« Il faut étaler les complémentarités entre les grandes villes et le reste du territoire »
L’ingénieur et sociologue Pierre Veltz estime que, quand le très haut débit sera répandu, « de nouvelles organisations et des activités plus distribuées émergeront ».
L’ancien directeur de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, Pierre Veltz est l’auteur de La France des territoires, défis et promesses, à paraître le 7 février aux éditions de l’Aube.
Pourquoi l’activité reste-t-elle aujourd’hui très présente dans un petit nombre de métropoles, entraînant de fortes tensions sur le logement ?
Dans le monde entier, il y a aujourd’hui une forme de réunion dans les métropoles qui peut paraître paradoxale à l’ère d’Internet. Mais elle a de multiples éclaircissements. D’abord, le numérique induit une polarisation du marché du travail, avec des emplois très qualifiés à un bout de la chaîne, et ces emplois ont tendance à se concentrer dans les métropoles. Deuxième élément d’explication, les incertitudes liées à la globalisation ou à la technologie : pour les entreprises comme pour les personnes, les grands marchés du travail des métropoles présentent d’énormes atouts. Quand une entreprise ferme dans un petit bassin d’emploi, c’est un drame social.
Dans une métropole, il y a abondamment plus d’occasions de rebond. Le marché de l’emploi métropolitain joue un rôle « d’assurance-flexibilité », effet accentué par la « bisalarisation » dans les ménages et la multiplication des familles recomposées. Enfin, le nouveau monde économique se nourrit de toutes sortes d’interactions de proximité, entre filières, compétences, technologies. Les écosystèmes métropolitains sont le creuset principal de l’innovation, même s’ils n’en ont pas le monopole.
Qu’est-ce qui pourrait modifier les équilibres et aboutir à une meilleure répartition des emplois sur le territoire ?
La priorité pour la France est de développer les complémentarités entre les grandes villes et le reste du territoire. Pour cela, il y a au premier temps la voie du numérique : lorsque le très haut débit sera généralisé, de nouvelles organisations et des activités plus distribuées émergeront. Ensuite, il y a les enjeux écologiques, la gestion des déchets, de l’eau, le développement de l’éolien ou du solaire : on ne va pas créer ces activités au cœur des villes.
Comment rapprocher les métropoles avec les régions moins bien loties en matière d’innovation ?
Les jeunes qui sortent des écoles et qui engendrent leurs start-up sont tous dans les métropoles. Je suis frappé de voir qu’ils ont tendance à réfléchir et à organiser des services pour le milieu qu’ils connaissent, c’est-à-dire l’univers des jeunes citadins. Ils semblent complètement coupés du reste. Or, il y a des choses à faire dans les secteurs qui se développent et tireront la croissance demain : la santé et le bien-être, le divertissement, la mobilité, l’alimentation et la demande pour des produits plus sains… Il faut joindre tout cela aux individus. Et puis, dans les territoires, dans les petites villes industrielles, il a aussi une quantité de PME qui ont beaucoup de mal à recruter des ingénieurs, et beaucoup de mal à opérer leur passage numérique.
« Cocotte » est un vélo triporteur à assistance électrique et le cœur de l’activité de Vépluche : collecter les épluchures des restaurants locaux pour les transformer en compost. Un compost qui servira à faire de nouveaux légumes qui seront distribués aux restaurateurs. La boucle est bouclée.
Projet de fin d’études
L’idée de Vépluche, c’est donc de concevoir les poubelles. Ce ce n’est pas exactement ce qu’imaginait Clara en poussant la porte de Sciences Po, rue Saint-Guillaume, à Paris (7 e). L’étudiante voulait alors, simplement, « changer le monde ». Son plan : enseigner dans cette grande école, « avoir une grille de lecture de la société » pour faire une carrière dans une grande organisation où elle aurait de « grandes responsabilités ». Dans sa ligne de mire, l’Organisation des nations unies, rien de moins.
« En seulement quatre mois, nous avions établi un échéancier, un plan financier et trouvé la meilleure forme juridique. »
« “Tu voulais être diplomate”, m’a évoqué récemment ma grand-mère ! », déclare l’entrepreneuse. Mais, entre le moment où la native de Toulouse a gommé son accent du Sud-Ouest et celui où ses camarades de promotion ont passé le concours de conseiller cadre d’Orient, sa vision des choses à faire pour « changer le monde » s’est infléchie. Elle a, en amuse-bouche de sa future carrière, testé la grande entreprise lors d’un stage chez Airbus en tant que « storyteller ». « J’étais chargée d’écrire sur les succès de l’avionneur », explique-t-elle. Après quelques mois, elle éprouve le besoin de se confronter à un public et intègre l’Institut français, à Rome, où elle travaille à promouvoir la littérature française.
Simultanément, une autre voie s’esquisse. « A mon arrivée à Paris, à 18 ans, j’avais constaté qu’il n’y avait pas de tri des déchets alimentaires dans la capitale », déclare-t-elle. Une idée germe alors dans son esprit. Et, cette fois encore, l’école lui donne une clé : son projet de fin d’études de master en affaires européennes qu’elle décide d’orienter « business ». Clara et trois autres étudiantes imaginent un projet de collecte des déchets des lieux de restauration en vélo cargo. « En seulement quatre mois, nous avions été hyper loin. Nous avions établi un échéancier, un plan financier et trouvé la meilleure forme juridique », se félicite-t-elle. Romain Slitine, maître de conférences en entrepreneuriat social à Sciences Po, remarque la qualité du projet. « L’enjeu, c’est de le rendre concret et de passer à l’action », témoigne-t-il. Vépluche existe sur le papier et les tableaux Excel… Il ne reste plus qu’à le lancer. Ou pas.
« Souvent, les femmes s’autocensurent »
« La peur, c’est comme une petite sœur. Sa petite voix, on la laisse à l’arrière de la voiture », s’amuse Clara. Mais parfois, elle vous couvre : « Est-ce que je veux autant de responsabilités ? Est-ce que je veux monter une boîte ? Est-ce que je peux seulement le faire ? Est-ce que je dois mettre une jupe ou un col roulé ? Comment cela va-t-il être interprété ? Souvent les femmes se freinent, s’autocensurent. Elles se posent tellement de questions… »
« On pourrait enlever 5 000 camions de livraison de Paris. Vous imaginez l’impact ? »
Son master en poche, la jeune femme essai d’entrer à HEC. Première claque, elle n’est pas admise. « De rage, j’intègre un programme, Women4Climate, un système de mentorat qui encourage l’action des femmes qui veulent lutter contre le changement climatique, chacune à sa manière. » Un réseau de décideuses dont la voix porte bien plus fort que la petite sœur abandonnée à l’arrière de l’auto. Boostée par ces femmes qui osent, Clara lance Vépluche en 2018.
« J’avais déjà aperçu les possibilités de l’entrepreneuriat social chez Phenix », une jeune société qui s’attache à donner une seconde vie aux produits usagés et travaille à rendre la consommation plus responsable et économe en ressources. « J’y ai découvert qu’on pouvait faire du business avec un impact social ou environnemental positif. Ça m’a aidée à ôter les œillères que j’avais pour le privé. En janvier 2018, je suis repartie de zéro pour monter mon entreprise. »
Avec le soutien d’un associé et l’aide de deux collaborateurs, « Cocotte », le vélo fourgon, déambule quotidiennement dans les rues de la ville à l’assaut des poubelles des restaurateurs. Le défi : convaincre, expliquer aux gérants et patrons de cuisine l’intérêt collectif d’un circuit court et circulaire. A Boulogne-Billancourt, les restaurants L’Atelier, La Terrasse Seguin, 750 g La Table figurent parmi les trente clients pionniers. Grégory, patron du Pré en bulles, avoue « approuver une démarche qui (…) permet de [se] sentir responsables ».
L’espoir de Vépluche, c’est une prise de conscience collective que ce qui peut être consommé et transformé à l’échelle locale doit l’être. « On pourrait enlever 5 000 camions de livraison de Paris, prévoit Clara. Vous imaginez l’impact ? » Sortir le diesel, voire le moteur à explosion de la grande ville et le modifier par des transports doux. Pourquoi pas ? « Allez, Cocotte ! »