« Les “responsables du bonheur” dans les sociétés n’étudient pas la peine au travail à sa source »

« Les “responsables du bonheur” dans les sociétés n’étudient pas la peine au travail à sa source »

Un espace réservé à la détente chez Just Eat, entreprise parisienne, le 14 février 2019.

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La sociologue Danièle Linhart voit que la croissance du bonheur dans l’entreprise vise particulièrement à « compenser une détérioration du contenu du travail ».

Danièle Linhart est sociologue du travail, directrice d’étude émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et membre du Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (Cresppa).

Que vous inspire cette aptitude assez nouvelle, dans les firmes en France, du bonheur au travail ?

Danièle Linhart : Cela indique une intrusion exceptionnellement forte dans la vie privée des salariés et la volonté de s’intervenir dans ce qui relève des affects, des émotions – on parle d’ailleurs de gestion des émotions, de la conduite des affects.

Principalement, il me semble que le développement du bonheur dans l’entreprise – certains articulent de « bienveillance » – vise à battre une atteinte du contenu du travail et à dissimuler des contradictions profondes qui sont au cœur du modèle managérial moderne. D’un côté, il y a la volonté de donner au salarié plus de liberté, d’autonomie, la possibilité de se réaliser dans le travail ; de l’autre, la multiplication de procédures et de protocoles, c’est-à-dire de contraintes et d’un contrôle professionnel exceptionnellement forts.

Les salariés peuvent percevoir du mal-être face à ces contradictions très importantes qui relèvent en cause leur placement dans le travail.

Quel rôle ont les « chief happiness officers » (CHO), les responsables du bonheur, dans cette stratégie du bien-être au travail ?

La parvenue des chief happiness officers, des « DRH de la bienveillance », c’est pour dire : « Tout n’est pas rose, mais on est là pour vous assister. » Les CHO sont chargés d’arranger des événements, des rencontres, de l’affabilité, d’assister la vie dans l’entreprise (service de conciergerie, massages, numéros verts de psy, méditation, conseils nutritionnels…), mais en périphérie du travail lui-même. Les CHO sont un exutoire. Ils sont là pour montrer que le bien-être des salariés est une participation pour la direction, mais surtout pour faire en sorte que les salariés détiennent face aux contradictions du modèle managérial moderne.

Les CHO ne comblent pas la peine au travail à sa source. Ils donnent l’impression aux salariés qu’on s’occupe d’eux, mais ils ne traitent pas des problèmes majeurs qui sont liés au contenu même du travail. Parfois même cela aggrave les choses, c’est une manière de reproduire la faute des sources du malheur sur le salarié : officiellement, la direction fait tout pour le rendre heureux et, pourtant, le salarié se sent malheureux, donc il se dit que le problème vient de lui.

 

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LJD

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