« Les Nouveaux Cobayes » : le rôle de la Silicon Valley dans l’infantilisation au travail

« Les Nouveaux Cobayes. Comment les entreprises génèrent précarité et mal-être au travail », de Dan Lyons (FYP, 2019, 290 pages, 22 euros).
« Les Nouveaux Cobayes. Comment les entreprises génèrent précarité et mal-être au travail », de Dan Lyons (FYP, 2019, 290 pages, 22 euros). DR

Le livre. Un matin de juin 2017, Dan Lyons se retrouve à Menlo Park, en Californie, attablé avec Julia, une femme qui anime des ateliers en entreprise. Depuis deux ans, le journaliste américain tente de comprendre le monde du travail moderne et pourquoi il semble rendre tant de gens malheureux. Sa théorie est la suivante : « Au moins une partie de ce mal-être vient du fait que les salariés doivent assister à des ateliers stupides, où on les gave d’un tas d’absurdités complaisantes sur le développement personnel et l’autoamélioration. »

Son interlocutrice déverse six briques Lego sur la table et lui demande de faire un canard en 30 secondes. Il s’agit de l’exercice le plus connu du Lego Serious Play, une activité en plein essor : de grandes entreprises comme Unilever, Johnson & Johnson ou encore Google l’ont adoptée. L’atelier laissera l’essayiste pour le moins sceptique. Pourquoi le lieu de travail est-il devenu un mixte de jardin d’enfants et de centre de tests de personnalité ? Pourquoi le travail implique-t-il une telle infantilisation ? Et que génèrent toutes ces pressions psychologiques ? Autant de questions soulevées dans son ouvrage Les Nouveaux Cobayes (FYP).

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« Autrefois, les RH étaient de simples manageurs, mais depuis qu’ils ont des MBA, (…) ils sont friands de neurosciences de comptoir, et bien que la plupart ne feraient pas la différence entre les amygdales et les hémorroïdes, ils sautent sur tout ce qui peut reconfigurer le cerveau de leurs employés », déplore Dan Lyons. Exercices avec de la pâte à modeler, équipes qui s’affrontent pour trouver le moyen le plus rapide de se passer des balles de tennis et de les mettre dans un seau… les exemples d’ateliers témoignant de l’absurdité qui envahit le monde du travail ne manquent pas.

Priorité aux besoins des employés

Inutiles, ces exercices sont aussi facteur de stress : « Pour les travailleurs âgés, ces ateliers augmentent la crainte qu’ils ont déjà d’être évincés de leur emploi. Mais les jeunes les ont aussi en horreur. » Ainsi de ce développeur de logiciels dont le service a passé une journée à faire un atelier Lego : il a l’impression d’avoir « rejoint une secte ».

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L’auteur souligne la responsabilité de la Silicon Valley dans le malheur de ces travailleurs. « D’une part, parce que c’est là que la plupart des nouvelles technologies de l’information utilisées au travail se sont développées. D’autre part parce qu’au-delà de la production de puces et de logiciels, la Silicon Valley vise à redéfinir la notion même d’entreprise, en amenant des idées radicalement nouvelles sur la manière de créer et manager les organisations. Malheureusement, bon nombre de ces idées sont épouvantables. »

L’Etat d’urgence sanitaire ne limite pas le recours au droit de retrait, sauf pour le personnel réquisitionné

« Le droit de retrait n’est pas une liberté publique mais un droit des salariés », rappelle Francis Kessler, avocat en droit social et chroniqueur au Monde »
« Le droit de retrait n’est pas une liberté publique mais un droit des salariés », rappelle Francis Kessler, avocat en droit social et chroniqueur au Monde » Philippe Turpin / Photononstop

Le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de coronavirus a été adopté dimanche 22 mars par le Parlement et la loi publiée au Journal officiel mardi 24 mars. Elle limite un certain nombre de libertés publiques : la liberté de circuler, de se rassembler, etc. Mais réduit-elle le recours au droit de retrait, alors que les salariés qui travaillent en « présentiel » – dans les commerces, la logistique, l’agroalimentaire – envisagent d’y recourir, lorsqu’ils estiment que leur santé n’est pas suffisamment garantie par l’employeur ?

« Le droit de retrait n’est pas une liberté publique mais un droit des salariés », rappelle Francis Kessler, avocat en droit social et chroniqueur au Monde. Le projet de loi adopté dimanche va au-delà de la limitation des libertés publiques, puisqu’il prévoit de modifier, pour la période d’état d’urgence sanitaire, le code du travail sur la disponibilité des salariés : RTT, congés payés, durée du travail, etc.

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Mais la loi n’évoque pas le droit de retrait. Il est donc maintenu. « La protection de la santé est garantie à tous, selon le préambule de la Constitution de 1946. On peut donc considérer que l’exercice du droit de retrait constitue l’exercice d’un droit fondamental. Il ne paraît donc pas possible de supprimer ou de suspendre expressément ce droit », explique Jacqueline Cortès, avocate à la Cour.

Un règle spécifique pour le personnel réquisitionné

Toutefois, le contexte du coronavirus change le cadre et les conditions de recours au droit de retrait. Par application de la circulaire de la direction générale du travail du 18 décembre 2007 sur la continuité de l’activité des entreprises et la santé des salariés en cas de pandémie grippale, le droit de retrait ne peut s’appliquer qu’en tenant compte de trois « impératifs : la sécurité des salariés, le fonctionnement des entreprises et la continuité de la vie économique et sociale », indique Me Cortès. Le coronavirus seul n’est pas une justification suffisante pour recourir au droit de retrait, dès lors que l’employeur a pris les mesures nécessaires pour protéger ses salariés.

Si le retrait est légitime, le salaire est maintenu et le salarié ne peut faire l’objet d’aucune sanction. En revanche, si le retrait est illégitime, l’employeur est en droit d’opérer une retenue sur salaire correspondant à la période durant laquelle le salarié n’a pas travaillé. En cas de litige, c’est au salarié de saisir le conseil de prud’hommes pour trancher.

Droit : « Une épidémie n’autorise pas le non-paiement d’une créance »

« L’obligation de pratiquer les « gestes barrières », présentés par les autorités sanitaires comme suffisantes pour se prémunir de toute contamination, pourrait interdire à nombre de salariés d’exercer valablement leur droit de retrait. »
« L’obligation de pratiquer les « gestes barrières », présentés par les autorités sanitaires comme suffisantes pour se prémunir de toute contamination, pourrait interdire à nombre de salariés d’exercer valablement leur droit de retrait. » DPA / Photononstop

Tribune. Pour aider les entreprises à faire face aux mesures de confinement qui entravent leur activité, le Parlement a voté le 22 mars un projet de loi autorisant le gouvernement à prendre des mesures exceptionnelles en leur faveur.

Les entreprises pourront notamment déroger aux règles relatives à la durée du travail, étaler le paiement des loyers, des factures d’eau et d’électricité pour les très petites entreprises, assouplir le régime des pénalités en cas non-exécution des obligations contractuelles.

Déjà, Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, avait indiqué le 28 février que l’épidémie du coronavirus sera considérée comme « un cas de force majeure » pour les entreprises au regard des marchés publics de l’Etat.

Mais, en dépit de ces mesures exceptionnelles, de nombreux créanciers voient leurs débiteurs tentés de se défausser de leurs obligations en invoquant à leur tour la force majeure. A tort le plus souvent.

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La « force majeure » est définie juridiquement comme un évènement « incontrôlable et imprévisible » qui empêche un débiteur d’exécuter son obligation contractuelle et l’autorise à se délier de ses engagements.

Une telle situation ne saurait être invoquée comme un simple prétexte pour se dégager de ses obligations. L’empêchement doit être radical et ne saurait se caractériser par un coût plus onéreux ou une difficulté accrue dans l’exécution de sa mission.

Qu’en est-il du coronavirus ?

Si le débiteur est personnellement affecté, la force majeure est bien entendu envisageable puisqu’il n’est plus en mesure de fournir la prestation prévue, encore que l’incapacité totale de fournir la prestation dans le temps requis devra être démontrée devant les juridictions.

Pour le reste, invoquer une épidémie, des restrictions de circulation ou de confinement pourront parfois justifier la suspension de l’exécution de ses obligations, mais n’autoriseront pas le non-paiement d’une créance, si l’on en croit les décisions de justice déjà rendues au sujet des virus chikungunya, Ebola ou H1N1. De surcroît, une épidémie étant par définition temporaire, en toute hypothèse, elle ne légitimera jamais une rupture contractuelle irrévocable entre deux partenaires.

Certes, le gouvernement a interdit par décret le déplacement de toute personne hors de son domicile. Mais le télétravail est vivement encouragé, et les trajets entre le domicile et le lieu de travail sont autorisés. Les mesures de confinement n’interdisent donc pas l’accomplissement de sa tâche professionnelle.

Pour Teleperformance, le télétravail, c’est pour les clients

Le virus a frappé Teleperformance (TP). Le groupe français, leader mondial des centres d’appel, a abandonné, lundi 23 mars, ses prévisions d’une hausse de 7 % de son chiffre d’affaires et a reporté de plus de deux mois l’assemblée générale des actionnaires, au 26 juin. Mais que ces derniers se rassurent : l’entreprise, indique Reuters, ne remet en pas en cause le paiement d’un dividende de 2,40 euros par action au titre de l’année 2019.

Toutefois, d’autres événements pourraient encore alourdir le climat chez TP, après l’exercice du droit d’alerte pour danger grave et imminent par les syndicats pour huit centres d’appel sur treize. Des contrôles d’inspecteurs du travail ont eu lieu sur plusieurs sites en France et leurs conclusions sont sévères.

Par exemple, à Blagnac, près de Toulouse, dont le site a fait l’objet d’un droit d’alerte, l’inspecteur a adressé à l’employeur, lundi, une mise en demeure après avoir constaté que la distanciation sociale d’un mètre n’est pas respectée dans les salles de pause et de restauration, que les locaux n’étaient pas suffisamment nettoyés ni les postes de travail. Et que ceux qu’occupaient les personnes testées positives au Covid-19 ou suspectées de l’être n’ont pas été désinfectés… L’inspecteur a donné 48 heures à la société pour remédier à ces manquements.

« Rupture de gel hydroalcoolique »

Malgré les consignes sanitaires du gouvernement, la plupart des 1 800 salariés de TP ne sont pas en télétravail et se retrouvent encore à plusieurs centaines dans les open spaces, en France, mais aussi en Colombie ou en Grèce. Dans le même temps, le groupe vante, sur son blog, les bienfaits du télétravail, « solution de travail » qu’il commercialise depuis longtemps. « Le gouvernement recommande de recourir au télétravail, et nous, nous travaillons en open space avec moins d’un mètre de distance entre les postes », a dénoncé à l’AFP Samira Alaoui, déléguée syndicale centrale CGT.

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Le comble est que « 450 salariés de Teleperformance répondent aux appels du numéro vert gouvernemental sur le coronavirus, indique Issam Baouafi, délégué syndical central de SUD, premier syndicat de l’entreprise. L’Etat n’est donc pas capable d’imposer à TP le respect de ses propres consignes ? » Le 17 mars, l’intersyndicale SUD-CGT-CFDT-CFTC-CGC a demandé « la mise en place sans délai du télétravail sur l’ensemble des treize sites ». Les syndicats ont, en outre, constaté « sur plusieurs sites des ruptures de gel hydroalcoolique, de lingettes désinfectantes, des poignées de portes et des postes de travail non nettoyés », etc.

« Nous nous conformons à l’ensemble des consignes de sécurité des pouvoirs publics »

« La santé, la sécurité et la protection de nos collaborateurs sont notre priorité absolue au sein du groupe, assure-t-on chez Teleperformance. Nous nous conformons à l’ensemble des consignes de sécurité des pouvoirs publics de chaque pays et nous veillons à leur application stricte : le respect de la distanciation sociale, le nettoyage régulier des postes de travail, des centres et des bureaux, ou encore le rappel systématique des gestes barrières. »

La société assure également mettre en place du télétravail. Selon elle, cela doit « répondre à plusieurs conditions : l’accord contractuel des clients, le maintien de la sécurité des programmes et des données traitées dans les centres, le basculement des systèmes techniques utilisés dans les centres vers des postes à domicile. » Le groupe généralise le travail à distance « quand cela est possible, assure une porte-parole. A ce jour, il représente 15 % des salariés dans le monde, et l’objectif est d’atteindre 40 % à mi-avril. »

« La direction est planquée en télétravail »

Dans une lettre ouverte publiée mardi 24 mars, SUD interpelle les donneurs d’ordre de TP : « L’Etat exige que les Français restent chez eux, l’entreprise délivre aux salariés des attestations pour dire que leur travail n’est pas possible à distance (…). Alors même que chez les donneurs d’ordre pour des activités semblables, leurs propres salariés sont en télétravail, certains d’entre eux empêcheraient, paraît-il, ce télétravail chez les prestataires (…). Il est intolérable que les dirigeants de ce si puissant prestataire et ses donneurs d’ordre se renvoient la balle éternellement. Faites simplement ce qu’il y a à faire : arrêtez d’exiger notre travail, si ce n’est pas en télétravail, durant toute la crise sanitaire. »

Selon les syndicats, plusieurs cas de Covid-19 confirmés ou de suspicions sont apparus dans des centres

« Il y a un début de télétravail au numéro vert et dans quelques sites, soit environ 115 personnes, plus la direction générale », observe M. Baouafi. « C’est discriminatoire. Quand ils voient que la direction est planquée en télétravail avec des salaires de plus de 7 000 euros par mois, les salariés sont écœurés. Ils ont peur de mourir en venant travailler. » Selon les syndicats, plusieurs cas de Covid-19 confirmés ou de suspicions sont apparus dans des centres, comme à Belfort et Lyon.

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« Cinq sites sur treize sont temporairement fermés pour la désinfection complète suite à une suspicion de cas », précise la direction. Selon M. Baouafi, 126 salariés ont exercé leur droit de retrait, que la société juge, dans un mail, « illégitime ». Les salaires des personnes concernées ne seront donc pas payés, et le conflit devra aller devant la justice. 486 salariés sont en arrêt maladie pour les divers motifs prévus par le gouvernement ou en raison d’une maladie autre que le SARS-CoV-2.

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Altice Médias met en place des mesures de chômage partiel

Alors que la crise liée à la pandémie de Covid-19 fait rage, Patrick Drahi a décidé de traverser cette mauvaise passe en recourant, sans attendre, aux deniers publics. Le propriétaire d’Altice a massivement mis en place des mesures de chômage partiel au sein de son groupe : chez SFR, entre 40 % et 60 % des 9 000 salariés sont concernés depuis lundi 23 mars par ces mesures. Les salariés d’Altice Médias, la branche médias du groupe, qui coiffe BFM, RMC, RMC Sport et 01Net, vont connaître le même sort, comme le leur a confirmé, lundi, la direction. Il faut dire que la publicité, principale source de revenus de ces médias, est en chute libre.

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« Cela concerne essentiellement les régies publicitaires, des fonctions supports comme les relations publiques et quelques journalistes », précise Arthur Dreyfuss, directeur général d’Altice Médias France. En fonction des métiers, les salariés seront soit complètement arrêtés, soit continueront à travailler à temps partiel, « 20 % ou 50 %. Nous avons déjà organisé des roulements pour les journalistes pour préserver les équipes », explique M. Dreyfuss.

Baisses de salaire

Au détail près que cette organisation se traduira, désormais, par des baisses de salaire. Dans un document officiel, l’entreprise précise que « l’indemnité » versée au salarié qui connaît une mesure de chômage partiel total, va correspondre à « 84 % » de sa rémunération nette. En volume, toute forme de chômage confondue, « 20 % des 1 400 salariés du groupe devrait être concerné ».

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Ni les rédactions de BFM-TV, dont les audiences sont au firmament, ou de Libération ne sont concernées, affirme M. Dreyfuss. En revanche, « deux ou trois journalistes de BFM-Business », la chaîne dédiée aux entreprises, devraient ralentir, et, avec 200 personnes, la rédaction de RMC Sport, qui regroupe à la fois la chaîne de télévision payante et l’agence d’informations qui fournit les différentes antennes, devrait également être touchée, pénalisée par l’arrêt des compétitions sportives.

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« Toute la production d’événement sportif a été mise au chômage partiel total », précise M. Dreyfuss. En parallèle, des journalistes de RMC Sport sont partis donner un coup de main à la rédaction de BFM, tandis que d’autres couvrent désormais l’actualité généraliste pour l’antenne de RMC par exemple. « Sans compter les pigistes permanents, qui, eux, n’ont plus une seule pige », déplore un journaliste rédacteur de RMC.

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Artistes, auteurs et vacataires : l’inquiétude monte chez les précaires de la culture

Passage Richelieu à Paris, le 15 mars 2020, des vitres donnent sur un Musée du Louvre vide de visiteurs.
Passage Richelieu à Paris, le 15 mars 2020, des vitres donnent sur un Musée du Louvre vide de visiteurs. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

« Annulez tout, mais payez tout le monde. » Dès le 13 mars, après la cascade d’annulations de foires, expositions, conférences et avant le grand confinement décrété trois jours plus tard, le site Documentations.arts exhortait les lieux culturels à ne pas laisser les artistes en rade. Car la crise sanitaire qui a mis la culture à l’arrêt fragilise avant tout les plus précaires – plasticiens, auteurs, indépendants et vacataires – traités en outsiders d’un monde dont ils sont pourtant les piliers.

Le gouvernement a certes annoncé quelques mesures d’urgence. Le Centre national du livre (CNL) et la Sofia (organisme agréé par le ministère de la culture pour la gestion collective du droit de prêt en bibliothèque) ont décidé de maintenir le versement de leurs subventions aux manifestations littéraires annulées, en contrepartie de leur engagement à verser aux auteurs la rémunération prévue au titre de leurs interventions. Les indépendants et autoentrepreneurs pourront aussi recourir à l’aide de 1 500 euros mise en place par le fonds de solidarité, conditionné à une baisse de chiffre d’affaires de plus de 70 % entre mars 2019 et mars 2020. L’Urssaf, qui gère le recouvrement des cotisations sociales des artistes-auteurs, a, de on côté, reporté l’échéance de paiement des cotisations dues normalement au 20 mars.

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Si le gel du calcul des droits pendant la période de confinement offre un répit, les créateurs n’en restent pas moins inquiets. « Ces dispositifs permettent des lissages de trésorerie, guère plus. Aucun dispositif d’aide ne concerne spécifiquement les artistes », déplore Grégory Jérôme, membre du groupe Economie solidaire de l’art (ESA). Quant aux 2 millions d’euros dévolus aux arts plastiques, sur les 22 millions d’euros débloqués le 18 mars par la Rue de Valois, ils sont à l’évidence insuffisants, d’autant que les modalités de reversement sont encore floues. « Si nous ne sommes pas enseignants, nous n’avons pas droit au chômage. Donc nous n’avons aucune rentrée d’argent et des charges qui courent, ne serait-ce que pour nos ateliers », résume l’artiste Agnès Thurnauer, qui doit exposer en mai à la galerie Michel Rein, à Paris.

Aucune compensation financière

L’artiste performeuse Violaine Lochu semble a priori mieux lotie, car elle jouit du statut d’intermittente du spectacle. Mais ses revenus dépendent aussi beaucoup des missions d’action pédagogique menées notamment en école d’art, pour lesquelles elle est rémunérée en vacations ou CDD. « Les interventions qu’on m’avait proposées sont le plus souvent officiellement reportées. Peut-être seront-elles in fine annulées, selon la durée du confinement et la situation économique des structures au sortir de cette période », explique-t-elle, précisant qu’aucune compensation financière ne lui a été proposée. En revanche, les équipes des lieux où elle devait exposer en mai et en juin lui ont promis un revenu minimum. « C’est très important, car cela permet de se projeter et de continuer à créer, indique-t-elle. Cependant, aucun contrat n’a été signé, comme c’est souvent le cas en France, où beaucoup de choses reposent sur la confiance… »

Emplois à domicile : vers la mise en place d’un chomage partiel

Rien ne vous interdit - et les pouvoirs publics vous y incitent – de maintenir le salaire total de votre salarié.
Rien ne vous interdit – et les pouvoirs publics vous y incitent – de maintenir le salaire total de votre salarié. Jochen Tack/ImageBroker / Photononstop

Via les plateformes du Cesu et de Pajemploi, les pouvoirs publics invitent les particuliers qui emploient habituellement des personnes à leur domicile (personnel de ménage, garde d’enfants, etc.), ou qui ont recours à un(e) assistant(e) maternel(le), à verser l’intégralité de leur salaire du mois de mars, même s’ils n’ont eu recours à leur service qu’une partie du mois. S’ils le peuvent.

En contrepartie, un système d’indemnisation comparable à celui prévu dans les entreprises pour les périodes de chômage partiel devrait être prochainement mis en place.

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Il reposerait sur le principe suivant : pendant toute la période où ces salariés ne pourront pas travailler, les particuliers employeurs devront continuer à les payer comme s’ils avaient travaillé en leur versant une indemnité égale à 80 % de leur salaire net horaire, puis ils seront remboursés par l’Etat. Les délais de remboursement n’ont pas encore été précisés.

Ce qu’on sait pour l’heure de la démarche

Dans l’attente, les pouvoirs publics demandent aux particuliers employeurs de ne pas faire leur déclaration du mois de mars. Ils seront informés par e-mail lorsque le dispositif sera opérationnel.

Une fois ce mail reçu, vous devrez alors déclarer et payer les heures réellement effectuées en mars dans les mêmes conditions que d’habitude. Pour les heures prévues mais non travaillées, il faudra remplir un formulaire d’indemnisation accessible sur le site du Cesu ou de Pajemploi. Le remplissage de ce document permettra de calculer le montant de l’indemnité que vous devrez verser à votre salarié, en plus de son salaire.

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Rien ne vous interdit – et les pouvoirs publics vous y incitent – de maintenir le salaire total de votre salarié.

Si vous actionnez le dispositif d’indemnisation mis en place par l’Etat, le montant de l’indemnité versée – et remboursée – ne vous ouvrira pas droit au crédit d’impôt pour emploi d’un salarié. Vous ne pourrez y prétendre que sur la partie du salaire payé de votre poche.

Pour le soutien scolaire à distance

En revanche, si vous renoncez à demander le remboursement des heures non travaillées, vous aurez le droit au crédit d’impôt pour emploi d’un salarié à domicile sur la totalité du salaire versé, dans les mêmes conditions que d’habitude.

En plus de cette indemnité spécifique, Gérald Darmanin, le ministre de l’action et des comptes publics, a annoncé que les cours de soutien scolaire réalisés à distance, via Internet, pendant la période de confinement ouvriraient droit au crédit d’impôt pour emploi d’un salarié à domicile. Cette mesure exceptionnelle et temporaire ne devrait concerner que le soutien scolaire pour les enfants. Elle ne devrait pas être étendue aux cours particuliers pour les adultes (cours de gym, notamment).

SFR impose une mesure de chômage partiel à « un grand nombre » de ses salariés

Une agence SFR à Caen en novembre 2019.
Une agence SFR à Caen en novembre 2019. SAMEER AL-DOUMY / AFP

Dans une communication faite lundi 23 mars à ses salariés, l’opérateur français de télécommunications SFR a fait part de sa décision de recourir au dispositif exceptionnel de chômage partiel mis en place dans le cadre de la crise sanitaire, qui lui permet de transférer à l’Etat une partie de sa masse salariale.

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« Nous enregistrons une baisse significative de notre activité en raison des mesures de confinement et d’un ralentissement global de l’économie en France, s’est justifié dans un courriel adressé aux équipes de l’entreprise son directeur général, Grégory Rabuel. Dans ces circonstances exceptionnelles, compte tenu des annonces du gouvernement, et comme c’est déjà le cas pour une partie de nos salariés de SFR Distribution [les boutiques] depuis le 16 mars, nous avons décidé de recourir au chômage partiel à compter du 23 mars pour un grand nombre d’entre vous ou plus progressivement pour certains sur une partie de nos activités. » Ne seraient préservés que les personnels attachés aux activités essentielles : entretien du réseau, services techniques, services aux entreprises.

Entre 40 % et 50 % des salariés concernés selon la direction

Un certain nombre de salariés ont déjà été informés de leur mise en chômage partiel, mais le nombre total de personnes concernées n’est pas encore connu. D’après les organisations CGT et SUD, qui se sont associées en intersyndicale pour déplorer cette mesure, environ 60 % des 9 000 salariés de la compagnie pourraient être touchés. De son côté, la direction table plutôt sur une proportion située entre 40 % et 50 %, justifiant qu’il faut aujourd’hui à l’entreprise se concentrer sur ses services prioritaires, son activité commerciale étant à l’arrêt.

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Annoncée lundi matin, à 11 heures, lors d’une conférence téléphonique, la mesure prise par la direction soulève l’indignation des organisations syndicales. « Il s’agit de faire des économies sur la masse salariale en les reportant sur les fonds publics, c’est un manque de solidarité nationale », déplore Sylvie Fondacci, de la CGT, tout en rappelant que, même dans cette période agitée, le groupe Altice, propriétaire de SFR, « est loin de mettre la clé sous la porte ». Elle souligne, en outre, que cette décision lui paraît d’autant plus incompréhensible que la société – constituée essentiellement de cadres désormais – s’était organisée pour favoriser le télétravail, auquel sont astreintes une grande partie des équipes désormais.

En réunion sur zoom, avec les collègues sur les réseaux sociaux et le reste comme au bureau, ou presque

« Si elles affirment être prêtes à adopter le télétravail, les entreprises n’ont pas toujours pris le temps de préparer leurs employés. »
« Si elles affirment être prêtes à adopter le télétravail, les entreprises n’ont pas toujours pris le temps de préparer leurs employés. » Quentin Hugon / Le Monde

Quand il a su qu’il allait falloir télétravailler, comme ses collègues, Philippe Burger (pseudonyme), cadre à la direction régionale d’une grande banque française, a emporté son équipement à son domicile : ordinateur portable, téléphone mobile professionnel, casque pour conférence audio, etc. Connecté en wifi à la box de la maison, il retrouve son environnement de travail habituel. L’application Skype Entreprise lui permet de partager des documents, de passer des appels audio ou vidéo, de faire de la messagerie instantanée… Une application VPN (Virtual private network) sécurise les communications.

Bref, il peut travailler « comme au bureau » ! « Si ce n’est qu’en début de semaine, quand tout le monde s’est connecté pour télétravailler, le réseau est tombé ! », raconte-t-il. Certes, une petite partie de l’effectif de la banque télétravaille déjà un ou deux jours par semaine, mais l’infrastructure n’avait pas été dimensionnée pour supporter la connexion simultanée de l’ensemble du personnel. Le problème a progressivement été résolu et les communications rétablies.

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Au-delà des applications, le télétravail suppose une bonne connexion. Adeline Autin, assistante des trois cofondateurs de Oodrive, une solution sécurisée de partage de documents dans le cloud, utilise les applications de la société pour échanger ou partager les documents ainsi que pour les synchroniser sur son mobile.

Des salariés pas tous bien équipés

Elle utilise également Skype et Zoom pour les réunions audio et vidéo. Un collègue l’a rapidement initiée – en ligne – à cette dernière application qu’elle n’utilisait pas avant cette semaine. Mais son domicile n’est pas encore connecté à la fibre optique… « Mes outils n’ont pas changé, mais les délais de connexion sont un peu plus longs qu’au bureau et surtout le débit en ADSL [utilisation de la ligne téléphonique pour transmettre des données numériques, N.D.L.R.] est nettement inférieur à celui du bureau », regrette-t-elle.

François Le Gunehec, responsable des comptes clés à l’institut d’études de marché GfK France, n’a pour sa part rencontré aucune difficulté de connexion. Toutes les applications qu’il utilise au quotidien, Skype Entreprise, Teams, Outlook et des applications « maison », sont installées sur son ordinateur portable professionnel. Il y accède via une double authentification : son mot de passe et un code qui lui est envoyé sur son mobile. « La seule différence, c’est qu’au bureau, je branche mon ordinateur portable sur une station d’accueil, ce qui me permet de travailler sur un grand écran, mais à part cela, il n’y a aucune différence entre travailler au bureau ou à domicile. Hormis que je gagne du temps sur le transport et que c’est plus calme chez moi ! ».

Toutefois, selon leur secteur d’activité, les salariés ne disposent pas tous d’un équipement à la pointe et n’ont pas toujours été formés aux applications à utiliser à distance. C’est le cas de Florie Vargas (pseudonyme), qui travaille dans un centre d’appel d’urgence. Elle utilise son ordinateur et son téléphone mobile personnels pour travailler depuis chez elle. « Avec mes collègues, nous avons créé un groupe sur un réseau social pour échanger et résoudre les problèmes que nous rencontrons comme, par exemple, que les appelants ne soient pas renvoyés vers nos messageries personnelles lorsque la ligne est occupée. Nous trouvons des astuces et nous nous soutenons parce que ce n’est pas facile de répondre à des appels d’urgence depuis chez soi », remarque-t-elle.

Dans de nombreuses organisations, cette entraide pallie le manque de formation ou de pratique des outils numériques. Ariane Wantz (pseudonyme), cadre d’un service transverse de l’Assurance Retraite, utilise au quotidien Teams pour le partage de documents, des applications métiers propres à la caisse de retraite, et d’autres outils de messagerie, de réunions, etc. Pour y accéder depuis chez elle, elle doit s’authentifier à l’aide d’une application qu’elle a installée sur son téléphone mobile la semaine dernière. « J’ai reçu le mode opératoire par messagerie, mais il m’a fallu l’aide d’un collègue pour l’activer et savoir m’en servir », reconnaît-elle. Autant d’exemples qui montrent que si elles affirment être prêtes à adopter le télétravail, les entreprises n’ont pas toujours pris le temps de préparer leurs employés.

La Poste réduit ses tournées de courrier et colis en raison du coronavirus

Devant une agence de La Poste, à Strasbourg, le 17 mars.
Devant une agence de La Poste, à Strasbourg, le 17 mars. FREDERICK FLORIN / AFP

La Poste n’est désormais plus en mesure d’assurer ses tournées habituelles, six jours sur sept. La pandémie due au coronavirus a déjà entraîné une réduction des effectifs de l’opérateur public. Selon nos informations, le groupe a décidé, lundi 23 mars, de prendre les devants en adaptant son organisation, « pour protéger la santé des postiers et assurer ses missions essentielles ».

Les mesures qui auront le plus de conséquences pour les Français concernent la distribution du courrier et des colis. Le temps de travail des facteurs et des personnels dans les centres de tri va en effet être progressivement réduit, « sans impact sur la rémunération », précise-t-on au sein du groupe. Ils travailleront quatre jours la semaine du 23 au 28 mars, puis trois jours par semaine à partir du lundi 30 mars. Le facteur ne pourra donc plus passer tous les jours pour distribuer les lettres et les paquets. Le principe de maintenir deux à trois tournées par semaine a été évoqué en interne, mais tout dépendra des effectifs réellement présents au jour le jour.

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Pour limiter au maximum le nombre de postiers présents simultanément sur un même site de travail, les prises de services décalées vont se poursuivre. L’objectif étant de ne jamais avoir plus de 50 % des effectifs présents en même temps sur un site.

La priorité donnée aux services assurant un lien social

Concernant les différentes missions du facteur, la priorité sera donnée aux services assurant un lien social avec les clients, comme le portage des repas aux seniors, le portage des médicaments et de produits sanitaires nécessaires aux personnels soignants, ou l’offre « Veillez sur mes parents », avec une visite régulière à domicile du facteur. Cette nouvelle organisation du travail ne remettra pas en question le passage quotidien pour ces services de proximité.

La Poste appelle d’ailleurs ses clients à concentrer leurs commandes et leurs envois sur ce qui est strictement nécessaire. Elle en fera part aujourd’hui aux clients et aux e-commerçants. Depuis samedi 21 mars, le géant de la distribution en ligne Amazon a déjà cessé de prendre des commandes jugées « moins prioritaires » sur ses sites français (et italien) pour se concentrer sur les produits les plus demandés en cette période de pandémie de Covid-19 : les produits d’hygiène ou de base pour la maison qui auront la priorité, comme c’est déjà le cas aux Etats-Unis.

La nouvelle organisation décidée par La Poste se met en place, alors que six syndicats de l’établissement (CGT, CFDT, SUD, CFE-CGC, CFTC et UNSA) avaient interpellé, vendredi 20 mars, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, et leur PDG, Philippe Wahl. Dans un courrier, ils demandaient une « discussion au sujet des missions que devrait assurer prioritairement le groupe La Poste » pendant la crise du coronavirus. Ils alertaient sur la situation sanitaire et sociale au sein du groupe, où « les conditions de sécurité sont bien loin d’être maximales ».

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