Changement des habitudes vestimentaire de l’orgueilleuse banque d’affaires Goldman Sachs

La forte banque d’affaires américaine a annoncé, mardi 5 mars, une modération du code vestimentaire pour ses salariés.

Le nouveau directeur général de Goldman Sachs, David Solomon, à New York, fin septembre 2018.
Le nouveau directeur général de Goldman Sachs, David Solomon, à New York, fin septembre 2018. Shannon Stapleton / REUTERS
C’est un détail qui en dit long sur la métamorphose de Wall Street. L’orgueilleuse banque d’affaires Goldman Sachs, symbolique des excès de la finance durant la crise financière de 2008, a arrangé l’assouplissement du code vestimentaire exigé à ses employés.Les 36 000 salariés de la banque en ont été avisés, mardi 5 mars, par une note de service interne, écrite par David Solomon, le nouveau directeur général de Goldman Sachs, entré en activité en octobre dernier.

Jusqu’à maintenant, costume, cravate, tailleur et souliers briqués étaient de rigueur pour les salariés de l’institution, qui fête cette année son 150e anniversaire. Un premier effort à cette convention avait seulement permis, dès 2017, aux ingénieurs des divisions technologiques et numériques du groupe de s’habiller de façon plus détendue.

Aussitôt, tous les salariés pourront arranger « un code vestimentaire flexible ». La note interne, dévoilée par l’agence Reuters, ne dresse pas la liste des vêtements qui seront qualifiés dans les bureaux de la banque.

« Caractère changeant des lieux de travail »

« Nous savons tous ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas sur le lieu de travail », souligne le mémo, précisant tout de même que « bien sûr, une tenue décontractée ne convient ni pour tous les jours ni pour tous les types d’interactions. Nous vous faisons confiance pour faire preuve de discernement en la matière. »

Pourquoi l’illustre maison remise-t-elle l’uniforme du banquier et de la banquière d’affaires au placard ? La nouvelle administration de l’établissement évoque le « caractère changeant des lieux de travail dans leur ensemble, allant vers un environnement plus informel ».

L’entreprise, qui se décrit depuis quelques années comme une « Tech company », doit en effet octroyer des gages de modernité. Il s’agit particulièrement d’attirer les meilleures recrues, lourdement aspirées par les géants de l’Internet de la Silicon Valley (Californie), où règne le look jean tee-shirt, symbolisé par le patron de Facebook, Mark Zuckerberg.

La banque était l’une des dernières maisons à conserver la tradition du complet sur mesure en toutes circonstances. JPMorgan Chase autorise depuis trois ans ses employés à changer le costume pour le polo, en posant toutefois quelques limites : pas de tongs ni de sweats à capuche au bureau. Pour en parvenir là, il aura fallu que Goldman Sachs se dote d’un nouveau patron, David Solomon, banquier et… DJ la nuit – sous le nom de « D.J. D-Sol ».

 

En Chine, la fin de l’âge d’or de l’emploi

Les recrutements diminuent en Chine. Notamment dans les entreprises exportatrices, touchées par les tensions avec les Etats-Unis, et dans les entreprises de main-d’œuvre comme le textile, qui déménagent en Asie du Sud-Est.

Par Frédéric Lemaître Publié aujourd’hui à 11h44

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Le président chinois Xi Jinping lors de l’ouverture de la session parlementaire, à Pékin, le 5 mars 2019.
Le président chinois Xi Jinping lors de l’ouverture de la session parlementaire, à Pékin, le 5 mars 2019. JASON LEE / REUTERS

Publié une fois l’an seulement, le taux de chômage en Chine est aussi ­immuable et rassurant que le portrait de Mao place Tiananmen. Et tout aussi trompeur. Car qui peut croire que le chômage n’est vraiment que de 3,8 % ? Mardi 5 mars, dans son discours d’ouverture de la 13assemblée populaire nationale, le premier ministre Li Keqiang a d’ailleurs estimé que le chômage serait, dans les grandes villes, d’« environ 5,5 % » cette année.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le gouvernement chinois sur la défensive

L’annonce, le 15 février, par la plate-forme de VTC Didi, l’un des symboles de la nouvelle économie chinoise, de la suppression de 2 000 emplois, soit 15 % des effectifs, a frappé les esprits.

Jeudi 28 février, devant quelques journalistes, Zhang Liqun, l’un des principaux conseillers économiques du gouvernement, a reconnu crûment que le pays était confronté à trois phénomènes : « Les entreprises exportatrices qui ont réduit leur activité en novembre à cause des tensions commerciales avec les Etats-Unis, les entreprises de main-d’œuvre comme le textile qui déménagent en Asie du Sud-Est, et le remplacement croissant des hommes par des machines. » La situation est donc sérieuse.

Une ville comme Hongkong doit créer 700 000 emplois par an pour éviter que le chômage ne progresse.

Les salons consacrés à l’emploi, nombreux en cette saison, constituent un bon baromètre. A Chongqing, mégapole industrielle au centre du pays, le grand salon de janvier ne s’est même pas tenu. « Aucune entreprise ne s’est fait enregistrer. On n’a eu d’autre choix que d’annuler », a expliqué un organisateur au quotidien de Hongkong, le South China Morning Post. Quatre grands salons ont ainsi été ajournés dans cette gigantesque ville, qui a besoin de créer 700 000 emplois par an pour éviter que le chômage ne progresse. Les autorités locales les ont remplacés par des petits salons « destinés à rassurer la population », explique le journal.

A Pékin, le salon qui s’est tenu le 23 février dans le « gymnase des travailleurs », en plein centre-ville, devait recevoir une centaine d’entreprises, selon le site Internet des organisateurs.

En fait, seuls 24 stands étaient oc­cupés, et les entreprises recherchaient essentiellement des vendeurs. « Nous allons recruter 45 personnes cette année. C’est plus qu’en 2018, mais nous n’avons pas le choix. Les marges sont faibles et il nous faut développer notre chiffre d’affaires », témoigne un dirigeant de KBCT, une librairie en ligne qui emploie 150 salariés. « La pression sur les prix est très forte », déplore-t-il. Pour lui, si le chômage n’est pas plus élevé, c’est surtout parce que « le gouvernement oblige, pour des raisons politiques, les grandes entreprises publiques à poursuivre leur recrutement, même si elles perdent de l’argent ».

L’assistance aux personnes âgées face à un manque croissant de personnel

Une aide soignante et la résidente d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, à Paris, le 20 septembre 2017.
Une aide soignante et la résidente d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, à Paris, le 20 septembre 2017. Céline Gaille / HansLucas

Insignifiantes conditions de travail, rétributions faibles… Recruter un aide-soignant ou une auxiliaire de vie sociale est une gageure. Cette condition sociale rigide génère de la « souffrance au quotidien », pour les personnes dépendantes comme pour les salariés.

« Chez une personne âgée saine, le matin, je devais en une demi-heure l’assister à sa toilette, préparer son petit-déjeuner, mettre ses médicaments dans le pilulier, faire son lit et, si j’avais le temps, passer un coup de balai », déclare Annie (le prénom a été modifié), qui explique à quoi ressemblaient ses journées. Et si l’ex-auxiliaire de vie sociale pour une association des Vosges prévenait la demi-heure, elle n’était « pas payée plus, bien sûr. En revanche, la personne payait le dépassement à l’association ».

L’aide aux personnes âgées et/ou dépendantes s’accumule au moment du lever, des repas et du coucher de la personne. Il faut tout faire vite. Faute de personnel important, les salariés s’épuisent. Annie a fini par quitter cet emploi où l’amplitude de sa journée s’étendait de 8 heures à 20 heures, dévisée en quatre tranches de deux heures de travail. « Je faisais au moins 100 kilomètres par jour pour aller dans huit petits villages, se souvient-elle. C’était très fatigant. » Depuis le 1er janvier, elle travaille dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), au sein d’« une bonne équipe ».

Le secteur des services aux personnes âgées carence affreusement de personnel, et offre de piètres conditions de travail et des rétributions faibles. A la suite d’une grève très suivie, le 30 janvier 2018, dans les Ehpad, le gouvernement avait éclairci le déblocage graduel de 360 millions d’euros pour ces établissements, une enveloppe de 100 millions pour les services d’aide à domicile ainsi qu’une loi autonomie avant la fin de 2019. Mais ces mesures n’ont pas suffi à apaiser les tensions.

« Pression budgétaire »

La loi autonomie parviendra « bien trop tard », estime Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) : « Nous parlons de ces problèmes depuis au moins quinze ans. Nous attendons des mesures très urgentes et concrètes. » Le financement public de l’aide à l’autonomie des personnes âgées évoquait, en 2016, 22,8 milliards d’euros. Il faudrait « 10 milliards d’euros supplémentaires », selon lui, pour faire face aux nécessités. « L’insuffisance grandissante de personnel résulte d’une pression budgétaire due aux choix des conseils départementaux et aux lois de financement de la sécurité sociale qui, depuis trois décennies, visent à raréfier les ressources du secteur », reproche Evelyne Rescanieres, secrétaire générale de la fédération CFDT Santé-sociaux.

 

En Afrique, la propagation d’Internet bénéficie pareillement aux travailleurs non diplômés

Paul Seabright, Professeur à l’Institut d’études avancées de Toulouse

Une étude américaine affirme que la parvenue sur la côte africaine de câbles sous-marins qui procurent un accès haut débit entraîne un accroissement de l’emploi, qualifié et non qualifié, explique le professeur d’économie Paul Seabright.

L’objectif de la technologie informatique sur l’emploi dans les pays développés fait grand débat, et plusieurs études annoncent un risque d’aggravation des inégalités à cause d’une baisse du nombre d’emplois peu qualifiés. En revanche, nous en savons beaucoup moins sur l’impact dans les pays pauvres. L’Internet serait-il un facteur de hausse des différences en Afrique par exemple ? Et quel seront ses effets sur l’activité économique ? Servira-t-il principalement à la propagation des réseaux sociaux et à la consommation de vidéos de chats, ou aura-t-il un impact en profondeur sur le fonctionnement des entreprises ?

Une étude présentée dans une revue phare américaine répond à ces questions de manière très positive (« The Arrival of Fast Internet and Employment in Africa », par Jonas Hjort et Jonas Poulsen, American Economic Review 2019, vol. 109, https://doi.org/10.1257/aer.20161385). La méthodologie des experts est rigoureuse : il ne suffit pas de comparer l’ensemble des zones qui ont l’accès à l’Internet à l’ensemble de celles qui n’en ont pas, qui pourraient être différentes à bien d’autres égards. Ils examinent l’arrivée sur la côte africaine de câbles sous-marins qui fournissent un accès haut débit. Ils comparent les changements d’activité économique depuis l’arrivée du câble avec ceux sur la même période dans des zones semblables où, en raison des aléas du timing, le câble sous-marin est arrivé à un autre moment.

« Il s’agit d’une vraie création d’activité économique, et non pas d’une relocalisation d’activité des zones non connectées vers des zones connectées »

Les auteurs enregistrent une hausse de la probabilité de l’emploi des travailleurs africains due à l’arrivée des câbles sous-marins entre 3,1 % et 13,9 % selon le pays en question. Ce qui est plus encourageant encore est que, si les travailleurs diplômés voient une augmentation de la probabilité d’avoir un emploi qualifié, les travailleurs non diplômés ont aussi un accroissement de leur apparence d’emploi dans un emploi non qualifié.

Inversement à ce qu’on aurait pu entendre (et contrairement au constat dans les pays industrialisés), les nouveaux emplois qualifiés n’arrivent pas au détriment des emplois non qualifiés. Les auteurs constatent aussi qu’ils ne viennent pas non plus au préjudice des emplois dans des zones voisines. Il s’agit d’une vraie création d’activité économique, et non pas d’une relocalisation d’activité des zones non connectées vers des zones connectées.

Arrêt sur l’algorithme machiste

Le machisme ambiant poursuit de faire des dégâts. En matière d’IA, en particulier.

«  Conçus à 88 % par des hommes, robots et algorithmes ont un besoin urgent d’être mentorés. »
«  Conçus à 88 % par des hommes, robots et algorithmes ont un besoin urgent d’être mentorés. » Ingram / Photononstop

Riche idée que celle du Professional Women’s Network (PWN), réseau international de femmes responsables, qui, à quelques jours du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, lance un programme de mentoring « femmes-hommes ». L’ordre des mots a son importance. On s’était habitué aux systèmes de parrainage « hommes-femmes » admettant à des femmes de se faire « mentorer » par des hommes pour faire carrière. Le PWN inverse les rôles. Il ne s’agit plus d’apprendre aux femmes les codes masculins, mais d’offrir aux hommes qui le convoitent de comprendre ce que conduite inclusif veut dire, pour plus d’intelligence collective.

Bien, mais pas assez. Car, en souhaitant que ce type de programme porte ses fruits, le machisme ambiant poursuit de faire des dégâts. En matière d’IA, surtout. Robots et algorithmes ont un besoin urgent d’être mentorés, eux aussi. Conçus à 88 % par des hommes – non encore dégagés de leurs biais sexistes, on l’aura compris –, ces algorithmes « reflètent les systèmes de représentation de leurs concepteurs », éclairent deux scientifiques, Aude Bernheim et Flora Vincent, dans L’IA, pas sans elles ! (Laboratoire de l’égalité/Belin).

Les solutions existent

Or, l’Intelligence Artificielle est utilisée dans plusieurs domaines : pour choisir des candidats à l’embauche, poser des diagnostics médicaux, accorder ou non un crédit bancaire. Les biais qu’ils portent se prouvent alors discriminatoires. Le mathématicien et député (LRM) de l’Essonne Cédric Villani, qui préface leur ouvrage, avait déjà prévenu, en janvier 2018 : « L’intelligence artificielle peut augmenter les biais, renforcer les inégalités. »

Les solutions présentent. La première serait de surveiller à ce que les équipes chargées des projets IA dans les entreprises assimilent plus de femmes. Maintenant, cet objectif est rarement affiché. Une étude du Cercle InterElles, qui sera présentée, le 12 mars, à la Cité universitaire de Paris, lors du colloque annuel de ce méta-réseau de femmes œuvrant dans quatorze grandes entreprises, le confirme. Plus de la moitié (55 %) des personnes interrogées ignorent l’existence d’une telle démarche au sein de leur groupe ; et les trois quarts de celles qui, au contraire, en réaffirment l’existence, sont incapables d’en donner la teneur.

Certainement, les femmes expertes du domaine sont rares. Alors que les classes de terminale S reçoivent 46,7 % de filles et que celles-ci réussissent davantage de mentions au bac que les garçons, elles se dévient ensuite d’un domaine jugé « hostile ». « Le secteur de l’IA est aussi masculin qu’un bar des sports le soir d’un match [de football] de Ligue 1. Moins formées, moins payées, moins promues, les femmes ne sont pas les bienvenues », citent Aude Bernheim et Flora Vincent. Traquer les stéréotypes et mettre en place des incitations propres à aider les femmes à se faire une place chez les geeks devraient être une priorité.

Retraite des micro-entrepreneurs

Avec l’autoentrepreneuriat, la mesure de politiques de l’emploi au résultat instantané est favorisée au détriment du montant des retraites futures, explique le juriste Francis Kessler.

« En 2019, un trimestre n’est validé que pour un revenu de 3 985 euros pour les activités de vente sous régime fiscal du bénéfice industriel et commercial (BIC) ou de 2020 euros pour les prestations de services BIC ou de 2 510 euros pour les prestations de services sous régime fiscal des bénéfices non commerciaux. »
« En 2019, un trimestre n’est validé que pour un revenu de 3 985 euros pour les activités de vente sous régime fiscal du bénéfice industriel et commercial (BIC) ou de 2020 euros pour les prestations de services BIC ou de 2 510 euros pour les prestations de services sous régime fiscal des bénéfices non commerciaux. » Dan Brownsword/Cultura / Photononstop

La loi d’actualisation de l’économie du 4 août 2008 a créé un nouveau statut de laborieux indépendant, l’autoentrepreneur, transformé en 2016 micro-entrepreneur. Il admet aux personnes physiques de créer une entreprise individuelle avec un régime dérogatoire tant à l’instant de la création de celle-ci que dans son progression, particulièrement en matière fiscale.

Leur « régime microsocial » permet une diminution des cotisations sociales : un taux fixé en fonction de la nature de l’activité développée est utilisé au chiffre d’affaires réalisé dans le mois ou le trimestre. Depuis le 1er janvier 2019, une exemption totale des cotisations est même prévue jusqu’à la fin du onzième trimestre d’existence de la micro-entreprise, pour toute nouvelle création. Ce dernier coup de pouce est donné au titre de l’aide à la création ou à la reprise d’entreprise.

Ces dispositifs, conçus pour assister l’accès à une activité ou pour inciter une activité complémentaire (légale), disparaît si l’entreprise n’a aucun chiffre d’affaires pendant deux ans, ou lorsque ce dernier excède un plafond fixé en fonction de la nature de l’activité. Le micro-entrepreneur redevient alors un travailleur indépendant comme les autres.

Succès incontestable     

Le succès du régime est certain. Selon un rapport du Conseil d’orientation des retraites de 2017, « les autoentrepreneurs montrent près de la moitié des effectifs de non-salariés dans le commerce de détail par correspondance ou Internet, dans la photographie, le design, la traduction ou certains services personnels comme l’entretien corporel, tous ces secteurs ne sollicitant pas un fort investissement à l’installation ».

Mais leur retraite s’annonce plutôt mal. La retraite de base de l’indépendant commerçant ou artisan et donc du micro-entrepreneur concerne à la fois du revenu annuel moyen, du nombre de trimestres d’assurance confirmés et de la durée de référence attribuée par la Sécurité sociale des indépendants. Le revenu annuel est donc doublement important pour l’acquisition de droits à la retraite de ces micro-entrepreneurs : pour le calcul du revenu moyen sur l’ensemble de la carrière et pour le nombre de trimestres confirmés.

Or en 2019, un trimestre n’est confirmé – dans la limite de quatre par an – que pour un rétribution de 3 985 euros pour les activités de vente sous régime fiscal du bénéfice industriel et commercial (BIC) ou de 2020 euros pour les prestations de services BIC ou de 2 510 euros pour les prestations de services sous régime fiscal des gains non commerciaux.

 

Mutation dans le travail, un inventaire désordonné, mais positif

Si le monde du travail éprouve des mutations profondes, il est très difficile d’annoncer l’avenir. La peur que la technologie tue le travail est un polémique ancienne, auquel les auteurs de « Les robots n’auront pas notre peau ! », portent leur participation.

 

« Les robots n’auront pas notre peau ! Ce qui va changer dans l’entreprise à l’heure de l’IA », de Laurent Geneslay et Rasmus Michau. Dunod, 192 pages, 19,90 euros.
« Les robots n’auront pas notre peau ! Ce qui va changer dans l’entreprise à l’heure de l’IA », de Laurent Geneslay et Rasmus Michau. Dunod, 192 pages, 19,90 euros.

L’âge industriel fut défini par le passage graduel d’une économie agricole à une économie industrielle, avec les conséquences sociales et culturelles que l’on connaît. L’âge de l’information, qui a connu à la fin des années 1990 la généralisation d’Internet et des nouvelles technologies de communication, change, à son tour, la façon dont nous vivons et travaillons aujourd’hui. « La différence est que ces transformations interviennent vite alors que ceux impulsés par la révolution industrielle ont eu deux siècles pour s’installer. Il en résulte une inadéquation entre les façons de travailler des entreprises traditionnelles et l’époque dans laquelle nous vivons », remarquent Laurent Geneslay et Rasmus Michau dans Les robots n’auront pas notre peau ! Ce qui va transformer dans l’entreprise à l’heure de l’IA.

S’il est véritable que le monde du travail connaît des transformations profondes, il est très difficile de prévenir l’avenir. L’homme sera-t-il au service des robots ? La peur que la technologie tue le travail est une polémique ancienne. Au XIXe siècle déjà, le mouvement luddite, en Angleterre, luttait contre les machines à tisser de la révolution industrielle, de peur que celles-ci annulent les emplois.

Actuellement, la crainte d’un monde où les robots se remplaceront à l’homme est toujours présente. Elle est même au cœur du best-seller de Yuval Harari, Homo deus (Albin Michel, 2017), qui prédit un avenir où les algorithmes, devenus intelligents, auront créé une existence autonome, réduisant l’homme à un simple moyen au service de l’information, religion suprême que ce professeur de l’université de Jérusalem nomme le dataïsme.

Environnement, santé ou encore économie ; les disruptions sociétales auxquelles nous pouvons nous attendre se placent à de multiples niveaux. Les auteurs, serial entrepreneurs, ne veulent pas fournir de réponse à la question « que nous réserve l’avenir ? », mais de préférence retracer le monde du travail actuel et fournir certains principes d’analyse sur une évolution qui nous semble inéluctable.

Une baisse du rendement depuis vingt ans

Le tout, sur un ton résolument optimiste. D’après une étude du McKinsey Global Institute de février 2018, les gains de rendement potentiels liés aux changements numériques seraient encore loin d’être absolument matérialisés. Aux Etats-Unis, l’économie n’aurait accompli son potentiel digital qu’à hauteur de 18 %, et l’Europe à 12 %.

« L’appel universelle du 15 mars, lancée par la jeunesse, doit nous interpeler et nous faire réagir »

Un collectif d’universitaires, particulièrement toulousains, salue « l’entrée en résistance » des jeunes contre l’inaction climatique, mais adresse aussi ses remarques aux établissements de recherche elles-mêmes.

Des étudiants et des lycéens ont déclenché un appel à la « grève mondiale pour le futur », le 15 mars, et à des actions renouvelables et amplifiées chaque vendredi. Nous, personnels de la recherche publique et de l’enseignement supérieur, sommes à leurs côtés et avec les enseignants qui auront choisi de les conduire. Nous fêtons leur décision « d’entrer en résistance » face à le sommeil politique comme à l’aveuglement ou à l’acceptation passive qui s’en satisfait.

Par la recherche académique, nous avons un accès favorisé aux résultats très alarmants sur les confusions écologiques et les dérèglements globaux en cours, sans précédent. Nous savons aussi que ceux-ci résultent des activités d’une partie de l’humanité à travers des systèmes socio-économiques qui ont montré leur inaptitude structurelle à prendre en compte le long terme et les limites environnementales. Sitôt globalisé, ce cadre général produit une fuite en avant destructrice. Les tendances actuelles nous conduisent vers des conditions critiques, au point que d’ici quelques décennies à peine l’habitabilité de notre planète pourrait être exposée.

Nos perceptions nous placent en position de témoins malheureusement privilégiés du gouffre continuellement plus béant qui sépare le chemin que devraient suivre nos sociétés pour tenter de borner la catastrophe – par un profond changement de nos modes de vie et les indispensables politiques de justice, de solidarité, de relocalisation et de résilience pouvant rendre ce tournant possible – et la trajectoire mortifère effectivement suivie. Dans la variété de nos disciplines, notre profession au service de la connaissance nous donne l’implication d’en tirer des conséquences pratiques et un engagement dans l’action.

A l’image du déni généralisé

Au cœur même de nos institutions (CNRS, instituts, universités…), nous devons enregistrer que la transition écologique – dans ses dimensions les plus simples – est loin d’être assimilée dans les objectifs et les pratiques. Combien d’organismes de recherche en France ont-ils mis en place une politique  véridique de réduction de leur empreinte environnementale ? Combien d’entre nous ont réellement changé leurs habitudes, par exemple, en arrêtant les déplacements en avion ?

La plupart de nos laboratoires sont actuellement inaptes d’évaluer leur propre impact, ne serait-ce qu’en réalisant un bilan carbone complet, alors que c’est une obligation légale. Les modalités d’évaluation des projets comme des carrières encouragent les circulations tous azimuts, particulièrement les congrès et colloques internationaux sans aucune retenue. Le fait que les institutions mêmes qui produisent les résultats les plus alarmants sur l’état du système Terre, et les chercheuses et chercheurs qui tirent constamment la sonnette d’alarme, soient incapables de mettre en place les mesures pour limiter leur propre impact est à l’image du déni répandu qui caractérise nos sociétés.

Clôture du site du constructeur américain Ford de Blanquefort: le plan social est approuvé par l’administration

La conception du site girondin qui a 850 salariés devrait stopper fin août. Le constructeur américain servira 20 millions d’euros pour « réindustrialiser » l’usine.

Les attentes d’une reprise de l’usine girondine de Blanquefort ont été douchées dans la nuit de lundi à mardi pour les 850 travailleurs de Ford. La direction régionale des entreprises, de la compétition, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) a validé le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) qui scelle la clôture de l’usine.

Dans un communiqué, Ford-France a accueilli une « étape importante », qui admet de « lever une partie des incertitudes qui pesaient sur [ses] employés quant à leur avenir ». La fabrication de boîtes de vitesses, qui tourne depuis des mois au ralenti, devrait arrêter fin août, selon les syndicats.

Dès mardi matin, la CGT (Confédération générale du travail) de cette usine des environs de Bordeaux, dont le délégué est l’ancien candidat à la présidentielle de 2017 Philippe Poutou, a éclairci son intention de critiquer ce plan devant le tribunal administratif. « Le PSE n’a aucun fondement, aucune justification économique. Tout le monde le sait, tout le monde l’a dit durant cette dernière année, a dénoncé le syndicat dans un jugement. Ce que le gouvernement n’a pas pu faire ou pas su faire ou pas voulu faire, nous allons le tenter. Nous allons attaquer en justice pour faire invalider ce PSE. »

« Le risque de la précarité »

Selon des sources syndicales, une part croissante du personnel – quoique blessée par l’indifférence du fabricant américain – avait peu à peu basculé en faveur du PSE, à la fois pour ses conditions jugées plutôt correctes pour le secteur (métallurgie) et par lassitude des faux espoirs soulevés par l’offre de reprise du strasbourgeois Punch Powerglide, reportée deux fois par Ford.

Aux termes du PSE, dont une première version avait été rejetée fin janvier, entre 300 et 400 salariés selon des sources syndicales pourraient être éligibles à la préretraite, dans une usine où la moyenne d’âge est de 51 ans, quelques dizaines d’autres reclassés dans l’usine voisine GTF, détenue par Ford et le canadien Magna. Le reste du personnel, environ 400 à 500 salariés, devrait être licencié avec deux à trois ans d’accompagnement et de couverture chômage, selon les syndicats. Mais pour les moins reclassables et loin de la retraite, « le risque de la précarité » est au bout de ce délai, selon la CGT.

Le PSE, selon des retours proches du dossier, porterait sur une moyenne de 190 000 euros par salarié. Un chiffre contredit par les syndicats, pour lesquels ce « budget » moyen masque en outre de fortes disparités. Ford a pour sa part salué un plan social « très complet » qui comprend « à la fois un plan reclassement et de retraite anticipée » et « des mesures visant à aider les salariés à retrouver un emploi salarié, à créer leur propre entreprise ou encore à profiter de formations de reconversion ».

Le constructeur américain va servir les 20 millions d’euros pour « réindustrialiser »

Bercy a éclairci mardi que le constructeur versera les 20 millions d’euros sollicités par le gouvernement pour la réindustrialisation du site de Blanquefort, réaffirmant une information du Parisien. « C’est carton plein sur ce qu’on demandait et ce qu’ils vont payer », a déclaré le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, au quotidien. Le ministre restitue avoir dit à Ford : « Soit vous payez, soit vous demeurerez collés pendant des années avec des valeurs judiciaires et des difficultés administratives », selon ses propos cités par Le Parisien.

Vendredi, à Bordeaux, le Président de la République avait assuré que l’Etat allait « forcer » Ford à payer pour la revitalisation du site de l’usine. Un discours repris le lendemain par la secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie et des finances, Agnès Pannier-Runacher, affirmant que le gouvernement était en mesure de peser sur le constructeur pour le pousser à investir « plusieurs millions » d’euros afin de garantir la reconversion de l’usine. Dimanche, dans Le Parisien, Bruno Le Maire avait éclairci avoir demandé 20 millions d’euros à Ford pour « réindustrialiser » le site.

Le fabricant avait avisé en février 2018 son désir de se désengager de Blanquefort, usine introduite en 1972, qui a employé jusqu’à 3 600 salariés. Mais la fermeture devrait avoir des conséquences de façon plus large sur l’emploi girondin, en raison, selon les syndicats, d’environ 2 000 emplois induits.

 

Nationalisation de l’assurance-chômage 

En reprenant la main après l’échec des négociations sur la convention Unédic, M. Macron est le premier président à aller au bout de la logique du toujours plus d’Etat, souligne notre journaliste Jean-Michel Bezat dans sa chronique.

Chronique. Dans le panthéon de l’histoire sociale, deux figures tutélaires se font face et s’opposent : Otto von Bismarck et William Beveridge. A la fin du XIXe siècle, le chancelier allemand (1815-1898) a créé des assurances sociales financées par des contributions assises sur les revenus du travail. L’économiste britannique (1879-1963), lui, a pensé en 1942 un Etat-providence consommé par l’impôt, moins généreux mais universel. Après la seconde guerre mondiale, la France s’est principalement emportée du modèle allemand pour fonder la Sécurité sociale, sans renoncer à un idéal d’universalité qui en a fait un système hybride.

Le gouvernement se tourne aussitôt vers Beveridge avec le « système de solidarité » présenté par le Président de la République lors de sa campagne présidentielle. Puisque les droits ne sont plus attachés à un statut social fixe mais à une personne au parcours professionnel plus erratique, expose le chef de l’Etat, « la protection sociale doit désormais se fonder sur l’individu pour ne laisser personne au bord de la route ». Une philosophie qui s’est exigée pour l’assurance-maladie ou les appuis familiaux, et qui vient de s’étaler à l’assurance-chômage.

Une bonne mesure de mauvaise foi

Car l’Etat a bien « nationalisé » l’assurance-chômage, même si celle-ci reste pour une part rétribuée par les revenus du travail. Le mot a été délaissé par le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, après l’échec des contestations patronat-syndicats, inaptes de s’accorder sur une nouvelle convention pour l’Unédic, qui croule sous une dette de 35 milliards d’euros (financée grâce à la garantie de l’Etat). M. Macron les a reprochés, jeudi 21 février : « On est dans un drôle de système où chaque jour, dans le pays, on dit “corps intermédiaires, démocratie territoriale, démocratie sociale, laissez-nous faire” et, quand on donne la main, on dit : “Pardon Monsieur, c’est dur, reprenez-la.” »

Il lui faut une bonne dose de mauvaise foi pour attribuer cet échec aux partenaires sociaux. Il ne les a pas « laissé faire », puisqu’il leur a exigé, avant le début des négociations, une lettre de cadrage prévoyant 1 milliard d’euros d’économies par an et un malus pour les entreprises abusant des contrats courts. Il faut aussi un zeste de cynisme pour produire les corps intermédiaires, lui qui en a fait si peu de cas depuis son élection. En reprenant la main, M. Macron est le premier président de la République à aller au bout de la logique du toujours plus d’Etat et à attirer les leçons d’une tendance à l’œuvre depuis belle lurette.