Coronavirus : en France, l’activité économique est en chute de 35 %, selon l’Insee

Dans un hypermarché, à Givors, près de Lyon, le 13 mars.
Dans un hypermarché, à Givors, près de Lyon, le 13 mars. JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

A crise exceptionnelle, communication inédite. L’Insee a publié, jeudi 26 mars, sa première estimation de l’incidence de la crise sanitaire sur l’activité économique en France. Une publication précédée d’une introduction inhabituelle rédigée par le directeur général de l’institut de conjoncture, Jean-Luc Tavernier. Ce dernier précise avoir « cependant hésité avant de donner son feu vert » à la diffusion de cette estimation, en raison à la fois du côté « dérisoire » de tels calculs dans la période vécue et de l’aspect « fragile » des statistiques affichées. « Quoi qu’il en soit, pour incertain et imprécis qu’il soit, il m’a semblé que donner ce premier ordre de grandeur était préférable à ne rien dire du tout », conclut M. Tavernier.

Et les chiffres annoncés sont plus pessimistes encore que ceux qui ont pu être publiés par d’autres instituts de prévision : l’activité « instantanée », mesurée cette semaine par rapport à une semaine dite « normale », est en recul de 35 %, et un confinement d’un mois aurait un impact « de l’ordre d’une douzaine de points de produit intérieur brut [PIB] trimestriel en moins, soit 3 points de PIB annuel ». Deux mois de confinement auraient un effet deux fois plus important, soit la perte de 24 points de PIB trimestriel, correspondant à 6 points de PIB annuel.

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L’Insee souligne que « cet ordre de grandeur semble cohérent avec les premières informations disponibles sur la situation des salariés » : un tiers environ en activité sur leur lieu habituel de travail, un tiers en télétravail et le dernier tiers au chômage partiel. Il est également « compatible » avec la diminution observée de la consommation d’électricité, actuellement d’environ 20 % par rapport à une situation ordinaire.

Situations différentes selon les secteurs

Volontairement, l’Insee ne livre pas d’estimation de croissance pour 2020. « Cela dépendra notamment de la durée de cette période de confinement, que nous n’avons aucune légitimité ni aucune compétence à prévoir, précise Jean-Luc Tavernier. C’est peu de dire que ce que nous présentons aujourd’hui est fragile, susceptible d’être révisé. D’abord, parce que nos méthodes, dans une telle situation, ne sont pas éprouvées : c’est inédit dans l’histoire de l’Insee. C’est fragile aussi parce que la situation elle-même est très évolutive. »

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L’institut souligne également une grande différence de situations selon les secteurs. Certaines activités telles que les transports, l’hôtellerie et la restauration ou les loisirs sont très sévèrement touchées, alors que d’autres le sont moins, comme les télécommunications et les assurances par exemple. Environ les deux tiers des services marchands sont maintenus, estime l’Insee.

Dans l’industrie, environ la moitié de l’activité est maintenue, alors que les activités agricoles « devraient se poursuivre seulement un peu en deçà de la normale ». A noter également que dans certaines activités industrielles et dans les travaux publics, « l’activité reprend après s’être interrompue », alors que dans d’autres secteurs, par exemple dans les services aux entreprises, « le creux n’est sans doute pas encore atteint ».

Effondrement de la consommation des ménages

Cette très forte baisse de l’activité du pays résulte en grande partie de l’effondrement de la consommation des ménages, conséquence normale du confinement et de la fermeture des commerces. Les dépenses de textile, d’habillement, de matériel de transport sont réduites à leur plus simple expression, avec une baisse comprise entre 90 % et 100 %. D’autres dépenses comme l’électricité se maintiennent, tandis que la pharmacie, elle, est en hausse de 5 %. Au total, « nous estimons que la consommation totale des ménages français s’établit actuellement à 65 % de la normale », souligne l’Institut de la statistique.

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L’Insee complète ces éléments de conjoncture avec des notes sur le climat général des affaires : ce dernier perd dix points (à 95 points), soit « la plus forte baisse mensuelle de l’indicateur depuis le début de la série, en 1980 ». « En octobre 2008, après la faillite de Lehman Brothers, l’indicateur avait chuté de 9 points. » L’indicateur de climat de l’emploi connaît également sa plus forte chute depuis le début de la série, en 1991. Il perd 9 points pour atteindre 96 points.

Dans tous les secteurs, l’indicateur du climat des affaires se dégrade fortement, à l’exception toutefois de celui du bâtiment. « Cela confirme que ces indicateurs sont à lire avec prudence, ce mois-ci, souligne Jean-Luc Tavernier. Ils reflètent sans doute l’opinion des chefs d’entreprise début mars plutôt que fin mars. » Comprendre : le pire est plutôt à venir.

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Nouvelle hausse des retraites progressives

Les retraites progressives ont constitué, en 2019, 2 % des nouvelles retraites.
Les retraites progressives ont constitué, en 2019, 2 % des nouvelles retraites. Eric Audras/Onoky / Photononstop

Les séniors ayant cotisé au régime général ont été 13 285 à prendre une retraite progressive en 2019. Ce n’est certes que 2 416 personnes de plus qu’en 2018, mais ce nombre est en hausse de 22 % par rapport à l’année précédente, selon les chiffres dévoilés le 16 mars par l’Assurance retraite.

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Ce dispositif encore méconnu permet de toucher une fraction de ses pensions, tout en travaillant à temps partiel ; si, par exemple, vous travaillez à 60 %, vous touchez 40 % de vos pensions, de base comme complémentaires. Par ailleurs, il permet de continuer à engranger des droits à la retraite (trimestres, points Agirc-Arrco).

2 % des départs l’an dernier

Les conditions pour en bénéficier : avoir 60 ans minimum, avoir cumulé au moins 150 trimestres tous régimes confondus, travailler au minimum à 40 %, au maximum à 80 %. Notez que des variantes du dispositif des salariés existent au régime agricole et pour les indépendants (commerçants et artisans).

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Le nombre d’affilés du régime général optant annuellement pour la retraite progressive a été multiplié par neuf en cinq ans, passant de 1 502 en 2014 à 13 285 l’an dernier. Alors qu’elle constituait une part infime des départs à la retraite (hors réversions) en 2014, 0,25 %, elle représente désormais 2 % des départs.

Age de départ stable

Autre évolution : les trois quarts (73 %) des retraites progressives déclenchées en 2019 l’ont été par des femmes, alors que celles-ci ne pesaient que 56 % des retraites progressives déclenchées en 2014.

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Parmi les autres données dévoilées le 16 mars par l’Assurance retraite dans ses statistiques 2019, l’âge moyen du départ pour les retraités du régime général (hors « Sécurité sociale des indépendants ») : c’est 62,8 ans, contre 62,7 ans en 2018 (62,5 ans pour les hommes, 63 ans pour les femmes).

Pension moyenne versée au 31 décembre 2019 aux retraités (nouveaux comme anciens, hors réversions) ayant effectué une carrière complète au régime général : 1 064 euros par mois, majorations pour familles de trois enfants et plus comprises, contre 1 057 euros au 31 décembre 2018. Attention, il ne s’agit que de la pension de base, la complémentaire n’est pas incluse.

Enfin, « le nombre d’attributions d’allocations de solidarité aux personnes âgées [l’Aspa, l’ex-minimum vieillesse] augmente, passant de 44 442 en 2018 à 58 699 en 2019 », note l’Assurance retraite.

Coronavirus : les hôpitaux franciliens proches du point de rupture

A Boulogne Billancourt, l’hopital d’Ambroise Paré a organisé une structure à l’extérieur pour acceuillir les malades. Le 25 mars.
A Boulogne Billancourt, l’hopital d’Ambroise Paré a organisé une structure à l’extérieur pour acceuillir les malades. Le 25 mars. Benoit Durand / Hans Lucas

D’un hôpital francilien à l’autre, un même cri d’alerte. Confrontés depuis mardi 24 mars à une nette accélération du nombre de patients atteints du Covid-19 dans un état grave, les services de réanimation d’Ile-de-France approchent à très grande vitesse de leur seuil de saturation. « La situation est extrêmement préoccupante, c’est une alerte majeure », déclare Aurélien Rousseau, le directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France.

Alors que la région a, en quelques semaines, massivement déprogrammé les interventions chirurgicales non urgentes et largement mobilisé l’hospitalisation privée, cet effort pourrait ne pas suffire. Mercredi, un peu plus de 1 100 lits de réanimation étaient occupés par des patients contaminés par le SARS-CoV-2 en Ile-de-France sur un total de 1 400 à 1 500 lits dédiés, avec plus de cent nouveaux malades à accueillir chaque jour.

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« Il reste un peu plus de 300 lits, nous avons encore trois jours de capacité devant nous », prévient M. Rousseau. Il ajoute : « Nous ne sommes pas au point de bascule. Nous avons entre quarante-huit et soixante-douze heures devant nous pour armer quelques centaines de lits supplémentaires. »

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Quelques heures plus tôt, Martin Hirsch, le patron de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), sonnait le tocsin dans la matinale de France Info. « C’est plus qu’un appel à l’aide », lançait-il, la voix nouée, en demandant davantage de respirateurs, davantage de personnels soignants, « qu’ils soient volontaires ou qu’on fasse appel à la réquisition », et une garantie de l’approvisionnement en médicaments. Pour les responsables sanitaires, il s’agit de tenir jusqu’à ce que les premiers effets du confinement se fassent sentir, avec une diminution du nombre d’admissions quotidiennes.

La « réa » est « pleine à ras bord »

Dans les hôpitaux franciliens, médecins et paramédicaux ont tous senti la situation se dégrader en quarante-huit heures. A l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), onze patients infectés par le SARS-CoV-2 ont par exemple dû être refusés en moins de vingt-quatre heures, faute de place en réanimation. « Je pense, j’espère, qu’ils ont trouvé une place ailleurs », souffle Djillali Ananne, le chef de la « réa ». Sur la soixantaine de malades atteints de Covid-19 hospitalisés dans l’établissement, vingt-six sont dans son service, sous ventilation.

La biologiste Caroline Gutsmuth à Neuilly-sur-Seine, le 23 mars 2020.
La biologiste Caroline Gutsmuth à Neuilly-sur-Seine, le 23 mars 2020. Christophe Ena / AP

« Nous aurions la possibilité d’ouvrir de nouveaux lits, si nous étions en mesure de recruter une vingtaine d’infirmières. Mais avec les effectifs actuels, nous ne pouvons plus accueillir de patients, regrette le médecin. Il faut maintenant attendre que des patients guérissent. »

« La crise sanitaire ne peut pas être la porte ouverte à tout » : l’opposition politique monte au créneau contre les ordonnances gouvernementales

Le gouvernement a adopté, mercredi 25 mars, vingt-cinq ordonnances – économiques, sociales, judiciaires – pour faire face aux conséquences économiques et sociales de l’état d’urgence sanitaire provoqué par l’épidémie de Covid-19. « C’est un effort long auquel nous allons tous ensemble faire face », a assuré le premier ministre, Edouard Philippe. Mais ces mesures, et plus particulièrement celles relatives à l’aménagement du droit du travail, n’ont pas fait l’unanimité dans le monde politique.

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« Aucune réquisition du secteur textile ni mécanique pour la production des masques et des respirateurs. Aucune nationalisation des entreprises défaillantes utiles dans la lutte comme Luxfer. Aucune méthode de planification de la mobilisation sanitaire n’est mise en place », déplore ainsi dans un communiqué Jean-Luc Mélenchon, le chef de file de La France insoumise (LFI). « Nous avons eu raison de voter contre la loi d’état d’urgence sanitaire. Car, une fois de plus, c’est un prétexte à un nouveau recul des droits sociaux », a-t-il ajouté, estimant que l’exécutif aurait pu prendre des mesures pour mettre « à contribution les ultra-riches ».

« Cette crise sanitaire ne peut pas être la porte ouverte à tout. Il faut être vigilant et rigoureux », a plaidé de son côté, sur Public Sénat, le porte-parole du Parti socialiste, Boris Vallaud. Selon lui, les ordonnances gouvernementales entament certains pans de la protection sociale que les responsables politiques doivent aux Français : « Aujourd’hui, on nous parle de 60 heures hebdomadaires, de plus de flexibilité. (…) Les directives européennes imposent par exemple 48 heures hebdomadaires maximum. Nous aurions aimé que les partenaires sociaux soient associés aux discussions, mais ce n’est pas le cas. »

Cette dérogation à la durée du travail dans certains secteurs « est une hérésie », s’est agacé Yves Veyrier, le numéro un du syndicat Force ouvrière (FO), interrogé sur RTL. « On a besoin justement de ménager les salariés qui sont mobilisés. On risque d’ajouter au risque d’épidémie un risque de fatigue, d’épuisement par des temps de travail plus importants et des temps de repos réduits. »

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Un son de cloche qu’on retrouve étonnamment à droite. Ainsi, sur Twitter, le député Les Républicains Julien Aubert estime que « les mesures qu’implique la crise sanitaire doivent être strictement proportionnées ». « Après les congés, abolir par ordonnance les règles du droit de travail en portant la durée à 60 heures est un choix socialement régressif. »

« Elle n’est pas belle, l’union sacrée ? »

Pour la sénatrice Europe Ecologie-Les Verts (EELV) Esther Benbassa, le Covid-19 « inaugure en France l’esclavage moderne ». Et cette dernière de décliner dans un Tweet : « La ministre du travail instaure les 60 heures/semaine dans certains secteurs, celui de l’agriculture exhorte les chômeurs à travailler aux champs pour remplacer les saisonniers. Elle n’est pas belle, l’union sacrée ? »

Le député européen EELV David Cormand déplore, quant à lui, sur le même réseau social, l’absence de considération à l’égard des enseignants, victimes à ses yeux de dénigrement de la part de l’exécutif. « Elles et ils assurent le suivi pédagogique des élèves. Ce gouvernement a un problème avec les services publics. Comment prendre ce déni permanent autrement que pour du mépris ? »

« Nous sommes dans une situation très particulière et extrêmement grave avec un impact sur les entreprises et forcément sur l’emploi », a jugé, pour sa part, sur Public Sénat, le sénateur LR Philippe Dallier. « Il faut essayer de s’y adapter pour une période qui restera j’espère relativement courte. (…) Il faut effectivement prendre des décisions, on ne peut pas attendre que le temps passe et constater les dégâts après coup », a-t-il tempéré.

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Le Monde avec AFP

Temps de travail, chômage partiel, congés payés… Le droit du travail bousculé par ordonnances

Muriel Pénicaud, ministre du travail, à l’Assemblée nationale, le 24 mars.
Muriel Pénicaud, ministre du travail, à l’Assemblée nationale, le 24 mars. JACQUES WITT / AFP

Tout comme dans les premiers mois du quinquennat, le gouvernement réécrit le code du travail en recourant à des ordonnances. Mercredi 25 mars, vingt-cinq textes de ce type devaient être présentés en conseil des ministres, dont trois concernent les relations entre salariés et employeurs, ainsi que le sort réservé aux chômeurs.

Mais le contexte n’a rien à voir avec celui qui prévalait au début du mandat d’Emmanuel Macron : les vingt-cinq ordonnances en question sont, en effet, prises en application de la loi d’urgence pour combattre le Covid-19, adoptée dimanche par le Parlement. Il s’agit de mesures d’exception, qui ont vocation, en principe, à ne s’appliquer que durant la période de crise sanitaire.

Celles qui portent sur le monde du travail visent à limiter les réductions d’effectifs dans les entreprises et à protéger les actifs – qu’ils soient en poste ou qu’ils en recherchent un. Les dispositions arrêtées se caractérisent par un surcroît de souplesse donnée aux patrons pour diriger leurs personnels et par un soutien apporté aux individus. Une sorte de flexisécurité mise en place momentanément afin d’encaisser le choc épidémique.

  • Temps de travail

L’une des trois ordonnances dévoilées mercredi offre la faculté à certaines catégories d’employeurs de s’affranchir des règles de droit commun en matière de temps de travail. A l’heure actuelle, un salarié ne doit pas accomplir plus de quarante-quatre heures par semaine en moyenne (sur douze semaines consécutives) ; désormais, ce plafond pourra être élevé à quarante-six heures.

En outre, au cours d’une même semaine, il sera possible d’employer de la main-d’œuvre pendant soixante heures, au maximum. La législation actuelle prévoit déjà cette éventualité, moyennant une autorisation au cas par cas des services déconcentrés de l’Etat, précise-t-on dans l’entourage de Muriel Pénicaud, la ministre du travail. Mais la dérogation (relative aux maxima de quarante-six heures et de soixante heures) sera beaucoup plus large puisqu’elle sera susceptible de jouer dans les « secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale ». Sont notamment visés les transports, la logistique, l’agroalimentaire, l’agriculture, l’énergie, les télécommunications, énumère un collaborateur de Mme Pénicaud.

Les sociétés implantées dans ces mêmes secteurs stratégiques disposeront, par ailleurs, de marges de manœuvre accrues pour mobiliser leurs équipes le dimanche, le but étant de pouvoir tourner sept jours sur sept au moment des pics d’activité. Le repos minimum entre deux journées de travail pourra, qui plus est, être ramené de onze à neuf heures.

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Samedi, en ouverture des débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi d’urgence, le premier ministre, Edouard Philippe, avait tenu à souligner que ces nouvelles règles ne dépassent pas « un certain nombre de bornes qui sont imposées (…) dans le cadre communautaire ».

Autrement dit, même si la France prend provisoirement ses distances avec le droit commun, à l’échelon national, elle continue de respecter le corpus de normes fixées par l’Union européenne. L’objectif, selon M. Philippe, est « de permettre la poursuite du travail et d’endiguer les licenciements massifs et les faillites qui ruineraient des milliers d’entreprises et des millions de Français ».

  • Congés payés

Parmi les mesures assouplissant la loi au profit des patrons, il y a également celle sur « les dates de prise d’une partie des congés payés ».

Désormais, l’employeur aura la faculté d’imposer ou, au contraire, de différer des vacances, pour des périodes ne pouvant excéder « six jours ouvrables ». Il sera tenu de le dire seulement un « jour franc » – et non plus quatre semaines – à l’avance. Mais il ne pourra le faire que si un accord d’entreprise ou de branche l’y autorise. En revanche, les « dates des jours de réduction du temps de travail » et « des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié » pourront être dictées ou modifiées « unilatéralement » par la direction, sans qu’un accord collectif soit requis.

  • Allocation chômage

Une autre ordonnance, soumise mercredi au conseil des ministres, cherche à secourir les bénéficiaires de l’assurance-chômage. Ainsi, les droits à une allocation sont prolongés pour tous les demandeurs d’emploi qui les ont épuisés dans le courant du mois de mars.

Il s’agit d’éviter que des milliers de personnes se retrouvent sans ressources ou basculent sur les minima sociaux, dans une période où les perspectives de retrouver un poste s’avèrent très minces.

  • Chômage partiel

Au cours des prochains jours, une ordonnance supplémentaire devrait être publiée, afin de faciliter le recours au chômage partiel. L’exécutif dit s’être inspiré de l’Allemagne qui, lors de la crise de 2008-2009, avait pris des mesures de cette nature pour que les entreprises conservent leur main-d’œuvre. Avec succès, relève-t-on dans l’entourage de Mme Pénicaud : l’économie, outre-Rhin, avait « pu repartir plus vite » alors que la récession avait été plus forte qu’en France, nos voisins ayant su mettre l’emploi à l’abri.

Le gouvernement de M. Philippe veut donc suivre une démarche analogue aujourd’hui : tout faire pour préserver les compétences, grâce à un régime de chômage partiel « le plus protecteur d’Europe », assure-t-on au ministère du travail.

Le dispositif sera ouvert aux employés à domicile, aux assistantes maternelles ainsi qu’aux VRP et aux salariés dont le temps de travail est décompté en jours et non pas en heures. Des améliorations seront, de surcroît, apportées, notamment pour les personnes travaillant à temps partiel : ainsi, ceux qui sont à mi-temps au salaire minimum percevront 100 % de la moitié du smic (et non pas 84 % comme aujourd’hui).

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Les organisations syndicales regrettent que les changements introduits sur la durée du travail, les repos et les congés soient, pour beaucoup d’entre eux, laissés à la main des patrons : celles-ci auraient préféré qu’une plus grande place soit réservée au dialogue social. Certaines confédérations, comme la CGT, redoutent, par ailleurs, que les dérogations continuent de s’appliquer bien au-delà de la période de confinement.

Coronavirus : le spectre du krach de 2008, voire de 1929

Des avions de ligne des compagnies Delta Air Lines et Southwest Airlines immobilisés dans un aéroport  à Victorville (Californie), le 24 mars.
Des avions de ligne des compagnies Delta Air Lines et Southwest Airlines immobilisés dans un aéroport  à Victorville (Californie), le 24 mars. DAVID MCNEW / AFP

« Et dans les yeux des affamés, la colère grandit, et pousse dans l’âme du peuple les raisins de la colère… » Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a choisi, mardi 24 mars, de réveiller le fantôme de Tom Joad, héros des Raisins de la colère, le roman emblématique de John Steinbeck publié en 1939, qui traverse la dépression américaine des années 1930. « Ce que nous vivons n’a pas d’autres comparaison que la Grande Dépression de 1929 », a déclaré le ministre, lors d’une conférence de presse. Comparaison effrayante. La crise économique née à la suite du krach boursier du 24 octobre 1929 a provoqué un cataclysme financier sans égal dans le XXe siècle, qui se transmettra à la planète entière et attendra la deuxième guerre mondiale pour disparaître complètement. Avec son cortège de misère, de morts et de troubles sociaux et politiques, dont l’avènement du nazisme.

Bruno Le Maire n’est pas le seul à brandir cette menace. Progressivement, les milieux d’affaires prennent la mesure d’une économie qui s’est mise à l’arrêt d’un coup, comme on souffle une bougie. « Ils ont la trouille de l’embolie générale », confie un conseiller de grands patrons, sous le couvert de l’anonymat. Ces derniers soulignent tous le risque « d’un collapse [« effondrement »] en chaîne », contaminant l’ensemble du tissu économique jusqu’aux plus petites sociétés. « Nous avons tous le sentiment qu’un arrêt brutal et prolongé peut rendre la reprise très complexe et difficile, confirme Jean-Pierre Clamadieu, président du groupe Engie. L’enjeu est de garder la machine en route. » Aussi, beaucoup poussent pour le maintien d’une activité économique en dépit du confinement. Quitte à risquer l’injonction contradictoire. Airbus redémarre sa chaîne de production, et l’Association française des entreprises privées a demandé à ses adhérents de reprendre leur activité, « lorsque les conditions sanitaires sont réunies ».

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Il ne s’agit pas de remettre en cause le confinement, mais de ne pas paralyser totalement l’économie. D’une part, comme le souligne le ministre de l’économie, parce que les activités sont interdépendantes. « Il est impossible de définir une activité autorisée, dit-il. Sitôt publiée, la liste doit être revue. Pour vendre 1 litre de lait, il faut des camions, des routes, du BTP, des garages, de l’électricité, tout est imbriqué ! » Et, d’autre part, parce qu’on risque de se retrouver avec un tissu économique trop délabré au moment du redémarrage. C’est là qu’intervient la grande peur de l’effondrement, comme en 1929.

Coronavirus : un plan de sauvetage pour les start-up françaises

Le pavillon de la French Tech au Consumer Electronics Show de Las Vegas, en janvier 2019.
Le pavillon de la French Tech au Consumer Electronics Show de Las Vegas, en janvier 2019. ROBERT LEVER / AFP

Pas plus que les autres entreprises, les start-up françaises ne passeront la crise liée à la pandémie due au coronavirus sans y perdre des plumes. Peut-être sont-elles même plus fragiles que d’autres, elles qui sont par nature très jeunes. C’est pourquoi l’Etat, qui a beaucoup investi sur elles ces dernières années, présente mercredi 25 mars un plan de soutien à cet écosystème.

Le programme vise à permettre à ces sociétés de traverser une période de turbulences qui courrait au moins jusqu’à la fin de l’année 2020. Il repose sur les entrepreneurs, appelés d’ores et déjà à prendre des mesures de court terme pour sauvegarder leur activité, mais surtout sur Bpifrance, la banque publique d’investissement, et les investisseurs traditionnels (« business angels », fonds d’investissements…).

Pour Cédric O, secrétaire d’Etat chargé du numérique, « les start-up ont un poids croissant dans l’économie, en particulier dans les emplois. (…) Du fait de la spécificité de leur modèle de développement [qui nécessite un important investissement de départ, avant de parvenir à la rentabilité], il convenait de prendre des mesures d’urgence spécifiques, afin de [les] soutenir. » Au total, ce sont près de 4 milliards d’euros qui vont être mobilisés.

Remboursement accéléré du crédit d’impôt recherche

Ce montant recouvre des dispositifs très variés, qui passent plus par des facilités de financement ou l’anticipation de déblocages de fonds que par des aides directes. Cela n’en constitue pas moins une bouffée d’air, en particulier pour celles qui s’apprêtaient à lever des fonds et qui voient cette perspective s’éloigner. Celles qui viennent de boucler leur tour de table ont, elles, plus de visibilité.

La mesure la plus consistante réside dans un remboursement accéléré du crédit d’impôt recherche, qui devrait se faire dans les tout prochains jours, et qui permettrait de libérer une enveloppe de 1,5 milliard d’euros. Des facilités de prêts sont également prévues : des prêts de trésorerie garantis par l’Etat auprès des banques, qui pourraient atteindre un montant de 2 milliards d’euros.

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Bpifrance va également adapter ses dispositifs d’aide aux start-up (prêts, subventions…), afin de « remettre de l’essence dans la machine pour donner de l’air pour les prochaines semaines », explique Paul-François Fournier, directeur exécutif de la banque publique. Les aides prévues dans le cadre du plan d’investissement d’avenir, pour un montant de 250 millions d’euros, vont également être versées de manière prématurée.

« Une vraie dynamique, aujourd’hui menacée »

Mais l’ambition de Bpifrance est aussi de s’assurer que les investisseurs « continuent à faire leur métier », afin de soutenir les start-up françaises. A ce titre, elle est prête à mettre sur la table 80 millions d’euros d’obligations convertibles à condition que les investisseurs injectent au moins la même somme. Il ne s’agirait pas pour Bpifrance de prendre des parts dans toutes ces sociétés – sauf, peut-être, dans les plus prometteuses –, mais de leur permettre de traverser cette période difficile avant qu’elle ne se désengage lors d’une prochaine levée de fonds.

« On a un écosystème qui est encore assez jeune, et qui connaissait, jusque-là, une vraie dynamique, aujourd’hui menacée », considère M. Fournier. L’objectif est donc, selon lui, de « trouver un mécanisme gagnant-gagnant avec les investisseurs qui jouent un rôle majeur dans cet écosystème et doivent continuer à faire leur métier, car Bpifrance ne peut pas tout financer seule ».

Pas de doute, selon le directeur de Bpifrance, que certaines entreprises ne traverseront pas la crise. Pour autant, il n’estime pas que les fondamentaux de la French Tech seront laminés dans les prochaines semaines. Des entreprises pourraient même voir leur activité s’accélérer dans la période, comme Doctolib ou des sites d’e-commerce. « Il s’agit de voir comment faire en sorte de préserver la dynamique qu’on a connue ces dernières années. »

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L’inspection du travail recrute de nouveaux profils pour favoriser le dialogue social

« L’inspection du travail veut diversifier ses recrutements, en intégrant davantage de profils ayant déjà une expérience significative du monde du travail et des relations sociales »
« L’inspection du travail veut diversifier ses recrutements, en intégrant davantage de profils ayant déjà une expérience significative du monde du travail et des relations sociales » Tom Merton/Ojo Images / Photononstop

L’inspection du travail veut diversifier ses recrutements, en intégrant davantage de profils ayant déjà une expérience significative du monde du travail et des relations sociales. « Au global, nous allons recruter quelque trois cents inspecteurs du travail sur trois ans, dont quatre-vingts cette année », annonce Anouk Lavaure, directrice de projet à la direction générale du travail (DGT).

Jusqu’à présent, seules 10 % des nouvelles recrues étaient issues de la troisième voie réservée aux actifs ayant au moins huit ans d’expérience professionnelle, les autres provenant soit du concours externe dédié aux étudiants, soit du concours interne pour les fonctionnaires et agents publics. « Notre objectif est d’atteindre les 20 % à 30 % issus du troisième concours », poursuit Anouk Lavaure.

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Les titulaires d’un mandat syndical ou électif sont les bienvenus, de même que des avocats en droit social, des ergonomes ou encore des directeurs des ressources humaines. Une diversification que François Cochet, directeur des activités santé au travail chez Secafi, cabinet spécialisé dans l’assistance et le conseil auprès des instances représentatives du personnel, juge particulièrement « pertinente. La diversité des profils est toujours un élément positif ». Parmi les compétences recherchées, outre l’expérience terrain : un bon relationnel, le sens de l’écoute et de l’observation, des talents de pédagogue, une forte adaptabilité et du pragmatisme.

Un rôle d’accompagnement

Ces nouveaux profils sont censés accompagner la montée en puissance du dialogue social au sein de l’entreprise. Car « si le rôle traditionnel de l’inspection du travail est le contrôle, le conseil aux entreprises sur la réglementation du travail et l’application de sanctions si nécessaire, le contexte a beaucoup évolué avec les ordonnances Travail. Le rôle de l’inspecteur du travail est moins régalien que par le passé », explique Guy Groux, sociologue, directeur de recherches au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) et directeur de l’Executive Master Dialogue social et stratégie d’entreprise.

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L’inversion de la hiérarchie des normes – des accords au niveau de l’entreprise peuvent être moins favorables que les dispositions négociées au niveau de la branche d’activité – fait que l’entreprise produit de plus en plus ses propres règles. Et, en parallèle, on assiste à un développement du dialogue social avec, par exemple, les procédures de référendum. « La dimension pédagogique du métier est de plus en plus importante pour aider à bâtir un dialogue constructif, estime François Cochet. Les inspecteurs du travail doivent combiner le rappel à la règle avec une approche pragmatique vis-à-vis des employeurs de bonne foi. Ils doivent veiller davantage au respect de l’esprit de la loi qu’à celui de la lettre. »

« Le manageur face à la pandémie de Covid-19 »

Carnet de bureau. « Le management est à la fois une technologie et une humanité. Il combine – ou devrait combiner – rationalité et responsabilité », peut-on lire au Musée du management du Cercle de l’innovation, à l’université Paris-Dauphine. Face au Covod-19, les grandes entreprises ont organisé, en cellules de crise, des plans de continuité à chaud, out le monde ayant été pris de court par les annonces gouvernementales.

Cette crise sanitaire est inédite. Le défi a été de recréer des processus d’organisation immédiatement opérationnels où le comité de direction (Codir) reste maître-d’œuvre, d’identifier les postes-clés pour l’activité, les salariés polyvalents, d’établir une chaîne de décisions qui anticipe l’éventuel remplacement au pied levé d’un manageur malade, afin d’assurer à la fois le maintien de l’activité et la santé des salariés. Des plans de crise sans précédent ont ainsi été adoptés dans tous les secteurs, de Total à Radio France par exemple, qui ont limité au maximum le nombre de salariés sur site.

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Mais, la prolongation du confinement et son durcissement posent de nouveaux défis aux entreprises. L’interaction physique limitée du confiné provoque de la fatigue, la communication redoublée par la collaboration à distance expose le salarié à une surcharge cognitive, et la crise sanitaire elle-même génère un stress ambiant. L’enjeu est de taille, car les conséquences vont de la multiplication des pratiques addictives aux décisions fautives.

Le rôle essentiel de l’employeur

Or, qu’il s’agisse de consommation de produits psychoactifs, de jeux vidéo ou de dépendance au travail, l’addiction n’a pas attendu le SARS CoV-2 pour affecter les salariés. L’étude Impact des pratiques addictives au travail menée en septembre 2019 par GAE Conseil, auprès de plus de 1 000 salariés du privé et du public, indiquait que 44 % des salariés jugent les pratiques addictives fréquentes dans leur milieu professionnel.

« Les expériences de la NASA ont démontré que le stress provoqué par le confinement pouvait conduire les personnes les mieux préparées à prendre de mauvaises décisions, rappelle Eric Goata, administrateur de la Fédération des intervenants en risques psychosociaux (Firps). Ce n’est donc pas le moment pour un manageur de prendre des décisions, autrement que concertées et mûries avant d’être déployées. Car tout le monde est déstabilisé par les annonces successives. »

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La responsabilité de l’employeur de garantir la sécurité et la santé des salariés l’oblige à anticiper les facteurs de risques, à expliquer les bonnes pratiques du télétravail, à renforcer sa communication auprès des collaborateurs. Mais comment un manageur peut-il reconnaître les salariés à risque à distance ? « En repérant les alertes, explique M. Goata, une agitation verbale, un silence inhabituel, un comportement automatique de gestes routiniers sans utilité pour l’organisation sont autant de signaux faibles à prendre en considération. »

Gestion des risques : « La solidarité doit précéder la crise »

Gouvernance. Avec la pandémie virale, chacun découvre les règles de confinement qu’impose la lutte pour la protection collective. Mais cette gestion de crise est d’autant plus perturbante qu’elle inverse les priorités et les valeurs qui dominent en temps normal.

D’une part, les pouvoirs publics doivent agir autoritairement tout en reconnaissant qu’ils affrontent l’inconnu et s’adapteront aux circonstances. D’autre part, la liberté individuelle est suspendue et chacun est sommé d’agir dans l’intérêt de tous. Or, on sait que l’efficacité de telles mesures d’exception dépend aussi de ressources sociales et matérielles préparées, avant la crise, par la gestion normale.

L’étude systématique des méthodes de gestion de crise date des années 1980 (Le Risque technologique majeur. Politique, risque et processus de développement, Patrick Lagadec, Pergamon 1981). A l’époque, les dangers considérés relevaient surtout de l’accident technologique majeur : nucléaire, pétrolier, chimique. Une leçon paradoxale s’était dégagée des enquêtes : il fallait anticiper autant que possible la crise mais avec la certitude que celle-ci ne se déroulerait pas comme prévu et exigerait une organisation spéciale capable de réagir à l’inconnu !

Pour mieux affronter l’imprévisible

Ce paradoxe se dissipe lorsqu’on comprend que le travail d’anticipation est bien plus qu’un exercice de prévision. Au-delà des mesures préventives, c’est pendant cette phase que l’on peut consolider les schémas de coordination et les solidarités humaines, sociales et économiques qui seront nécessaires pendant la crise. Chacun apprend ainsi ce que l’ensemble lui doit et ce qu’il recevra des autres. Un acquis précieux !

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Car, quand la crise survient et plonge tout le monde dans l’inconnu, les autorités disposeront de réseaux d’information fiables, d’intervenants préparés et de citoyens solidaires. Il y a un siècle, Henri Fayol, le pionnier de la science administrative, faisait déjà de la « prévoyance » l’essence de la bonne gestion, et voulait désigner avec un même terme aussi bien l’effort de prévision que la formation d’un corps social solidaire qui seul permet d’affronter l’imprévisible.

La crise épidémique n’échappe pas à cette nécessité. Mais si le système de santé s’est, en principe, doté de plans d’urgence et de professionnels aguerris, il n’en va pas de même du grand public, sur lequel repose pourtant le sort collectif. Car, en temps normal, la gestion de la société civile met surtout l’accent sur la croissance, la concurrence économique et les vertus de l’intérêt individuel.