Au Kenya, un sénateur veut protéger les entreprises de la tech de poursuites de leurs salariés

Plusieurs dizaines d’anciens salariés de Facebook viennent consulter leur avocate, Mercy Mutemi, devant le tribunal de Milimani, à Nairobi, le 12 avril 2023.

« Une tentative inquiétante de créer un système contemporain d’exploitation de maître à esclave. » C’est par ces mots que le Kenyan Union of Gig Workers (Kugwo), le syndicat des professionnels des « petits boulots », a réagi à une proposition d’amendement du sénateur Aaron Cheruiyot, président du groupe majoritaire à la haute assemblée kényane.

Le parlementaire a proposé, le 26 novembre, d’interdire aux salariés kényans travaillant pour des entreprises de la tech de poursuivre en justice leur employeur. L’amendement était présenté dans le cadre d’un projet modificatif de la loi sur le droit des affaires.

Selon le sénateur, interdire les poursuites judiciaires contre les donneurs d’ordre permettrait de rendre le Kenya plus compétitif sur le marché mondial des technologies, un secteur très concurrentiel dans lequel les sociétés de sous-traitance jouent un rôle clé. Ces dernières emploient « actuellement des milliers de personnes et pourraient en employer des millions [à l’avenir] », a estimé le sénateur dans un long post publié sur X.

« Proposition régressive »

La proposition d’amendement intervient deux mois après qu’une cour de justice kényane a jugé recevable la plainte de 185 anciens salariés de Facebook contre leur employeur pour licenciement abusif. Facebook refusait jusque-là à la justice kényane le droit de juger sur le fond de l’affaire.

« C’est une proposition régressive, dénonce Brian Ellam, le secrétaire général du Kugwo. Qu’il travaille à distance ou sur site, chaque travailleur kényan a le droit à un traitement juste, à la justice et à demander des comptes à ses employeurs. » Dans un communiqué, le syndicaliste a rappelé que la Constitution garantissait à chacun de ses citoyens le droit à « des pratiques de travail équitables » ainsi « qu’une représentation et un accès à la justice (…). Toute tentative pour miner ces garanties n’est pas seulement régressive mais aussi anticonstitutionnelle ».

Dans son post sur X, Aaron Cheruiyot a cherché à expliquer sa démarche : la future loi interdirait aux salariés de poursuivre les sociétés donneuses d’ordre (comme Facebook et sa maison mère Meta) mais non leurs sous-traitants, installés sur le sol kényan. « Dans le cadre des obligations contractuelles que les sous-traitants passent désormais avec le propriétaire du service, il y a l’engagement d’observer certaines normes de travail et de gérer tous les conflits liés aux ressources humaines avec leurs employés dans les pays dans lesquels ils opèrent. Cela signifie-t-il que les Kényans travailleront dans des conditions suspectes ? Absolument non. Puisque les sous-traitants, comme tout autre employeur, sont soumis à nos lois », a-t-il expliqué.

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Ubisoft met un terme à son jeu « XDefiant », avec de nouveaux licenciements à la clé

Dans un mémo interne diffusé sur son site Internet, dans la nuit de mardi 3 à jeudi 4 décembre, l’éditeur français Ubisoft annonce le licenciement de 277 personnes à travers le monde. Sont concernés l’intégralité du studio Ubisoft San Francisco, où travaillent 143 personnes, ainsi que la totalité d’Ubisoft Osaka et une partie d’Ubisoft Sydney, cumulant à eux deux 134 autres employés congédiés.

Cette décision accompagne une autre annonce inattendue : celle de l’arrêt de leur jeu de tir en ligne gratuit XDefiant, lancé le 21 mai. Il n’est d’ores et déjà plus possible de télécharger le titre ou de créer un compte, et la fermeture définitive des serveurs est prévue le 3 juin 2025.

« Le jeu est loin d’atteindre les résultats requis pour permettre d’autres investissements significatifs, et nous annonçons que nous allons y mettre fin », déclare Marie-Sophie de Waubert, responsable des studios de l’éditeur. Cet arrêt brutal contraste avec les commentaires récents de Mark Rubin, le producteur exécutif du jeu, qui expliquait le 15 octobre sur le réseau social X qu’il « n’y avait aucun projet d’arrêter le jeu ».

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Une mauvaise passe qui se poursuit

D’après le site Game Industry Layoffs, qui recense les différents plans de licenciements du secteur, Ubisoft se serait déjà séparé d’au moins 378 personnes en 2023 et en 2024, et ce sans compter les nouvelles suppressions de postes annoncées mardi. Ubisoft, qui dit employer encore 18 666 personnes, déclarait également à ses investisseurs, fin octobre, avoir réduit ses effectifs de plus de 2 000 personnes sur les 24 derniers mois (ce qui inclut les licenciements mais aussi le non-renouvellement de postes après des départs).

Si la crise touche l’intégralité de l’industrie du jeu vidéo, qui connaît un nombre de licenciements record depuis 2023, la séquence que traverse Ubisoft semble particulièrement difficile. L’éditeur a subi une succession d’échecs commerciaux – à l’image de son dernier titre Star Wars Outlaws dans lequel il plaçait beaucoup d’espoirs –, d’annulations et de reports provoquant une défiance grandissante des actionnaires envers la direction et surtout Yves Guillemot, fondateur et patron historique de l’entreprise. Ubisoft doit également faire face à un mécontentement général de sa base salariale, qui proteste notamment contre les nouvelles révisions de la politique de télétravail au sein du groupe.

La situation de XDefiant rappelle dans une moindre mesure celle du jeu Concord, brusquement retiré des étals le 6 septembre par Sony, à peine quinze jours après sa sortie, à cause de ventes catastrophiques. A la fin d’octobre, l’éditeur avait fermé le studio Firewalk qui l’avait développé, provoquant la destruction de 50 à 200 emplois.

Rectificatif le 4 décembre à 12 h 40 : correction d’une erreur dans le nombre total de personnes concernées par les derniers licenciements.

Le Monde

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Sous pression judiciaire et financière, Glovo promet de salarier ses livreurs en Espagne

Des livreurs travaillant pour les entreprises Glovo et Uber Eats, à Madrid, le 2 décembre 2024.

Des inspections du travail massives, de lourdes amendes et l’ouverture d’une procédure pénale : en Espagne, le gouvernement aura dû employer les grands moyens pour faire plier Glovo. Lundi 2 décembre, la plateforme espagnole de livraison de repas à domicile a finalement annoncé, dans un communiqué, sa décision de passer « d’un modèle de travailleurs indépendants à un modèle fondé sur le salariat pour ses livreurs en Espagne », comme l’exigeaient les tribunaux espagnols et la loi « Riders » approuvée en 2021. Près de 15 000 coursiers pourraient être concernés.

Le fait que le fondateur et patron de Glovo, Oscar Pierre, avait le lendemain un rendez-vous important avec la justice, n’est probablement pas étranger à ce revirement. Mardi 3 décembre, le chef d’entreprise de 32 ans a été entendu par un juge d’instruction de Barcelone, en vertu d’une plainte déposée par le parquet pour des délits contre les droits des travailleurs, passibles de six mois à six ans de prison. A la sortie du tribunal, son avocat a nié que la décision de salarier les livreurs soit « une stratégie de défense ».

« Les lois sont faites pour être respectées », s’est félicitée Yolanda Diaz, ministre du travail et cheffe du mouvement de la gauche radicale Sumar, qui gouverne en coalition avec le Parti socialiste ouvrier espagnol. « Aucune grande entreprise n’est au-dessus des lois. La démocratie gagne. Un jeune avec un téléphone portable dans la main n’est pas un entrepreneur », a-t-elle ajouté, se félicitant que la loi « Riders » aura permis de salarier près de 60 000 livreurs en Espagne depuis 2021.

265 millions d’euros de cotisations non versées

Selon le groupe allemand Delivery Hero, qui a racheté Glovo en 2022, le changement de modèle devrait supposer un impact négatif de 100 millions d’euros sur le revenu brut d’exploitation en 2025. Cependant, il espère ainsi mettre fin à une « incertitude juridique » autour de ses activités en Espagne bien plus coûteuse. Celle-ci l’a obligé à augmenter ses fonds de contingence pour qu’ils puissent couvrir entre 440 000 et 770 millions d’euros de « contributions à la Sécurité sociale, d’amendes, de réclamations de TVA et autres charges correspondant à la période allant jusqu’à la fin de 2024 ». Selon le ministère espagnol du travail, Glovo doit 265 millions d’euros de cotisations sociales non versées. La compagnie a, en outre, écopé de nombreuses amendes ces dernières années, qui s’élevaient, début 2023, à plus de 200 millions d’euros.

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Comment l’après-Tavares se dessine pour Stellantis

Carlos Tavares (au centre), PDG de Stellantis, et John Elkann, président de Stellantis, à Douvrin (Pas-de-Calais), le 30 mai 2023.

Il s’est écoulé un long moment après la réunion du conseil d’administration de Stellantis, dimanche 1er décembre, avant que le constructeur automobile puisse confirmer « la démission avec effet immédiat » de son emblématique directeur général, Carlos Tavares. Ce dernier a discuté pied à pied les termes du communiqué. Négociateur connu pour sa rudesse et son exigence, il a posé des conditions sur son indemnité de sortie.

Le montant n’a pas été révélé. Mais tout le monde a en tête le chèque encaissé par le patron américain de Fiat Chrysler, Mike Manley, lorsque ce dernier a quitté le groupe après la fusion avec PSA, laissant la place de numéro un au patron européen : 51 millions d’euros. On connaît aussi les rémunérations faramineuses accordées à Carlos Tavares : 36,5 millions d’euros en 2023, 23,5 millions d’euros en 2022 et 19 millions en 2021, selon le rapport financier du constructeur.

Ces sommes contiennent toutefois des éléments variables qui ne sont effectivement dus que si certains objectifs – sur l’évolution du cours de Bourse notamment – sont atteints. C’est donc l’heure des comptes. « L’indemnité ne va pas au-delà de ce qui est prévu dans son contrat », assure une source proche des actionnaires de référence de Stellantis. Mais le sujet du chèque de départ n’est pas la seule question levée par cette éviction choc. Passage en revue.

Comment Stellantis va-t-il fonctionner sans son directeur général ?

Le processus de sélection du successeur de Carlos Tavares étant en cours, c’est le président du conseil d’administration, John Elkann, représentant de la famille Agnelli, qui assure par intérim la direction du groupe. Ce dernier est tout de suite parti à Detroit (Michigan), à la rencontre des équipes américaines de Stellantis. Il a surtout voulu présenter dès lundi la nouvelle organisation de la direction, « pour montrer qu’il n’y a pas de latence opérationnelle », insiste un porte-parole du constructeur.

John Elkann a commencé par faire revenir un homme de confiance : l’ancien directeur financier de Fiat Chrysler (FCA), Richard Palmer, qui sera son conseiller spécial. Il avait quitté le groupe en 2023. Carlos Tavares l’avait remplacé par Natalie Knight, venue de la grande distribution, pour améliorer la communication financière. Elle n’a tenu que quelques mois, remerciée en octobre.

John Elkann a mis fin à l’organisation en râteau de Carlos Tavares. Celui-ci avait une top executive team de 35 personnes, qui lui rapportaient tout directement. Cet automne, pour plus d’efficacité, elle avait été resserrée à… 29 personnes. Carlos Tavares la réunissait tous les mardis à distance, convaincu qu’il pouvait déceler leurs humeurs et les contrariétés de chacun en scrutant les petites vignettes de sa tablette de visioconférence.

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L’intelligence artificielle envahit doucement le monde de l’édition

Un livre pour enfants qui a l’air totalement anodin, voire un peu gnangnan, mais se vend au prix fort chez tous les libraires en ligne. On ne trouve pourtant nulle trace de biographie de son autrice. A-t-il été écrit par une femme en chair et en os ? Ou entièrement par une intelligence artificielle (IA) ? Au cours des 25es Assises du livre numérique, qui se sont tenues jeudi 28 novembre à la Bibliothèque nationale de France, Arnaud Robert, secrétaire général d’Hachette Livre et président de la commission juridique du Syndicat national de l’édition (SNE), a clairement penché pour la seconde hypothèse, en présentant la couverture de ce livre sur un écran de 4 mètres sur 3. Même si rien ne l’indique sur la couverture. M. Robert a souligné l’avalanche de livres écrits par IA, « au point où les “vrais” ouvrages risquent de disparaître dans un magma d’ouvrages qui ne sont pas écrits par des humains ».

D’autant plus que ces derniers sont systématiquement soutenus par des centaines de commentaires élogieux, eux aussi élaborés par des IA. Même si Amazon a imposé, en décembre 2023, qu’une même « personne » ne puisse pas publier plus de trois livres par jour sur sa plateforme d’autoédition Kindle Direct Publishing, le flux de production ne cesse d’augmenter. Face à cette menace, le SNE a décidé de porter l’affaire sur un terrain juridique et vient de mandater un avocat qui analysera la licéité de ce type de livres.

L’IA investit déjà de nombreux champs de l’édition. Selon Virginie Clayssen, directrice du patrimoine et de la numérisation chez Editis et présidente de la commission numérique du SNE, « tous les éditeurs travaillent depuis deux ans avec de l’IA, le plus souvent dans des phases de test ».

La société américaine Veristage a ainsi créé Insight, une plateforme d’IA qui leur est destinée. Lancée par deux pointures de l’édition, Thomas Minkus et Thomas Cox, elle permet, selon ce dernier, d’analyser des documents et de « rationaliser l’ensemble du cycle de vie de la publication ». Insight comprend des outils permettant d’extraire des données dans un manuscrit (résumés sur les personnages, l’intrigue, les lieux…), de traduire des livres en cinq langues et de produire à vive allure des livres audio. La plateforme suggère également des textes pour les quatrièmes de couverture, des campagnes de marketing destinées aux réseaux sociaux, des légendes et des images… Et elle peut aussi analyser les ventes d’un ouvrage. Des pans entiers de l’édition sont donc concernés. « J’entends beaucoup de gens avoir des inquiétudes sur les emplois. Moi, je ne connais pas un seul éditeur qui ne soit pas surchargé de travail », affirme M. Cox, qui se veut rassurant, sans convaincre pour autant.

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Hausse de 4 % du coût moyen par poste de travail

C’est la hausse du coût moyen par poste de travail en 2023 sur toute la France. Après une progression marquée et continue du coût de l’environnement de travail depuis 2020, la tendance haussière semble ainsi doucement ralentir avec un coût de 11 051 euros par poste de travail en 2023, contre 10 668 euros l’année précédente, a révélé l’IDET, l’association des professionnels des environnements de travail, lundi 2 décembre. « Mais la hausse du coût de l’environnement de travail serait bien supérieure s’il n’y avait pas eu le “flex office”. Pour cet exercice, on a eu moins de postes de travail – (105 000) que de collaborateurs (126 000) – », commente Hubert Labouche, secrétaire général adjoint, chargé des études de l’IDET.

Cette association professionnelle représentant la filière des environnements de travail analyse chaque année les dépenses des entreprises consacrées à l’environnement de travail (postes de travail, services aux collaborateurs, sécurité, consommables, performance environnementale…) pour établir les « Buzzy Ratios ». Déterminés à partir des budgets des services généraux, ils intègrent les coûts directs (loyers, maintenance, fourniture de services, etc.) et les coûts indirects (fournitures, téléphonie, flotte de véhicules, etc.).

Ce qui permet de suivre l’évolution du coût de l’environnement de travail par poste et d’en comprendre les causes. « Les trois tendances importantes de l’année sont l’inflation, qui a réévalué les coûts des contrats de location, le “green building”, qui nécessite des investissements, et la qualité de vie au travail, qui exige de nouveaux espaces pour le travail hybride », explique M. Labouche. « En surveillant de près les fluctuations des besoins en espace, ces professionnels ont réussi à minimiser la hausse des dépenses immobilières dans les entreprises », commente l’IDET. C’est ainsi que la moindre hausse de 4 % en 2024 recouvre, en fait, une hausse du prix de l’immobilier qui a été compensée par l’usage flexible des bureaux.

La révision des suppressions de postes d’enseignants, un enjeu suspendu à l’instabilité politique

La situation n’a rien de banale pour l’éducation nationale. Alors que le ministère doit présenter, à la mi-décembre, la répartition des moyens humains par académie afin que la rentrée 2025 puisse être préparée au mois de janvier comme il est de rigueur, le nombre de postes prévus dans le projet de loi de finances (PLF) 2025 n’est toujours pas arrêté. Dans son projet initial, le gouvernement a programmé la suppression de 4 000 emplois d’enseignants, faisant supporter à l’éducation nationale 90 % des baisses d’emploi de fonctionnaires. Ce choix suscite cependant une opposition unanimement partagée sur les bancs parlementaires… y compris parmi les composantes du « socle commun », qui soutient le gouvernement.

Lundi 2 décembre, au Sénat, le seul débat en séance publique sur la mission « enseignement scolaire » – après le rejet de la partie recettes du PLF à l’Assemblée nationale, la partie dépenses n’a pas été discutée – a abouti à un vote unanime (340 voix pour, sur 340 votants) des élus pour réduire ces suppressions de postes à 2 000. Cette réévaluation du « schéma d’emploi », selon l’expression budgétaire, ne concerne que le premier degré, pour lequel le PLF prévoit 3 815 enseignants en moins.

Le rapporteur spécial des crédits de la mission, le sénateur de l’Oise Olivier Paccaud (divers droite) avait déposé un amendement en ce sens au nom de la commission des finances. « Cette baisse du nombre d’enseignants du premier degré représente un risque, notamment pour les écoles situées en territoire rural, probablement plus soumises à des enjeux de fermeture de classe », avait-il fait valoir dans son rapport. A l’argument démographique avancé par le gouvernement pour justifier la réduction du nombre d’enseignants, le rapporteur a opposé que « la politique ne saurait se résumer à un exercice purement comptable », rappelé les taux d’encadrement de la France, bien moins bons que dans le reste de l’Union européenne, et fait valoir le risque de « désaménagement du territoire » pour plaider pour « une baisse plus mesurée ».

La ministre « ouverte » à la discussion

Si tous les groupes ont soutenu cette position, il s’agit d’une solution minimale pour les groupes de la gauche de l’Hémicycle (écologistes, socialistes, communistes). Tous avaient déposé des amendements pour rétablir intégralement les postes supprimés, au nom du même argument appelant à faire de la baisse démographique une « opportunité » pour améliorer les conditions d’enseignement. La sénatrice écologiste de Gironde Monique de Marco a également défendu des créations de postes pour compenser les 8 865 suppressions d’emplois décidées dans le second degré depuis 2017, en dépit d’une hausse du nombre d’élèves. Tous ont été rejetés.

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Les facteurs en première ligne face aux mutations de La Poste : « On n’a plus le temps du contact avec les gens, faut faire du chiffre »

C’est une plainte qu’on n’entend pas. Qui prête attention à la grève de quinze facteurs par ci, dix-huit postiers là ? Pourtant la lecture de la presse quotidienne régionale, qui recense cette litanie de conflits de quelques jours, partout sur le territoire, finit par interroger.

Citons, dans le désordre depuis un an, la grève à Saint-Malo et Dinard (Ille-et-Vilaine), celle à Evreux (Eure), à Mirande (Gers), à Bétheny (Marne), à Bastillac (Haute-Pyrénées), à Bayonne (Pyrénées-Atlantique), à Saint-Junien (Haute-Vienne) ou Chelles (Seine-et-Marne) et encore, ce mercredi 27 novembre, à Audierne (Finistère). Il en est presque un nouveau chaque semaine.

Le motif du mécontentement ? Toujours le même. « Les personnels dénoncent la suppression de deux tournées de distribution, dans le cadre d’une nouvelle organisation en place depuis octobre », nous apprend ainsi Le Télégramme cette semaine. A Mirande ? Ils soulignaient « des réductions de postes et l’alourdissement de la tâche de travail dans le cadre d’un plan de réorganisation ». A Saint-Malo ? A Saint-Junien ? « Une réorganisation », encore.

Diversification de l’activité

C’est que les facteurs vivent un grand moment de mutation. Les colis remplacent les cartes postales. En 1990, « 70 % du chiffre d’affaires de La Poste » était porté par le courrier, un taux qui tombera « à 15 % à la fin de l’année » 2024, rappelait en avril son PDG, Philippe Wahl, devant des sénateurs. Cette baisse continue des volumes oblige le groupe à se réinventer et à diversifier son activité en proposant de nouvelles prestations. La Poste projette, par exemple, que sa livraison de repas aux personnes âgées, en plein essor, devienne la première activité des facteurs en 2035. Ces derniers ne contestent pas la nécessité d’une évolution du modèle et du métier. Mais celle-ci n’est pas indolore.

Lire le portrait : Article réservé à nos abonnés Philippe Wahl, l’homme qui veut sauver La Poste

« Chaque bureau est réorganisé tous les deux ans, ce qui est surtout une façon de supprimer des tournées et des emplois de façon régulière. Voilà pourquoi il y a des conflits partout », résume Pascal Frémont, secrétaire fédéral de SUD-PTT pour les Pays de la Loire. Une tournée supprimée, ce sont autant de rues réattribuées aux autres.

La Poste souligne que le nombre de journées de grève est en recul constant ces dernières années – 15 100 en 2023 et 13 600 en 2024. Et pourtant. « A Saint-Junien, c’est 90 % des collègues qui se sont mis en grève. Ils n’arrivent déjà pas à finir dans les temps les tournées décidées par la dernière réorganisation qu’on leur en sort une nouvelle. Il y a une fatigue générale, une vraie souffrance au travail », relate Laurent Madore, secrétaire général de la CGT-FAPT Haute-Vienne.

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Défaillances d’entreprises, plans sociaux, restructurations : une marée montante

ArcelorMittal qui annonce la fermeture de ses sites à Reims et à Denain (135 salariés) le 25 novembre, Le Coq sportif (330 salariés) placé en redressement judiciaire deux jours plus tôt, le sort des 450 salariés de l’usine chimique Vencorex suspendu jusqu’en mars, et, dernier en date, mercredi 27 novembre, 868 suppressions de postes chez l’équipementier automobile Valeo… L’annonce de la fermeture de deux sites Michelin et d’un plan de restructuration chez Auchan, actant le licenciement de près de 4 000 salariés en une seule journée mardi 5 novembre, a fait figure d’électrochoc. Le moral des Francais s’en ressent : leurs craintes face au chômage sont au plus haut depuis mai 2021, indique l’Insee, mercredi 27 novembre.

Annoncée depuis plusieurs mois, la vague de défaillances d’entreprises est bel et bien là. Le nombre de procédures collectives ouvertes − incluant donc les procédures de sauvegarde, lancées dès qu’il y a cessation de paiements, les redressements et liquidations judiciaires − est au plus haut depuis quinze ans. « Nous devrions atteindre environ 65 000 procédures au total à fin 2024 », estime François-Charles Desprat, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires.

« Sur les dix premiers mois de l’année, ce volume exceptionnel de défaillances − on compte en rythme de croisière environ 55 000 faillites par an − touche directement plus de 160 000 emplois. » Un chiffre spectaculaire, mais qui a augmenté moins vite que le nombre de faillites, en hausse de 20 % par rapport à 2023. Explication : « On observe un flot important de toutes petites entreprises, sans salariés et parfois sans activité », explique M. Desprat. Côté sectoriel, l’immobilier, très éprouvé sur les huit premiers mois de l’année, semble connaître un répit. En revanche, parmi les dossiers qui arrivent dans les études des administrateurs et mandataires judiciaires : des entreprises de la construction, du commerce, du secteur de l’hébergement et restauration…

A l’accumulation des faillites s’ajoutent les annonces de restructurations en dehors de toute procédure judiciaire. Mercredi 27 novembre, la CGT a indiqué avoir recensé 286 plans de suppressions d’emplois depuis septembre 2023, estimant qu’entre 128 250 et 200 330 emplois directs, indirects et induits sont supprimés ou menacés. Sa secrétaire générale, Sophie Binet, a appelé les salariés à « se mettre en grève et occuper leurs usines » face à cette « saignée ».

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Filière du luxe : les salaires restent bas chez les sous-traitants français

Une artisane travaille sur un sac en cuir, dans l’atelier de maroquinerie Hermès, à Louviers (Eure), le 6 avril 2023.

Combien un maroquinier est-il rémunéré ? Une couturière ? A cette question, aucune marque de luxe ne répond avec précision. Ni Chanel. Ni Longchamp. Hermès évoque « un salaire d’entrée largement au-dessus du smic ». LVMH avance qu’un artisan du cuir touche « une rémunération de 30 % supérieure au salaire moyen d’un maroquinier en France ». Sans plus de détails. Mais chacun fait valoir combien ces revenus sont majorés par le versement de primes, d’intéressements et de participations.

« Chez LVMH, un artisan salarié peut [ainsi] toucher jusqu’à l’équivalent de six mois de salaire en plus », assure Alexandre Boquel, directeur des métiers d’excellence. La rémunération des salariés Hermès peut « atteindre jusqu’à l’équivalent de dix-sept mois de salaire », en cumulant treizième mois, participation, intéressement et prime exceptionnelle (4 000 euros en 2023 et en 2024, après 3 000 euros en 2022), précise la marque, qui dit n’éprouver aucune difficulté à recruter.

Les sous-traitants sont, eux, plus nuancés. Car, à l’évidence, ces derniers peinent à embaucher. « Le salaire, c’est fondamental, évidemment. On ne peut pas juste pleurer que personne ne veut venir travailler chez nous ! », reconnaît Amedi Nacer, PDG de Thierry-Fonlupt, PME de prêt-à-porter de luxe. Or, les salaires des ouvriers œuvrant chez les partenaires de Chanel, d’Hermès et autres Louis Vuitton sont inférieurs à ceux, précisément, pratiqués dans les usines que ces marques détiennent.

Et ces salariés sont une main-d’œuvre-clé. « La sous-traitance, c’est la moitié des 40 000 employés de la maroquinerie », selon la CGT. « Le salaire moyen d’un maroquinier est alors de 100 euros environ au-dessus du smic [1 801 euros brut] », rapporte un responsable du syndicat, en requérant l’anonymat par « crainte de mesures de rétorsion ». Et il est courant qu’après « treize ans d’expérience une opératrice touche 1 520 euros net », selon une employée d’un fabricant de sacs, toujours sous le couvert d’anonymat.

« Obligés d’être compétitifs »

Dans la confection, en sous-traitance, le premier bulletin de paie est aussi « de l’ordre du smic », d’après Sylvie Chailloux, dirigeante de Textile du Maine. Mais après « cinq ans d’expérience », une opératrice peut devenir « prototypiste pour un salaire de 2 000 à 2 500 euros », dit-elle.

Dans cette industrie ultra-rentable, la disproportion entre les prix stratosphériques des biens vendus et les salaires au smic heurte. D’autant que la plupart de ces ouvriers disposent d’un savoir-faire hors du commun. « Non, ce n’est pas normal, reconnaît M. Nacer. Avec quinze ans d’expérience, une couturière devrait être rémunérée à la hauteur de ce qu’elle mérite, c’est-à-dire plus de 2 200 euros net, contre 1 950 euros actuellement. »

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