En Chine, la fin de l’âge d’or de l’emploi
Les recrutements diminuent en Chine. Notamment dans les entreprises exportatrices, touchées par les tensions avec les Etats-Unis, et dans les entreprises de main-d’œuvre comme le textile, qui déménagent en Asie du Sud-Est.
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Publié une fois l’an seulement, le taux de chômage en Chine est aussi immuable et rassurant que le portrait de Mao place Tiananmen. Et tout aussi trompeur. Car qui peut croire que le chômage n’est vraiment que de 3,8 % ? Mardi 5 mars, dans son discours d’ouverture de la 13e assemblée populaire nationale, le premier ministre Li Keqiang a d’ailleurs estimé que le chômage serait, dans les grandes villes, d’« environ 5,5 % » cette année.
L’annonce, le 15 février, par la plate-forme de VTC Didi, l’un des symboles de la nouvelle économie chinoise, de la suppression de 2 000 emplois, soit 15 % des effectifs, a frappé les esprits.
Jeudi 28 février, devant quelques journalistes, Zhang Liqun, l’un des principaux conseillers économiques du gouvernement, a reconnu crûment que le pays était confronté à trois phénomènes : « Les entreprises exportatrices qui ont réduit leur activité en novembre à cause des tensions commerciales avec les Etats-Unis, les entreprises de main-d’œuvre comme le textile qui déménagent en Asie du Sud-Est, et le remplacement croissant des hommes par des machines. » La situation est donc sérieuse.
Une ville comme Hongkong doit créer 700 000 emplois par an pour éviter que le chômage ne progresse.
Les salons consacrés à l’emploi, nombreux en cette saison, constituent un bon baromètre. A Chongqing, mégapole industrielle au centre du pays, le grand salon de janvier ne s’est même pas tenu. « Aucune entreprise ne s’est fait enregistrer. On n’a eu d’autre choix que d’annuler », a expliqué un organisateur au quotidien de Hongkong, le South China Morning Post. Quatre grands salons ont ainsi été ajournés dans cette gigantesque ville, qui a besoin de créer 700 000 emplois par an pour éviter que le chômage ne progresse. Les autorités locales les ont remplacés par des petits salons « destinés à rassurer la population », explique le journal.
A Pékin, le salon qui s’est tenu le 23 février dans le « gymnase des travailleurs », en plein centre-ville, devait recevoir une centaine d’entreprises, selon le site Internet des organisateurs.
En fait, seuls 24 stands étaient occupés, et les entreprises recherchaient essentiellement des vendeurs. « Nous allons recruter 45 personnes cette année. C’est plus qu’en 2018, mais nous n’avons pas le choix. Les marges sont faibles et il nous faut développer notre chiffre d’affaires », témoigne un dirigeant de KBCT, une librairie en ligne qui emploie 150 salariés. « La pression sur les prix est très forte », déplore-t-il. Pour lui, si le chômage n’est pas plus élevé, c’est surtout parce que « le gouvernement oblige, pour des raisons politiques, les grandes entreprises publiques à poursuivre leur recrutement, même si elles perdent de l’argent ».
Les attentes d’une reprise de l’usine girondine de Blanquefort ont été douchées dans la nuit de lundi à mardi pour les 850 travailleurs de Ford. La direction régionale des entreprises, de la compétition, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) a validé le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui scelle la clôture de l’usine.
Dans un communiqué, Ford-France a accueilli une « étape importante », qui admet de « lever une partie des incertitudes qui pesaient sur [ses] employés quant à leur avenir ». La fabrication de boîtes de vitesses, qui tourne depuis des mois au ralenti, devrait arrêter fin août, selon les syndicats.
Dès mardi matin, la CGT (Confédération générale du travail) de cette usine des environs de Bordeaux, dont le délégué est l’ancien candidat à la présidentielle de 2017 Philippe Poutou, a éclairci son intention de critiquer ce plan devant le tribunal administratif. « Le PSE n’a aucun fondement, aucune justification économique. Tout le monde le sait, tout le monde l’a dit durant cette dernière année, a dénoncé le syndicat dans un jugement. Ce que le gouvernement n’a pas pu faire ou pas su faire ou pas voulu faire, nous allons le tenter. Nous allons attaquer en justice pour faire invalider ce PSE. »
« Le risque de la précarité »
Selon des sources syndicales, une part croissante du personnel – quoique blessée par l’indifférence du fabricant américain – avait peu à peu basculé en faveur du PSE, à la fois pour ses conditions jugées plutôt correctes pour le secteur (métallurgie) et par lassitude des faux espoirs soulevés par l’offre de reprise du strasbourgeois Punch Powerglide, reportée deux fois par Ford.
Aux termes du PSE, dont une première version avait été rejetée fin janvier, entre 300 et 400 salariés selon des sources syndicales pourraient être éligibles à la préretraite, dans une usine où la moyenne d’âge est de 51 ans, quelques dizaines d’autres reclassés dans l’usine voisine GTF, détenue par Ford et le canadien Magna. Le reste du personnel, environ 400 à 500 salariés, devrait être licencié avec deux à trois ans d’accompagnement et de couverture chômage, selon les syndicats. Mais pour les moins reclassables et loin de la retraite, « le risque de la précarité » est au bout de ce délai, selon la CGT.
Le PSE, selon des retours proches du dossier, porterait sur une moyenne de 190 000 euros par salarié. Un chiffre contredit par les syndicats, pour lesquels ce « budget » moyen masque en outre de fortes disparités. Ford a pour sa part salué un plan social « très complet » qui comprend « à la fois un plan reclassement et de retraite anticipée » et « des mesures visant à aider les salariés à retrouver un emploi salarié, à créer leur propre entreprise ou encore à profiter de formations de reconversion ».
Le constructeur américain va servir les 20 millions d’euros pour « réindustrialiser »
Bercy a éclairci mardi que le constructeur versera les 20 millions d’euros sollicités par le gouvernement pour la réindustrialisation du site de Blanquefort, réaffirmant une information du Parisien. « C’est carton plein sur ce qu’on demandait et ce qu’ils vont payer », a déclaré le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, au quotidien. Le ministre restitue avoir dit à Ford : « Soit vous payez, soit vous demeurerez collés pendant des années avec des valeurs judiciaires et des difficultés administratives », selon ses propos cités par Le Parisien.
Vendredi, à Bordeaux, le Président de la République avait assuré que l’Etat allait « forcer » Ford à payer pour la revitalisation du site de l’usine. Un discours repris le lendemain par la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie et des finances, Agnès Pannier-Runacher, affirmant que le gouvernement était en mesure de peser sur le constructeur pour le pousser à investir « plusieurs millions » d’euros afin de garantir la reconversion de l’usine. Dimanche, dans Le Parisien, Bruno Le Maire avait éclairci avoir demandé 20 millions d’euros à Ford pour « réindustrialiser » le site.
Le fabricant avait avisé en février 2018 son désir de se désengager de Blanquefort, usine introduite en 1972, qui a employé jusqu’à 3 600 salariés. Mais la fermeture devrait avoir des conséquences de façon plus large sur l’emploi girondin, en raison, selon les syndicats, d’environ 2 000 emplois induits.