L’esprit des lois

L’esprit des lois

Yann Legendre

Le juriste, bâtisseur de l’Institut d’études avancées de Nantes, érige le droit en « clé de voûte » de la société.

Depuis la terrasse qui donne sur la Loire, Alain Supiot fait avec enchantement le tour du propriétaire. Au centre du foyer de l’Institut d’études avancées de Nantes, il expose avec fierté « une vraie cheminée ». « On y fait des flambées, l’hiver », déclare-il. Cet institut, c’est son « bébé » – peut-être plus que ses six livres majeurs et ses leçons au Collège de France, qui ont marqué le droit du travail, la philosophie du droit et les sciences humaines. Alain Supiot voulait un lieu où puisse se déployer « le travail de la pensée » – un bon résumé de son approche intellectuel qui, abandonnant du droit du travail, a fini par consulter ce qui fait une société humaine et ce qui lui permet de le rester.

Lorsque, en 1998, le gouvernement de Lionel Jospin lui révèle la présidence du Conseil sur l’avenir de la recherche en sciences sociales, il présente la création d’un institut sur le modèle du Wissenschaftskolleg de Berlin, où il a été en résidence l’année précédente. Le principe comporte à faire vivre conjointement, durant un an, des chercheurs de différentes disciplines et de discipline et de pays différents qui parviennent avec un projet de recherche librement choisi dont le seul « frottement » fait charger l’étincelle des idées nouvelles. C’est, pour Alain Supiot, le fondement même du travail intellectuel, mais aussi du travail tout court : la mise en présence des capacités de chacun dans l’objectif d’améliorer la compréhension et le bonheur des hommes.

En cette fin des années 1990, le projet, au début prévu à Paris, suscite l’hostilité des grands établissements sur l’air de « on le fait déjà ». Mais il revient en 2002, quand Jean-Marc Ayrault, maire (PS) de Nantes, appel Alain Supiot à concrétiser son idée dans un magnifique bâtiment ultramoderne construit à cet effet. Lancée en 2008, la fondation est actuellement financée par des collectivités locales, des sociétés, le ministère de la recherche et le gouvernement suisse. En 2015, sept ans après sa création, Nantes était classée dans le top 10 mondial des Instituts d’études avancées.

« Gouvernance par les nombres »

Avec la naissance du centre, 300 chercheurs de 34 disciplines et de 52 pays s’y sont succédé – la moitié viennent d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. « Ici, c’est tout le contraire de l’université, souligne Alain Supiot. Pas d’organisation de la recherche, pas d’enfermement disciplinaire, pas d’évaluation quantifiée. » Les seules contraintes comportent à demeurer sur place – l’institut dispose d’appartements pour ses 20 à 30 résidents –, de collaborer chaque lundi à un séminaire où chacun, tour à tour, présente ses travaux, et de prendre un repas tous ensemble trois fois par semaine.

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LJD

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