits sociaux et à la négociation collective.

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LJD

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