Les salariés affaiblis par l’instantanéité

Les salariés affaiblis par l’instantanéité

Les messageries instantanées dictent un nouveau tempo aux échanges internes et sollicite une disponibilité parfois irréaliste aux collaborateurs.

« Nombre de salariés reconnaissent les atouts des messageries instantanées, grâce auxquelles l’essentiel peut être dit en quelques mots. Mais la médaille a, pour certains, son revers. »
« Nombre de salariés reconnaissent les atouts des messageries instantanées, grâce auxquelles l’essentiel peut être dit en quelques mots. Mais la médaille a, pour certains, son revers. » Jamie Jones/Ikon Images / Photononstop

C’est l’ultime endroit où l’on cause. Un endroit tendance,  où les discussions professionnelles en croisent d’autres plus personnelles, où l’on se demande sur le rétroplanning du nouveau projet de son service, avant de débattre du lieu où l’on se retrouvera pour déjeuner. Loin de la machine à café, les messageries instantanées comme Slack ou Microsoft Teams admettant aux équipes d’échanger le futile et l’essentiel en temps réel, tout en restant à leur poste de travail. Le succès est au rendez-vous : plusieurs dizaines de millions de salariés les utilisent à travers le monde.

C’est le cas dans le cabinet de recrutement Altaïde, où les équipes distantes (situées à Paris, à Bordeaux, en Suède, et plus tard à Barcelone) peuvent communiquer tout le temps. Comme dans beaucoup de sociétés, l’outil numérique (Slack, en l’occurrence) a d’abord été fait par les salariés, avant d’être adoubé par les dirigeants. « C’est une solution qui participe à la vie de la société, elle apporte de la cohésion et permet un travail collaboratif efficace », déclare Jacques Froissant, le fondateur de l’entreprise.

Outils chronophages et anxiogènes

« Conviviale », « pratique », « rapide »… Plusieurs salariés reconnaissent les avantages des messageries instantanées, grâce auxquelles l’essentiel peut être dit en quelques mots. Mais la médaille a, pour certains, son revers. Lorsqu’elle entend le signal sonore l’avertissant qu’elle a reçu un message, Nadia, cadre dans un grand groupe de la distribution, ressent souvent une légère tension l’envahir. « Je peux avoir dix conversations instantanées activées en même temps avec autant de demandes à traiter dans l’heure », déclare-t-elle.

Ce à quoi s’ajoutent les nombreux courriels qui arrivent durant la journée et les notifications qui les accompagnent sur son portable. « C’est très stressant, le flot est continu et le temps n’est pas extensible. » Tout le risque des échanges instantanés est là : leur praticité et leur efficacité pour obtenir rapidement une information peuvent amener un nombre croissant d’interlocuteurs à contacter un même salarié, le « noyant » sous un flot de demandes. De quoi transformer ces plates-formes souvent jugées « conviviales » en de redoutables outils chronophages et anxiogènes.

Pour Yanita Andonova, maître de conférences à l’université Paris-XIII, la question ne se limite pas aux messageries instantanées : « Les salariés sont aujourd’hui sollicités non-stop. Ils peuvent avoir deux écrans, un téléphone fixe, un portable, recevoir des pop-up les avertissant de l’arrivée d’un nouveau mail, devoir répondre à des chats instantanés… ». Une démonstration d’outils numériques qui a fait évoluer la temporalité au cœur de l’entreprise : « La réactivité immédiate est devenue une nouvelle norme (…). Même en réunion, des salariés vont répondre immédiatement aux demandes qui leur sont faites par chat, parfois au détriment de leur implication ». Ce changement de rythme a son corollaire : « Il y a, dans l’entreprise, une présomption de disponibilité permanente », déclare Mme Andonova.

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LJD

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